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  • Le Meilleur des Jours, Yassaman Montazami

    Note parue sur : http://www.lacauselitteraire.fr/le-meilleur-des-jours-yassaman-montazami.html

    Le meilleur des jours, Yassaman Montazami

     144 p. 15 € Edition: Sabine Wespieser août 2012

     

    Ce livre, le premier de Yassaman Montazami, est un émouvant hommage au père, une manière de conjurer la perte et de faire vivre encore cette forte figure familiale au travers de l’écriture. Un père original, épris de justice, généreux et impertinent, doté d’un grand talent pour les pitreries, qui fut surnommé à sa naissance, en 1940, plusieurs semaines avant terme, Behrouz – en persan « le meilleur des jours ». Un enfant miraculé, premier né d’une famille aisée de Téhéran, et qui survécut grâce aux soins d’une mère, qui n’eut de cesse ensuite toute sa vie de veiller obsessionnellement à ce qu’il ne manque de rien. Behrouz est mort d’un cancer à Paris en 2006, et sa fille a alors pris le crayon pour l’immortaliser et nous plonger ainsi dans l’histoire de sa famille, avec un pied en France, l’autre en Iran.

    Son père est envoyé faire des études à Paris vers la fin des années 60, il a d’ailleurs été éduqué en français, comme bon nombre d’enfants de la bourgeoisie téhéranaise de l’époque. Il se trouve alors « pris dans une ivresse sans limite devant la vastitude des connaissances qu’il pouvait acquérir à Paris » et comme ses parents lui assurent leur soutien pécuniaire, après avoir épousé Zahra, dans un élan romantique lors d’un retour à Téhéran, il restera un éternel étudiant.

    Il vit à Paris avec Zahra quelques années, puis lorsque celle-ci tombe enceinte, il la renvoie en Iran et part à Londres pour se lancer dans un projet de thèse faramineuse : « La détermination de l’histoire par la superstructure dans l’œuvre de Karl Marx », dont il rédigera des milliers de pages, mais qui ne seront que le dixième du travail titanesque qu’il s’était donné et dont il n’arrivera jamais à bout.

    Yassaman Montazami vient au monde en 1971, à Téhéran. Sa mère et elle rejoignent Behrouz en France en 1974. C’est de là-bas que Behrouz participe à sa manière aux évènements révolutionnaires de 1979.

     

    « Mon père pour qui la laïcité était une des conditions indispensables à l’avènement de la démocratie, avait du reste toujours marqué une forte défiance à l’idée que des religieux s’emparent du pouvoir ».

     

    Leur appartement parisien devient alors un refuge pour des Iraniens en exil, venant des milieux les plus divers, tous fuyant la tenaille de la République Islamique et laissant derrière eux leur rêve d’un Iran enfin libre et juste : poètes, révolutionnaires, en jeans à pattes d’éléphant, gilets en peau de mouton, sandales ou sabots de cuir, « on trouvait là des communistes prosoviétiques, des léninistes, des trotskistes, des maoïstes, des bordiguistes, des albanistes » et même une femme de la haute bourgeoisie monarchiste, épouse en fuite d’un colonel emprisonné.

     

    « A force d’entendre toutes ces histoires, il m’était apparu qu’un vrai iranien était nécessairement un fugitif. (…) Cela ne me dispensait pas pour autant de tenir mon père pour un authentique héros. Ses publications et ses prises de positions politiques lui interdisaient en effet de remettre les pieds en Iran, où elles l’auraient tout droit conduit en prison. La prescience que tout le monde lui reconnaissait au sein de la diaspora iranienne m’emplissait également de fierté : après être retourné à Téhéran dans l’euphorie qui avait suivi la fuite du shah, en février 1979, il avait été l’un des premiers à reprendre l’avion pour l’Europe, dès l’été, pressentant l’hécatombe qui allait décimer les militants gauchistes malgré leur soutien aux islamistes, auxquels les unissait une même détestation de l’impérialisme et de la bourgeoisie ».

     

    Yassaman Montazami nous offre avec ce premier livre l’opportunité de retraverser tout un pan de l’histoire iranienne à travers quelques destins qui y sont liés, et de découvrir ainsi une autre facette de l’Iran, celle notamment d’intellectuels et d’artistes militants qui espéraient là-bas comme ailleurs l’avènement d’un monde meilleur, plus libre et plus équitable. Behrouz, marxiste idéaliste, bon vivant et facétieux, n’a de cesse d’inventer des farces et faire de la vie un éternel terrain de jeu, mais il va cependant petit à petit perdre une certaine insouciance et joie de vivre. Suite à la mort de son propre père en 1988, puis au double échec de son couple et d’une thèse jamais achevée, il retourne en 1997 en Iran, alors qu’on vient d’y élire le président réformateur Mohammad Khatami. Il y retrouve un amour et y cherche ses anciens compagnons. Ceux qui ne sont pas morts ou en exil, ont été brisés par la prison, les tortures, les humiliations.

    « L’Histoire s’était refermée sur eux comme un étau ».

    Avec une écriture à la fois fluide et dense, au travers de son regard de petite fille, puis de l’adulte, sur un père adulé, Yassaman Montazami va et vient dans le temps, au gré de souvenirs tendres et cocasses, et nous offre un témoignage drôle, vivifiant et porteur d’espoir, car l’énergie qui animait Behrouz n’a pas disparu avec lui, les hommes s’en vont, les idées évoluent mais l’essentiel demeure, l’espoir d’un monde libre et meilleur.

     

    Cathy Garcia

     

    Yassaman Montazami

    Yassaman Montazami, qui vit en France depuis 1974, est née à Téhéran en 1971. Docteur en psychologie, elle a travaillé de nombreuses années auprès de réfugiés politiques et a enseigné à l’université Paris VII. Elle exerce actuellement en milieu hospitalier. Le Meilleur des jours est son premier roman.

     

  • Fée d’hiver d'André Bucher

    Note parue sur : http://www.lacauselitteraire.fr/fee-d-hiver-andre-bucher....

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    Le Mot et le Reste décembre 2011, 160 pages, 16 €

     

    Pour celles et ceux qui ne connaîtraient pas encore le talent d’André Bucher, voici une bien belle façon de le découvrir. Dans Fée d’hiver, on sent le souffle d’un Jim Harrison, dont André Bucher est grand lecteur, mais l’écriture de cet écrivain poète paysan est unique. Et justement, elle sent le vécu, le territoire arpenté, la solitude affrontée. Fée d’hiver est un roman à la fois âpre et magnifique, austère et puissamment physique, comme les lieux dans lesquels il prend place dans ce sud de la Drôme, à la limite des Hautes-Alpes. Des lieux sauvages, entourés de montagnes, désertés par les hommes partis rejoindre les villes, où la vie, croit-on, offre plus de facilités.

    Le roman démarre sur un prologue, un article paru dans le journal le Dauphiné Libéré, daté du 31 août 1948. Un fait divers « Drame de jalousie dans le sud de la Drôme », qui fait écho au titre du livre, Fée d’hiver. Cette fée d’hiver qui vient comme pour rompre une malédiction, une sorte de réparation d’accrocs dans les mailles du destin.

    La première partie du roman est un journal intime à deux voix, s’étalant entre 1965 et 1988. Une façon de présenter les lieux, le contexte, les personnages. Daniel et Richard sont deux frères, l’un géant et l’autre court sur pattes, l’un parle peu, l’autre ne parle plus du tout. Ce sont les deux enfants laissés orphelins par le drame familial évoqué dans l’article du journal. Placés en famille d’accueil par la DDASS, ils ont grandi et retournent maintenant vivre dans la ferme familiale aux Rabasses, pas très loin du village de Laborel. Une ferme délabrée, que Richard, l’aîné, va peu à peu transformer en casse. Daniel lui, muet depuis le drame, s’occupe d’un troupeau de brebis. Deux marginaux en quelque sorte, repliés sur eux-mêmes, que les gens alentour prennent pour des attardés.

    Et puis, il y a les Monnier, qui ont une scierie. Le père était l’amant de la mère de Richard et Daniel, responsable en quelque sorte de leur malheur, mais il est mort lui aussi, emporté par un cancer peu de temps après. Restent les deux fils, dont l’aîné dirige maintenant la scierie, et le cousin Louis, le nabot que les frères Monnier aimaient tant tyranniser, étant enfant. Depuis toujours enclins à la morve et à la méchanceté, la vie n’avait pas aidé à les changer ces deux-là. Heureusement il y a Alice, la jeune sœur. Alice est différente et elle n’a pas peur de passer du temps avec Daniel, pendant qu’il fait pâturer ses brebis. Elle passe le voir, cherche à communiquer avec lui. Daniel l’aime beaucoup bien qu’elle soit bien plus jeune que lui, seulement les années passent vite. Alice travaille comme secrétaire à la scierie de ses frères, elle part à midi ravitailler les bûcherons. Un jour, elle a déjà plus de trente ans, elle finit par dire oui au cousin Louis. Daniel décide qu’il ne parlera vraiment plus jamais et arrête son journal. Nous sommes en 1988.

    Le roman enchaîne alors sur l’histoire de Vladimir entre 1995 et 1998. Vladimir est serbo-croate et bûcheron. En 1995, avant le cessez-le-feu entre les Serbes et les Bosniaques, sa sœur et ses parents périssent dans la destruction de leur village. Vladimir, c’est son métier qui l’a sauvé, il était dans la montagne en train de bûcheronner quand c’est arrivé. Quand il est revenu, il n’y avait plus rien, juste larmes, cendres et décombres. Il a donc fui, son pays, ses souvenirs, sa douleur. De pays en pays, une vie rude et solitaire, d’exilé, de sans-papiers, avec pour seul bagage, seul lien avec son passé, une anthologie bilingue de poésie des Balkans. Il exerce son métier partout où il peut, et de pays en pays, finit ainsi par arriver en France. Dans le parc du Lubéron, il travaille comme surveillant d’incendies avec Alain, un étudiant qui prépare une thèse sur l’éclatement de la péninsule des Balkans, et parle donc un peu la langue de Vladimir. Ainsi, tout en guettant les feux, débroussaillant, éclaircissant les bois, il aide ce dernier à perfectionner son français. Le Lubéron hors saison touristique est totalement dépeuplé au grand étonnement de Vladimir.

    « – Et encore, tu n’as rien vu. Ici ça va, on est dans le Lubéron. Passe seulement de l’autre côté du plateau d’Albion, en redescendant jusqu’à l’extrême pointe Sud de la Drôme, à la limite des Hautes-Alpes, tu verras… c’est bien pire. Là-bas même les corbeaux sont inscrits sur les listes électorales. Par contre en tant que bûcheron, tu devrais pouvoir trouver. Plus personne ne veut faire ce boulot ».

    C’est comme ça, qu’en mars 1998, quelques mois après la fin de leur contrat, Vladimir se retrouve face à Alice devant la scierie des Monnier.

    « – Bonjour Madame. Je m’appelle Vladimir, je suis bûcheron et je cherche du travail ».

    Entre temps, Alice, avait donc vécu sa vie de femme mariée. Mariée moins par amour que par peur de rester seule, et aussi sous la pression de ses frères, histoire que la scierie reste en famille. Le petit Louis était devenu un homme, toujours aussi faible, mais plus sournois, et puis il s’était mis à boire, à boire et à frapper. Alice était loin, bien loin de ses rêves. Après huit années de mariage, la coupe était pleine, et elle avait quitté le domicile conjugal, pour aller vivre dans un gîte d’une amie d’enfance, pas très loin des frères Lacour, Richard et Daniel. Ça faisait longtemps qu’elle ne les voyait plus, elle s’en voulait. Les choses allaient changer.

    Vladimir donc, est embauché par la scierie. Non déclaré, il loge dans une caravane vétuste sans aucune commodité, mais il a l’habitude, et se contente de ce qu’il a, jusqu’au jour où les frères Lacour viennent lui témoigner quelques signes d’amitié et finissent par lui proposer d’aménager sur leurs terres, dans une cabane à remettre en état, au fond du Val Triste, à quelques kilomètres de leur ferme.

    « Une tanière toute en rondins de pins mal équarris, adossée à la forêt et donnant sur une clairière avec une vaste prairie où serpentait un ruisseau qui prenait sa source en haut du vallon. L’eau y était fraîche même en été et elle avait un léger goût de rouille ».

    Vladimir ne se doute pas qu’il va préparer là un nid d’amour pour une fée d’hiver.

    André Bucher a l’art de décrire la nature, les sentiments qu’elle provoque et ses propres sentiments à elle, en tant qu’entité vivante à part entière, d’une façon totalement originale, des images non attendues qui donnent beaucoup de fraîcheur à son écriture, outre que l’histoire elle-même est captivante, toute pleine de rebondissements, de profondeur, d’humanité, et de rage aussi. Vraiment, ce roman est un torrent de montagne à glisser à votre chevet, il serait dommage de s’en priver.

     

    Cathy Garcia

     

     

    André Bucher, col de Perty, janvier 2012 © B. P.André Bucher, col de Perty, janvier 2012 © B. P..png

     

    André Bucher, écrivain, paysan, bûcheron, André Bucher est né en 1946 à Mulhouse, Haut-Rhin. Après avoir exercé mille métiers (docker, berger, ouvrier agricole…), il s’installe à Montfroc en 1975, vallée du Jabron, dans la Drôme, où il vit toujours. Il est un des pionniers de l’agriculture bio en France. Écrivain des grands espaces, lecteur de Jim Harrison, Rick Bass, Richard Ford…, des écrivains amérindiens tels James Welch, Louise Erdich, Sherman Alexie, David Treuer…, son écriture puise sa scansion, sa rythmique dans le blues, la poésie, le jazz et le rock’n’roll. La nature n’est pas un décor mais un personnage de ses histoires. Fée d’hiver est son sixième roman.

    Bibliographie :

    Histoire de la neige assoupie, Une hirondelle qui pleure tout le temps, (nouvelles), Chiendents n°17, Cahier d’arts et de littératures, André Bucher, Une géographie intime.

    Fée d’hiver, roman, éditions le mot et le reste, 2012

    La Cascade aux miroirs, roman, Denoël, 2009

    Le Pays de Haute Provence, carnet de voyage, vu de l’intérieur, récit, en collaboration avec un photographe, Pascal Valentin, pour l’office de tourisme du Pays de Haute Provence, 2007

    Déneiger le ciel, roman, Sabine Wespieser, 2007

    Le Matricule des Anges n°80, Clairé par une âpre beauté…

    Pays à vendre, roman, Sabine Wespieser, 2005

    Le Cabaret des oiseaux, roman, Sabine Wespieser, 2004, France-Loisirs, 2005, traduction en langue espagnole El Funambulista, 2007, traduction en chinois, 2008

    Le Pays qui vient de loin, roman, Sabine Wespieser, 2003

    Le Juste Retour des choses, Saint-Germain-des-Prés, Miroir oblique, 1974

    Le Retour au disloqué, Publication par l’auteur, 1973

    La Lueur du phare II, Éditions de la Grisière / Éditions Saint-Germain-des-Prés, Balises, 1971

    La Fin de la nuit suivi de Voyages, J. Grassin, 1970