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MES NOTES DE LECTURE : LITTÉRATURE, POÉSIE & AUTRE

  • Les sirènes de Bagdad de Yasmina Khadra - Julliard 2006

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    Une découverte pour moi, troisième tome d'une trilogie trouvé dans une boîte à livres, un livre qui prend une dimension peut-être plus forte presque 20 ans après, sa principale qualité étant de nourrir une réflexion sur l'être humain et toutes les pulsions va t-en guerre des uns et des autres aggravées par les différences culturelles, le poids de trop de traditions ou au contraire du manque de repères, le danger du mépris de l'autre, le mal que ça fait et continue de faire, la violence engendrant toujours plus de violence, de douleur, de misère matérielle et morale, de dépressions sans fin où l'humain vidé de toute substance est prêt à commettre tout et surtout n'importe quoi sans même avoir la possibilité de connaitre l'amour, c'est ce manque d'amour qui nous tue toutes et tous et partout dans le monde, c'est notre point commun, notre lien. N'ayant pas lu d'autres livres de l'auteur, je ne saurais dire si celui-ci est meilleur ou moins bon mais j'en ai apprécié la lecture, simple et vivante, lu facilement entre les lignes, saisi, il me semble, ce qui en est le message le plus important.

     

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    « Le coup parti, le sort en fut jeté. Mon père tomba à la renverse, son misérable tricot sur la figure, le ventre décharné, fripé, grisâtre comme celui d'un poisson crevé. et je vis, tandis que l'honneur de la famille se répandait par terre, je vis ce qu'il ne me fallait surtout pas voir, ce qu'un fils digne, respectable, ce qu'un Bédouin authentique ne doit jamais voir – cette chose ramollie, repoussante, avilissante; ce territoire interdit, tu, sacrilège: le pénis de mon père. Le bout du rouleau ! Après cela, il n'y a rien, un vide infini, une chute interminable, le néant. »

    Connu et salué dans le monde entier Yasmina Khadra explore inlassablement L'histoire contemporaine en militant pour Le triomphe de l'humanisme. Après Les Hirondelles de Kaboul (Afghanistan) et L'Attentat (Israël ; Prix des libraires 2006) Les Sirènes de Bagdad (Irak) est le troisième volet de la trilogie que l'auteur consacre au dialogue de sourds opposant l'Orient et l'Occident. Ce roman situe clairement l'origine de ce malentendu dans les mentalités.

     

     

     

  • Randolph Stow - The Visitants

     

    TheVisitantscouv-une.jpgUne belle surprise ce roman et je remercie les éditions Au Vent des Iles de me l'avoir généreusement offert. La découverte déjà d'un auteur majeur en Australie, si bien que c'est incroyable qu'il soit inconnu chez nous et cela m'a donné envie de lire tous ses livres ! C'est donc une première traduction en français pour un roman paru en 1979 et qui a remporté le Prix Patrick White, le Nobel australien, la même année ! Roman très humain, au sens le plus authentique du terme, c'est ce qui sans doute lui donne l'air d'avoir été écrit hier. Il se déroule en 1959, sur une île reculée de Papouasie, alors australienne, et donne alternativement la parole à tous les protagonistes qui racontent des évènements antérieurs à la fin tragique de l'officier Alistair Cawdor. Une polyphonie rythmée et captivante, on ne s'ennuie pas une seconde, on est happé, c’est un régal. L’écriture pourrait rappeler certains romans amazoniens, en rapport avec la présence très forte de l'environnement naturel, sa chaleur, sa moiteur jusqu'à l'étouffement, cette fièvre toujours à la frontière de la folie que le lecteur peut ressentir comme s'il était lui-même parmi les protagonistes. Une très belle écriture vivante et franche qui nous plonge dans les tréfonds des uns et des autres en explorant notamment la douleur humaine et qui, et c'est un aspect essentiel de ce roman, donne à la culture indigène la place qui est la sienne : égale en humanité, respectable dans ses différences. C’est là une des qualités qui fait de ce roman une telle réussite : l'auteur qui s'est inspiré de sa propre expérience, ne tombe ni dans un travers colonialiste même repenti, ni dans une adulation trop naïve du bon indigène, un regard tout aussi colonialiste qui ôte à l'autre ses nuances, ses contradictions. Le choc des cultures est réel et il fait intégralement partie du récit, ce qui fait le lien, c'est l'humanité qui dans son essence est partout la même et comment chaque culture se modifie au contact de l’autre. Et on sent le respect que l’auteur a pour la culture Kiriwina qu’il a donc lui-même côtoyée et dont il a même commencé à apprendre la langue lors des quelques mois de séjours en Papouasie-Nouvelle-Guinée dans sa jeunesse. Une bonne façon de découvrir aussi une culture rarement abordée en littérature. Plus personnellement, je me sens très proche de l'auteur dans sa façon de ressentir les choses et la lecture de sa biographie détaillée a confirmé ce ressenti. J'ai hâte de voir ses autres livres traduits en Français, ce qui est donc le projet des éditions Au Vent des îles dont je ne peux que recommander le catalogue rempli de perles, que j'ai déjà évoqué lors d'une autre lecture, L’île des rêves écrasés de Chantal T. Spitz. 

     

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    Randolph-Stow-in-Park.jpgRandolph Stow (1935-2010) est un auteur du patrimoine australien, un grand classique maintes fois primé tant pour sa prose que pour sa poésie. Inconnu en France, il est le chaînon manquant, à côté du prix Nobel Patrick White (son contemporain), pour nous permettre d’appréhender toute la richesse du paysage littéraire australien et son importance pour la littérature mondiale d’aujourd’hui. 

     

     

    Voir : https://auventdesiles.pf/catalogue/collections/litterature/the-visitants/

     

     

     

  • La cathédrale des noirs de Marcial Gala

    Couv_CATHEDRALE_OK_web.jpgtraduit de l’espagnol (Cuba) par Maïra Muchnik, Belleville éditions, octobre 2021. 240 pages, 19 €.

     

     

    « SI T’ATTERRIS ICI, C’EST POUR LA VIE, quelqu’un l’avait écrit sur le mur d’une maison, et c’est vrai que le quartier était chaud, vraiment chaud. »

     

    D’une construction fort originale, La cathédrale des noirs avec ses airs de simplicité et son humour caustique de quartier populaire, se bâtit sur une succession de témoignages qui dessine de plus en plus clairement une réalité trash et sanglante.  Nous sommes à Cienfuegos, la « perle de Cuba », sa fameuse baie et ses plages adulées par le touriste mais dans La cathédrale des noirs, nous ne verrons pas la plage, juste quelques virées au quartier blanc de Punta Gorda pour y vendre de la viande et quelle viande !

    Les faits qui sont au cœur de ce roman se déroulent à Punta Gotica, quartier pauvre, quartier noir, avenir barré, vilaines combines, drogue, alcool, sorcellerie, putes et criminalité. Punta Gotica est un quartier où on pisse sur la tête de l’ennemi vaincu.

    « Naitre noir, c’est déjà être dans le pétrin, alors imagine si en plus tu dois vivre dans les baraquements d’un quartier pareil. » raconte Alain Silva Acosta, psychologue doté d’un master en gestion d’entreprise et dans la mouise comme tous les autres.

    C’est là que vient emménager la famille Stuart et ses trois enfants : la splendide Johannes et deux garçons, David King qui sera vite surnommé Le Grillon et le plus jeune, Samuel Prince, le tout beau, le tout doux mais Bárbaro Suárez Rosales que cette douceur insupportait et qui avait voulu le surnommer Gélatine a vite compris à ses dépens qu’il y avait de la férocité qui couvait chez le poète.

    Le père Stuart est un patriarche visionnaire, illuminé par sa foi, pas un tendre, mais un dur et sévère qui fiche des raclées à son aîné au nom du droit chemin et il a un projet grandiose, soutenu par des pasteurs de plusieurs États nord-américains : la congrégation du Saint Sacrement, une de ces innombrables églises évangélistes, qui a son pasteur déjà à Cienfuegos. Ce projet, c’est une cathédrale du Saint Sacrement, celle qui sera surnommée la cathédrale des noirs, une construction toujours plus démesurée et sans fin.

    Et puis il y a donc Ricardo Mora Gutiérrez, alias le Gringo et son acolyte La Porcasse. Le Gringo, ils sont nombreux à témoigner à son propos et lui-même témoigne souvent et on suivra son parcours jusqu’à l’injection terminale. Un parcours marqué par l’avidité. Avidité d’amour, d’argent, de reconnaissance : puissant sceau de damnation. Et parmi tous ces personnages hauts et chauds en couleurs et pour certains surtout en noirceur, il y a les fantômes, les morts qui sont restés esclaves du palero, le maître, le « parrain » d’El Gringo et plus tard aussi de Samuel Prince.

     Le Palo, religion afro-caraïbéenne proche de la Santeria et du Candomblé mais d’origine bantoue mélangée d'éléments de spiritisme, de magie et de catholicisme. Le Palo fonctionne par la manipulation de deux forces : la Lumière et les Ténèbres et dans La cathédrale des noirs, rares sont ceux qui peuvent échapper aux Ténèbres.

    Âmes sensibles s’abstenir donc, Marcial Gala nous embarque dans la peau des habitants de Punta Gotica et ce n’est pas un voyage touristique.

    « Dieu n’en voulait pas. Dieu n’en voulait pas de cette cathédrale, et tout est devenu confus. »

     

    Cathy Garcia Canalès

     

    164007314_129864569081357_3343425861374324748_n.jpgMarcial Gala est né à La Havane en 1965 et vit aujourd’hui entre Buenos Aires et Cienfuegos. La Cathédrale des noirs, son troisième roman, a été élu meilleur roman cubain en2012 et lauréat du prix Alejo Carpentier. Il conte les grandeur et décadence d’un peuple qui aspire à une profonde spiritualité, mais qui sombre dans ses contradictions. Gala est déjà considéré comme l’une des voix cubaines les plus originales de sa génération.

     

     

     

     

  • Le rapport sexuel n’existe plus de Philippe De Jonckeere

    couv-rapportsexuel-bnf.jpgéditions Inculte, 3 février 2021 – décembre 2020. 300 pages, 18,90 €.

     

    Qu’un homme puisse éjaculer à la vue d’une pantoufle ne nous surprend pas, ni non plus qu’il s’en serve pour ramener le conjoint à de meilleurs sentiments, mais personne assurément ne peut songer qu’une pantoufle puisse servir à apaiser la fringale, même extrême, d’un individu.

    Jacques Lacan (1901-1981, psychanalyste français)

     

     

    Entre autofiction et séance de psychanalyse étalée sur près de 300 pages, dans Le rapport sexuel n’existe plus, l’auteur est son propre personnage, endossant son propre nom et une partie en tout cas de sa vraie vie. Le fait que le récit prenne place en 2022 et s’achève en 2024 invente une distance temporelle avec ce qui semble pourtant être un véritable journal intime. Récit à visée thérapeutique pour guérir la douleur d’une déception amoureuse, dont l’auteur — cinquantenaire, se décrivant lui-même comme obèse et obsédé par l’arrivée de l’andropause qui vient alourdir le bilan d’une vie sexuelle de plus en plus fantasmatique — n’arrive pas à se défaire. Autoflagellation, autodérision, décorticage hyperlucide de son manque de lucidité, c’est grâce à son grand humour que l’auteur/personnage se rattrape toujours et parfois in extremis avant la chute dans le pathétique.

    Philippe De Jonckeere, informaticien, personnage donc de l’auteur Philippe De Jonckeere, et c’est là que réside l’originalité parfois inconfortable de ce roman — où commence la fiction ? Où s’arrête-t-elle ? —, cherche à travers ce processus d’écriture à autopsier une relation affective que son imagination a rendu bien plus forte et réciproque qu’elle ne l’était en réalité, le but étant de parvenir à en faire le deuil, mais il y a aussi la possibilité que la personne en question, la cause de ses souffrances, lise le roman une fois publié, ce qui rend le deuil impossible puisque cela demeure une énième tentative, même masquée, de faire perdurer le lien. Donc le but du roman lui-même se mord la queue finalement.

    Un roman comme une tentative de mise à jour :

    « Internet c’est étonnant parfois. On dit souvent que c’est une mémoire, c’est tout le contraire, c’est une fiction dont les mises à jour gomment les données les plus anciennes, elles les écrasent, comme on dit en informatique. Car, comme vous savez, je suis informaticien. »

    C’est très intéressant sur le plan du questionnement du pourquoi de l’écriture et du pourquoi nous faisons les choses dans la vie en général. L’intention affichée et l’intention sous-jacente. Tout lecteur peu disposé à réfléchir en profondeur sur ses propres fonctionnements psychologiques posera sans doute assez vite ce livre. Lecteur qui se retrouve happé dans ce processus très intime, témoin et même complice malgré lui d’une autoanalyse, où on retrouve notamment des narrations de rêves et des citations de Lacan, comme par exemple : « On finit toujours par devenir un personnage de sa propre histoire » ou « La vérité a la structure d’une fiction » et qui a inspiré le titre même de ce roman.

    Une plongée dans la micro-réalité la plus intime du personnage de l’auteur donc, qui ainsi dévoile le moindre ressort de ses pensées, divaguant entre fantasme et réalité dans un roman qui lui-même sème le doute chez le lecteur quant à ce qu’il est en train de lire. Parfois, ce dernier peut se sentir de trop dans ce monologue intérieur, qui à force de détails des plus anodins et de ressassements, peut devenir même lassant et puis il est rattrapé, parce que c’est drôle aussi, impudiquement et férocement drôle, parce qu’il peut aussi se reconnaître – plus encore si le lecteur est un homme cinquantenaire en perte de confiance et tourmenté par les premiers signes de l’andropause. Sujet d’ailleurs rarement abordé en littérature ou dans la vraie vie même et qui est ici largement exposé. « Soixante-neuf fois le mot andropause. Vous pouvez vérifier. »

    Dans « Le rapport sexuel n’existe plus », il est question de sexe bien-sûr, mais plus encore de solitude, de manque d’affection et d’élévation, de stimulation intellectuelle et sensorielle et il est beaucoup question de musique, de jazz en particulier, car celle autour de qui tourne tout le roman — en plus du nombril malmené, vieillissant et inquiet de son auteur — est une contrebassiste. Musique, cinéma, poésie, littérature et le sentiment d’impuissance face aux drames du monde forment aussi le canevas du récit bien plus que les problèmes d‘érection.

    « Le rapport sexuel n’existe plus » est donc une sorte de journal de bord, journal hyper détaillé d’une obsession érotico-sentimentale, qui use et abuse du pouvoir thérapeutique de l’écriture pour se sonder en profondeur, se traquer dans les recoins, s’avouer ses plus inavouables faiblesses, disséquer ses pensées, comportements, fuites et addictions, et remonter ainsi peu à peu la pente de la dépression. Un lecteur ne connaissant pas du tout le travail de l’auteur et ses livres précédents ne saura pas si l’objet de ce roman est réellement ce qu’il prétend être, mais en comprenant la démarche de cet auteur qui, pensant ne pas savoir écrire, s’est obstiné à le faire — un réflexe de survie à sa propre histoire — on ne peut que saluer le courage de cette extrême mise à nu qui épargne en même temps le lecteur du fardeau excessif de pathos, grâce à cette distance que permet un sens aigu de l’humour et de l’absurde.

    C’est bon de lire une voix d’homme osant aborder ses fragilités de mâle et en déconstruire les clichés, osant afficher ses peurs, sa sensibilité jusque dans ses accès les plus larmoyants, ses manques, ses obsessions et ses petites hontes intimes, qui ne craint pas de montrer des aspects peu glorieux de lui-même.

     

    Cathy Garcia Canalès

     

     

    philippejonckheereOFF.jpg1951, Robert Frank prend une petite fille en photo dans les rues de Paris. Cette petite fille sera ma mère. Né le jour de la 1964ème commémoration du massacre des innocents. Entrée en 1986 à L’École Nationale Supérieure des Arts Décoratifs à Paris où je perds un peu de temps faute de recevoir l’enseignement que j’étais venu y chercher. Les professeurs de photographie sont des photographes stricto sensu, c’est dire. En 1988, deux ans d’études à The School of the Art Institute of Chicago, où je reçois notamment l’enseignement de Barbara Crane, Joyce Neimanas, Ken Josephson, Karen Savage et Bart Parker, je rattrape amplement le temps perdu aux Arts Décos. En 1990, je suis l’assistant de Robert Heineken, j’assiste à des miracles tous les jours. Fin 1991, retour en France, les choses vont mal. En 1993, à la suite d’un deuil, je commence à écrire, force est de constater que je ne sais pas écrire, mais je m’obstine, comme en toutes choses. 1995, Mai de la Photo à Reims, seule exposition d’envergure, l’exposition est censurée. Ça foire, comme en toutes choses. En 1995, je pars à Portsmouth en exil. Je fais les trois huit, travail alimentaire, sommeil, travail dans l’atelier ou travail alimentaire, travail dans l’atelier, sommeil, ou travail dans l’atelier, travail alimentaire, sommeil. En 1998, retour en France, je ne fais plus de photographie, presque plus, je continue d’essayer d’écrire, je fais des petits progrès. J’habite à la campagne. En 1999, j’achète un ordinateur personnel, j’apprends à m’en servir en apprenant à écrire, de même que j’apprends à écrire en apprenant à me servir de mon ordinateur. 1999 : Naissance de Madeleine Hannah De Jonckheere. En 2000, je construis un site Internet, le Désordre. C’est très long. Je me couche souvent très tard. Ça foire pas mal, mais je m’entête. En 2002, je reçois le prix multimédia de la Société des Gens de Lettres, ça ne foire pas tout le temps. En 2002, je tiens le journal de cette existence désordre, le bloc-notes du désordre, étonnant succès. En 2004, je reçois des lettres très encourageantes d’éditeurs mais qui ne proposent pas de projet d’édition. Ça foire encore un peu. Finalement, Adèle est née le 9 avril 2004, Nathan est enfin diagnostiqué autiste et mon père est opéré du cœur, les trois plus ou moins le même jour, c’est tout moi. Le journal de cette aventure est publié en 2008 par François Bon sur publie.net. En mai 2009, je participe à la grande rétrospective du Terrier au Nova de Bruxelles. Fin 2009, je travaille à l’iconographie et à la réalisation du numéro 109 de Manière de Voir (Monde diplomatique) : Internet, révolution culturelle. Depuis fin 2010, je travaille au spectacle Formes d’une Guerre avec l’écrivain François Bon et les musiciens Dominique Pifarély et Michele Rabbia. En 2012, Publication de Robert Frank, dans les lignes de sa main, Publie Papier. Philippe, film d’animation de trois minutes sur une musique d’Elémarsons. Un an de prises de vue, trois minutes d’animation. On ne rit pas. Invité envouté de Marie Richeux sur France Culture pour son émission Pas la peine de crier du 10 septembre 2012. En 2013, nouveau spectacle avec François Bon en lecteur de mon texte intitulé Contre et Dominique Pifarély, violon. Succès critique et salle (presque) pleine. Le rapport sexuel n’existe plus est son troisième roman publié aux éd. Inculte après Une fuite en Egypte (2017) et Raffut (2018). Les trois sont clairement autobiographiques.

     

     

  • Feux de Perrine Le Querrec

    éditions Bruno Doucey, mars 2021

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    75 pages, 14 €.

     

     

    Et le poète de sa voix de feu

    D’une aile d’oiseau attise les mots

     

    On peut dire que dans ce recueil dont le titre dit clairement de quoi elle parle, Perrine Le Querrec fait ici feu de tout feu. Traversant quelques milliers d’années d’Histoire et explorant toutes les facettes de cet élément, les bénéfiques comme les dramatiques, elle déploie une sorte de fresque mouvante, un théâtre d’ombres de personnages que le feu met ou a mis, et parfois très cruellement, en lumière et peut-être plus particulièrement des femmes. Depuis celle qui dans la caverne a inventé le feu « Seins hanches ventre rond / Disparue à jamais » aux ouvrières sacrifiées, aux femmes indociles et veuves indésirables, aux militantes immolées en passant par les sorcières aux bûchers : femmes trop vives, feu aux femmes !

     

    La ville silencieuse cadenasse ses oreilles

    Qu’on démonte les cloches, qu’on fonde leur acier

    Dans le feu des sorcières et des illuminés.

     

    Des feux politiques donc, des feux de religion, des feux symboliques, des feux géologiques mais aussi des feux artistiques et littéraires. Des figures renaissent des cendres, comme Marguerite de Porète, béguine itinérante et première femme à avoir péri sur un bûcher de la place de Grève à Paris pour avoir eu trop d’esprit, une âme trop libre et un cœur trop flamboyant. C’était en 1310. Le feu a fait d’elle, et de tant d’autres, une immortelle.

     

    Des feux de joie, des feux de guerre, « des feux autoritaires, des feux de dictatures / mais aussi / Des feux de résistance, des feux brûlants de vie. » L’ordre du recueil est chronologique, une traversée de l’Histoire dans le miroir des flammes, la grande Histoire collective et les histoires individuelles. L’humanité, écrit Perrine Le Querrec, se dessine à travers ses feux

     

    Des feux qui ramènent une mémoire enfouie.

     

    Feux salvateurs, feux destructeurs, feux de mémoire, feux de langues, c’est à un grand incendie que nous convie Perrine le Querrec en agitant ainsi les tisons de son écriture. Elle y convoque des poètes, écrivains, artistes disparus, très connus comme Gogol, Van Gogh, Nerval, Artaud ou moins connus comme Angus McPhee, un artiste brut écossais ou la poétesse Ingeborg Bachmann.

     

    Depuis quand le soleil se couche

    J’ai toujours l’impression

    Que quelqu’un brûle.

     

    Elle évoque Piotr Pavlenski, artiste dissident russe fiévreux et incontrôlable toujours actif, elle rend hommage aux victimes de guerres et de catastrophes plus ou moins naturelles. Elle évoque des corps et des lieux marqués au feu, dévorés par le feu mais, écrit-elle, depuis des millénaires la vie renaît de ses cendres / Il y a des racines que jamais le feu n’atteint.

     

    Un questionnement plus discret souffle entre ces pages aussi, celui que soulèvent les flammes du désir, du sentiment amoureux.

     

    Il y a un côté compilation dans ce recueil, une énumération qui parfois en étouffe même le souffle poétique, peut-être parce qu’il s’agit surtout de faire œuvre de mémoire. Pour qui connaît l’écriture de Perrine le Querrec, on sent qu’il y a là presque comme un chantier en cours encore, une récolte de braises plus ou moins vives dont chacune pourrait donner naissance à un développement. On sent ce qui chez elle a été attisé et qui est un peu trop énorme, trop violent aussi, pour pouvoir être contenu en 75 pages, mais c’est déjà un beau départ de feu car les livres aussi brûlent.

     

    Savez vous

    Les livres brûlent les doigts brûlent l’esprit brûlent les à priori

    brûlent les ignorances brûlent les yeux brûlent les dictatures

    saviez-vous

    les livres brûlent

     

    Le monde parfois semble n’être plus qu’un grand brasier.

      

    Cathy Garcia Canalès

     

     

    Fondazione0258-edited.jpgPerrine Le Querrec est née à Paris en 1968. Elle hante les bibliothèques et les archives pour assouvir son appétit de mots et révéler les secrets oubliés. De cette quête elle a fait son métier : recherchiste. Les heures d’attente dans le silence des bibliothèques sont propices à l’écriture, une écriture qui, lorsqu’elle se déchaîne, l’entraîne vers des continents lointains à la recherche de nouveaux horizons.
    Perrine Le Querrec
    écrit de la poésie et de la prose. Sa langue est une architecture de mots, de silences, d’archives de trous et de pliures. Lorsqu’elle sort de la page, elle travaille en duo avec le contrebassiste Ronan Courty et forme l’autre moitié de PLY, duo avec le photographe Mathieu Farcy. Ses dernières parutions en 2020 : Vers Valparaiso, Éditions Les Carnets du dessert de lune, Rouge pute, Éditions La contre allée.

    http://www.perrine-lequerrec.fr/

     

     

     

  • Et pourquoi moi je dois parler comme toi ? écrits bruts (et non bruts) réunis par Anouk Grinberg

    Le Passeur éd. 15 octobre 2020

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    256 pages, 20,90 €.

     

     

    C’est en puisant, entre autres, dans la Collection de l’Art brut de Lausanne  que la comédienne et artiste peintre Anouk Grinberg a pu rassembler tous ces écrits, dits bruts car écrits par des personnes internées et considérées comme démentes ou délirantes. Des écrits souvent dessinés aussi car un bon nombre d’entre eux font l’objet d’un graphisme très particulier et c’est pourquoi on trouvera aussi dans cet ouvrage des photos de ce qui forme une œuvre brute complète.

     

    Anouk Grinberg a une histoire avec la folie, avec celle de sa mère dont elle a eu peur et même honte : « Je ne l’ai pas aimée, je n’ai pas réussi. J’étais de la famille humaine qui se détourne. ». Ce livre est sa façon de réparer : « Par un grand détour, ce sont ces hommes et ces femmes qui m’ont conduite vers cette mère, cette femme, et si j’ai négligé de son vivant toutes ses lettres affamées, je suis heureuse aujourd’hui d’être passeuse de textes jamais lus ». De cette mère, elle dit : « Ma mère était comme ça. Une petite femme fine, intelligente, mal adaptée à la vie bourgeoise. Elle aurait voulu peindre, et elle a été mère, épouse. (…) Elle n’a pas su dire non à la famille qui faisait une croix sur ses désirs, elle n’a pas su dire oui à la petite voix qui devait lui parler tout bas, et elle est descendue marche après marche dans le malheur, comme dans un refuge où on n’irait plus la chercher. On l’a mise dans des endroits pour fous, le désespoir a prospéré avec sa litanie de délires, alors qu’elle était une lumière sur la terre ». Alors, Anouk Grinberg dédie ce livre « à tous ces lumineux que le monde ne doit pas oublier. » Il ne s’agit pas de faire une anthologie d’écrits de fous mais de montrer plutôt la valeur littéraire de ces écrits, qui « ont inspiré les surréalistes et d’autres auteurs reconnus qui se sont fouillé les méninges pour atteindre leur liberté. »

     

    On ne sera pas surpris donc, de trouver aussi dans ce livre des écrits dit non-bruts, des écrits de poètes, car qui d’autre qu’eux s’approche le plus de cette forme d’indécente liberté ? D’ailleurs deux d’entre eux — et on note par ailleurs ici la curieuse absence d’Artaud — comme Paul Éluard ou Tristan Tzara, ont trouvé refuge durant la guerre, l’un en 1943, l'autre en 1945, à l’hôpital psychiatrique de Saint-Alban-sur-Limagnole en Lozère où furent internés deux auteurs bruts figurant dans ce livre.

     

    La préface a été rédigée par Jean-Pierre Siméon dans laquelle il nous dit : « Les fous, donc, prétendument les plus dénués d’entre nous (ou faudrait-il dire les plus dénudés ?), ont ce talent inouï, et que l’on ne dira qu’avec prudence involontaire, de s’affranchir absolument des lois de la langue et de nous révéler en conséquence dans la langue même cet absolument impossible de la langue dont rêvent les poètes, mais que leur raison sociale empêche généralement d’assumer jusqu’au bout. »

     

    Et pourquoi moi je dois parler comme toi est donc « un livre sur la vie et la création, non sur la folie. » Si les fautes d’orthographe et la ponctuation n’ont pas été retouchées, certains passages ont cependant été volontairement coupés car trop incompréhensibles. Les auteurs de ces écrits bruts sont nés entre 1827 et 2005, mais plus spécifiquement au XIXe et XXe siècle. On trouvera une photo et une courte biographie pour chacun d’eux, mais une partie sont des textes anonymes, les auteurs n’ayant laissé aucune autre trace de leur passage sur terre.

    « (…) dans nos sociétés riches et prétentieuses, ce trop-plein d’antennes est sévèrement puni. Les sans-fard inspirent la honte et le mépris, alors ils fanent ou enragent, et c’est le début de l’enfer. On les met dans des hôpitaux, on les force à manger des médicaments pour les remettre droit, on leur enlève la parole puisqu’ils parlent mal la langue de papa et maman, on leur enlève leurs droits, parfois leurs noms. » nous dit Anouk Grinberg dans son prologue.

     

    Écrits compulsifs, écrits rageurs, écrits du désespoir et de la privation de liberté, mais aussi tentatives de communication, de tresser une passerelle entre des réalités qui s’entrechoquent. Des êtres humains « enfermés dans un faisceau de malentendus », comme si leur pensée, leur vision étaient erronées alors que, bien souvent, ils ont été surtout broyés par les conditions de leur existence quand ils n’ont pas été tout simplement et violemment mis à l’écart, parce qu’ils gênaient l’ordre et la raison établis ou bien considérés socialement comme définitivement idiots parce qu’incapables de contacter le monde extérieur comme ce fut le cas pour Babouillec, autiste sans paroles, diagnostiquée comme très déficitaire et qui n’a jamais appris à lire, écrire et parler et qui est auteur de plusieurs livres, grâce à sa mère qui l’a sortie des institutions spécialisées et a fini par trouver le moyen de communiquer avec elle, lui permettant ainsi de révéler et diffuser son génie littéraire et ses pensées dont l’acuité et la pertinence sont absolument jubilatoires.

     

    La postface de Sarah Lombardi, directrice de la Collection de l’Art Brut de Lausanne donne un éclairage sur l’origine et l’histoire des écrits issus de cette collection dont certains ont déjà été publiés précédemment et mentionne les personnes, médecins ou autres, qui s’y sont intéressés, non pas d’un point de vue pathologique mais sur le plan du processus créatif.

    Pulsion d’écrire, pulsion de vivre : de crier, défier et même rire et aimer dans le silence carcéral, que ce dernier soit imposé de l’intérieur ou de l’extérieur. Un bon nombre des textes publiés ici donnent envie justement de les lire à haute voix, ils ont quelque chose de théâtral, entre comédie et tragédie, le grand théâtre de la vie. Certains sont des pieds de nez au dogme de la normalité, d’autres sont peut-être bien trop en avance sur leur temps, d’autres encore font mal car ils sont paradoxalement des appels au bon sens de celui qui les lira… Beaucoup sont des blessures ouvertes qui débordent sur le papier et des flux de douleur qui frayent un chemin vers la lumière. La poésie est très souvent au rendez-vous.

     

    « Veuillez dire à ce langage

    Qu’il dise qu’il est là

    C’est une prière

    La vie ne peut pas vivre »

    Constance Schwartzlin-Berberat (1845-1911)

     

    Un ouvrage précieux qui, espérons-le, permettra de porter un autre regard sur ce que la société nomme trop facilement des folles et des fous.

    « Alors que la vie elle-même est démente, qui de nous peut dire où se trouve la folie ? Trop de bon sens, n’est-ce pas aussi de la folie ? (…) Et la folie suprême n’est-elle pas de voir la vie telle qu’elle est et non telle qu’elle devrait être ? » avait écrit Cervantès.

     

    Cathy Garcia Canalès

     

     

    dsc-0613.jpgAnouk Grinberg est née à  Uccle (Belgique), le 20 mars 1963. Fille du dramaturge Michel Vinaver, elle fait ses premiers pas sur les planches dès l'âge de 12 ans dans Remagen mis en scène par Jacques Lasalle. Malgré quelques apparitions au cinéma à partir de 1976, la jeune fille se consacre avant tout au théâtre et commence parallèlement des études d'ethnologie. Après quelques rôles secondaires la comédienne rencontre Bertrand Blier qui la révèle au grand public et dont elle devient la muse. Ils tournent trois films ensemble avant de se séparer : Merci la vie (1991), Un, deux, trois, soleil (1993) et Mon homme (1995). Malgré deux beaux rôles dans Un héros très discret de Jacques Audiard (1995) et Disparus de Gilles Bourdos (1997), Anouk Grinberg espace ses apparitions au cinéma. Elle se consacre au théâtre mais également à la peinture et à l'écriture.

     

     

     

     

     

  • Dérives des âmes et des continents de Shubhangi Swarup

     

    traduit de l’anglais (Inde) par Céline Schwaller

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    éd. Métailié, 12 mars 2020. 368 pages, 22 €.

     

    Au cœur des voix et des sensations se cache une prémonition de ce qui va se produire. Toute évolution est guidée par l’instinct primordial. Celui qui nous rend libres d’explorer les géographies incertaines du désir, pour finalement découvrir le bonheur de la mortalité. L’instinct nous conduit tous vers le lac primordial. Flottant telles de simples cellules isolées, attendant que la vie cesse.

     

    Tectoniques des plaques et tectoniques des existences, Dérives des âmes et des continents est un bien étrange et déroutant roman, avec un soupçon de conte et de magie et une grande érudition scientifique : les sciences de la Terre. Il prend racine dans les îles d’Andaman encore habitées de quelques ethnies autochtones et où les Britanniques avaient construit le plus grand et sinistre bagne politique du monde au XIXsiècle. Des îles qui ont été frappées en 2004 par un tsunami des plus meurtriers suite à un des séismes les plus puissants jamais enregistrés. Un jeune couple de mariés s’installe sur une des îles — dans les années 50 on suppose dans une ancienne demeure coloniale pleine de fantômes. Lui, Girija Prasad, est scientifique, il a étudié à l’Université d’Oxford, c’était le premier étudiant indien du Commonwealth ; elle, Chanda Devi, médaillée d’or en mathématiques et en sanskrit, est un peu sorcière. Leur histoire qui forme la première partie du roman est tellement belle, même si elle est triste, que l’on éprouve une vraie nostalgie lorsque l’auteur nous déloge de ces îles et nous propulse dans le temps et l’espace. Il devient alors plus difficile de s’ancrer car tout bouge, comme sur cette ligne de faille qui va de l’Océan indien à l’Himalaya. Lointain passé géologique, évolution des espèces, mémoire, présent, futur, contexte politique, drames et violence, résilience, tout se mêle et se bouscule et le lecteur part lui aussi à la dérive. Des liens entre quelques-uns des personnages offrent quelques repères mais le temps fait des boucles. La nature avec ses hoquets, ses sursauts, ses bouleversements, reste peut-être le seul fil conducteur : le descendant du couple originel du roman que l’on rencontre à la fin est un géologue qui travaille sur la probabilité qu’un nouveau sommet himalayen surgisse à l’intérieur des frontières indiennes, bien plus haut que l’Everest.

    Mais avant cela nous rencontrons Mary, née Rose Mary en 1926 dans une colonie karen des îles Andaman. Elle entrera au service de Girija Prasad à la mort de son épouse, alors que leur fille est encore un bébé. Bien plus jeune, elle avait dû laisser son propre fils âgé de 8 mois, après avoir poignardé à mort, alors qu’elle était enceinte de 7 mois, son mari, un pêcheur birman devenu très violent après avoir sombré dans l’alcool. Les îles étaient passées de la domination japonaise, qui persécutaient les habitants d’origine birmane, à celle des dirigeants indiens qui y avaient amené « quelque chose qui prospérait depuis des siècles sur le continent et qui symbolisait la nouvelle république (…). La pauvreté. »

    Le fils de Mary, élevé par ses grands-parents paternels, s’auto-nommera Platon. Étudiant révolutionnaire, arrêté et torturé au début des années 70, par la junte birmane, il rencontrera sa mère pour la première fois à sa sortie de prison, il a alors une vingtaine d’années. Pour retrouver son fils et tenter de le faire libérer, elle est venue travailler à Rangoon, comme domestique pour une famille indienne, aidée en cela par Thapa, un trafiquant désabusé et ami de Platon. Platon qui retournera encore à la clandestinité et à la guérilla dans la jungle himalayenne à la frontière indo-birmane pendant douze ans avant d’être à nouveau arrêté. Sa mère recommencera alors à se battre pour sa libération.

    Thapa, lui, est népalais et il a perdu toute sa famille dans un glissement de terrain qui emporta une nuit tout son village avec entre autres sa femme et son fils de deux ans, alors que lui était parti vendre la production de leur ferme à la ville la plus proche, c’est-à-dire à trois jours de marche. En suivant Thapa, on se retrouvera dans le quartier de Thamel à Katmandou : « Gravats, échafaudages, fossés à moitié creusés et bâtiments à demi-construits, tous tassés dans les coins et recoins de cette ville marécageuse. »  Sa jeune voisine toujours affamée est stripteaseuse dans un bar à touristes. Thamel, avec sa foule « de randonneurs, rabatteurs, mendiants, parieurs, accros au crack, prostituées trop jeunes et clients trop vieux. »

    Dérive des âmes et des continents, parle de la vie et de la mort et même de l’entre-deux, chaque individu étant l’épicentre du séisme de sa propre existence. Les vies passent, la planète, elle, poursuit la sienne à l’échelle de son propre temps qui n’est pas celui des hommes. Ceux-ci sont comme des poussières balayées par le vent, emportées par les rivières et c’est dans une langue de toute beauté que Shubhangi Swarup nous égare et nous disperse dans ce premier et impressionnant roman, déboussolant et foisonnant.

     

    Cathy Garcia Canalès

     

     

    shuhangi-swarup-c-nikhil-hemrajani-.jpgShubhangi Swarup est née en 1982 à Nashik, dans l'État du Marahashtra. Journaliste, réalisatrice, pédagogue, elle vit aujourd'hui à Bombay. Dérive des âmes et des continents est son premier roman. Elle a obtenu la bourse d'écriture créative Charles Pick à l'Université d'East Anglia (Norwich).

     

     

     

     

     

     

     

     

  • Le silence des carpes de Jérôme Bonnetto

    éditions Inculte, 6 janvier 2021

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    300 pages, 18,90 €.

     

    Jérôme Bonnetto nous livre ici un remarquable roman, aussi drôle que fin et touchant. Remarquable sur le plan littéraire et savoureux pour le lecteur qu’il entraine avec virtuosité dans l’aventure de son narrateur : Paul Solveig, informaticien, qui pour échapper à la pente dépressive qui le guette, joue son destin au dé après avoir trouvé une photo qu’un pseudo plombier tchèque a laissé tomber dans sa cuisine. Apprenant par ce dernier, qu’il s’agit d’une photo de sa mère disparue pendant le régime communiste, Paul Solveig s’organise expressément pour partir sans date de retour vers une Moravie dont il ignore tout. Certes sous le prétexte de rechercher des traces de la mère et de son photographe, dont la touche artistique le trouble beaucoup, mais aussi et surtout pour fuir la réalité d’une séparation avec Pauline, qui est sur le point de le quitter après 10 ans de vie commune. Fuir avant même d’en avoir la certitude.

    « La chose me tentait bien. Ma vie parisienne ressemblait à ces vieilles vestes tellement usées qu’on n’ose même pas les donner aux bonnes œuvres. Pauline me torturait, le boulot me vidait. L’horizon me manquait. Je ne pouvais rester sans réagir et regarder ma vie se déliter, mais la Moravie tout de même… Qu’allais-je faire là-bas ? »

    On retrouve dans Le silence des carpes, l’art de l’auteur pour peindre avec douceur et finesse ses personnages. Déjà à l’œuvre dans La certitude des pierres, ce talent se confirme ici dans une pleine maturité tout comme cette capacité à immerger le lecteur dans un lieu original hors des sentiers trop battus : dans La certitude des pierres, un petit village perdu de montagne, dans Le silence des carpes, une petite ville au cœur de la Moravie au nom aussi improbable que Blednice, sans doute un détournement de la bien réelle Lednice.

    Le silence des carpes est construit en deux parties qui se font écho : la première, bien plus courte, commence en prologue, elle ponctue l’ensemble comme un mystérieux ricochet. Les prénoms des protagonistes y évoquent un pays de l’Europe centrale. Il y est question d‘une pêche impossible, de carpes d’amour et d’un étang énigmatique, donc la magie va céder à l’inquiétant quand il apparait que certains qui s’en approchent de trop près disparaissent.

    De même sous la surface plutôt légère et pleine d’humour du roman, portée par le récit du narrateur et sa capacité à l’autodérision féroce et hilarante, on devine peu à peu une profondeur bien plus sombre, en lien avec l’Histoire de l’ancien bloc communiste et son régime totalitaire.

    Le lien entre les deux parties qui alternent se dévoile peu à peu, par petites touches très subtiles.

    Le silence des carpes est, au-delà d’une enquête qui semble vouée à l’échec, de toute évidence un hommage au pays d’accueil de l’auteur qui vit à Prague ; une ode aux doux paysages de Moravie et à la culture artistique tchèque et en particulier son cinéma, via la cinéphile et insaisissable Míla qui va aider Paul Solveig dans ses recherches. On peut y voir très certainement un clin d’œil aussi à l’artiste sculpteur monumental Aleš Veselý décédé en 2015, avec Veselý, l’artiste, sculpteur lui aussi d’œuvres monumentales, qui reçoit Paul Solveig avec un profond et authentique sens de l’amitié et de l’hospitalité, lui ouvrant ainsi les portes d’un pays qui a lui-même quitté depuis longtemps.

    Le silence des carpes est une belle œuvre humaine, d’une écriture vive et cocasse dont on ne peut que se délecter, mais empreinte cependant aussi de délicatesse, de poésie et d’une pointe de mystère. Ce deuxième roman est aussi la confirmation d’un talent qui se déploie, vivement le troisième !

     

    Cathy Garcia Canalès

     

     

    AVT_Jerome-Bonnetto_906.jpgJérôme Bonnetto est né à Nice en 1977, il vit désormais à Prague où il enseigne le français. Après La certitude des pierres, Le silence des carpes est son deuxième roman publié chez inculte.

     

    Voir ma note sur La certitude des pierres

    http://cathygarcia.hautetfort.com/archive/2020/02/16/la-certitude-des-pierres-de-jerome-bonnetto-6213273.html

     

     

     

     

  • Campagne perdue de Gustave Roud

    éditions Fario, été 2020

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    112 pages, 14 €.

     

    Campagne perdue, « certes, mais une campagne transfigurée par le poème, et par là retrouvée, au moins pour un temps », comme l’écrit si justement Stéphane Pettermann dans sa postface. Postface dans laquelle il explique aussi que ce livre, paru en 1972, fut le résultat d’une longue genèse, les premiers jalons ayant été posés en 1933, à la mort de la mère de Gustave Roud, mais ce n’est que 30 ans plus tard qu’un projet littéraire, qui nécessitera encore de longues années de décantation, aboutira à une première publication à la Bibliothèque des Arts de Lausanne, en avril 1972 donc.

    Campagne perdue est un tissage de proses écrites dans le Journal de l’auteur entre 1918 et 1963 avec des poèmes ayant paru pour la plupart en revues entre 1919 et 1957, des écrits glanés par le poète en marche à travers le Haut-Jura, sous le regard lointain de ses ancêtres paysans du côté maternel. En marche aussi à travers le temps, un demi-siècle qui a transformé les paysages et les hommes qui les habitent et les travaillent. Campagne perdue est un vibrant hommage à tous ces travailleurs et tout particulièrement aux laboureurs, aux faucheurs qui sous sa plume s’auréolent d’une lumière quasi sacralisée. La beauté de ces hommes, qui sont au centre de l’attention de l’auteur — qui a d’ailleurs pas mal photographié ces vigoureux corps paysans — y est soulignée, subtilement érotisée même.

    Campagne perdue, c’est aussi, et surtout, le témoignage d’une lente mais inexorable disparition : celle de ce monde paysan. Une marche qui devient au fil du temps une sorte d’errance à la recherche de ce qui a disparu, Gustave Roud hante alors plus qu’il ne parcourt ce pays jurassien. Il y a dans ses écrits, en plus de cet amour, cette ferveur même, que voue le vagabond sans but à ces hommes qui ne font qu’un avec la terre qui les fait vivre, une immense nostalgie. Témoin d’un monde qui s’efface, le poète tente d’en retenir ou d’en faire revivre des bribes, des sensations, des images, usant d’une encre dont la beauté est à la hauteur de son amour.

    Labour ancien, Nuit de paille, Passage du vin, Mirage d’hiver, La lampe éteinte et la chanson perdue… Le lecteur se laisse doucement porter à la rencontre d’Olivier, Fernand, André, René ou Robert, et d’autres encore. Campagne perdue est un journal humble et éminemment sensible qui leur rend leur pleine éternité, honore la beauté d’un monde où hommes et nature vivent en harmonie, car nullement séparés l’un de l’autre.

    « L’heure fraîchit. Le ciel se creuse et par d’insensibles rappels nous reprend peu à peu la lumière. Un dernier coup de serpe abat le dernier rayon. Ce quartier de mousse et de roc, baigné d’eau vive, qui brillait encore entre les troncs comme une brute émeraude, redevient mousse et roc en s’éteignant. L’ombre pleut des hautes futaies, elle sourd de l’air même et du sol, elle se lève du lit de la rivière et déborde jusqu’à nous comme une autre rivière silencieuse. Elle envahit les campagnes et les bourgs, roule une sourde écume au ras du ciel. Elle saisit le monde. Elle devient la Nuit, la jeune nuit d’avant-printemps où je respire un rameau de bois-gentil aux fleurs de cire noire, où l’ami près de moi qui s’est tu tremble peut-être à sentir en soi la profonde nuit du sang sourdre à son tour, et répondre à l’autre, et s’étoiler des mêmes étoiles. »

    Un livre comme un vin rare millésimé, à savourer avec lenteur.

    Cathy Garcia

     

    Gustave Roud (1897-1976) est l’un des principaux auteurs francophones de Suisse, surtout connu pour ses proses poétiques. Après la mort de C. F. Ramuz, il a été considéré comme un maître par de nombreux jeunes poètes : Maurice Chappaz, Jacques Chessex, Philippe Jaccottet.  Sa correspondance, son Journal et sa critique témoignent également d’abondantes réflexions sur la littérature et les arts. Faisant sienne une injonction de Novalis – « Le paradis est dispersé sur toute la terre… Il faut réunir ses traits épars » –, Gustave Roud explore inlassablement notre lien à l’invisible et à l’éternité dans l’ici et maintenant, qu’il nomme le « paradis humain ». Publiés deux ans après sa mort, les trois volumes des Écrits (1978) rassemblent ses principaux textes parmi lesquels : Air de la solitude, Petit traité de la marche en plaine, Requiem ou Campagne perdue. Les éditions Fario ont publié plusieurs de ses livres ainsi qu’un recueil d’entretiens.

     

     

     

  • Petits cimetières sous la lune de Mauricio Electorat

    traduit de l’espagnol (Chili) par l’auteur lui-même.

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    Métailié, octobre 2020. 302 pages, 21 €.

     

    Ce n’est pas tant l’intrigue qui nous attache à ce récit, bien qu’elle soit très intéressante, mais l’étonnante texture de son écriture, qui nous rend le narrateur très proche, très familier, et qui donne aussi à ces Petits cimetières sous la lune, un côté très cinématographique, sans pour autant tomber dans l’exercice de style.

    Le titre du roman évoque le pamphlet de Bernanos, Grands cimetières sous la lune, et ce n’est pas un hasard. Le narrateur, Emilio Ortiz, a fui la pression familiale et son pays, le Chili, tout juste sorti de la dictature, pour aller étudier la linguistique à Paris, avec l’aide financière de sa jeune tante Amalia. Mais plus que de sa vie d’étudiant, à laquelle il sera peu assidu, c’est surtout de ses nuits de veilleur dans un petit hôtel du quartier Montparnasse qu'il est question, ses rencontres avec une faune nocturne, des amitiés entre exilés, des nuits alcoolisées. Il y a aussi Chloé, serveuse dans un dancing, le dancing de La Coupole, fréquenté par des couples mûrs qui semblent tout droit sortis des années '50 ; Chloé qui soudain s’évapore, après avoir entretenu avec Emilio une courte, étrange et sexuellement intense relation, Chloé dont la disparition devient pour lui une obsession alors qu’il ne connaît même pas son nom de famille. C’est elle qui vit dans un appartement près d’un cimetière de banlieue avec une autre fille, une Coréenne : « trois chambres, séjour, salle de bains, cuisine assez minuscule. Mais, en revanche, l’appartement a un parquet de lattes larges qui traversent les pièces d’un bout à l’autre. Un beau parquet à l’ancienne. Ceci dit, les chambres ne sont pas très spacieuses. Et, en plus, elles donnent sur un cimetière. ».

    Emilio Ortiz va et vient, dans son récit, entre sa toute nouvelle vie parisienne qui bouscule tout ses repères et les souvenirs de son passé à Santiago avec sa famille et notamment la relation à son père ; les liens de ce dernier avec des membres haut placés de la dictature de Pinochet, un père dont il ne veut plus entendre parler mais dont il ne peut pas complètement se détacher. Il va lui falloir, alors que sa mère va très mal et que son père est rattrapé par la justice, retourner dans ce pays désormais abhorré. Le besoin de savoir la vérité, plus fort que tout, le poussera à enquêter sur le passé de ce père impossible à aimer, tout en essayant de retrouver à Paris, la Chloé évaporée.

    Petit cimetières sous la lune est entre autre le récit d’amours impossibles. L’ombre de la douleur plane en permanence sur ce roman mais il y a un tel ciselage de l’écriture, une précision dans la narration, qui font que le texte se déguste véritablement comme un bon alcool fort et une sorte de distanciation désabusée, apporte de nombreuses touches d’humour très flegmatique, so british pour un Chilien. Un vrai régal sur le plan littéraire !

    Le narrateur porte un regard désabusé sur la vie, les êtres ; c’est sur lui que repose le poids de son histoire et il en assume la charge seul. Quelque chose a cassé en lui, il y a longtemps déjà, quelque chose qui se cache dans le sous-sol d’un garage que son père détenait avec un associé.

    La construction du récit elle-même est atypique : des chapitres plus ou moins longs, parfois d’un seul mot, des allers-retours dans le temps et entre la France et l’Amérique latine, en passant par un tour en Roumanie. Sa lecture nous plonge dans une sorte d’ivresse douce-amère, comme celle de la mère d’Emilio que son père a quitté pour une fille bien plus jeune que lui. Il y flotte une atmosphère, comme une odeur d’anesthésique qui contraste avec la précision de l’écriture. L’alcool, le déni, la fuite à l’étranger, tout le monde cherche à échapper à la douleur du réel, car il y a des réels trop sales pour être nettoyés et pour Emilio Ortiz, une filiation insupportable.

    C’est aussi l’histoire de tout un pays qui se dessine en filigrane, pendant et après la dictature avec ses dessous crapuleux et criminels, la bassesse humaine. Petits cimetières sous la lune, un roman de l’exil, de l’attachement impossible et où la proximité entre morts et vivants est trop étroite.

     

    Cathy Garcia Canalès

     

     

    electorat-300x460.jpgMauricio Electorat est né à Santiago du Chili en 1960.  Après deux années d’études de journalisme et de littérature à Santiago, il s’installe à Barcelone en 1981, où il obtient une maîtrise en philologie hispanique. Petit fils de français émigrés à Valparaíso au début du XXe siècle, il choisit Paris comme lieu de résidence définitif dès 1987. Il a publié deux recueils de poésie. Son premier roman, Le Paradis trois fois par jour (Série noire, Gallimard, 1997), ainsi que son recueil de nouvelles Nunca fui a Tijuana y otros cuentos (Cuarto Propio, 2000) ont reçu le Prix de Littérature de la Ville de Santiago et le Prix du Conseil National du Livre et de la Lecture, les récompenses littéraires annuelles les plus importantes au Chili. Sartre et la Citroneta, son deuxième roman, a obtenu en Espagne le prestigieux Prix Biblioteca Breve.

     

     

     

     

     

     

  • Fragments erratiques de Xavier Combres

     

     

    fragments-erratiques.pngThe BookEdition 2020

    194 pages, 10 €

     

    « Celui qui méprise les petites bêtes ignore combien il est minuscule ! »

     

    Quand il s’est présenté à un de mes ateliers d’aide à l’écriture, je ne me doutais pas que je venais de rencontrer un écrivain déjà confirmé, même si lui-même l’ignorait peut-être encore, aussi c’est avec enthousiasme que je publiais de lui dans ma revue, des extraits d’un carnet de voyage dans lequel il relatait ses pérégrinations en pays kanak. Déjà je me régalais de le lire, aussi la sortie de son livre — et tant mieux si j’ai pu l’encourager — fut donc une très bonne nouvelle. Je viens juste de le terminer et je suis éblouie, vraiment, ce que j’avais perçu s’y révèle pleinement et se pose en confirmation : Xavier Combres est — entre autre talents dont il ne manque pas, il n’y a qu’à suivre la piste de Deadman river https://deadmanriver.bandcamp.com/releases — un écrivain talentueux !

    Sur « les chemins d’un esprit-monde ouvert, vers plus d’espace et de liberté », il a voyagé, avide de connaître, découvrir, rencontrer, mais aussi d’éprouver, avec un maximum d’intensité, cette ivresse du voyageur solitaire, notamment face aux éléments d’une nature propice à cette exaltation, qui enseigne mieux que quiconque l’art de la contemplation et ce retour aux sources si essentiel à tout être humain, même si beaucoup l’ignorent encore. Et qui dit retour aux sources, dit retour à la source intérieure, la connexion avec l’être-soi et l’écrivain voyageur est aussi poète, pas pour la posture, mais parce que son approche du monde est également sauvage et poétique. Abreuvé de poésie chinoise, c’est un peu en apprenti taoïste qu’il voyage et ses poèmes polis comme des galets, témoignent de son avancée. En érudit aussi, toujours curieux, qui ne se prend pas au sérieux et n’assomme pas le lecteur avec ses connaissances. Il les partage seulement et il y réussit à merveille : tout devient intéressant, passionnant, du plus petit insecte à l’Histoire des civilisations, de la géologie aux mythes et traditions de l’humanité, en passant par des anecdotes pleines d’humour et d’autodérision avec toujours cette ouverture d’esprit qui va grandissant au fur et à mesure de l’ouverture des horizons.

    Aventurier de la sagesse, un vrai voyageur contrairement à bon nombre de touristes, revient riche de souvenirs et pauvre en orgueil et c’est le plus souvent loin des sentiers battus et du sensationnel que les vraies rencontres peuvent avoir lieu.

    Ces Fragments erratiques derrière les récits de voyages parlent de quête intérieure : se connaître en se dépossédant de tout ce qu’on croit être, repousser ses limites. Sur son chemin, Xavier Combres va trouver des merveilles et sa soif de connaissances et de découvertes n’en sera jamais étanchée, mais il va aussi ramener un mal inconnu, un mal réel dans ses répercussions physiques et psychiques mais dont nul médecin et autres praticiens n’ont su à ce jour déceler l’origine. Un mal inexpliqué qui amplifie donc un malaise déjà conséquent et qui handicape sévèrement le libre voyageur. Aussi de l’enthousiasme kayafou des premiers récits, qui nous emmènent de Nouvelle-Calédonie à la Guyane, la Chine, la Thaïlande, la Malaisie, en passant par des échappées sauvages en France et un poème cueilli en Angleterre, ces fragments erratiques s’achèvent pour l’instant en Algarve, où le voyage se mêle à l’épreuve. De l’épreuve nait l’obligation de découvrir peut-être des contrées intérieures plus profondément enfouies, que le mouvement extérieur perpétuel peut éviter d’aller sonder, des contrées où l’auteur saura trouver la force tout autant que le détachement nécessaires pour continuer le voyage, quelle que soit sa forme, et personnellement j’ai très hâte de te lire encore Xavier !

     

    La pierre marche si lentement

    Pas même le vieux pin

    Ne l’a entendue

    S’éloigner du rivage

     

    Cathy Garcia Canalès

     

    Xavier Combres est né en 1979 à Toulouse, sur la rive gauche de la Garonne. Après des études d’ingénieur, il prend son sac-à-dos et son stylo pour voyager et écrire pendant une dizaine d’années. Depuis 2015, il s’est installé à Cahors, au creux du Lot.

    Pour commander le livre : https://www.thebookedition.com/fr/fragments-erratiques-p-377922.html

     

     

     

  • La Mort et le Météore de Joca Reiners Terron

     

    Zulma éd., 1er octobre 2020

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    190 pages, 17,50 €.

     

    Nul homme n’est le roi de quoi que ce soit.

    LES INDIENS MÉTROPOLITAINS

     

    Un roman bien singulier que La Mort et le Météore, une dystopie amazonienne qui dresse un portrait acerbe d’une sinistre réalité brésilienne, d’ailleurs exacerbée encore depuis les dernières élections présidentielles, envers l’environnement et les derniers peuples autochtones, notamment les plus isolés, dits non contactés. C’est de ceux-là qu'il est question dans ce roman, qui se déroule dans un futur de plus en plus proche où il ne reste rien de la forêt amazonienne sinon quelques derniers hectares brûlant comme l’enfer et où le Chili a disparu sous le Pacifique.

    La mission qui est confiée au narrateur par Boaventura, un vieux et énigmatique protecteur des derniers Indiens Kaajapukugi — alors qu’une fusée chinoise s’apprête à décoller pour une nouvelle tentative de mission habitée vers Mars — c’est d’accompagner les Kaajapukugi au Mexique, avec l’aide de l’association Survival International (qui existe vraiment) et de les aider à s’y installer. En effet, les cinquante ultimes membres de cette tribu isolée, confrontée à la destruction intégrale de l’écosystème essentiel à leur survie physique et spirituelle, ont demandé l’asile politique. Une première dans l’Histoire. Le Canada, qui avait accepté en premier, étant bien trop froid, c’est finalement le Mexique qui sera leur terre d’accueil et plus précisément un plateau du territoire mazatèque.

    Tout ce que les Kaajapukugi connaissent et bien qu’ils soient parvenus à échapper pendant 400 ans à l’avancée de l’homme blanc, bien qu’ayant frôlé une première éradication au XIXe siècle, raconte Boaventura, a été détruit avec « leurs plantes médicinales sacrées, et même les poisons dans lesquels ils trempaient leurs flèches ou encore le timbó, cette légumineuse toxique qu’ils utilisaient pour la pêche. Les fleuves sont asséchés, les poissons sont morts. Tout a disparu, y compris les hannetons dont ils extrayaient du tinsdanhán. Avec l’érosion tout est parti, il ne reste plus que du sable. Et, suite à la disparition du tinsdanhán, c’est aussi leur monde supérieur qui a été emporté, leurs dieux, leurs fêtes et même les trois Ciels où ils auraient trouvé repos dans la nature, chassé joyeusement les hannetons et fait l’amour avec leurs femmes ».

    Et justement, les cinquante derniers membres de la tribu, sont tous des hommes.

    C’est donc une bien triste mission qui est confiée au narrateur, anthropologue intéressé par les langues mortes et jusque-là surtout un « rond de cuir coincé dans un bureau de la Commission nationale pour le développement des peuples indigènes, à mi-chemin entre le ventilateur et le classeur métallique, et à environ deux coudées de la petite table où le thermos de café exhalait ses derniers soupirs. ». Pas marié, sans enfant, il vient de perdre ses parents et se retrouve héritier seul et endeuillé d’une vieille maison dans le centre historique d’Oaxaca au Mexique, ville décor pour touristes où tous les temps se sont mélangés. Pour lui, c’est donc une mission des plus intéressantes, ne serait-ce que pour le sortir de sa morne vie et lui permettre d’approcher une langue quasi inconnue et de faire quelque chose de bien qui pourrait donner un peu de sens à sa vie. Et il compte sur Boaventura pour le guider dans cette mission, puisque ce sertanista (spécialiste de la forêt amazonienne) de la Funai, la bien réelle Fondation nationale de l’Indien au Brésil, a consacré sa vie à la défense des Kaajapukugi. Mais voilà que la mort subite de ce dernier sème le trouble et la mission prend une tournure des plus imprévues. Une vidéo envoyée par Boaventura à l’anthropologue, juste avant de mourir, pourrait être la clé du mystère kaajapukuji.

    Il serait dommage de révéler plus de ce récit vraiment atypique, si ce n’est qu’il ne cache pas une critique sèche et sans concession d’un monde violent et vorace, vu sous l’angle des plus fragiles des humains, mais aussi les plus mystérieux, qui ont des connaissances que le monde moderne ignore et sous-estime grandement. Dans La Mort et le Météore, elles dépassent les lois du temps et de l’espace. Il est aussi une plongée dans les abîmes de l’être humain et la tentative d’y échapper. Joca Reiners Terron mêle, dans ce roman d’aventure terminale, fiction, fantastique et réalité, une très dure réalité qu’il connaît de par son engagement pour la forêt amazonienne.

    C’est son premier roman traduit en français. Un auteur à suivre.

     

    Cathy Garcia Canalès

     

    joca-terron-03-renato-parada_freeofcharge-399.jpegJoca Reiners Terron est né en 1968 dans le Matto Grosso. Il vit à São Paulo. Il a publié une dizaine d’œuvres narratives et trois recueils de poésie.

     

     

     

     

     

     

     

     

     

  • Ephèse, l'exil d'Héraclite de Jean Esponde

     

    ephese-l-exil-d-heraclite-une-approche-geo-poetique.jpg

    Je commence à descendre les piles de livres reçus ces dernières années.....merci aux auteurs et éditeurs pour ces envois spontanés et de ne (quasi) plus faire de notes de lecture, me permet de lire plus :-).
     
    Celui-ci évoque une divinité qui m'est chère et dont je parle dans un recueil à ce jour inédit et qui commence ainsi :
     
    "Je suis née sur les rives de la Méditerranée, à Hyères. Hyères les palmiers. Autrefois Olbia, Ὀλβία, "la Bienheureuse", la cité du sel grecque, qui deviendra Pomponiana la romaine. Un important site massaliote a été découvert, avec un sanctuaire dédié peut-être à Artémis d’Éphèse, souveraine des bêtes sauvages, déesse de la fertilité, que les romains assimilèrent à Diane.
     
    Diane, c’est le prénom de ma mère.
     
    Artémis Éphèse habite des régions portant en grec le nom d'"eschatiai" : les confins extrêmes des territoires des hommes, les montagnes, les bois et les forêts obscures ; elle descend aussi vers l'Océan, vers les embouchures, les lagunes, les marécages et les bords des lacs et des fleuves. Elle affectionne les zones fangeuses, limoneuses, et surtout - selon les Anciens - l'alliance de la terre, de l'eau et du sel. La déesse parcourt l'espace sauvage qui limite de toutes parts les territoires des hommes, elle ne descend que rarement dans les villes.
     
    Comme moi."
     
    Dame sauvage donc, protectrice de la ville d’Éphèse mais qui est peu à peu délaissée pour le faste et la gloire à l'image de Rome. Le citoyen Héraclite est en conflit avec sa ville Éphèse, capitale des colonies gréco-romaines d'Asie au Vième siècle avant J.C, et actuellement en Turquie...
     
    Et j'apprends dans ce recueil géo-poétique de Jean Esponde, que je me serai sans doute très bien entendue avec l'auteur "De la nature" dont on a retrouvé que des fragments (du livre, pas de l'homme), livre qu'Héraclite avait déposé (des rouleaux à l'époque) à l'Artémision, un des plus vieux et plus célèbres temples grecs, l'une des dites 7 merveilles du monde.
     
    "Héraclite dédaigna les dieux, les honneurs, voulut montrer aux hommes la vérité du devenir, on le qualifia d'obscur. (...) le port d’Éphèse devient la capitale des colonies d'Asie, privilégiée par les Empereurs, peuplée d'édifices prestigieux. La ville finira par succomber au travail de sape de la nature."
     
     
    Pour se procurer le livre :

    https://atelierdelagneau.com/hors-collection/33-ephese-l-exil-d-heraclite-une-approche-geo-poetique-9782930440590.html

     

     

     
     
     

  • Marcher sur la diagonale du vide de Jean-Luc Muscat

    couv_livre_3188.jpgLe Mot et le  reste, mai 2020. 122 pages, 13 €.

     

    Après avoir écrit Voyage du côté de chez moi, sorti chez le même éditeur en février 2019, Jean-Luc Muscat récidive avec Marcher sur la diagonale du vide. Dans le premier, l’auteur partait à pied de chez lui, dans le second, il part de Vézelay pour revenir à pied jusqu’à chez lui, près de Figeac dans le Lot. Un trajet qui s’inscrit dans un rectangle que géographes et démographes appellent « diagonale du vide » et que l’auteur requalifie de diagonale de la déprise, « pour exprimer le déclin de la population et des services de proximité, eu égard aux habitants de ces régions qui ne vivent pas en état d’apesanteur ». Un trajet d’environ 660 km, que l’auteur va parcourir en 25 journées d’avril.

    Il est difficile de transcrire la marche, car l’acte d’écrire se fait à l’arrêt, au moment des pauses ; si la marche est inspiration, alors l’écriture en serait l’expiration, une expiration qui laisse des traces. Ainsi Marcher sur la diagonale du vide, en invitant le lecteur à marcher avec l’auteur, le déplace en une succession de tableaux mêlée d’impressions, de réflexions, d’anecdotes. La mémoire a déjà commencé à travailler le matériau — paysages, rencontres, sensations —  capté par les sens lors de la marche, mais Jean-Louis Muscat sait le rendre suffisamment vivant pour que le lecteur se sente marcher lui aussi et qu’il ait l’impression de découvrir au même moment que l’auteur, ce que le chemin déroule de beauté, d’obstacles, de surprises agréables et de déconvenues et l’acte physique même de la marche.

    La marche nous fait renouer avec nous-mêmes et avec nos origines : de mémoire d’homme, nous avons toujours marché. En ramenant les choses à l’essentiel et en prise directe avec le réel, la marche amène à développer une forme de sagesse, pour peu que le marcheur ne soit pas juste intéressé par la performance. Prendre le temps de voir, de sentir les lieux traversés, d’être réellement présent avec cette lenteur obligée, comparativement à tout autre mode de transport, peut ouvrir l’esprit tout autant que tous les autres sens. Le marcheur est confronté physiquement à lui-même et aux éléments : ici souvent la pluie, le vent et même le gel, le froid, et l’effort que la marche demande oblige à lâcher prise sur toute préoccupation autre que celle de l’instant présent.

    Jean-Louis Muscat n’est pas un poète, mais il est sensible à la poésie ou au manque de poésie des lieux. On comprend très vite que la sensation de décrépitude qui pèse sur les milieux encore habités de cette « diagonale du vide » et la laideur et l’ennui des zones périphériques des quelques villes traversées, lui donne hâte de retrouver les champs, les prés, les bois, les milieux plus sauvages où les rencontres se font plus animales, végétales et où la solitude devient légèreté et jouissance. Jean-Louis Muscat adore les arbres et il en connait un bout à leur propos, sa formation originelle étant celle de forestier, aussi la façon dont on les traite le touche très directement. Et la façon dont on traite un arbre, une forêt, est très représentative de la façon dont on traite la nature en général et l’humain en particulier qui, même s’il l’a oublié, en fait partie intégrante. Il n’y a de séparation que dans un mythe de modernité qui ne cesse de prouver ses limites et ses effets délétères.

    De sa marche, Jean-Luc Muscat tire en plus d’un plaisir purement personnel, des réflexions qui dépassent la seule aventure du marcheur : des réflexions écologiques, politiques même, car il ne peut en être autrement, il passe et témoigne de ce qu’il voit, et il n’est pas idiot, c’est une personne consciente et très concrète, on le sent à sa façon d’écrire. S’il ne croit donc pas aux contes à dormir debout, il peut cependant avoir la sensation que des fées le voient passer en des lieux — de moins en moins nombreux — qu’elles habiteraient encore. La nature sait appeler l’enfant en nous, raviver l’émerveillement, l’indispensable respiration de l’âme.

    « Rêver en marchant, voilà l’affaire, se laisser aborder par les esprits du chemin, tutoyer les fées, vagabonder, caresser les formes. La poésie opère, les conditions sont réunies, profitons-en, il faut en faire bonne réserve, s’en remplir les bajoues pour que les jours de disette soient supportables. »

    L’auteur trouve sens dans la marche, y trouve un bon rythme pour l’existence, un rythme qu’il lui sera difficile de quitter. C’est une forme d’addiction pour lui, mais qui n’a de conséquences que bénéfiques. Réminiscences d’un lointain passé où nous étions tous chasseurs-cueilleurs nomades ? Ici la cueillette se fait dans les épiceries quand l’auteur en trouve, parfois un repas dans un restaurant ou chez l’habitant et pas toujours meilleurs que la boite de sardines, à déguster seul sur un banc ou en tête à tête avec un horizon grand ouvert. Jean-Luc Muscat a le regard lucide, parfois acerbe, notamment pour ses contemporains qu’il épingle parfois, mais il sait se moquer aussi de lui-même. Pleinement humain, il assume ses contradictions et ne cherche pas à jouer le beau rôle.

    Marcher c’est traverser des lieux et se laisser traverser par eux. Marcher c’est découvrir et se découvrir, y compris au sens littéral du terme : ôter couche après couche ce qui ne nous appartient pas et ne nous est en réalité d’aucune utilité. On ne peut s’encombrer de rien qui ne soit indispensable. Marcher, c’est être dans une simplicité volontaire sans même y penser, cela va de soi. C’est se souvenir d’un temps où tout était fait et pensé à taille humaine. Marcher, c’est être tout entier dans l’instant présent, mais c’est aussi réfléchir au sens littéral même et rêver, rêver, respirer, un rêve en mouvement. Jean-Louis Muscat a une sensibilité qui l’attire fortement vers la nature, les arbres, on l’a vu, mais aussi vers les églises et les lieux sur lesquels le temps ne semble pas avoir de prise. Il aime les rencontres généreuses, surtout avec de vieilles dames sympathiques et s’il marche parfois en compagnie, il apprécie cependant la vraie et pleine solitude du marcheur, en assume l’égoïsme s’il en est, savoure cette interpénétration intime et personnelle avec le monde qui l’entoure. 

    En lisant Marcher sur la diagonale du vide, j’ai aimé partager cette expérience de marche de Vézelay à Figeac, marcher dans l’écriture d’un autre, non seulement parce que la destination finale est un pays que je connais bien et où je vis depuis bientôt vingt ans, mais parce que marcher et écrire sont deux activités qui me sont, à moi aussi, essentielles et que c’est exactement ce que je voudrais faire : ce genre de livres là et cela m’en a donné une envie encore plus forte. Je peux parfaitement comprendre cette addiction, comprendre combien il peut être malaisé de retourner à un mode de vie plus statique, plus encombré. Le corps aime marcher et l’esprit aime cette découverte lente et profonde des choses, des gens et des lieux.

    Ce livre qui nait du mouvement, a tissé ensemble la marche et le message que cette marche a infusé dans le marcheur, un message important à transmettre : éloge de la lenteur, éloge de la simplicité, éloge du naturel, éloge du vivant et d’un tissu social vivant, alors que dans ces régions traversées, il s’est tellement délité qu’il n’est plus que haillons. Des lambeaux se soulèvent cependant, s’agitent encore au souffle provoqué par le déplacement du marcheur et dévoilent quelques couleurs, quelques sourires, quelques gestes d’hospitalité, de générosité, comme des braises encore vives d’un autre temps, mais aussi exposent leur aigreur, leur colère, la fermeture des êtres comme réponse à celles des lieux.

    Marcher oui, marcher pour rester humain, c’est peut-être la clé, n’en déplaise à la vitesse exponentielle de nos sociétés lancées à toute allure vers un désert du sens, des sens et au final d’essence... Ce qui nous obligera peut-être au final à marcher de nouveau, toutes et tous !

    Cathy Garcia Canalès

     

    image.jpgJean-Luc Muscat, né en 1954, a appris le métier de forestier. Il a quitté l’Office National des Forêts très tôt parce qu’il ne parvenait pas à se résigner à l’idée qu’il lui fallait éliminer les arbres tordus. Dès lors, il a exercé toute une kyrielle de métiers dont ceux d’auteur de guides touristiques, de formateur consultant et d’éducateur technique. Aujourd’hui, il se consacre à la marche en solitaire au long cours, et à l’écriture, une passion de toujours, dans une cabane perchée dans un pin sylvestre.

     

     

     

  • Joseph Boyden - Là-haut vers le nord

     

     

    41k1SIAOs3L._SX210_.jpgPlus le temps de faire des notes de lecture, mais toujours envie de partager mes coups de cœur. J'ai donc continué à découvrir les livres de Joseph Boyden, et j'ai encore beaucoup aimé celui-ci, de superbes et très émouvantes nouvelles qui parlent du quotidien de ces hommes, de ces femmes, de ces enfants cree du Canada, écartelés entre ce qui reste de leur culture et le poids de celle qui s'est imposée à eux comme dominante et les a parqués dans des réserves.

    L'auteur se fait ici le rapporteur de ces combats souvent perdus d'avance, mais avec toujours une note, un brin, une luciole d'espoir, de mystère et d'humour salvateur et avec du cœur, car la force, la sagesse et la dignité de ces communautés, même humiliées, même ravagées par l'alcool, tentées par le suicide, appâtées par tous les artifices de l'homme blanc, palpitent comme des braises que rien ne pourra éteindre définitivement et qui se ravivent au moindre souffle de Gitchi-Manitou, qui sans aucun doute habite et anime aussi la plume de Joseph Boyden.

    Titre original : Born with a tooth, 2001 (Albin Michel, 2008).