Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

Hery Mahavanona

Vatovavy

 
Vatovavy rocher femelle
rocher femme
 rocher symbole dressé comme un sexe mâle
 je cherche désespérément sous ta toison drue hérissée de pitons
 les formes de femmes nues qu’on m’a tant ressassées
 femme couchée
 femme offerte
 femme refuge
 femme affalée dans l’attente du mâle
vaine géométrie qui nargue les profanes
 hermétique architecture…
je ne vois pas de sein
 je ne vois pas de sexe de femme
 je ne vois pas de silhouette callipyge
 qui m’inspirerait des pensées érotiques
 ou alors l’autre versant inaccessible aux curieux ?
 mais j’ai vu
 oui j’ai vu
 l’arborescence de la quintessence tanala
 et je pourrai rester des heures à la contempler
Vatovavy
 j’imagine une femme
 j’imagine la Femme
 la femme tanala désormais debout
 source inépuisable de vie
 enfantant à tour de bras d’impitoyables avaleurs d’espace
 les seins nus mais qu’importe
 somondrara dardés qui enflamment le mâle
 ou seins flasques de précoces multipares
 irréversible érosion de ma source de vie
et je revois Hitika
 je l’avais connue fillette mutine à la genèse de mes descentes
 longues tresses d’ambaniandro
 teint clair qui brillait tel une luciole dans le pénombre des veillées
 et pourtant on m’affirmait qu’elle était pure tanala, la belle affaire
 mais qu’importait cette dérisoire généalogie
 stériles immersions dans ses origines décryptées à travers des transes spirites
 proches de l’obsession
 elle était de Mahavanona et c’était l’essentiel
 princesse aux pieds nus et à la voix d’or
 son tempo éclairait les cantiques luthériens et les chœurs de dimanche
 le regard toujours effronté
 les nippes bridaient en vain sa beauté naissante
 et j’appréhendais avec effroi l’inévitable moment
 où un avaleur d’espace fusant des sentes escarpées
 allait butiner à la source ce nectar de première

Ainsi fut fait…
Je l’ai revue telle un maki femelle un gosse collé à son flanc
 sa beauté sauvage minée déjà par une lente déchéance

Je revois Lily, elle s’appelait en réalité Julienne pour l’état civil, si toutefois elle en avait un, ce dont je doutais, Lily passait d’un lieu à l’autre par la magie d’unions coutumières, semant à tous vents des gosses dopés à la bilharziose qui mourraient au fur et à mesure que d’autres naissaient, Lily qui s’étonnait que je sois resté monogame et pendant si longtemps, elle avait épuisé sa jeunesse sur tant de sentiers conjugaux, hier elle était à Fenoarivo, le lendemain elle partait ailleurs avec un autre mari
 un autre enfant
 un autre deuil éphémère et naturel
 sous couvert de fatalité
 et aucune promesse pour les jours à venir
 Elle avait dû être belle
 avant que ses innombrables mouflets n’allongent ses jeunes seins jusqu’à la démesure et que la chique ne blesse grièvement son sourire sur son teint d’albâtre
 mais elle m’adorait. Dans ce pays on a le sens de la famille, dès qu’elle apprenait ma présence elle accourait toutes affaires cessantes, arborant telle une nouvelle médaille, un nouveau mari ou un nouveau bambin, il y en avait qui s’appelait Variste, je ne suis jamais arrivé à lui donner un âge tellement il ne grandissait pas

Je revois Vony anéantie par une grossesse non désirée
 adultérine issue d’un coït sans lendemain
 encore une mère maki avec un gosse à son flanc
 mais celle-là avait fait pénitence
 demandé pardon à l’Eglise pour communier
 Il faut dire que sa voix manquait dans les cantiques de Noël
 la dernière fois que je suis revenu au pays
 elle avait réintégré la bergerie
 et repris une vie de bonne luthérienne

 Je revois Venige et son nom de nulle part, Venige aux longues échasses de sauterelle et un profil de pâtre grec, qui aurait cru qu’elle était du pays tanala, à peine quinze ans que déjà livrée en pâture à un avaleur d’espace, les muscles noueux et la vigueur qui engrosse les montagnes, deux enfants en deux ans sans coup férir et sans réelles ressources à part trimer dans une parcimonieuse rizière, bien entendu la famille eut droit au gros sel rituélique pour sceller l’union à la manière tanala et tout fut consommé jusqu’à l’insouciance juvénile de ma nièce et un beau jour le gendre fila sur de futiles prétextes vers les mirages constellés d’Ilakaka pour revenir six mois plus tard sans une once de saphir mais affublé d’une nouvelle compagne, il repartit aussitôt vers d’autres horizons à conquérir, d’autres proies pour prédateur, sans souci de son nouveau-né aussi menu qu’un moineau, il fallait le doper à l’hydrosol sur le conseils hautement éclairés d’un infirmier en retraite à dix kilomètres de là dans sa très officielle officine de Tolongoina.

Oui, je revois toutes ces mères sans mari
 telles des makis traînant leur progéniture
 courant sur les sentes et cherchant l’eau de source
 elles caquetaient sous le soleil et considéraient sûrement
 que leur situation n’était pas si mal
 et quand d’autres mâles venaient par inadvertance élargir leur confrérie
 elles me disaient avec humour
 que c’était leur seule distraction
 que nenni !
 quand l’austère FLM daignait les absoudre après leur pénitence
 elles nous gratifiaient de polyphonies qui vous transfiguraient aux veillées de Noël
 mais elles n’étaient pas toutes filles mères
 il y en avait qui convolaient en justes noces chrétiennes
 bénédiction du pasteur à l’appui
 il y avait Hoara qui s’était mariée avec Eugène le catéchiste
 Hoara avait un pied bot et un sourire angélique
 je l’ai connue toute petite, elle venait toujours me faire des présents, trois fois rien mais sa gentillesse transcendaient ses offrandes, une corbeille de fruits, un couvre chef tanala trop petit pour ma grosse tête ou un coq que mon fils s’empressa de dénommer Phénix, sûrement pour s’assurer de son immortalité – Phénix fut volé dès le retour à Tanà mais peut-être qu’il vit encore quelque part avec un tel nom –

elle était d’une famille nombreuse, Hoara, peu concernée par cette mortalité qui décime nos enfances, le père grabataire disparu il y a quelques années, je venais souvent le saluer mais il ne pouvait plus parler, il restait immobile sur sa natte, dans une maisonnette au dessus du Faraony comme s’il se recueillait en écoutant la respiration indolente du fleuve, curieusement ses filles ont toutes été mariées religieusement, un véritable tour de force et Hoara, ah Hoara et son sourire que je traquais à travers mon objectif pour le fixer pour la postérité, mais le résultat n’était jamais à la hauteur de la réalité et puis un jour Hoara vint nous dire qu’un catéchiste voulait la prendre pour femme, elle, la fillette au pied bot, il faut croire que le Bon Dieu avait décidément de bien tortueux et impénétrables chemins, effectivement le mariage eut bien lieu à Noël, sans fioriture, sans voile ni alliance, mais avec la bénédiction du pasteur Safina et sa voix de fausset qui faisait se tordre de rire ses paroissiennes, je me souviens, le catéchiste poussa la galanterie et la délicatesse jusqu’à se marier pied nu pour être à égalité avec Hoara et son pied bot, j’ai revu bien de mariages, bu et mangé, plaisanté, admiré des beautés mais jamais je n’étais aussi ému


oui je revois toutes ces femmes tanala
 filles mères ou pas
 ces femmes précocement vieillies
 ces grand-mères flétries par le haut soleil du Faraony
 et les rigoureux hivers des plateaux
 et je te vois Vatovavy
 condensé de toutes les femmes

 
tellement condensé que je ne te reconnais plus aucune forme féminine
 ton masque silencieux sur l’azur des collines
 mais ce pays sera femme ou ne sera plus
 et je flambe d’une colère qui ne tarira jamais

 
craignant de brûler mon ultime patience
 à l’exégèse de tes oracles hermétiques
 j’arracherai cette croix de cimetière sur ce téton qui te sert de crâne
 sésame pour ton hypothétique félicité
 sauf respect des grottes funéraires accrochées à tes flancs semés de bucranes
 afin que tu deviennes désormais
 en ce haut lieu de notre souffle naissant
 dépouillé de fariboles
 notre phare pour les esprits tanala perdus dans les labyrinthes du monde
 étourdis du vin lourd des festins de transhumance
 à la recherche de leur mère
 patrie

 
 in Lumière océane du petit matin

 
§  somondrara : seins d’adolescente)
 §  Vatovavy : rocher célèbre dans le sud est, à forme vaguement féminine, d’où son nom, et servant de repère pour les navires en mer

 



 

Les commentaires sont fermés.