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Puerto Apache de Juan Martini

traduit de l’espagnol (Argentine) par Julie Alfonsi et Aurélie Bartolo

éd. Asphalte, octobre 2015.

 

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224 p., 21 €.

 

 

Puerto Apache est un polar social, trempé dans un humour noir et amer sur des airs de cumbia, qui à travers le récit d’un seul narrateur, aborde le quotidien d’un des bidonvilles autogérés de Buenos Aires. Bâti sur une ancienne friche industrielle sur la rive du río de la Plata, c’est un des lieux où ont atterri bon nombre de personnes pendant la crise monumentale qui a frappé l’Argentine, au début des années 2000. Des exclus porteurs d’un élan malgré tout, qui espéraient donner à ce lieu une forme de dignité.

 

Et celui qui raconte, c’est Le Rat.

 

Le Rat, c’est le fils du Vieux, celui qui tient les rênes de Puerto Apache, qui fait marcher la boutique… Les filles surtout. Comme tout lieu à la marge, faut bien se débrouiller, car même si les habitants s’autoproclament comme « un problème du XXIe siècle », ils savent bien que ce n’est pas de l’extérieur qu’il va se résoudre ce problème. Alors tout le monde se débrouille et la débrouille ça finit souvent par tremper dans la magouille, on fait un peu de rapine, des petits trafics, des petits boulots, comme faire passer des messages chiffrés, juste des chiffres, c’est ce que fait le Rat pour le Pélican, un caïd de la ville. Ça paye un peu et le Rat ne se pose pas trop de questions, rien de mal, juste délivrer des chiffres, jusqu’au soir où trois hommes déboulent chez lui et l’embarquent pour un passage à tabac conséquent et incompréhensible. Alors là ça rigole plus, de plus une bande d’inconnus font une descente aussi dans le bidonville, foutent le feu, tabassent le Vieux qui ne s’en remettra pas et quand un chef de meute est sur la touche, les rivalités explosent.

 

Déjà la vie à Puerto Apache, ce n’est pas facile, mais là ça pue vraiment. Des poissons de plus en plus gros viennent là où il y a de l’argent à se faire et le sang coule, le sang ça attire les gros prédateurs, ceux qui ne vivent pas dans la marge, ceux qui jouent dans une autre cour, plus spacieuse, qui trempent dans la magouille sans en avoir l’air, bien à l’abri de leur impunité de politiciens. Les corrompus qui se débarrassent des gêneurs et raflent toute la mise : les trafics, les hommes de mains et les belles pouliches comme Marú.

 

Marú, le Rat il l’a dans la peau, il y a bien sa femme Jenifer et ses deux enfants, mais Marú c’est Marú. C’est la petite amie du Pélican, elle aussi bosse pour lui mais dans ses restaurants où elle prend de plus en plus de responsabilités. Elle aime l’argent Marú, elle ne vit pas à Puerto Apache, mais dans un chouette et vaste appartement, toujours grâce au Pélican, mais le Rat en est certain, celui qu’elle préfère, c’est lui. Et il vit son histoire avec elle sans trop se cacher.

 

Mais se faire casser la gueule comme ça, sans explication, le Rat ça ne lui convient pas du tout. Alors il ne lâche pas l’affaire, il veut savoir qui et pourquoi. Ce n’est pas un idiot le Rat, il sait lire et écrire, il réfléchit, il aime les mots, l’ «intellectuel du ghetto » comme l’a surnommé son ami Cúper. Alors il raconte les évènements à sa manière, souvent cocasse, d’une manière assez décousue, avec des bonds subits dans le futur et puis des retours en arrière, parfois c’est presque monotone pourtant, glauque, étouffant. Puerto Apache c’est un piège. C’est comme foutu, il ne peut y avoir de futur, à part finir avec une ou plusieurs balles dans le corps ou en taule pour vingt ans. Toti, son voisin travelo a eu de la chance, quand la télé est venue faire un reportage sur Puerto Apache, il a eu un coup de foudre pour un des types de la télé et l’attirance a été réciproque, alors il a pu quitter Puerto Apache pour aller vivre avec son nouvel ami.

 

C’est ça, il n’y a pas d’autres alternatives, Puerto Apache c’est un problème insoluble, la seule issue, c’est de se tirer.

 

Ce que Juan Martini met en évidence ici, et sans fioriture, c’est que bien que la pauvreté ne soit pas forcément synonyme de criminalité, il n’est pas possible d’être un enfant de chœur dans un bidonville, mais la pauvreté avant tout est synonyme de vulnérabilité, et la vulnérabilité attirent les gros prédateurs, la pègre à col blanc, sans scrupule, toute pleine de convoitise, qui sait user des autres, surtout ceux considérés comme les plus négligeables, pour satisfaire ses appétits aussi insatiables que dégueulasses.

 

C’est l’intérêt majeur de ce roman, son côté quasi documentaire.

 

Cathy Garcia

 

 

JM.jpgJuan Martini est un écrivain argentin, né en 1944. Pendant la dictature militaire, il s'exile en Espagne et dirige une collection de romans noirs dans une grande maison d'édition. Il vit actuellement à Buenos Aires, où il donne des ateliers d'écriture. Il est l'auteur d'une quinzaine de romans et recueils de nouvelles. Son œuvre, profondément inspirée par le genre policier et caractéristique d'une certaine littérature de l'exil, est considérée comme incontournable du panorama littéraire argentin.

 

Note publiée sur le site de la Cause Littéraire

 

 

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