Cent lignes à un amant de Laure Anders
éd. La Boucherie Littéraire
coll. « Carné poétique », 6 juillet 2018
72 pages dont une partie vierge, 10 €
« Il lui a dit :
Tes baisers, tu m’en feras cent lignes.
Voici ce qu’elle lui a répondu : »
Le contexte est posé : deux amants, l’un exige, l’autre obéit. Punition détournée de nos vieux souvenirs d’écoliers du XXe siècle, la contrainte ici favorise la création de la même façon qu’elle peut dans certains types de relations, décupler les sensations, aviver le plaisir. C’est un jeu entre adultes consentants. Le sujet est à la mode mais il est rare de voir la poésie s’en emparer sans tomber dans l’ouvrage de genre.
Le résultat donne un texte troublant et de toute beauté, entre dévotion et insolence, dont on ne saura jamais la part de réel et de fantasmagorie.
« 5. Je vous embrasse sans foi ni loi, sans dignité
6. Je vous embrasse avec de la salive sur les paumes
7.Je vous embrasse les mains sales»
Cent lignes donc quatre-vingt dix-neuf commencent par « Je vous embrasse », seule la dernière ne respecte pas cette règle, le lien est dénoué, reste comme une trace de parfum qui demeurera longtemps après que l’amant aura quitté la pièce. L’essence même du désir : le manque.
Le vouvoiement avec lequel l’amante s’adresse à son amant impose une distance qui exacerbe et érotise, caractéristique des relations SM très codifiées, se soumettre peut être à la fois libératoire et exaspérant. Plaisir et rage s’y confondent.
« 10. Je vous embrasse aussi avec colère
11. Je vous embrasse en me jurant que cette fois c’est la dernière
12. Et puis je vous embrasse encore
13. Je vous embrasse pour me débarrasser de vous
14. Je vous embrasse avec l’espoir sournois de vous mordre »
Cent lignes pour se soumettre avec joie et dévotion, cent lignes pour se libérer presqu’à regret de cette possession. Les mots de l’amante honorent le désir mais en font également une tendre autopsie. Il y a des relations dont la fin est inscrite dès le départ, c’est la condition-même de leur intensité.
Le texte, le corps d’ouvrage noir sur fond rouge, se trouve au cœur d’un carnet vierge. Ces Cent lignes à un amant sont des braises que le lecteur pourra rallumer en posant ses propres mots ou dessins sur les pages blanches. Ce qui en fait aussi un bel objet avec un concept plutôt bien trouvé pour cette nouvelle collection nommée « Carné poétique ».
De quoi se faire plaisir et offrir du plaisir.
Cathy Garcia
Née en 1966, Laure Anders a écrit pour la jeunesse sous différents pseudos. Elle réside aujourd’hui en Bretagne, à Saint-Malo, où elle vit de la pêche, de la cueillette et, accessoirement, de la vente de parapluies aux touristes. Elle a publié un recueil de nouvelles chez Buchet/Chastel en 2015 : Animale.