Pierre Reverdy
UNE SEULE VAGUE
J'ai longtemps hésité à remonter vers le niveau de ma lumière
Marche à marche le pas glissant sur le vernis des matins verts
J'ai mis longtemps à me décider entre la vie et la mort
Entre l'endroit réduit et la doublure
La mousse dégrafée des avalanches
Et le poil du réveil aux charnières de plomb
Quand l'esprit se retrouve en sursaut
Quand le cœur halète son remords
Entre la coulisse et le tain
Toute l'épaisseur des gestes de la veille
Cette illusion d'amour que j'ai à peine feuilletée du bout des mains
Fuyante entre la porte et le sourire
A peine ressaisie dans l'accent d'un accord
Maintenant
Plus rien que toi dans la chambre aux clous noirs
Aux rayons de ténèbres
Plus rien que toi entre les plis de mon cœur dur
Plus rien que toi à portée de mon désir encore tiède
Sur la surface à explorer dans l'avenir
A travers le danger trouble des membranes
Les contre-courants vertigineux de mon destin
Et les brusques retours de flamme de la haine
Plus rien que toi sur les cimes où se déchire la raison
Dans les bas-fonds les grimaces gélatineuses du sommeil
Des visages aux traits démaillés qui s'affalent dans la poussière
Il faut aller sur l'arête ensanglantée de la conquête
Vers cette panoplie flambant à l'horizon
Vers ce buste trop lourd qui penche sous la tête
Dans le tourbillon rouge des souvenirs
Quand tout est refoulé par l'éclat de ce nouveau mystère
Plus rien que toi dans les recoins les plus secrets de ma mémoire
Car tout a disparu en te voyant venir
Et dans le circuit de mes veines
Dans les sursauts qui désunissent les rouages de ma valeur
Des étoiles jaillies sous le chalumeau vorace du plaisir
Des étoiles d'acier qui s'évadent dans les rigoles
Un ensemble de jeux de traits et de lumières
Un regard singulier qui se soudait au mien
Un accent qui sera toujours dans mon oreille
Et tout ce qui vit ailleurs
Immobile et trop réel dans la matière
Rien
in " Plein Verre", éditions des îles de Lerins - Nice - juin 1940