Le pont suspendu de Marie-Françoise Ghesquier
Extraits :
Arpenteur penché en direction de la terre
marque le sillon du même encore
dédié au retour à la ligne.
(…)
On se demande s’il faut arracher des os
aux cages thoraciques
de la nuit
(…)
La voilà lune vestale
nacre fluide
à l’aune d’un sentier
scandé sur la fin des temps
(…) Les bâtis du Port Nord survivent
comme autant de reliques recroquevillées,
bâtis en ramassis sur eux-mêmes
relégués à l’extrême onction
des voies de garage.
(…)
On ne voit que des formes abstraites
Dans l’empierrement des yeux.
(…)
On chemine entre les flaques. L’air est élimé. On sent la
rouille qui s’infiltre
insidieusement : rouille fongique fallacieuse
pénétrant la peau, les yeux, l’artère fémorale.
Les mots naissent-ils de la décomposition du monde ?
(…)
Des nuées d’oiseaux sombres volent à contre-jour
formant dans le ciel une plaie de cendres.
(…)
On se perd dans tout cet amas de pièces détachées
entre bords et lignes,
entre taches et traits,
à profusion abrasés.
De ces tas entassés torves
surgit le chaos en étages achalandés,
brocante de rouille en points de bâti surjetés
au bord du décor démultiplié cubique.
(…)
Des volets bouclent la voix des murs.
(…)
Le temps est ailleurs,
aspiré dans les cylindres soufflets métallo-souffreteux
dans les tubes tuyaux béton granuleux
jusqu’aux poutres d’acier s’entrecroisant
tout là-haut dans le ciel emmêlé de nuages.
(…)
On sent un parfum de terre mouillée
un parfum de vase
venant du fleuve.
L’oubli a donc une odeur ?
(…)
On entend le bruit lointain de l’autoroute,
Une inquiétude qui tord les viscères,
Les glissières de sécurité.
On entend les poncifs crucificateurs. De les entendre
à même le sol réclame l’entaille des veines.
(…)
On sent dans le dos les chaines qui bloquent l’entrée des
portes condamnées
(…)
Lune rose pleine entière ronde lune immense posée
comme dans un grand nid troué de noir profond.
*
Paru chez Rafael de Surtis fin 2022. J'ai publié des poèmes de ce recueil dans le n°75 de Nouveaux délits, en avril 2023.
Traductrice de formation, Marie-Françoise Ghesquier vit actuellement en Saône-et-Loire, près de Chalon-sur-Saône. Elle écrit dans des revues (Décharge, Comme en Poésie, Traction Brabant, Nouveaux Délits, Cabaret). Son premier recueil de poèmes, Aux confins du printemps, paraît en 2013 aux Éditions Encres Vives. Viennent ensuite À hauteur d’ombre, chez Cardère (2014), La parole comme un cristal de sel (2016), De tout bois si (2017), aux Éditions Henry, Danse en résistance chez Jacques Flament (2021).