Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

MES LECTURES

  • Alain Mascaro - Avant que le monde ne se referme

     

    718.jpg

     

    Flammarion 2021, J'ai Lu 2023

     

     

    Quatrième de couverture :

    "Anton Torvath est tzigane et dresseur de chevaux. Né au cœur de la steppe kirghize peu après la Première Guerre mondiale, il grandit au sein d’un cirque, entouré d’un clan bigarré de jongleurs, de trapézistes et de dompteurs. Ce  » fils du vent  » va traverser la première moitié du  » siècle des génocides « , devenant à la fois témoin de la folie des hommes et mémoire d’un peuple sans mémoire.

    Accompagné de Jag, l’homme au violon, de Simon, le médecin philosophe, ou de la mystérieuse Yadia, ex-officier de l’Armée rouge, Anton va voyager dans une Europe où le bruit des bottes écrase tout. Sauf le souffle du vent. A la fois épopée et récit intime, Avant que le monde ne se ferme est un premier roman à l’écriture ample et poétique. Alain Mascaro s’empare du folklore et de la sagesse tziganes comme pour mieux mettre à nu la barbarie du monde."

     

    Un premier roman qui a eu un grand succès mérité, c'est un livre à la fois fluide et profond, d'une grande beauté, la délicatesse, la simplicité et la poésie de l'écriture rend hommage au sujet lourd de tout son tragique, terrible, atroce et au trop souvent et trop longtemps occulté porajmos, l'engloutissement, le génocide tzigane. Et puis son côté romanesque et sensible garde le cœur au chaud car on a aussi besoin de continuer à rêver au meilleur de l'humain, à "la part sauvage". J'ai vraiment beaucoup aimé et en lisant le pourquoi de ce livre (voir plus bas) je ne comprends que mieux la résonance qu'il a eu en moi. 

    CGC

     

     

    "Que pouvait le violon de Jag, contre la longue nuit qui s'annonçait ?

    Et pourtant debout face au Danube, le vieil homme jouait un air lumineux qui déchirait l'encre du ciel comme un orage. Tristesse et colère mêlées, foudre et misère."

     

    "Je ne suis pas simplement un vieil homme qui regrette le monde d'hier. je sais très bien ce que valait le monde d'hier : pas mieux ! Non, je préfère ne pas savoir de quoi sera fait demain, ici. Le vieux Johann avait raison : ce monde-là tourne comme un manège qui s'en va vers le pire..."

     

    "Le monde jadis paysages et beauté, ressemblait maintenant à une nasse étranglée."

     

    "C'était cela qui ébranlait le plus le vieux médecin : ce qu'on faisait à l'homme ici, comment on l'effaçait peu à peu, comment on le réduisait à n'être plus qu'un inextricable nœud animal de faim, de froid, de soif et de douleur."

     

    "D'une seule traite essoufflée, elle raconta l'enfer de Stalingrad, cette bataille de six mois qui avait semblé durer des siècles, les combats urbains terribles, les ruines fumantes, les cadavres en décomposition, le bruit infernal, le froid glacial, la peur radicale, absolue, les hommes qu'on envoyait à abattoir par régiments entiers, qu'on jetait dans la fournaise des combats comme des pelletées de charbon dans la chaudière d'une locomotive."

     

    "Elle a mille fois raison, tu sais, il faut profaner le malheur. Le malheur ne mérite pas qu'on le respecte, souviens t-en..."

     

     

     

    Photo1.jpgAlain Mascaro, né le 23 avril 1964, Professeur de Lettres (Vichy).

    "En juillet 2019, ma compagne et moi avons largué les amarres pour 5 années. Après avoir parcouru le Kirghizstan, l’Ouzbékistan, le Turkménistan, l’Iran, le Népal, l’Inde, la Birmanie et le Cambodge, nous nous sommes retrouvés bloqués en Thaïlande par la pandémie. C’est en grande partie durant ce confinement thaïlandais que j’ai écrit mon premier roman « Avant que le monde ne se ferme ». Mon second roman « Je suis la sterne et le renard » a été écrit en Islande, Turquie, Grèce, France, Nouvelle-Zélande et Tasmanie (Australie)…"

     

    Pourquoi les Tziganes dans mon premier roman ?

    Les roulottes sont des cabanes à roues, des maisons sans fondation, sans terrain ni clôture ; des esquifs qui chaloupent en cahotant sur l’océan morcelé des campagnes. Elles ont pour équipage des pirates sans frontières, les gens du voyage…

                Mais en ce temps-là, j’ai quatre ou cinq ans, on ne dit pas encore gens du voyage, ni même tziganes. Ce sont les gitans, les romanos, parfois les bohémiens, cela dépend de qui profère les mots. Ils passent deux fois l’an devant la maison de Chignat avec leurs roulottes et leurs chevaux, sur la Nationale 89. Les femmes ont des robes bariolées et les hommes des pantalons sombres et des boléros élimés à fils dorés. Des chiens noirs courent devant eux. Le tableau est aussi coloré que les images d’Épinal qu’on reçoit à l’école au bout de dix bons points. Je me colle au carreau pour les regarder passer tandis que le père formule son désir de vivre comme les gitanos, mais ce ne sont que des paroles en l’air.

                « Ils ont la bonne vie ! »

                Sans doute sont-ce les derniers tziganes de cette espèce, viendra ensuite le temps des caravanes et des camionnettes, ou bien alors nos pays ventrus leur interdiront-ils de venir, qui sait ?

                Ce sont surtout les enfants qui m’intéressent : certains tiennent les rênes sous la surveillance d’un adulte, d’autres sautillent sur la chaussée, sales et libres comme j’aimerais l’être. Ils ne vont pas à l’école, vivent au grand air et dorment dans des roulottes ; ils viennent de très lointains pays que je ne parviens pas à imaginer mais que j’aimerais parcourir. On me dit qu’ils sont pauvres et que ce n’est pas simple de vivre dehors, mais que puis-je comprendre à ces considérations d’adultes ? Je les trouve simplement beaux.

                Peut-être ma mémoire les a-t-elle de plus en plus embellis au fil du temps, jusqu’à ce qu’ils deviennent ce qu’ils sont pour moi aujourd’hui : un territoire onirique. Ils sont comme un garam dont je saupoudre parfois le monde, surtout lorsqu’il est fade et froid ; mais pas seulement : certains paysages appellent en moi un rêve de roulottes. Une prairie, à plus forte raison une steppe, et aussitôt j’imagine un convoi de gitans aux prunelles ardentes, les rires des enfants et les robes colorées des femmes. Dans un syncrétisme mental assez baroque, ces figures d’hommes libres se superposent à d’autres, faces de Sioux, de Comanches, de Navajos ou de Cherokees ; les roulottes et les tipis cohabitent et les chants des Pow Wow se mélangent aux violons. Les Tziganes et les indiens sont l’exacte allégorie de mes désirs d’errances…

                Adulte, le hasard a voulu que je me retrouve à enseigner le français dans une classe de sixième où l’on avait intégré des enfants tziganes. J’ai vite compris ce que notre société appelle « intégration » : il s’agit plutôt de cette désintégration pure et simple que pudiquement l’on nomme « acculturation » ; est-il besoin de préciser qu’elle est unilatérale ? J’étais plein de bonne volonté et d’enthousiasme. Je suis même allé à un colloque à Lyon dont le thème était : « Stratégie d’appropriation des savoirs, le cas des enfants tziganes ». Sociologues, philosophes et psychologues se succédaient à la tribune sous le regard médusé de tziganes dont certains n’ont pas tardé à quitter la salle en proférant des anathèmes. « Vous ne savez pas de quoi vous parlez, a dit l’un d’eux. Vous ne savez même pas ce qu’est un tzigane ! »

                De fait, les gens du voyage étaient de simples objets d’étude pour les intervenants – et « objets » est le terme parfaitement adéquat. On classait les tziganes en niveaux d’acculturation, on parlait d’eux comme s’ils étaient des entités désincarnées, des abstractions mathématiques destinées à combler les cellules de tableaux Excel. J’aurais aimé que tous ces universitaires guindés viennent un peu voir le camp que j’avais visité au bord de la rivière Allier : un bidonville de vieilles caravanes verdies par la mousse, de masures de planches et de tôles où s’entassaient des Manouches semi-sédentaires, sans électricité ni eau courante, dans la boue, à la merci des crues de la rivière. J’aurais aimé qu’ils viennent observer de plus près les aires d’accueil des gens du voyage, émanations de notre bonne conscience, mais espaces aberrants qui ne tiennent pas compte des spécificités culturelles des tziganes et qui, sans qu’il soit la peine d’y réfléchir bien longtemps, révèlent en réalité les arrière-pensées de nos sociétés de l’ordre : parquer, immatriculer, contrôler tous ceux qui, d’une façon ou d’une autre, sortent du carcan ultra normé qui étrangle nos vies.

    Extrait de « Avant de partir » (2019)

     

     

     

     

  • James Cañon - Dans la ville des veuves intrépides

    81rSo0mkFUL._SL1500_-3582953237.jpg

     

    Tales from the town of widows, James Cañon 2007 

    Belfond, 2008, Livre de Poche 2010

     

     

    Le 15 novembre 1992, un dimanche comme tous les autres, une troupe de guérilleros pénétra dans Mariquita, village de la cordillère colombienne, et emmenèrent ou tuèrent tous les hommes de plus de douze ans, excepté le padre Raphaël.

    Ainsi commence cette chronique à la fois drôle et tragique d'une bourgade perdue au fin fond de la Colombie. Sous ses airs de fable sociale fantaisiste et baroque, féroce aussi, avec cet inimitable style latino-américain (bien que le livre ait été écrit en anglais) nommé réalisme magique, il y a dans ce roman plus de réalisme que de magie et c'est un véritable roman éco-queer-féministe qui se cache sous les jupons de ce village, jupons qui finiront d'ailleurs par être délaissés au profit d'une nudité saine et vigoureuse mais ça c'est bien plus tard, et je ne voudrais point trop en révéler car il faudra du temps et bien des péripéties avant que les femmes du village repoussent toute la violence du monde mais aussi en elles, pour créer une société équitable et efficace, fonctionnant au temps féminin et au partage du bien commun, en harmonie avec la nature, tandis que les hommes se détruisent et sont détruits par la guerre, qu'ils soient guérilleros de gré ou de force, paramilitaires ou militaires, c'est du pareil au même, la violence ne fait aucune différence. Des passages au fil du roman, comme glissés entre les pages, très brefs mais extrêmement percutants, des portraits de ces hommes pris à un moment de leur triste sort, contrastent avec le reste du roman et en accentuent la profondeur.

    Foisonnant avec un rythme lent aussi qui permet de plonger totalement dedans, ce livre fait du bien et pointe là où ça fait mal de façon si juste, aussi quelle réussite car c'est le tout premier de cet auteur d'origine colombienne. Sa longue liste de remerciements qui figure à la fin se termine ainsi et n'en suis tellement pas étonnée : "Enfin, pour avoir enduré de si bonne grâce mon labeur d'écriture insensé, pour ta foi, ton amour et ta compréhension infinis, et pour avoir créé pour moi une vie merveilleuse en dehors de mes histoires, mil y mil gracias a tí, José, avec tout mon amour."

    Mariquita, le nom de ce village imaginaire est une manière très péjorative de désigner en Colombie, les homosexuels. Clin d’œil appuyé.

     

     

    OIP-1389573613.jpgJames Cañón est né et a grandi en Colombie. Après des études universitaires à Bogotá, il s'installe à New York pour apprendre l'anglais. Tout en prenant des cours à la New York University, il commence à écrire. Diplômé de l'université Columbia, il a reçu en 2001 le Henfield Prize for Excellence in Fiction, et ses nouvelles ont été publiées dans de nombreuses revues littéraires. James Cañón vit aujourd'hui à Barcelone.

     

     

     

     

     

     

  • Pierre Gondran Dit Remoux - Poèmes dévalés suivi de Ivre de cabanes

     

    pierre.devale.couv web.jpg

    aux éditions PHB, mai 2025

     

     

     

    (...) absents soumis indifférents arbres impotents aux racines fichées dans les sables rapportés et les terres à sillons de câbles, souffrant d'urbanisme comme les orphelins souffrent d'hospitalisme, arbres cherchant à tâtons la racine blanche du voisin, arbres mystifiés lâchant quelques  vains mots aux planches mortes des bancs publics (...)

     

    *

    Jaillir dans la clairière
    Se figer, menton à l’épaule,
    Disparaître

     

    Être chevreuil, un instant

     

    *

     

     

     

    *

    Des trois rigoles
    Qui descendent des héritages bleus
    Et font la combe à laîches
    Une seule lave ces petits galets


    Noirs pailletés d'or.
    Elle coupe leur filon précieux
    Dans la nuit de la pente
    qui dissimule leur mère.

    (...)

     

     

     

    *

    Sur la lande rouille
    Les bruyères s’écartent
    Devant le genévrier,
    Ferment le sentier après son passage.

    Dans un rêve au mollet griffé.

     

    *

     

     

    (...)
    À ton flanc poudré de vieille suie
    Le miroir bleu de la plume du geai
    La tempe percée du minuscule trou du Capricorne roi. 

    – Tu marches nue

     

     

     

    Pierre Gondran dit Remoux dont j'apprécie beaucoup la particulière écriture est né à Limoges en 1970. Ingénieur agronome de formation, ce Parisien d’adoption n’a pas oublié l’étang limousin de l’enfance et vit entouré d’animaux, d’aquariums et de plantes, comme autant de compagnons nécessaires pour traverser la ville. 

  • Hubert Reeves - Mal de Terre

     

    9e36828.jpeg

    avec Frédéric Lenoir, Seuil, coll. Science ouverte, 2023

     

    Lire Mal de Terre, 22 ans après sa sortie, ça fait pleurer... Au fond, il est juste question d'intelligence et de sensibilité, deux qualités rares chez l'espèce humaine dès qu'elle a un quelconque pouvoir.

     

    Quatrième de couverture : "Notre planète va mal : réchauffement climatique, épuisement des ressources naturelles, pollutions des sols et de l’eau provoquées par les industries civiles et guerrières, disparité des richesses, malnutrition des hommes, taux d’extinction effarant des espèces vivantes, etc.

    La situation est-elle vraiment dramatique ? Que penser des thèses qui contestent ce pessimisme ? À partir des données scientifiques les plus crédibles — et de leurs incertitudes —, Hubert Reeves dresse un bilan précis des menaces qui pèsent sur la planète.

    Son diagnostic est alarmant : si la vie sur Terre est robuste, c’est l’avenir de l’espèce humaine qui est en cause. Le sort de l’aventure humaine, entamée il y a des millions d’années, va-t-il se jouer en l’espace de quelques décennies ?

    Notre avenir est entre nos mains. Il faut réagir, et vite, avant qu’il ne soit trop tard."

     

    Je note au passage et à l'instant que cette année est justement celle de sa première sortie en poche et ce n'est pas seule troublante coïncidence qui me relie à ce livre de Hubert Reeves avec qui je partage tant de ressentis et affinités, ce que je savais déjà en rapport à son lien avec la poésie et dont le sujet est essentiel dans mes choix de vie et leurs conséquences. C'est vrai que ce n'est pas une lecture distrayante mais plutôt terrifiante et aujourd'hui ? Bien qu'il y ait eu quelques petites avancées, nous sommes pourtant bien et bel dans la réalisation du pire, reculons même là où nous avions avancé pour mieux nous y enfoncer et disparaître, entrainant avec nous toute une partie du vivant.

     

     

  • Isaure Gratacos - Fées et gestes. Femmes pyrénéennes : un statut social exceptionnel en Europe

    51urpfxLdzL._SY445_SX342_-2876281389.jpg

    Toulouse, Privat, collection « Le Midi et son Histoire », 1987

     réédité chez Privat en 2003 dans la collection Mémoire et Trad.

     

    Présentation de l'édition de 2003 (moi j'ai celle de 1987) : "Qui prétendait l’homme pyrénéen macho et dominateur ? Qui prétend encore que l’homme dominait les structures sociales et culturelles de ces villages ? Car dans les Pyrénées, les femmes ont eu, et ont encore, un rôle qu’il est rare de rencontrer ailleurs en Europe. Dans ces vallées des Pyrénées centrales se sont conservées des caractéristiques anthropologiques tout à fait spécifiques, que l’on retrouve uniquement au Pays basque, dans le nord de l’Europe et dans le Caucase. Appuyée sur une mythologie vivace et savoureuse, la vie sociale, culturelle et sexuelle des femmes pyrénéennes est marquée par des coutumes originales qui ont gardé de nos jours une grande part de leur actualité et de leurs fonctions."

     

    J'ai vu après lecture que cette originalité pyrénéenne avait été contestée par un certain Thomas Jack, maître de conférence d'Histoire moderne à l'Université du Mirail à Toulouse, dans un article paru dans les Annales du Midi, l'année qui suivit la première édition de ce livre ce qui n'a pas empêché une réédition donc en 2003 et plusieurs encore depuis.

    Ainsi donc Isaure Gratacos affirme, à travers de très nombreux témoignages recueillis pendant plus de vingt ans sur le terrain (noms, âges et dates sont cités en fin d'ouvrage, du moins dans la première édition) une "ethnologie du dedans" comme elle l'appelle que les femmes ont eu dans les Pyrénées centrales et occidentales un statut peu fréquent dans l'histoire : égalité avec les hommes, vie sociale, culturelle et sexuelle marquée par des coutumes originales dont une part puiserait au plus lointain des origines, dans les grottes habitées de la préhistoire qu'occuperont plus tard de mystérieuses hadas

    Un livre riche et dense qui a le mérite d'exister et que j'ai trouvé très intéressant. Il s'agit d'une vision personnelle et originale, une sorte d'intuition on va dire que l'auteur a poussé jusqu'au bout, certaines affirmations sont peut être contestables et ça je ne saurais le dire et je ne pense pas que quiconque puisse le faire car il y a l'Histoire "officielle" mais aussi et surtout ce qui lui échappe, qui demeure secret, le particulier qui se préserve du général. Isaure Gratacos a peut-être eu cet art de faire langues délier ce qui ne peut arriver sans une confiance et une reconnaissance mutuelle entre celui qui questionne et celui qui raconte. Raconter ou conter, les deux sont proches. Les témoignages évoquent un vécu et tissent une trame où mythe et réalité s'entrecroisent sans cesse, relient des époques, des traditions orales, des croyances, dessinent et donnent matière à dessiner cette possible identité commune à toute une partie de la chaîne pyrénéenne (Comminges, Couserans et Pays Basque) qui aurait préservé une certaine continuité par le fait de sa topographie entre autre. Les coins reculés des montagnes gardent plus facilement leurs façons, leur us et coutumes, cela semble assez évident et moi qui aime tant ces montagnes, me suis régalée de ce voyage dans le temps, la langue, l'espace, la vie paysanne, pastorale et le mystère des sources, grottes et mégalithes qui persistent à marquer la mémoire collective. De nombreuses cartes, croquis et photos alimentent aussi ce livre. Et puis, ça me parle...

     

    Isaure Gratacos est professeur d'histoire et docteur ès lettres (études occitanes). Elle anime régulièrement des conférences dans les Pyrénées et en Occitanie et est l’auteur aussi du Calendrier pyrénéen (Privat, 1995).

     

     

     

  • Daniel Birnbaum - L'instant malgache

    9782363364661-475x500-1.jpg

     

    Un magnifique livre de Daniel Birnbaum, autant ses texte que ses photos, paru aux éd. Jacques Flament en novembre 2020. Tous deux nous ont quitté depuis et ce n'est pas sans émotion que j'ai plongé avec beaucoup de retard dans ce très émouvant témoignage d'un homme, Humain avec un très grand H, dont la vocation était de guérir les autres avec une humilité rare. Je connaissais déjà une partie des poèmes pour en avoir publié dans ma revue en 2018 (numéro 60), celui-ci par exemple :

     

    Les ongles  

    La petite 
    toute belle toute fine
    elle a des ongles peints
    au feutre noir
    il n’y a pas de vernis dans ce pays 
    il a été gratté depuis bien longtemps
    elle a les pieds infectés 
    suintants
    sanguinolents
    il faudrait les mettre à l’abri de la poussière 
    de la boue des ordures des mouches
    mais il fait trop chaud dans ce pays
    elle marche pieds nus
    elle a les ongles peints
    et le feutre s’usera 
    lui aussi très vite. 

     

    Un des poèmes que j'avais publié ne figure pas dans le livre et la fin d'un autre a été modifiée, cette modification me touche car à elle seule, elle dit tout :

    "l’heure viendra-t-elle un jour
    une heure dans ce pays 
    où l’on pourra dire enfin au lieu de faim ?"

    qui est devenu dans le livre "où l'on pourra dire enfin au lieu de fin".

     

    En ce moment, la jeunesse de Madagascar, île tellement sacrifiée, se soulève comme une marée montante contre les inégalités, injustices, corruptions, coupures d'eau et de courant et, fait peu commun, les militaires envoyés contre eux, ont lâché leurs armes, Daniel aurait apprécié ce geste sans aucun doute. Aussi ce livre prend une dimension intemporelle, l'instant malgache est de tous les instants.

     

    Daniel a présenté son livre ainsi :

    Pourquoi L’instant malgache ?
    Malgache parce qu’il s’agit de Madagascar, une petite partie seulement, de Tananarive, la capitale, à Majunga, sur la côte Nord-Ouest.
    L’instant, parce que sur la Grande Île la plupart des gens vivent au jour le jour.
    Et accessoirement parce que les photos, prises sans grande technique et livrées ici sans grandes retouches, sont des instantanés. On pourrait dire que les poèmes, comme les photos, sont également bruts. 

     

    003.jpg

    Daniel Birnbaum, né en 1953, était médecin-chercheur à Marseille, biologiste moléculaire, directeur de recherche à l'Inserm et vivait près d'Aix-en-Provence. Il a aussi vécu en Creuse et en gardait des souvenirs très forts. Il a beaucoup écrit les quinze dernières années de sa vie, publié une vingtaine de recueils de poésies, essai, nouvelles, romans chez plusieurs éditeurs (Jacques Flament, P.i.sage intérieur, Voix tissées, Unicité...). Il m'avait demandé d'écrire la présentation de son polder chez Décharge/Gros Textes, "Monde, j'aime ce monde" (2015). Il a aussi publié chez L'Harmattan dans la collection éthique et pratique médicale, un livre qui relate la vie d'un laboratoire, l'avènement de l'oncologie moléculaire à l'hôpital et le développement de la médecine personnalisée. Il y évoque les difficultés, les problèmes, les choix, les défis, mais aussi les accomplissements de cette discipline. On peut lire l'hommage de l'INSERM ici et mesurer l'humilité vraiment exceptionnelle de cet homme qui jamais ne mettait en avant quoi que ce soit de lui-même : https://pro.inserm.fr/daniel-birnbaum-une-vie-de-passion-et-dengagement-au-service-de-la-recherche-contre-le-cancer

     

    Daniel nous a quitté en août 2024, ce fut un grand choc de l'apprendre. Laurent Bouisset m'a proposé de lui dédier (à lui et à un photographe mexicain) le dernier numéro de la revue Nouveaux Délits, le 82 paru ce mois-ci, un spécial Mexique et Guatemala que nous avons réalisé ensemble. Daniel, avec sa grande ouverture aux autres, appréciait énormément l'intense travail de traduction des poètes contemporains latino-américains auquel s'adonne inlassablement Laurent. 

     

     

    001.jpg

     

    Qui va s'élever un jour

    qui va gronder

    bousculer

    taper du poing

    sur cette putain de face du destin

    mille fois vendue

     

    qui sera un jour peut-être

    comme les vagues

    qui obéissent au rythmes

    mais ignore le destin

     

    qui sera un jour...

     

     

    in L'instant malgache, Jacques Flament éd., 2020

     

     

     

     

  • Filles de la terre - Vies et légendes des femmes indiennes par Carolyn Niethammer

    Filles-de-la-Terre-961960849.jpg

     

     (Usa, 1977) Albin Michel 1997

     

    Mes impressions sont mitigées sur ce livre, comme si d'un côté il y avait ce grand travail, trop grand peut-être, de tenter de condenser tous les âges et aspects de la vie des femmes chez des populations très différentes les unes des autres allant de l'extrême sud à l'extrême-nord (ou le terme "esquimau" est employé, signe que le livre date) des États-Unis, surtout avant l'arrivée des "blancs"un sujet peu abordé donc c'est là tout le mérite du travail mais il me semble qu'il appuie trop et de façon dénué de sensibilité sur des faits (?) choquants d'une façon qui m'a dérangée, faits dont on peu parfois douter ou peut-être déformés par manque de contexte, après tout les témoignages viennent souvent justement de ces blancs à qui il manquait bien des clés de compréhension et qui pouvaient aussi forcer le trait pour faire sensation. C'est pour moi un livre qui mériterait de servir de base à un nouveau plus fouillé, plus sensible, il y a des passages qui vraiment sont atroces et livrés tels quel, ils ne peuvent que renforcer l'idée toujours bien ancré que ce n'était "que des sauvages" et cela dessert totalement le propos, sans vouloir édulcorer non plus des traditions qui comme partout avaient leur qualités et leurs catalogue d'horreur, c'est un livre qui date trop pour moi bien que fort intéressant dans ses qualités et il en a.

     

    Présentation de l'éditeur :

    "De la femme indienne, nous connaissons, à travers la littérature et le cinéma, l'image couramment admise de la squaw soumise et opprimée. Mais quels étaient sa véritable condition, son mode de vie et son rôle dans les diverses cultures d'Amérique du Nord ?
    A travers ce formidable ouvrage de référence, résultat d'un long travail de recherche et de synthèse, Carolyn Niethammer dresse le portrait de ces "Filles de la terre" dignes, fières et déterminées. Si elles participaient à l'économie domestique, bâtissant les maisons, tissant des couvertures, peignant des poteries ou moulant le maïs, elles pouvaient également prendre part aux courses de chevaux, pratiquer des sports violents et, occasionnellement, souveraines ou guerrières, mener les hommes au combat et présider aux destinées de leur peuple.
    Des rites de naissance aux cérémonies de puberté, des coutumes de fiançailles aux modes d'éducation, de leur sexualité à leurs fonctions religieuses, politiques, militaires ou économiques, tous les moments de la vie des femmes indiennes sont ici exposés. Enrichi de contes traditionnels, de récits et de témoignages contemporains, ce document érudit dévoile une condition féminine beaucoup plus évoluée que le laissent croire les idées reçues."

     

    Donc, il s'agit bien d'un ouvrage important pour son époque où les idées reçues étaient vraiment très négatives, concernant ces peuples dont le génocide (qui n'a jamais été nommé) est toujours d'actualité aujourd'hui, ce qui m'incite à penser qu'il a pu cependant rater son but justement alors qu'il se voulait sans doute, entre autre, féministe. L'auteur, Carolyn Niethammer, originaire d'Arizona, n'est pas elle-même une amérindienne, même si son intérêt pour les populations autochtones était sans aucun doute sincère comme pas mal de personnes dans les années 60/70 qui vivaient en communautés artistiques ou autre comme ce fut son cas, elle a d'ailleurs écrit un livre sur cette expérience, mais donc son approche reste celle d'une journaliste non conformiste qui compile les informations recueillies, un long travail sans aucune doute fait avec rigueur et passion, son premier livre était une compilation de recettes de cuisine autochtone.

     

     

     

  • Paula Gunn Allen - La femme tombée du ciel - Récits et nelles de femmes indiennes

     

    41sF66-6RML._SX318_BO1,204,203,200_-1852483800.jpg

     

     

    trad. de l'américain Spider woman's granddaughters, Paula Gunn Allen 1989

    par Alain Deschamps, Josiane Deschamps et Simone Pellerin

    Albin Michel, coll. Terre indienne, 1996

     

    Introduction par Paula Gunn Allen dont on pourra lire aussi une nouvelle

     

    "Contes traditionnels, écrits autobiographiques, nouvelles contemporaines : les 17 voix de femmes indiennes réunies dans ce recueil évoquent les traditions sacrées de leurs tribus, l'importance des liens qui unissent toutes les créatures entre elles ainsi qu'à la Terre Mère, les conflits, les souffrances, les guerres qui ont frappé et décimé les peuples indiens. Échappant aux critères esthétiques imposés par la culture américaine dominante, ces textes s'intéressent pour la plupart à l'histoire collective plutôt qu'à celle des héros individuels et apportent un regard inédit sur la féminité. Dans un esprit de lutte contre la colonisation occidentale, ils se veulent expression de l'indianité et réhabilitation des valeurs ancestrales. Ouvrage de référence et best-seller aux États-Unis, ce livre résulte de l'immense travail de compilation et de recherche accompli par Paula Gunn Allen, poète, romancière et enseignante à l'université du Nouveau-Mexique. Un panorama surprenant de la littérature féminine indienne, la première anthologie du genre à être publiée en France."

     

    Magnifique !!! D'une richesse inouïe, intemporel, puissant, encore une lecture qui m'a nourrie, m'a fait pleurer, me donne de la force.

    cgc

     

     

     

  • Violette Leduc - La bâtarde

     

    DSC07603.jpg

    Mon exemplaire date de 1970, avec sa couverture kitchissime et racoleuse typique de l'époque, c'est la deuxième édition en version poche du livre paru chez Gallimard en 1964 avec la très magnifique préface de son amie Simone de Beauvoir, Violette, lit-on sur le site de l'éditeur, veut dans ce livre "tout remuer, tout dire de sa mémoire brûlante. Sa plume perce l'épaisseur des années sans aucune concession. Écrire comme un acte de survie. D'une immense beauté, La Bâtarde permit à Violette Leduc de connaître enfin le succès, à l'âge de 57 ans." C'est un pavé de 600 pages qui m'a pris un long temps de lecture et qu'il m'est très difficile de décrire sinon que j'ai été touchée par une personnalité qui pourtant m'a horripilée plus d'une fois, sans doute parce que l'extrême franchise de cette autobiographie ne cache rien, peut-être même amplifie t-elle les défauts. C'est un livre déroutant parfois, qui bascule abruptement du temps de l'écriture au temps raconté, dans ce besoin de dire sans faire forcément de littérature, écrire comme on pisse, littérature pourtant, constellée de fulgurances poétiques absolument merveilleuses. Et pour moi qui suis née l'année où mon exemplaire est sorti, ce fut un très intéressant voyage dans le temps qui m'a précédé, Violette Leduc est de la génération de mes grands-mères. Une génération qui traverse deux guerres, deux de trop. Violette Leduc à travers sa vie de bâtarde mal dans sa peau, complexée, blessée, avide, femme de paradoxes, libre dans ses premières amours qui sont au féminin, Isabelle, Hermine... mais enchaînée à ses névroses, nous plonge après son enfance et son adolescence tourmentées dans le Paris des années 20, le petit monde des artistes et intellectuels auquel elle aspire, puis le Paris occupé, l'Orne et le marché noir avec son ami Maurice Sachs, homosexuel lui-même au parcours tragique et controversé, là encore amoralité et nécessité de survie s'emmêlent. Retour au contraste entre le monde rural qui relie Violette à son enfance et sa grand-mère Fidéline, figure repère, figure adorée partie trop tôt et la capitale où règne la tyrannie de l'apparence et de l'argent. Pour moi donc, un étrange voyage dans le temps, qui met en relief les temps actuels jusqu'au malaise. Imparfait donc humain, dérangeant et humain. Et je pense que c'était ainsi qu'était Violette, dérangeante et terriblement humaine.

     

    Quelques extraits :

     

    "Cataplasme le dégingandé, l’aîné d'une famille besogneuse était laid jusqu'à vous passionner. Perdu dans sa chemise à rayures sans bouton de col, et dans son pantalon toujours verdâtre, comme si la mousse était éprise de ses fesses et de ses cuisses, la braguette fantaisiste, la savate en retard, Cataplasme parlait avec difficulté, d'une voix puissante et voilée. Sa voix vous parvenait d'un abîme."

     

    "Elle s'allongea contre la cloison, dans son lit, chez elle. J'enlevai ma robe de chambre, je me sentis trop neuve sur la carpette d'un vieux monde. Je devais venir tout de suite près d'elle puisque le sol me fuyait. Je m'allongeai sur le bord du matelas; prête à m'enfuir en voleuse.

    "Vous avez froid, venez plus près", dit Isabelle.

    Une dormeuse toussa, essaya de nous séparer."

     

    "La caresse est au frisson ce que le crépuscule est à l'éclair. Isabelle entraînait un râteau de lumière de l'épaule jusqu'au poignet, elle passait avec le miroir à cinq doigts dans mon cou, sur ma nuque, sur mes reins."

     

    "La cour fut à nous. Nous courrions en nous tenant par la taille, nous déchirions avec notre front cette dentelle dans l'air, nous entendions le clapotis de notre cœur dans la poussière. Des petits chevaux blancs chevauchaient dans nos seins."

     

    "Il y avait eu, très haut dans le ciel, un combat et le combat refroidissait. les brouillards battaient en retraite. Aurore était seule et personne ne l'inaugurait. Déjà un fouillis d'oiseaux dans un arbre, déjà picorées les premières clartés..."

     

    "Admirable folle qui n'a pas perdu la raison. Elle est seule, elle sera seule. C'est son titre."

     

    et les derniers mots du livre :

     

    "Forte du silence des pins et des châtaigniers, je traverse sans fléchir la cathédrale brûlante de l'été. Il est grandiose et musical mon raidillon d'herbes folles. C'est du feu que la solitude pose sur ma bouche."

     

     

     

     

     

  • Samantha Barendson - Mon citronnier

    71QbWIuiSFL._SL1500_-2417359955.jpg

    JC Lattès éd. 2017,

    paru d'abord sous une forme poétique aux éd. du Pédalo Ivre, 2014

     

    "Il paraît qu’il dormait. Il paraît qu’il revenait à peine d’Espagne et que toutes ses malles étaient encore sur un bateau. Il paraît qu’on n’a jamais pu récupérer les malles à Buenos Aires. Il paraît qu’il est allé au cimetière puis dans un jardin. Il paraît que, lorsqu’il est mort, il est devenu un citronnier."

     

     

    Samantha Barendson est une poète ce qui nous fait un autre point commun, le sujet de son livre me parle et me touche infiniment, m'a profondément bouleversée en vrai. Merci à celui qui me l'a conseillé après avoir lu mon Ourse (bi)polaire, c'est la première fois que je lis des mots directement transposable sur mon propre vécu.

     

    Dans le livre, le père meurt à 32 ans, le 15 août 1978, l'auteur a deux ans, le mien est mort à 31 ans, le 15 juillet 1973, j'avais trois ans et un mois. Les similitudes que j'ai retrouvées dans ce récit m'ont vraiment troublée, l'impact de la disparition, les questions, les angoisses, les gouffres... Histoire très différente mais l'impact a cependant eu curieusement les mêmes effets.

     

    *

     

    samantha-barendson-c-vincent-moncorge-669722134.jpgNée en 1976 en Espagne, de père italien et de mère argentine, Samantha Barendson vit aujourd'hui à Lyon. Elle travaille dans le monde scientifique, a publié des recueils de poèmes. Elle aime déclamer sur scène, un peu frustrée de n'être pas une chanteuse de tango.

     

     

     

     

     

  • Gabrielle Filteau-Chiba - Encabanée

    couv_livre_3212.jpg

     

    XYZ éd., Québec, 2018 

    Le Mot et le reste éd., 2021

     

     

    Autant la première partie se déguste très bien autant la deuxième n'est plus à la hauteur, à mon goût, du propos, peut-être aussi parce que le propos m'est bien trop précieux pour ne pas être critique si l'écriture ne le sert pas autant qu'il le faudrait. C'est ceci dit le premier roman de l'auteur, un roman d'apprentissage, les suivants auront sans doute pris de la maturité et je suis curieuse de les lire. Le sujet en tout cas me parle infiniment, l'autodérision aussi et puis j'aime tant la savoureuse langue québécoise. J'en pique un peu pour dire que prendre son trou dans un coin qu'est creux en maudit, se sentir seul en chien, manger ses bas et attendre la clarté mais ne pas cogner des clous, ni dormir au gaz pour autant, ça me parle aussi !

     

    De plus, c'est une lecture idéale pendant une canicule.

     

    "(…) et le train noir du progrès ternit mes songes à l’abri de la civilisation, ponctue ma réclusion forestière de bruits laids qui m’écorchent les oreilles à chaque fois.

     

    (…)

     

    Jusqu’à ce jour, je n’ai pas trouvé ma place dans ce monde sans queue ni tête. Je rêve d’un retour aux soupes de courges d’automne et aux recettes de grand-mères. Bonjour les casseroles en fonte, les semis, les cercles de femmes fières de leurs récoltes et débordantes de vitalité, les enfants nés dans les draps où ils ont été conçus et rêvés, les conserves multicolores sur les tablettes en bois de grange, les soirées de mimes arrosées de cidre de pomme, les longues marches en forêt pour cueillir les remèdes. Mais surtout, j’aimerais éprouver ce sentiment d’enracinement quand on travaille le sol d’un jardin et le vivre comme un effort de guerre pour protéger la Terre.

     

    (…)

     

    Je fais l’ange dans une couette de neige si douillette que je pourrais m’y endormir. Une belle mort dans la grande noirceur.

     

    (…)

     

    Me confronter à moi-même en toute nudité. Sans les mirages d’une vie axée sur la productivité et l’apparence."

     

     

    1514438-premier-livre-gabrielle-filteau-chiba-626343785.jpgGabrielle Filteau-Chiba écrit, traduit, illustre et défend la beauté des régions sauvages du Québec. Encabanée, premier volet d'une trilogie, paru au Québec en 2018,  est inspiré par sa vie dans les bois du Kamouraska, il a été traduit dans plusieurs langues. Ont suivi Sauvagines en 2019, Bivouac en 2021. Un recueil de poésie La forêt barbelée en 2022, repris par Le Castor astral et Hexa en 2023, un roman dystopique toujours chez XYZ, éd. puis publié par Stock début 2025.  Et La robe en feu, poésie encore, paru en 2025 au Québec et en France.

     

     

     

  • Witi Ihimaera - Le Pacte des Baleines

    Couve1LePacte-des-baleines02-05web-2025-248x400.jpg

     

    Traduit par Mireille Vignol

    Parution le 22 août 2025

    Avec mes remerciements Aux Vent des Îles éd.

     


    «  Il faut le talent, l’humour et la respectabilité irrévérencieuse du grand écrivain māori Witi Ihimaera pour savamment mêler les mythes créateurs polynésiens à un grand voyage de pirogues traditionnelles et à un défilé de mammifères truculents, humains et marins. Nous retrouvons la baleine tatouée désormais sénile que seul le descendant du chevaucheur mythique peut extraire d’Antarctique… De cette quête résulte un roman d’aventures, un conte écologique, un récit édifiant, une navigation aux étoiles qui oscille entre le réel et l’irréel.  Witi Ihimaera s’amuse – et nous amuse –, car il a l’art d’aborder les grands sujets écologiques et métaphysiques avec humour et, comme il l’avoue, un coup de pouce de l’IA (Intelligence Ancestrale).  Suite haletante à La Baleine Tatouée, près de quarante ans après la sortie du grand classique néo-zélandais en anglais, le roman est aussi un puissant message d’espoir. »


      
    Je viens de terminer ce roman à la fois léger et que je verrais plutôt en littérature jeunesse car j’avoue être restée sur ma faim au niveau de la densité, entre autres, des personnages mais qui reste profond et émouvant par son sujet, sa dimension écologique. Un conte moderne qui mêle cirque contemporain et mythes océaniens, quête d'identité et surpassement de soi. L'auteur néo-zélandais d'origine māori nous présente un descendant de l'ancêtre chevaucheur de baleine. Et ce descendant qui ignore tout au sujet de ses origines et des cétacés, c'est Teva, un jeune garçon mal dans la peau de son corps bizarre qui vit à Marseille avec une mère française et un père qui a coupé les ponts avec son propre père et donc aussi avec sa terre de naissance : l'île australe de Rurutu, le paradis des baleines de la Polynésie française.


    Le pacte des baleines comme dans La baleine tatouée puise abondamment dans le Temps d'Avant des cosmogonies polynésiennes cette fois et pas seulement māori, le temps où les humains et les cétacés avaient fait ce pacte. Beaucoup de passages sont en langues originelles et on en saisit la musique et, c’est tout l’intérêt du livre, on découvre la beauté et la magie de ces cultures, la force de leurs liens avec le monde marin comme on apprend aussi sur la navigation traditionnelle aux étoiles sur des pirogues qui sont l'ancêtre du catamaran et qui nous embarquent avec Teva, dans un périlleux voyage jusqu'en Antarctique pour en ramener le plusieurs fois centenaire mysticète tatoué devenu sénile et toute sa cour. Ceci avec l'aide de compagnes et compagnons humains et d'un jeune guerrier mysticète et sa puissante grand-mère, compagne du vieux tatoué, dont le caractère n’est pas sans évoquer celui de Tupai, le grand-père de Teva par qui toute l'aventure a commencé. 


    Le pacte des baleines, c’est un pacte d'amour : des baleines avec l’océan, des baleines entre elles et puis avec les humains du temps d’avant. Pacte mis à mal par les chasseurs modernes et tout leur arsenal de mort et par les dérèglements et destructions que nous infligeons à la Terre et à ses océans.

     

    CGC

     

     

     

    330px-Witi_Ihimaera_(cropped)-1799177617.jpgWiti Ihimaera, dont le nom véritable est Smiler, est né en 1944 à Gisborne, non loin de Whangara en Nouvelle-Zélande. Appartenant au clan Te Whanau A kai, il a passé son enfance à se nourrir des histoires liés à ses origines et ses ancêtres. D’abord journaliste, puis diplomate, il s’est mis, en parallèle, à imaginer des histoires liées à sa culture, pour le théâtre et pour le cinéma. Considéré comme un auteur majeur de la littérature post coloniale, il accorde une importance très forte à la préservation de la langue et de la tradition. Ihimaera n’est pas purement māori et a dû apprendre la langue de ses ancêtres à l’université, car il a souffert d’avoir été totalement coupé de son patrimoine culturel d’origine lorsqu’il faisait ses études secondaires dans une école, pourtant essentiellement fréquentée par des Māori. Il écrit pour différentes raisons : pour que la langue de ses ancêtres soit enfin portée au présent, enseignée, pour transmettre les traditions qui l’ont nourri, lui et pour son plaisir d’écrivain, aussi, et pour célébrer la culture maorie dans ce qu’elle a de plus majestueux porter sous nos yeux ravis la lecture de cette culture lointaine mais tellement palpable, intelligente, charnelle et lumineuse.

     

     

     

     

  • Louis Owens - Le joueur des ténèbres

    le-joueur-des-tenebres-9782226104878-3878385808.jpg

    Traduit de l'américain (1994) par Danièle et Pierre Bondil

    Albin Michel, coll. Terres d'Amérique, 1998

     

    Dernier livre traduit de Louis Owens qui fait suite à Même la vue la plus perçante :

    http://cathygarcia.hautetfort.com/archive/2025/06/20/louis-owens-meme-la-vue-la-plus-percante-6552204.html

    J'avais commencé par son premier Le chant du loup :

    http://cathygarcia.hautetfort.com/archive/2025/05/06/louis-owens-le-chant-du-loup.html

     

    Il en reste un, I hear the train, ses mémoires non traduites.

    Je savais que l'auteur était mort jeune, à 53 ans, mais j'ai appris par une amie en cours de lecture qu'il avait mis fin à ses jours en 2002 et en cherchant sur le net, j'ai donc appris que c'était avec une arme à feu dans sa voiture à l'aéroport d'Albuquerque alors qu'il devait s'envoler pour Washington afin de participer à une conférence sur les débuts des premiers romans de l'Amérique indienne, un thème qui lui était cher. Fort probablement une énième victime aussi de l'excès de prescriptions de médocs antidouleurs et antidépresseurs, ça m'a touchée et j'ai fini ce livre avec une toute autre dimension de lecture. Il y a beaucoup de lui dans ses livres sans aucun doute, de la noirceur, de la douleur, voire de la prédestination, ce sont aussi de très beaux romans qui tournent autour de la difficulté d'être "indien" et plus encore "sang mêlé" dans une société qui a et continue à tout faire pour éradiquer cultures et mémoires mais des romans qui tissent aussi une magie de résistance avec de très beaux personnages.

     

     

     

  • Martín Caparrós - La Faim

    IMG_0609-880110953.jpeg

    Traduit de l'espagnol (Argentine) par Eliana Alexandra Carrasco-Rahal

    Buchet Chastel, 2015

     

     

    Une claque monstrueuse et extrêmement instructive, nécessaire, incontournable. Lu juste après sa sortie en 2015, j'avais été incapable d'en faire une note de lecture, j'en avais simplement recopié des pages et des pages pour les diffuser, on peut retrouver énormément de citations sur ce blog (en faisant une recherche avec le nom de l'auteur), mais j'en avais oublié de présenter directement le livre. En ces temps ou une fois de plus, de trop toujours, à la grande honte de chacun-e de nous, la faim est utilisée contre une population pour achever de la décimer, il me semble important de lire ces 784 terribles pages afin de bien intégrer que dans un monde dit moderne, la faim n'existe que si elle est voulue, orchestrée, provoquée, infligée...

     

    "25 000 hommes, femmes, enfants meurent chaque jour de faim ou de malnutrition à travers le monde. Aucun fléau, aucune épidémie, aucune guerre n'a jamais, dans toute l'histoire de l'humanité, exigé un tel tribut. Et pourtant, la nourriture ne manque pas : la planète ploie sous l'effet de la surproduction alimentaire et le négoce va bon train. Comment documenter ce paradoxe sans tomber dans la vaine accumulation statistique ? C'est la question qu'explore Martin Caparrós en partant à la rencontre de ceux qui ont faim, mais aussi de ceux qui s'enrichissent et gaspillent à force d'être repus. Leurs histoires sont là, rendues avec empathie et perspicacité par l'auteur. Fouillant sans relâche les mécanismes qui privent les uns de ce processus essentiel, manger, alors que les autres meurent d'ingurgiter à l'excès, le texte livre une réflexion éclairante sur la faim dans le monde et ses enjeux, du Niger au Bangladesh, du Soudan à Madagascar, des États-Unis à l'Argentine, de l'Inde à l'Espagne. Un état des lieux implacable et nécessaire."

     

    Romancier, journaliste et essayiste, Martín Caparrós est né à Buenos Aires en 1959. Figure intellectuelle emblématique du monde hispanophone, il a étudié en France et publié une vingtaine de livres. Tout pour la Patrie est son quatrième roman traduit en français après Valfierno (Fayard, 2008), Living (Buchet/ Chastel, 2014) et À qui de droit (Buchet/Chastel, 2017). Il est également l'’auteur donc, en non-fiction, de La Faim (Buchet/Chastel, 2015). 

     

     

  • Diane Wilson - Les Semeuses

    9782374254401-475x500-1-3515880987.jpg

       Rue de l'échiquier éd., mars 2024

    (Pocket éd. 2025)

    Traduit de l’anglais (États-Unis) par Nino S. Dufour

     

    Viens de terminer ce beau et précieux premier roman qui relate le parcours de quatre générations de femmes de la tribu Dakhóta, unies par une connaissance précieuse et secrète. 

     

    "Minnesota, années 1970. Rosalie Iron Wing grandit dans les bois avec son père, qui lui raconte des histoires de plantes et d’étoiles issues de leurs origines dakhóta. Mais un jour, il ne rentre pas à la maison. Âgée de douze ans, Rosalie est confiée à une famille d’accueil blanche.

    Bien des années plus tard, Rosalie retourne sur les lieux de son enfance et renoue avec un passé enfoui et des traditions oubliées. Au fil des pages, son destin s’entremêle à celui de trois autres femmes dakhóta : Gaby, son amie d’adolescence ; Darlene Kills Deer, sa grand-tante ; et Mary Blackbird, chassée de ses terres dans les années 1860. Descendantes de lignées brisées par le colonialisme, ces quatre femmes à l’âme d’acier se révèlent liées par la culture des graines – un savoir-faire transmis de génération en génération. Car ces graines sont autant de promesses d’espoir et de vie renouvelées, malgré la misère, l’injustice et les deuils. 

    Diane Wilson puise dans la mémoire blessée de ses ancêtres pour livrer le portrait sensible de personnages puissants et d’un peuple qui n’a jamais cessé de résister."

     

    Diane Wilson.jpgDiane Wilson est une écrivaine d’origine autochtone, de la tribu sioux Mdewakanton dans le Minnesota. Elle est l’ancienne directrice exécutive de Dream of Wild Health, une ferme indigène à but non lucratif, et de la Native American Food Sovereignty Alliance, une coalition nationale de tribus et d’organisations œuvrant à la création de systèmes alimentaires souverains pour les peuples natifs d’Amérique. Les Semeuses est son premier roman. Il a reçu le Minnesota Book Award for Fiction en 2022 et s’est écoulé à plus de 50 000 exemplaires aux États-Unis