Simon Degrave - Une conférence à Berlin

Encres d'Anne Gracia
PORTAPAROLE éd.
Collection Orfeo
10/05/2025
Une conférence à Berlin retrace poétiquement le déroulé d’une table ronde où un jeune professeur a emmené ses élèves. Le thème de la rencontre : l’avenir de l’univers. Les langues — celle des scientifiques et celle des élèves — ainsi que les perspectives oscillent. Deux univers tantôt se heurtent et tantôt se rejoignent, formant la trame de ce récit poétique où nul ne l’emporte au final que l’étonnement face à la beauté du monde.
"Le Soleil, commença-t-elle par nous rappeler, va s’éteindre, va démesurément gonfler, devenir une géante rouge, quelque chose d’immensément radieux."
J'avais eu le grand plaisir de publier des extraits de ce recueil dans le numéro 80 de la revue Nouveaux Délits (janvier 2025) :
(...)
il paraît
– toujours ce mot –
que des nuages bleus
il y a des milliards d’années
peuplaient le ciel de mars,
que la planète rouge
autrefois
connut la neige et la pluie,
que l’eau s’y trouvait en abondance,
assez
pour que la vie pût éclore.
tout de suite on se demande
pourquoi
mars aujourd’hui est si aride
dévastée
désolée
rouge
pourquoi ce globe
n’est plus qu’un grand désert
sillonné
par d’incessantes
tempêtes de poussières.
ma première pensée
naïve
profane
fut la suivante :
la lumière du soleil
devenant toujours plus
funèbre
menaçante
destructrice,
mars se brûla
à mesure que le soleil se réchauffait
mais les choses ne sont pas
aussi simples,
à proprement parler
le soleil ne se réchauffe pas
– n’en déplaise aux apparences,
ironise la conférencière –
quant à mars
elle est plus éloignée du soleil
que ne l’est
la terre,
ma théorie tombe donc à l’eau.
cet oubli est dû
au fait que mars est rouge
au fait que notre monde
assimile le rouge
au chaud
au feu
aux déserts.
en fait
mars est glacial
lorsqu’il fait nuit
en moyenne
-90 °C
-130 °F
pourtant sa terre est rouge.
il paraît que le soleil
tout de même
n’est pas si innocent,
que des vents solaires peu à peu
auraient dépouillé mars
de son atmosphère,
ouvrant la voie à une cascade
de catastrophes écologiques,
de dioxyde de carbone
d’azote et d’argon.
il paraît
– des scientifiques le prétendent –
qu’un champ magnétique
comme celui dont la terre peut aujourd’hui encore se targuer
eût suffi à mars
pour préserver ses eaux
ses nuages
ses neiges
pour sauvegarder
un peu de son oxygène.
il paraît surtout
que nous n’en savons rien,
que les scientifiques connaissant le mieux ces problèmes
sont aussi ceux
qui savent le mieux
la fragilité
de toutes ces hypothèses,
– les ravines martiennes
par exemple
ne seraient pas le vestige
d’une présence aquatique
mais les simples restes
de la sublimation
du dioxyde de carbone en hiver,
et ainsi de toute hypothèse.
il paraît que
etc. etc.
(...)
... et c'est une grande joie toujours de voir des écritures aimées trouver maison d'accueil. Une conférence à Berlin est un très beau et original recueil en plus d'être instructif et merci à Simon Degrave qui a pensé à y remercier la revue, petite attention qui touche en profondeur.
L'auteur : après des études en France, Simon Degrave a fini par emménager en Allemagne et y enseigne depuis la philosophie et le français. Passions : la poésie, les langues, le soleil et la neige.