Damier du destin, Gilles Lades
Encres Vives n°386, septembre 2010
Note publiée sur : http://www.lacauselitteraire.fr/damier-du-destin-gilles-lades.html
Dans Damier du Destin, les pions deviennent des oiseaux et les joueurs abandonnent le jeu des miroirs, ne reste qu’une ample respiration, un fil qui se déroule, à la fois fragile et solide car il noue une éternité à une autre
la vallée vouée à ton silence
à ton frisson qui s’arrête à mi-mort
à l’étrange paix de la clôture sans limite
du ciel qui tombe en semaisons de lettres
livres ouverts pulvérisés
fragments de phrases tous égaux indifférents
que le vent même a quittés
Quel beau poème ciselé come une pierre, le sculpteur s’appelle Temps et même lui finit par disparaître pour ne laisser que la pierre, qui devient douce, douce et lisse au toucher de l’eau, douce et légère au toucher de l’air
On serait prêt
parfois
à jeter sa vie avec les vieux papiers
les années gravées
dans les encres fantômes
Quel beau chant de vie pour saluer l’ombre de la mort qui simplifie et allège, décille le regard sur l’essentiel
on deviendrait cette eau de crête
docile à la première pente
on serait ce sculpteur
dont le bras va choisir
s’il tranche ou non le poignet du héros
La mort, toujours présente, l’autre face des choses que même l’enfant pressent…
voici que les murs tirent
leurs doigts noirs sur l’été
(…)
il écoute le sang
claquer comme la peur
entre les piliers de pierre
L’ombre sans laquelle nous ne pourrions goûter la lumière, mais contre laquelle nous jouons sur le damier du destin
victoire sur l’ombre loup
qui rampe sous les armoires
en fixant les cendres
Quel beau poème traversé de douleur aussi, de perte, que les mots distillent avec pudeur
le ruisseau longe à l’infini l’histoire des absents
l’arrivant
devine au craquement de l’air
que l’on est mort ici d’attendre le visage
qui donnerait un sens à toutes ces fenêtres
Mais toujours l’envol, l’immensité où se perdre pour se ressourcer
le souffle efface
véhicules avions paroles
repousse les oiseaux
vers l’aveuglement bleu
vaste comme l’exil
Oui il s’agit bien là d’une « Odyssée d’être », d’un
texte dévoré de suspens
qui nous emporte et nous garde
sur une barque mince
et d’une traversée qui doit se faire, de soi vers soi, de l’ombre à la lumière
la faille est à franchir
absolument
l’abîme bleu et froid
et d’un chant que les poumons offrent à une nature qui n’a pas besoin de nous.
Le poète maîtrise ici parfaitement cet art du silence et de la contemplation, dans un monde où nous ne faisons que passer, laissant nos quelques « traces piétinées » d’infatigables bâtisseurs
silence d’anciennes familles
histoire
ouverte au forceps
bâtie au cordeau
la pierre, l’arcade, l’écusson
Mais toujours sur ce damier du destin, les pions deviennent oiseaux, et les joueurs abandonnent le jeu des miroirs
L’oiseau
le sang de l’oiseau
l’aile
a l’aigu de sa force
face au vent
l’oiseau cabré
figure
du destin en attente
Cathy Garcia