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  • Il fut un temps ... l'ailleurs, Damien Corbet

    Cardère Ed. 2011, 80 p. 15 €. ISBN 978-2-914053-56-3 . 

     

    Il fut un temps ... l'ailleurs, Damien Corbet

    Alors il y a quelque chose qui m’a intriguée dès les premières pages du livre, c’est l’âge de l’auteur. Né en 1991, est-il indiqué en quatrième de couverture, soit à peine 20 ans et cette écriture pourtant dénonce un vécu de plusieurs vies déjà, quelque chose qui tiendrait du juif errant imbibé de beatnik ! Etrange recueil oui, qui nous entraîne en divers lieux dans un défilé chronologique, d’abord comme à travers le prisme d’anciens clichés que l’auteur aurait retrouvés dans une vieille malle voyageuse ou quelques tableaux dénichés chez un antiquaire…

    Cela commence à « Rio de Gens’héros », le 1er janvier 1750 :

    Sur les tambours pulpeux du visage des hommes, les femmes lançaient l’envie d’un mouvement de bassin. Il y avait des jeunes à qui l’on conte l’amour comme le plus beau des sacres, qui couraient dans les rues, le cœur au bout d’une canne à pêche.

    Puis Saint-Pétersbourg en 1763 :

    Il est 16 heures et le ciel tombe déjà. On oubliait les places les jours de pendaison, on oubliait les virtuoses funambules, un cheveu sur la langue, et l’on laissait la scène aux astres, se pendant aux cordes d’un tableau sinistre ; le soir est un spectacle.

     

    Et Belle-Ile où le 27 mai 1823, « Sur le quai, lorsque le vent soufflait et chantait, coincé aux creux des pierres, il y avait une femme qui courait après son châle et son châle après le vent ».

     

    Au gré de la lecture, nous remontons donc le temps, de port en fête, de guerre en défaite, et attrapons le tournis du vent et de la valse, d’images en images nous tournoyons, un peu hagards, traversés de foudres poétiques d’une maturité évidente.


     

    Les murs crachent le jour comme un appel à l’aide puis s’étouffent au clair de lune. Les hommes s’étendent, certains pendus, valsant aux mélodies du vent, et d’autres s’arment de cordes pour faire tomber le ciel.

     

     

    Après Singapour 1892, Minnesota 1905, le Paris occupé de 1944 et d’autres lieux encore, nous retrouvons presque avec soulagement le quai du présent où nous pourrons, pensons-nous, rencontrer enfin cet auteur prodige qui déjà nous disait, le 14 décembre 1999, « Bienvenue dans ma chambre».

     

    Mais non ! Ne voilà t-il pas que le temps nous dépasse, et sans reprendre souffle, 2010, 2045, 2096 et puis à nouveau Singapour, 1992, Ephèse 1956, Marrakech 1820, avec la sensation de courir après l’auteur qui lui-même erre, navigue, valse contre le sein des femmes, « femmes des rues, femmes du monde » qui ne sont peut-être qu’une seule et même…


    Se retrouver face à une femme, c’est être retenu en éveil par une énigme.


    Et qui pourrait s’appeler Juliette, le 18 octobre 2275 :


     

    C’était

    Avant-hier

    Peut-être même demain

    Peut-être

    Trop tard

    D’avoir compris

    Quand il était bien trop tôt

    Pour te laisser partir


     

    Le 17 mars 2368, l’auteur avoue « Je crois que je suis perdu »… Nous aussi et nous y avons pris goût.


     

    Alors on cherche,

     

    On se noie

    Au fond d’un verre

    D’une branche d’un

    Métier

    Poche’tronc

    Au point d’prendre racine

    ...

     

    (…) Alors on s’imagine, seul une sèche à la main, les femmes en mosaïques, les cœurs en italiques, un penchant pour l’alcool et les baisers satins.

     

    (…) Alors on cherche… un chemin pour se perdre encore plus, et prendre l’espérance des bateaux papiers…


     

    Et on cherche encore en septembre 2453, et qu’importent les dates, et qu’importe le temps, hier, demain, aujourd’hui, fuite et poursuite, quête et renoncement.


     

    J’ai regardé les hommes se laisser mourir d’amour lorsqu’ils tournaient page après page le visage de leur femme, lorsque pétale après pétale, ils espéraient blanchir leurs erreurs dans les plis d’une paupière.

    On voyait des hommes dans les rues la tête sautant au ciel comme des bouchons de champagne les soirs de fête, et même après la mort, demander les étoiles.


     

    Que Venise soit « un cimetière où les rêves se meurent de peur d’être communs » en octobre 2537 ne nous surprend plus, car en « Août 2686, quelque part, enfin je crois, lorsque les têtes tombent sur un lit telle une ville qu’on brode de périphériques, alors on part, le regard loin derrière, lorsqu’au passé les âges s’estompent sur un parterre de briques… »


     

    Et l’auteur nous laisse écartelés entre les siècles, avec quelques remugles d’odeurs, de celles qui collent aux voyageurs, et difficile là de ne pas avoir une pensée pour Rimbaud, une autre pour Kerouac. L’auteur donc, nous lâche comme ça, « là où le temps n’a pas d’emprise… quelque part… » sur cette phrase superbe et assassine :


    « La sagesse n’est qu’une perfection de l’égocentrisme ».


     

    Cathy Garcia

     

     

    A propos de l'écrivain

    Damien Corbet

    Depuis qu’il est né en 1991, Damien Corbet écrit. Dans sa chambre, au café, au lycée, en mangeant, en lisant, en dormant, en marchant, seul ou accompagné, à la plume ou au clavier, Damien écrit, sola gratia. Une obsession, une respiration exclusive qu’il partage avec quelques jeunes amis. Il suit obstinément une règle digne du plus ultra des luthériens, sola scriptura : écrire dix textes par jour. Son écoute musicale, permanente et éclectique, sola musica (de Bach au hard-rock, en passant par la pop, le jazz, etc.), s’entend dans son écriture, juste, naturellement précise et étonnamment mûre. Pour se faire connaître, il « poste » régulièrement une toute petite partie de sa production sur divers forums de l’Internet et sur son propre site (http://archange-poetique.kazeo.com).

     

    A lire aussi sur la Cause Littéraire :

    http://www.lacauselitteraire.fr/il-fut-un-temps-l-ailleurs-damien-corbet.html


  • Jardin du Causse lu par Christian Degoutte

    Il est grand temps que je vous dise tout le plaisir que j’ai pris à la lecture de votre Jardin du Causse. Surtout que ça fait déjà un joli moment que je l’ai lu, même si j’ai mis bien du temps à le commander ! Mais je pense que vous êtes comme moi : on croule sous les sollicitations, donc on (je) a besoin de laisser mûrir les choses - donner du temps au désir, si je peux oser cette formule, donner du temps au désir dans cette époque où la satisfaction de tout doit être immédiate (oui : doit, la satisfaction immédiate est devenue un droit ! -j’ironise). La jouissance d’aujourd’hui, on dirait, est un peu comme les avions qui tracent dans le ciel de votre jardin…

    En plus cette attente allait bien à votre ouvrage, puisque la patience, les aléas, les bontés du temps en sont le moteur unique. Ajoutons-y les mains de la jardinière, et le beau désordre créé par l’enfant. Que serait la vie des « grands » si les enfants n’y venaient pas semer le désordre ? Les graines de demain, quoi !

    Votre livre est bien comme les jardiniers sont, qui vous prennent le bras pour faire le tour de leur modeste pays (modeste, c‘est les jardiniers qui le disent), nommant au passage chaque plante (par petites touches, comme votre écriture, sans rien qui pèse ou qui pose comme dit le poète) donnant des nouvelles de telle ou telle pousse ; un peu comme on le fait d’un enfant : il a bien grandi depuis la dernière fois. Il manque d’eau. Les inquiétudes qu’ils ont par rapport à l’école du ciel, etc. Nommant donc, et vous confiant (sans vous regarder vraiment, en se penchant sur des pivoines par ex.) quelque préoccupation intime, quelque souci qui les travaille continuellement.

    Oui vraiment j’ai pris bien du plaisir dans votre jardin. J’y serais bien resté plus longtemps…

    Christian Degoutte