Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

  • Contes d'ailleurs et d'autre part, Pierre Gripari

    Note parue sur : http://www.lacauselitteraire.fr/contes-d-ailleurs-et-d-au...

    9782246786894_1_75.jpg

    Illustrations de Guillaume Long, Grasset Jeunesse 2012. 190 p. 9 €

     

    Publiés une première fois en 1990, voici la réédition de huit contes d’ailleurs et d’autre part, à la sauce Gripari, huit bijoux de drôlerie fantastique, inspirés des folklores russes, français, italien et d’Afrique du Nord. Un véritable régal, avec ce verbe franc, truculent et tellement poétique de Pierre Gripari, s’adressant à ses lectrices et lecteurs d’une façon si familière, qu’elles et ils pourraient croire qu’il est assis tout près d’elles et eux. Le conteur de la Rue Broca est véritablement talentueux, c’est évident, mais outre son imagination pétulante, il est doté également d’une grande liberté de pensée. Ils nous emmènent donc ici dans un monde peuplé comme il se doit de magie, d’amour et de courage. Dans Mademoiselle Scarabée, on comprend que l’apparence importe peu, mais qu’il importe de trouver bonne boulette à son pied quand on veut se marier. « Quand un cheval trottine et crottine, quand une vache lâche sa bouse en marchant, je fais une petite boule de la chose en question, puis je la pousse à reculons jusqu’à ma maison ! » Dans Madame-la-Terre-Est-Basse, les objets ont une âme, ils parlent, ils bougent, ils peuvent être tristes mais savent aussi se venger.

     

    «  Quand elle met ses souliers

    Elle se pique le pied.

    Quand elle écosse les pois, elle se pique le doigt.

    Quand elle épluche des pommes de terre,

    Elle se pique le derrière.

    Quand elle veut prendre une douche,

    Elle se pique la bouche.

    Quand elle veut prendre un bain,

    Elle se pique les reins.

    Quand elle se met au lit,

    Elle se pique le mistigri ! »

     

    Dans Le diable aux cheveux blancs, on comprend que même un démon, aussi malin qu’il soit, ne peut rien contre le pouvoir d’une femme contrariante, « Merci à toi, brave homme, qui m’a tiré de cet enfer ! Imagine-toi  qu’il y a un mois, pas plus, une femme nous est tombée ici, une femme terrible, épouvantable, qui nous fait enrager jour et nuit ! ». Il ne peut guère plus d’ailleurs, contre les rêves d’une petite fille qui veut obstinément un Bagada.

     

    « - Oh ! Le beau bagada !

    Elle prend le démon dans ses bras, le caresse, le cajole, l’embrasse, le bécote… Qu’est-ce que cela veut dire ? Notre diable se regarde… Malédiction ! Il est devenu un bagada ! Un simple bagada ! »

     

    On a donc vu que les objets pouvaient se déplacer tout seul, et bien figurez-vous que les villages aussi, et c’est comme ça que Saint-Déodat en bord de Loire a fini au bord de l’Océan pour consoler un petit garçon, et si vous ne me croyez pas, et bien vous n’avez qu’à lire, c’est le village lui-même qui raconte l’histoire.

     

    « J’étais profondément ému. Les paysans qui m’habitaient ne rêvaient pas beaucoup, et jamais à d’aussi jolies choses. J’avais comme envie d’obéir à ce petit garçon, et de me transporter au bord de l’océan. »

     

    Dans Petite Sœur, nous voilà plongé dans les aventures fabuleuses et palpitantes, façon conte initiatique de fée - ou de sorcière, mais fée et sorcière c’est kif-kif bourricot non ?  Bref, les aventures palpitantes et fabuleuses de la princesse Claude qui n’a pas un zizi, mais un mistigri. 

     

    « C’est un frère que nous voulons !

    De petite sœur pas question !

    Nous resterons entre garçons

    Ou nous partirons ! »

     

    Dans L’eau qui rend invisible, c’est le conteur lui-même à qui une sorcière fait un cadeau, tellement elle trouve que ce qu’il raconte sur les sorcières est rigolo ! Et dire qu’à cause de lui, le monde a faillit devenir complètement invisible, comment aurait-on fait pour lire le dernier conte du livre ? L’histoire de Sadko, le cithariste virtuose qui épousera l’ondine du lac Ilmen, la fille de Vodianoï, le dieu de toutes les eaux du monde, après bien des péripéties tout de même, où on ne s’embarrassera pas trop de morale, après tout, c’est un conte et on n’est pas là pour s’embêter, non mais ! 

     

    « Il vend ses marchandises russes, ses fourrures, son bois,  son miel et ses esclaves. En échange il achète beaucoup de choses qu’on ne trouve pas en Russie : de l’or et de l’argent, des parfums et des perles, des étoffes, des épices, des objets fabriqués… Il fait aussi un peu de piraterie, quand il en a l’occasion. Ça se faisait, à l’époque… »

     

    D’ailleurs, les enfants, si vous avez la joie d’avoir entre les mains, ces Contes d’ailleurs et d’autre part de Pierre Gripari, cachez-les bien, car s’ils plaisent au petits, mais ils plaisent aussi beaucoup, beaucoup aux grands ! Foi de Maman !

     

     

    Cathy Garcia

     

    pierre-gripari.jpgPour en savoir plus sur Pierre Gripari : http://fr.wikipedia.org/wiki/Pierre_Gripari

  • Promesse achevée à bras nus d'Éric Barbier

    CCI04072012_0002.jpg

    Editions Rafael de Surtis, Collection Pour une Terre interdite, 2011,

    56 p. (tirage limité et numéroté), 15 €

     

     

     

    Écrire, effraction dans la voix de l’autre »

     

    La poésie d’Eric Barbier puise à une source limpide comme celles des montagnes qu’il affectionne. Dans ce recueil, il se livre à un questionnement qui n’attend pas de réponse. Le poète semble même s’être délivré du besoin de réponse, pour être simplement le témoin d’une nature où se concentre l’essentiel de l’Homme.

     

    « De quoi témoigner ?

    l’esprit se déposant en limon

    sur la croyance de l’automne

    croit ensemencer ce qui n’attend rien »

    Eric Barbier sait à merveille capter les langages de cette nature, pour entrer peut-être encore plus profondément en communion avec elle, et s’en faire l’écho. Une poésie d’altitude, à la fois terrienne et transcendante, qui vise le détachement sans l’indifférence.

     

    « Il restera paisible dans son ordre

    Chaque nuit retrouvera de quoi occuper le ciel »

     

    Le poète s’abandonne à la nature pour guérir aussi ses douleurs d’homme, les saisons de l’une font les saisons de l’autre, la nature se fait miroir pudique des émotions.

     

    « Il faudra adoucir l’œil pris dans l’hiver

    Pour enfanter à nouveau

    Les usages du temps »

     

    Mais, il n’est en vérité d’autre temps que celui de l’instant présent, « l’aujourd’hui, seul aujourd’hui », et le questionnement du poète est plus une façon de se livrer à la contemplation, qu’un interrogatoire angoissé.

     

    « Ici

    s’attarde un présent anachronique

    (…)

    demain s’y devine dans les soupçons

    des valérianes détrempées d’aurore »

     

    et

    « entre les pages pliées

    du matin qui s’avance

    viennent des semences d’or libre »

     

    L’or du temps peut-être, cher à Breton, mais ici, point de surréalisme, la réalité est suffisamment riche pour que l’on ne ressente nul besoin de s’en évader. La poésie naît de caresses inattendues entre les mots et ce que l’œil perçoit. La contemplation ouvre une porte sur l’éternité.

     

    « La reprise lumineuse d’un œillet

    vient m’absenter de ce temps

    langueur longée de houx

    la paix construit son regard »

     

    Il y a, oui, comme une grande paix dans ce recueil, qu’on a envie de lire et relire afin de mieux s’en imprégner. Une paix cependant non exempte d’ombres, comme la montagne, l’homme a son ubac, ou son ombrée comme on dit dans les Pyrénées. Cela dit, chez Éric Barbier, même l’inquiétude est calme.

    Toujours cette quête d’équilibre, grâce au recul, celui que permet justement l’ascension d’une montagne.

     

    « retrouver une distance

    se tenir sur le fil

    encore lâche du jour

     

    s’y dresser encore à nu

    dans l’équilibre empierré de la mémoire »

     

    Ainsi, dans la plus grande simplicité, toute la magnificence du monde s’offre au regard du poète, en « vol fou des hirondelles dans le ciel de cuivre bleu ».

     

    On note au détour d’un mot, d’une phrase, un vide, une absence. L’auteur s’adresse aussi à « celle qui n’est pas là ».

     

    « Le manque se croit-il désir ? »

     

    Mais ce manque, aussi cruel soit-il, se répand en amour diffus pour tout ce qui l’entoure. La solitude s’illumine au contact d’une nature prodigue, elle en devient presque jouissance, plénitude en tout cas.

     

    « J’erre dans la démesurée douceur

    du songe »

     

    Et c’est la nature encore, qui enseigne le nécessaire détachement.

     

    « le souvenir d’une robe s’accroche à l’indifférence

    d’un alisier »

     

    Le défilé des saisons est une médecine de l’âme, « des fruits viennent l’oubli cueille les siens ».

     

    Sans aucun doute, Éric Barbier est un poète des hauteurs, qui chemine, humble et discret, sur des chemins de sagesse, et en le lisant, on ne peut s’empêcher de penser parfois à ces poètes errant comme, par exemple, Bashô.

     

    Cathy Garcia

     

    Eric Barbier.jpgÉric Barbier est un poète de Tarbes, ville dans laquelle il est aussi bibliothécaire. Pierre Colin, autre écrivain et poète tarbais, le présente ainsi : « Pourquoi écrire ? » se demande Eric Barbier. Et il répond « Pour inscrire ce témoignage de quelques heures éparses… pour résister à tout et d’abord à soi-même ». La poésie d’Eric Barbier est rebelle aux modes de communication actuels. Elle s’inscrit dans l’étrangeté, la mise en déséquilibre du signe. Elle n’est pas dans une modernité de la mélancolie ou de la beauté. Elle invente de l’inconnu pour ouvrir une brèche vers la réalité de demain.

     

     

     

    Note parue sur : http://www.lacauselitteraire.fr/promesse-achevee-a-bras-nus-eric-barbier.html