Viviane Forrester
Cette agrégation d'anonymats, on la retrouve, démultipliée, dans ces foules immenses abandonnées sur d'autres continents, des populations entières, parfois, livrées à la famine, aux épidémies, à toutes les formes de génocides, et souvent sous l'emprise de potentats agréés et soutenus par les grandes puissances. Foules d'Afrique, d'Amérique du Sud. Misère du sous-continent indien. Tant d'autres. Echelles monstrueuses, et l'indifférence occidentale à la mort latente ou aux hécatombes qui se déroulent à des distances qui sont celles de banales destinations touristiques.
Indifférence aux masses de vivants sacrifiés ; quelques minutes d'émotion, toutefois, lorsque la télévision diffuse deux ou trois images de ces dérélictions, de ces tortures, et que nous nous grisons discrètement de nos indignations magnanimes, de la générosité de nos émotions, de nos serrements de cœur sous-tendus par la satisfaction, plus discrète encore, de n'être que des spectateurs – mais dominants.
in L'horreur économique – 1996