Viviane Forrester
Les pays occidentaux ferment donc jalousement leurs frontières terrestres à " la misère du monde ", mais laissent s'échapper par des routes virtuelles les richesses auxquelles leurs citoyens impuissants, désinformés, s'imaginent avoir encore droit, celles qu'ils croient encore posséder et devoir défendre, mais qu'ils laissent fuir sans émotion.
Ce ne sont pas les immigrés qui épuisent chez nous une masse salariale déjà en voie de disparition, mais plutôt, parmi les habitants des contrées défavorisées, ceux qui ne sont pas devenus des étrangers, ceux qui n'ont pas émigré, mais qui, demeurés au sein de leurs propres pays, travaillent à des prix (si l'on peut dire) d'aumône, sans protection sociale, dans des conditions oubliées ici. [...]
Les marchés peuvent choisir leurs pauvres dans des circuits élargis ; le catalogue s'enrichit, car il existe désormais des pauvres pauvres et des pauvres riches. Et il en existe – on en découvre toujours – d'encore plus pauvres, moins difficiles, moins " exigeants ". Pas exigeants du tout. Des soldes fantastiques. Des promotions partout. Le travail est pour rien si l'on sait voyager. Autre avantage : le choix de ces pauvres-là, de ces pauvres pauvres, appauvrira les pauvres riches qui, devenus plus pauvres, proches des pauvres pauvres, seront à leur tour moins exigeants. La belle époque !
in L'horreur économique – 1996