René Daumal
Triste petit train de vie
Celle qui pourrit dans mon cœur
c'est la lueur qui se nourrit des peurs
qui rôdent chantant le malheur,
en haut, en bas, toujours.
Nuit sur la nuit, c'est fête, enfonçons la
détresse
sous l'ouate d'une joie épaisse ;
nuit sur la nuit, c'est la faiblesse
du cœur brisé
La pourriture est dans mon souffle et ce
vent
c'est le siffleur fascinant, c'est la dent,
c'est le goût de saumure de ce gouffre avant
la fuite en bas.
Plaie du jour à mon flanc !
la nuit, c'est mon sang
qui s'enfuit par ce trou blanc,
soleil qui me baigne jusqu'au petit matin,
m'ôte la faim
au petit matin de ma fin,
personne n'entend, personne,
personne ne tend la main,
je suis l'aiguille,
l'aiguille dans le tas de foin,
le foin sans fin, l'étouffeur à la fin...
personne ne vient, personne ne pleure,
sauf toujours la même, la terreur.
in Le Contre-Ciel