Jean-Louis Millet - Ryoan ji Blues
texte & ill. jlmi
I
Au milieu du sanctuaire,
par un jour de pluie,
le Bouddha resplendit
sous un grand chapeau de femme.
Extrême gravité du bonze en zazen,
du silence sur les mains.
Toutes ses veines balbutient
sous la peau parchemin.
Sur la terrasse
de teck du temple
un peintre dont la vue s’obscurcit,
paupières qui palpitent, peint
en rides runiques
un résineux, épis bleu violet
dans les rochers nus ;
image qui bouge dans le pinceau souvenirs.
Le goyo matsu,
n’a de couleur ni ancienne ni moderne.
Poésie du bonsaï bunjingi
nu derrière la fenêtre…
… une cloche de bambou claquette
la caresse d’un souffle.
Murmure de mots interdits à l’oreille,
des dormeurs qui vécurent,
béquilles de brume fondues,
tout est beau dans la pénombre.
La hache et le coin…
Répondre ? …
Depuis toujours les oiseaux ont peur des chutes de pierre.
*****
II
Au milieu du sanctuaire
par une nuit de pleine lune,
le Bouddha sourit
des larmes de lotus.
Extrême gravité du bonze en zazen,
du silence sur les mains.
Dans l’ombre sombre du dojo
plus rien ne vit.
Sur la terrasse
de teck du temple
un peintre a éteint l’éclat
de ses yeux las
sans déranger une étoile.
En contre-point de ses encres
du linge sèche.
Les aquarelles de lumière
ne se font plus que sur les pierres du jardin
qui n’ont de couleur ni ancienne, ni moderne.
Poésie du bonsaï bunjingi
nu derrière la fenêtre…
… au kansaï hibachi, le charbon de bois rougeoie
l’éclat d’un rêve.
Murmure des mots d’accès aux univers
sans fin, réservoirs sans fond
d’éternité pour jours ultimes
sous la protection du silence.
Le fluant et l’immuable…
Répondre ?
Depuis toujours les pierres ont peur des chutes d’oiseaux.
****
III
Au milieu du sanctuaire
par un jour plein de nuit
le Bouddha se rit
de l’offense d’une fiente
Extrême gravité du bonze en zazen,
du silence sur les mains.
Son fleuve passe
sous le pont des brouillards
Sur la terrasse
de teck du temple
un vieil aveugle
assis, immobile
fixe le jardin
de ses yeux blanchis.
Le chant des sphères lui raconte
les 7 couleurs à quoi penser.
Mais seules sont ses encres
qui n’ont de couleur ni ancienne, ni moderne.
Poésie du bonsaï bunjingi
nu derrière la fenêtre…
… par bribes, un mantra
récité d’une voix gutturale.
Murmure de mots immortels
qui n’ont jamais existé
qu’ici et maintenant.
Plus de langage, rien.
Le trait ou la page
Répondre ?
Depuis toujours les oiseaux de pierres ont peur des chutes.
***.
bunjingi : forme de bonsaï dite du lettré (la plante de l'illustration n'a pas cette forme)
dojo : salle
goyo matsu : pinus pentaphilla, pin
kansaï hibachi : brasero de la région de Kyoto
zazen : position assise de méditation