Edna St Vincent Millay
Fais-moi naître, criai-je, ô Dieu !
Fais-moi naître encore ! Je veux
Revenir sur terre. Renverse
Les nuages ! Refais l'averse
Si puissante et creusant si fort
Qu'elle m'arrache de la mort !
Je me tus. Et, dans le silence
Qui seul me répondait, immense,
Vint à siffler le vol soudain
D'ailes accourant du lointain
Comme une vibrante musique
Sur la corde de ma supplique
Passionnée ; et, brusquement,
Comme ainsi se levait le vent,
Les nuages cabrés d'orage
Terrifiant le paysage,
L'averse descendit d'en haut
Et, folle, frappa mon tombeau.
Comment arrivèrent ces choses ?
Je ne sais. Mais, plus doux que roses
Un parfum me vint, une odeur
Qui sembla celle du bonheur,
Un chant d'elfe chantant sa joie
Pour soi-même, sans qu'on le voie,
Et, plus puissant que tout, plus gai,
Le sentiment de m'éveiller.
J'entendis l'herbe à mes oreilles
Murmurer sans fin des merveilles,
Sur ma bouche qui s'entr'ouvrait
La pluie allongea ses doigts frais,
Toucha le sceau de mes paupières
Et, laissant place à la lumière,
La nuit ôta son bandeau noir,
Et, mes yeux s'ouvrant, je pus voir
La dernière ligne argentée
De la pluie, et, toutes mouillées,
Les branches des pommiers, et, bleu,
Un ciel frais où plus rien ne pleut.
Et comme je contemplais, pâle,
Le vent jeta, douce rafale,
Sur ma face, parfum léger,
Tous les miracles d'un verger.
Et l'odeur des choses écloses...
- Comment arrivèrent ces choses ? -
Remit soudain mon âme en moi.
Ah ! je bondis hors du sol froid,
Et, criant un cri si farouche
Que jamais une humaine bouche
Ne fit entendre pareil cri
Sinon l'enterré qui revit,
J'entourai de mes bras les branches,
Follement et, corps qui se penche
Embrassant la terre au soleil.
j'ouvris mes bras et, dans le ciel,
Je commençai de rire, rire,
Jusqu'à ce sanglot qui déchire,
Jusqu'à ce frisson furieux.
" Ô Dieu, criai-je, qu'on me dise
S'il reste rien qui me déguise
Désormais, dans le ciel d'été,
Ta radieuse identité !"