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Jouir. En quête de l’orgasme féminin de Sarah Barmak

Publié le 17 Septembre 2020

 

 

Le sexe semble omniprésent dans la société actuelle. Mais le plaisir beaucoup moins. La quête de l'orgasme féminin fait l'objet de diverses expérimentations. Des femmes veulent se réapproprier leur corps pour mieux connaître leurs désirs et leur jouissance. 

 

La sexualité peut rapidement devenir mécanique et routinière. Ce sont notamment les femmes qui ressentent de la déception sur le plan sexuel. La simulation de l’orgasme féminin reste bien connue et même popularisé par les médias. Pourtant, les pratiques sexuelles n’évoluent pas. Mais cette routine sexuelle n’est pas uniquement un problème individuel. C’est le produit d’une culture et d’une société. La pénétration vaginale de quelques secondes reste la seule figure de la sexualité au cinéma.

La recherche de l’orgasme prend différentes formes aux Etats-Unis. Les groupes de parole, la pornographie, la méditation orgasmique, la relaxation, les sex toys, le tantra sont explorés. Mais aussi le clitoris, le souffle, la connexion à l’autre, la solitude, le lâcher-prise permettent d’inventer une nouvelle culture. En France, des comptes Instagram, des podcasts et des sites sont consacrés à la sexualité et à la jouissance féminine. Le mouvement #MeToo a permis une libération de la parole politique et sexuelle.

Ce ne sont pas des recettes normatives mais des pratiques qui permettent surtout de légitimer les femmes dans une relation autonome à leur corps et à leur sexualité. Les mythes de l’amour et du prince charmant perdurent avec l’idée que ce sont les hommes qui doivent apporter l’orgasme aux femmes. Ce qui nie l’autonomie sexuelle des femmes, et met la pression sur les hommes. Les femmes se masturbent encore peu. Elles sont considérées comme passives. Cette culture sexuelle entrave l'accès des femmes à leur propre plaisir. La journaliste Sarah Barmak mêle reportages et réflexions dans son livre Jouir. En quête de l’orgasme féminin.

 

                         Jouir - En quête de l'orgasme féminin eBook by Sarah BARMAK,Maïa MAZAURETTE  

 

Culture de la répression sexuelle

 

Au sous-sol d’un Sex Shop de Toronto se déroule un groupe de parole. Des femmes de tous âges évoquent leur frustration sexuelle et leur absence de plaisir. Elles refusent de toucher leur sexe avec leurs propres mains. « Et c’est un secret qui s’aggrave avec l’âge : plus ces femmes vieillissent, plus il y a de chances qu’elles se résignent à faire le deuil de leur satisfaction sexuelle », confie Sarah Barmak. Mais ces femmes ont aussi peur de perdre le contrôle.

La révolution sexuelle s’amorce dans les années 1960. La contraception et l’avortement permettent de libérer la sexualité du risque de procréation involontaire. Désormais, les images pornographiques sont accessibles et même les clips musicaux multiplient les gros plans anatomiques. La nudité est même présente dans la rue sur les panneaux publicitaires. Mais si nous semblons libres en apparence, l’espace pour développer une sexualité individuelle reste limité. Beaucoup de femmes ordinaires ne ressentent aucun plaisir au lit.

Des courants culturels contestent les vieilles croyances sur la sexualité des femmes. La sexualité et la recherche du plaisir restent un mystère. « Je me suis demandé pourquoi la sexualité féminine est devenue un sujet très en vogue, alors même qu’elle semble rarement mieux comprise qu’à l’époque où elle était taboue », interroge Sarah Barmak. Le sexe reste un sujet très clivant en Occident. Les femmes sont soumises à des injonctions contradictoires. Elles doivent se montrer à la fois sexy et prudes. Les femmes sont humiliées lorsqu’elles expriment leur sexualité. « Mais l’omniprésence d’images hypersexualisées et très normées dans nos vies quotidiennes est devenue bien plus oppressante que libératrice », observe Sarah Barmak. La lutte féministe passe par la recherche de l’égalité sur le plan sexuel. Cette quête du plaisir passe par la libération du regard des autres.

 

Le clitoris et le plaisir féminin sont valorisés dans la région du Moyen-Orient et dans l’Islam médiéval. En revanche, les sociétés occidentales et chrétiennes dénigrent le corps des femmes. Le puritanisme s’impose jusqu’au XIXe siècle avec l’époque victorienne. Une épouse respectueuse doit se soumettre à un consentement passif. Sortir de ce cadre relève alors de la nymphomanie. Sigmund Freud dénigre le clitoris. Le psychanalyste considère l’orgasme vaginal comme le seul valable. Alors même que ce plaisir est provoqué par les frottements du clitoris.

En 1953, Alfred Kinsey lance une enquête sur la sexualité des femmes. Il montre la diversité des pratiques sexuelles et l’importance de la masturbation féminine. Ce qui écorne le modèle de la mère de famille américaine des années 1950. En 1976, la sexologue Shere Hite publie un rapport qui montre que 70% ne jouissent pas pendant le coït. En revanche, elles peuvent jouir avec une stimulation adéquate. Elles n’ont pas besoin d’un pénis ni même d’une autre personne pour ressentir l’orgasme. Shere Hite écrit un autre livre pour évoquer la pression excessive subie par les hommes sur leurs performances sexuelles. Mais, malgré son succès public, elle reste vivement critiquée par les médias.

En marge des recherches scientifiques, des groupes de lesbiennes explorent leur corps et leur sexualité. Ce qui permet de découvrir l’orgasme et l’anatomie féminine. Des groupes de féministes radicales, comme Gynepunk à Barcelone, critiquent le contrôle des médecins. Ces féministes pro-sexe veulent se réapproprier les savoirs gynécologiques. « Elles sont à l’aise avec leur corps et à leurs besoins physiques, plutôt sur le mode j’en-ai-rien-à-battre », observe Sarah Barmak. Le corps et l’anatomie féminine ont subit une longue histoire de répression et de désinformation.

 

 

 

Quête de l’orgasme

 

Les orgasmes ne se ressemblent pas d’une personne à une autre. Ce sont des expériences diverses et plurielles. Des points communs existent dans la description de l’orgasme : tension croissante, plaisir intense, sentiment de libération. Mais certaines personnes ne ressentent aucun relâchement au moment de jouir. D’autres trouvent que l’orgasme n’est pas forcément agréable. Mais la jouissance fait l’objet de peu de description. Au contraire de la gastronomie qui fait l’objet d’une analyse détaillée des diverses nuances de saveurs. L’orgasme conserve une part de mystère.

Si le plaisir masculin se traduit par l’éjaculation, l’orgasme féminin se révèle plus subjectif. Des expériences scientifiques observent les stimulis agréables qui proviennent du cerveau. Les stimulations sensorielles augmentent par paliers jusqu’à déclencher une explosion de plaisir. L’orgasme n’est pas un simple réflexe mécanique, mais provient de stimulations qui doivent rester agréables. L’orgasme reste une perception. Il provient de l’esprit et non des muscles. La jouissance masculine permet la procréation alors que l’orgasme féminin reste inutile, et donc peu étudié.

Des femmes dénoncent la course à l’orgasme. Le sexe n’est plus un moment agréable qui permet de se libérer du stress et des tensions accumulées. C’est un domaine dans lequel il faut évaluer ses performances. Pourtant, le plaisir repose sur l’abandon. Se demander si on est belle, si on fait bien les choses, si le partenaire est excité empêchent cet abandon. « L’orgasme nous est difficile parce qu’il nécessite une forme de capitulation. Une capitulation brève mais totale, qui n’est possible que si nous lâchons enfin les rênes que nous pensons devoir tenir d’un main de fer, à chaque instant », souligne Sarah Barmak. La pression de l’orgasme empêche de fixer son attention sur les sensations agréables, et empêche l’orgasme. « Laisser tomber les objectifs. Simplement apprécier ce moment. Prendre son temps », préconise Sarah Barmak.

 

One Taste, une entreprise de San Francisco, propose la méditation orgasmique. Cette pratique consiste à se focaliser uniquement sur les sensations de plaisir. Les caresses et la sensualité priment sur une sexualité mécanique avec ses obligations et ses conditionnements sociaux. Le désir et le plaisir sont valorisés. « Oui Messieurs, vous caressez pour votre propre plaisir, parce que c’est agréable au toucher, et pas parce que vous voulez obtenir quelque chose d’elle », indique un animateur. Néanmoins, cette pratique reste très codifiée et laisse peu de place à la spontanéité. Pour les tenants de cette méditation, la sexualité reste régie par de nombreux codes qu’il est possible de déjouer uniquement en imposant d’autres règles.

Les jeunes femmes qui luttent contre la culture du viol et participent à la Marche des salopes développent également de nouvelles pratiques. La pornographie féministe, des ateliers de masturbation, des massages de parties génitales expriment une autre approche de la sexualité. Ce sont surtout les jeunes femmes qui participent à modifier les comportements sexuels. La culture populaire accompagne et reflète ces évolutions de la société. La chanteuse Katy Perry parle d’embrasser une fille et d’aimer ça. « Dans la culture populaire, les femmes initient de plus en plus souvent les rapports sexuels, et restent aux commandes », observe Sarah Barmak. La sexualité féminine ordinaire dissimule tout un univers de non-conformisme et d’expérimentation.

La pornographie mobilise surtout une sexualité visuelle. Les autres sens, le toucher et le goût, sont niés. Pourtant, l’érotisme provient surtout d’une dimension charnelle et sensuelle. Le toucher et les caresses permettent de réveiller l’animalité. Mais la pornographie reste plus cérébrale et rassurante. Ce sexe en vidéo semble immédiat et désincarné. « Mais, ce sexe-là, il ne prépare ni les hommes ni les femmes à la rencontre avec un être humain, un être vrai et vulnérable. Il ne les prépare ni à se révéler dans leur propre corps imparfait, ni à se délecter de tous les plaisirs que ce même corps imparfait peut leur offrir », souligne Sarah Barmak. Néanmoins, le porno alternatif refuse les normes esthétiques et montre des vulves de toutes formes.

 

     
 

    

Révolution sexuelle

 

La recherche du plaisir sexuel n’est pas considérée comme un sujet sérieux par les féministes gauchistes. Les luttes pour l’accès à l’avortement, pour l’égalité salariale ou contre les violences faites aux femmes sont davantage valorisées. Le plaisir sexuel reste considéré comme secondaire par rapport aux urgences sociales et féministes. Pourtant, la question du bonheur et du plaisir ne doit pas être négligée. La notion de consentement affirmatif permet aux femmes de ne plus se soumettre aux exigences des hommes. Mieux connaître son corps, ses désirs, ses sensations de plaisir permet de mieux reconnaître les gestes brutaux voire douloureux.

Le carcan du sexe conventionnel reflète également des sociétés occidentales gangrenées par la culture du résultat. Le stress et les problèmes au travail empêchent de s’abandonner à la jouissance. « Si vous êtes surexposée au stress et que vous n’avez jamais le temps de vous poser, votre corps ne sera pas sur la bonne longueur d’onde pour faire l’amour », observe Sarah Barmak. Le sexe reflète la vie dans son ensemble.

 

Sarah Barmak propose un livre original. La journaliste propose des reportages sur différentes expériences sexuelles, parfois loufoques. Elle permet de montrer l’émergence d’une véritable contre-culture qui place le plaisir sexuel au centre de l’existence. Sarah Barmak propose une réflexion stimulante sur la répression sexuelle qui perdure dans les sociétés occidentales. La recherche de la jouissance se heurte souvent à la culture et à la société. Les femmes doivent se soumettre à des normes et des contraintes sociales. Elles peuvent davantage parler de sexe, mais pas de leur corps et de leurs désirs. Le stress, dans le couple ou au travail, empêche également de véritablement s’abandonner au plaisir. Sarah Barmak montre l’importance des conditionnements sociaux. Elle critique également la sexualité mécanique, peu à l’écoute de son corps et de ses sensations.

Néanmoins, son exploration des alternatives et des groupes thérapeutiques révèle ses limites. D’ailleurs, Sarah Barmak observe ces communautés avec un regard critique. Cette quête de l’orgasme rejoint les dérives des hippies voire des thérapeutes freudo-marxistes. Ces groupes veulent sortir des normes sociales en imposant de nouveaux codes, tout aussi contraignants. Les stages tantriques reposent sur tout un folklore et un ensemble de règles qui semblent peu regardant des désirs des individus. Sarah Barmak montre également comment cette quête de l’orgasme devient une pression supplémentaire qui empêche de ressentir les sensations agréables et de véritablement jouir.

 

Mais Sarah Barmak reste plutôt compréhensive à l’égard de ses expériences. Ces stages orgasmiques restent pourtant dans le cadre du développement personnel. La réussite d’objectifs individuels prime sur l’épanouissement collectif. Même les thérapies les plus bienveillantes semblent peu efficaces. Il évidemment possible d’apprendre à mieux connaître son corps et ses sensations de plaisir. Néanmoins, la lutte contre la répression sexuelle ne peut pas se réduire à une thérapie individuelle. C’est un changement de société qui s’impose. Pour sortir des conditionnements sociaux, il semble indispensable de détruire la logique capitaliste et patriarcale.

Seule une société sans classe et sans hiérarchie peut permettre la jouissance de chaque personne. Il semble également important d’en finir avec un monde qui impose la performance dans tous les domaines de la vie, au travail comme dans la sexualité. Contrairement à ce que pensent les gauchistes, le plaisir et le bonheur ne sont pas des accessoires. Ce sont les véritables objectifs d’une société communiste libertaire. La suppression de l’exploitation ne doit pas déboucher vers une autogestion du capital qui impose de nouvelles contraintes sociales. Une association libre de producteurs libres doit permettre de placer le désir et le plaisir au centre de l’existence.

 

Sarah Barmak, Jouir. En quête de l’orgasme féminin, traduit par Aude Sécheret, Zones – La Découverte, 2019

 

 

Commentaires

  • A chaque âge ses luttes. Bravo

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