Contes de Grimm par Philippe Pullman
traduit de l’anglais par Jean Esch, images de Shaun Tan
Gallimard, 23 octobre 2014
496 pages, 35 €.
Quel superbe ouvrage, se dit-on aussitôt que l’on a cette « bible » entre les mains, bible par son format et son épaisseur mais aussi par la sensation que l’on tient entre les mains un livre sacré. La beauté des œuvres qui l’illustrent y est pour beaucoup. L’artiste Shaun Tan s’est pour cela inspiré des sculptures de pierre des Inuits et de statuettes en terre de l’art précolombien.
Tout art traditionnel sachant insuffler pouvoir et magie à des matériaux à la fois brut comme la pierre et la terre, et comme le sont les innombrables contes, ici recueillis par les frères Grimm et donc puisés au terreau de l’imaginaire européen, taillés dans le roc de l’imaginaire collectif universel et polis au cours des siècles de mains en mains et de bouche en bouche. Ici on en retrouve cinquante, des plus célèbres aux plus méconnus, dont Philippe Pullman s’est emparé pour les faire passer par sa propre langue, l’Anglais donc, puis retranscrits pour nous en Français par Jean Esch, qui a conservé au plus près les couleurs et le ton particuliers de l’auteur.
Des notes à la fin de chaque conte, apportent un éclairage érudit et approfondi à chacun, c’est donc un ouvrage qui n‘a pas de limite d’âge, les enfants aimeront écouter ces histoires intemporelles qui ne vieillissent pas mais refleurissent comme un arbre immortel pour offrir des fruits toujours aussi savoureux à chaque nouvelle génération, et les adultes les redécouvriront avec joie, encore qu’un bon nombre d’entre elles soient tellement peu connues, qu’ils feront eux aussi certainement de nouvelles rencontres. Tous ne pourront qu’apprécier la qualité d’écriture et de l’ouvrage dans son ensemble.
Dans l’introduction l’auteur retrace le contexte historique de la collecte des Frères Grimm et donne un aperçu de sa propre démarche : « À l’instar du jazz, raconter des histoires est un art de l’improvisation, comme l’écriture. » et de son rapport tout particulier et personnel avec le conte de fée : « Quand je travaille, je suis extrêmement superstitieux. Ma superstition concerne la voix à travers laquelle naît l’histoire. Je suis en effet persuadé que chaque récit est accompagné par son propre lutin, dont nous incarnons la voix quand nous racontons cette histoire, et que nous la narrerons avec davantage de succès si nous traitons ce lutin avec respect et courtoisie. »
De même, en postface, l’artiste Shaun Tan s’exprime sur la façon dont sont nées les œuvres qui illustrent les contes et donnent à l’ensemble cette aura mystérieuse et vraiment très singulière.
Couds l’ourlet et tire le fil
Frappe sur le clou en plein dans le mille….
Cathy Garcia
Philip Pullman est né en 1946, à Norwich, en Angleterre. Son père, pilote de chasse de la R.A.F., est tué en février 1954, au large du Kenya. La mère et ses deux jeunes fils, installés en Rhodésie du Sud, reviennent en Angleterre. Les deux frères sont élevés par les grands-parents maternels dans le Norfolk, tandis que leur mère travaille à Londres. Les garçons grandissent dans une atmosphère religieuse et paisible. Le grand-père, pasteur anglican, passe ses soirées à leur raconter des récits de la Bible. C'est en découvrant à l'école la «Ballade du Vieux Mari» de Coleridge, que Philip Pullman commence à être attiré par l'écriture. Mais une vie de voyages prend le relais : sa mère s'est remariée avec un pilote de la R.A.F. et elle emmène les deux jeunes garçons avec elle en Australie. Philip, âgé de neuf ans, découvre les magazines illustrés –«Batman» et «Spiderman»– et les émissions radiophoniques, qui stimulent son imagination : le soir, il improvise la suite de ces aventures à l'intention de son frère. À l'âge de dix ans, il retourne en Grande-Bretagne, au pays de Galles, et emménage avec toute la famille, agrandie de deux autres enfants. Il passe son temps à lire, à écrire des poèmes, à peindre et à jouer de la guitare. À treize ans, il rencontre un professeur qui le soutient dans son désir de devenir écrivain et lui permet d'obtenir une bourse pour préparer l'examen d'entrée à Exeter College, à Oxford, en 1965. Déçu par le niveau de l'enseignement, il envisage de suivre un autre cursus l'année suivante, en sciences politiques, philosophie et psychologie, mais sa requête est refusée. Il passe l'examen final avec la mention passable. Lors de sa dernière année à l'université, à travers la lecture du roman de Mikhaïl Boulgakov, «Le Maître et Marguerite», Philip Pullman découvre le genre du réalisme fantastique. Il commence à écrire un premier roman mais, appelé en Ouganda pour s'occuper de sa mère malade, il ne le termine pas. Après divers métiers, dont celui d'apprenti bibliothécaire, il mène à bien un nouveau projet de roman, un «thriller métaphysique», qu'il publie et pour lequel il obtient un prix. Il suit ensuite une formation pour devenir instituteur pour des élèves de neuf à treize ans, à Oxford. C'est en préparant des représentations théâtrales pour son établissement qu'il se met à écrire lui-même des pièces qui seront la première ébauche de ses romans pour enfants. Ses premières histoires policières fantastiques, qu'il écrit à raison de trois pages par jour, lui permettent bientôt de prendre un emploi à mi-temps à Oxford. Il devient formateur pour de jeunes professeurs en animant un atelier de conteur qui insiste particulièrement sur la mythologie grecque. Les romans s'enchaînent. Dès 1985, il commence une série policière dont l'héroïne, Sally Lockhart, doit beaucoup au célèbre Sherlock Holmes, et dont l'action se situe dans l'Angleterre de la fin du XIXe siècle. Mais c'est avec la trilogie «À la croisée des mondes», qu'il a mis sept ans à écrire, que Philip Pullman connaît son plus grand succès.
Auteur et dessinateur de bandes dessinées pour la jeunesse, Shaun Tan, né en 1974, grandit à Perth, en Australie. Déjà sur les bancs de l'école, il se distingue par sa taille, plus petite que la moyenne mais surtout par un sacré crayon. Diplômé en arts et littérature anglaise, il débute sa carrière en travaillant en freelance pour illustrer des livres d'images. Puis il dessine pour des magazines de science-fiction et d'horreur destinés aux adolescents. Au bout de quelques années, son travail est récompensé par de nombreux prix dont The Picture Book of the Year Award. En 2001, il reçoit le prix du meilleur artiste aux World Fantasy Awards de Montréal. Cela lui ouvre les portes des Studios Pixar («Toy Story», «Nemo», «Cars», etc.) et des studios Blue Sky («L'Âge de glace») pour lesquels il participe à plusieurs réalisations en tant que concepteur graphique. Au même moment, il commence à publier ses bandes dessinées : «The Arrival», «The List Thing», «The Rabbits» ou encore «Memorial». Ses dessins oniriques conquièrent ses lecteurs. Ayant plus d'une corde à son arc, Shaun Tan peint également de vrais tableaux d'où il puise l'inspiration de la réalité, une rue, un homme et sa canette de bière, une marée noire... Par ailleurs, il peint également une fresque géante pour une bibliothèque ou illustre des pochettes de CD. Shaun Tan a illustré plus d'une vingtaine de titres, jouant de toutes les techniques, crayon, encre, peinture, etc. Shaun Tan a aussi collaboré à un film d'animation et à des adaptations théâtrales et musicales de ses œuvres. En 2011 il est récompensé à Bologne par le jury du prix Astrid Lindgren (le prix le plus important de la littérature jeunesse) qui le proclame lauréat de l'année.
Note publiée sur http://www.lacauselitteraire.fr/