Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

  • André Laude

     

    Un sécateur de froid a tranché net mes racines
    un alcool frelaté a noyé mes yeux
    une panthère cernée de flammes a dévoré ma tribu
    un siècle de poussière a étouffé ma danse de chaman
    Maintenant je rampe
    dans l'ordure et la rumeur des temps
    Avec tout ce que je sais
    je tiens éveillé très tard des enfants innocents et graves.

     

    in 19 lettres brèves à Nora Nord

     

     


     

  • De mémoire indienne

     

     

    Lame_deer

     « Il faut que je vous parle encore de la manière d'être de nos voyants-guérisseurs. Ceux qui sont encore en vie et ceux qui nous ont quittés. Je vais fermer les yeux, et penser en parlant, pour que l'esprit s'exprime à travers moi. Il s'agit d'une remémoration. Nous appelons cette remémoration waki-ksuya. Ce qui signifie qu'on se ressouvient, qu'on voyage dans le passé, qu'on se tient en communion avec les esprits pour recueillir leur message, se rappeler les amis morts, entendre leurs voix de nouveau, et cela même au point d'être visité par une vision. Je ne vais pas vous montrer des revenants.. Je vais simplement me renverser en arrière, fermer les yeux, et m'abandonner à quelqu'un d'autre. Je continuerai seulement de parler et les paroles se fraieront leur chemin…..

     ….Je suis un « medicine-man ». « Medicine-man » — voilà bien une expression de Blanc, « comme « Squaw », « Pa-poose », « Sioux », « Tomahawk » — mots inconnus en langue indienne. Je souhaiterais en vérité qu'il y ait un terme traduisant avec plus de justesse « medicine-man », mais je ne peux en trouver un anglais, et vous ne le pouvez pas, je crois, vous non plus. Aussi, disons medicine-man, et n'en parlons plus. Mais l'expression reste pauvre et ne recouvre pas tout ce que le terme indien « wicasa wakan » implique.

    Nous avons différents noms pour désigner différents hommes accomplissant différentes tâches là où vous ne dispo­sez que d'un seul nom dérisoire. D'abord nous distin­guons le guérisseur, le pejuta wicasa, qui se sert des herbes. Il ne guérit pas avec les herbes seules, il faut encore qu'il ait le pouvoir, wakan, de guérir. Puis nous avons le yuwipi, l'homme aux poignets attachés, qui recourt aux pouvoirs des peaux et des pierres pour établir le diagnostic et pro­curer le remède. Nous parlons également du waayatan, le voyant qui peut prédire l'avenir, à qui a été donnée la prescience. Les faits advenus conformément à ses présages, nous les nommons wakinyanpi. Le même vocable désigne les créatures ailées, celles qui volent dans les airs, parce que le pouvoir de dévoiler l'avenir provient d'elles.

     

    Mais je crois que le seul voyant-guérisseur digne de ce nom est le wicasa wakan, le saint homme. Lui peut guérir, prophétiser, parler aux herbes, comman­der aux pierres, conduire la danse du soleil ou même changer le temps, mais cela est sans grande importance à ses yeux. Il s'agit seulement là de la traversée de stades successifs. Lui-même les a franchis ; il se tient au-delà. Il possède la wakanya wowanyanke, ou grande vision.

    Le wicasa wakan tient à être seul. Il veut demeurer wicasa à l'écart de la foule et des affaires au jour le jour. Il se plaît à méditer, appuyé à un tronc d'arbre ou contre un rocher, sentant la terre bouger sous ses pieds, sentant au-dessus de lui la pesanteur du grand ciel enflammé. C'est dans de telles conditions qu'il peut se représenter comment va le monde. Les yeux fermés, il distingue, claire­ment, bien des phénomènes. Seule compte sa vision inté­rieure du monde.

    Le wicasa wakan aime le silence ; il s'enveloppe en lui comme dans une couverture — un silence lourd, avec une voix semblable au tonnerre, qui l'entretient de nombreux sujets. Un tel homme se complaît en un lieu où l'on n'entend rien, que le bourdonnement des insectes. Il s'assied face à l'occident, implorant une aide. Il parle aux plantes et elles lui répondent. Il écoute les voix des wama kâskan — celles de toutes les créatures animales de la surface de la terre. Il est à l'unisson avec elles. De tous les êtres vivants, une émanation incessante le gagne et il transmet cette force. Je ne peux dire d'où elle vient ni en quoi elle consiste mais il en est ainsi. Et je sais ce dont je parle.

    sans-titre.pngOn devient un pejuta wicasa, un voyant-guérisseur, parce qu'un rêve vous dit de l'être. Aucun homme ne rêve de cures et de remèdes. Vous pratiquez seulement dans les domaines où vous vous sentez les capacités voulues. Ce n'est pas là un don hérité ; vous travaillez pour l'acquérir, vous jeûnez, vous recourez aux rêves, mais pas toujours avec succès. Il est vrai qu'il y a dans certaines familles des lignées de bons voyants-guérisseurs, et c'est fort utile de compter parmi ses parents un saint homme qui vous enseigne et s'efforce de vous communiquer ses pouvoirs. Fort utile, mais pas toujours. Les guérisseurs ne sont pas des chevaux — pas une race d'élevage.

    Pour être voyant-guérisseur, il faut cultiver les facultés de voyance dans la nature. De l'occident, se propage le pouvoir du bison. Du nord, le voyant-guérisseur reçoit le pouvoir des êtres qui sont dans le tonnerre. De l'orient, celui de l'esprit du cheval et de l'élan. Le sud, lui, transmet le pouvoir qui s'attache aux spectres. Du ciel au-dessus de lui, il accueillera la sagesse du grand aigle. De la terre au-dessous de lui, la nourriture de la mère. C'est la façon de devenir un wicasa wakan, d'apprendre le langage secret, de parler du sacré, de se servir des pierres et des herbes, et du calumet. »

     

    Lame deer seeker of visions, Taca Ushte et Richard Erdoes (Pocket, 1986)

     

     

     

     

     

  • Hard to Be a God - Alexeï Guerman (2014)

    C'est l'adaptation du roman du même nom d'Arcadi et Boris Strougatski paru en 1964. De la science-fiction médiévale, le chef d'oeuvre posthume d'Alexeï Guerman, un ovni incompréhensible au premier abord, à la limite du regardable, grotesque, répugnant, grandiose...

     

     

     

     

     

     

  • André Laude


     

    Elle a labouré ma terreur
    de ses joies d'écolière. De ses silences d'aubes
    avec ses dents de louve affamée
    elle a arraché les herbes malades
    Elle a tonné dans ma voix
    Elle a brûlé mes champs de caillasses maigres
    Elle a fouetté la pierre fiévreuse de l'errance
    et déchiré la gorge du rat de peste
    Elle a semé les graines solaires dans les sillons
    farouche de mes larmes

     

    in 19 lettres brèves à Nora Nord

  • Revue Nouveaux Délits - édito du numéro 50

    Scan small.jpg

     

    J’ai trop lu de poésie. Combien de fois le mot étoile, le mot lumière, le mot liberté ? Combien de fois l’amour, l’automne et la beauté ? Le souffle, la source et la vérité. Ces mots qui tournent dans une ronde folle, passent de bouche en bouche, de feuille en feuille. Combien de fois le feu et la fumée ? Les mots sont vains. Ce qui reste de la poésie quand on se tait, voilà sans doute, une question qui mériterait d’être posée. Que serait le poète sans les mots ? Un cœur palpitant arraché d’une poitrine, un sexe turgescent, une fontaine au creux d’une ravine ? Un soleil plongeant dans l’obscur des océans ? Que serait le poète sans ses mots, le peintre sans sa peinture ? Voilà ce qui m’intéresse aujourd’hui.

    Cg, extrait de À la loupe

     

     

     

    Évoquée par Basarab Nicolescu dans Nous, la particule et le monde, l'observation faite par le mathématicien français Jacques Hadamard sur la genèse de la création scientifique n'est pas sans évoquer la genèse de la création poétique. "Les mots, dit-il, sont totalement absents de mon esprit quand je pense réellement". Il est soudainement habité par une intuition sans mots. De son côté, Einstein dit ceci : "Les mots et le langage, écrits ou parlés, ne semblent pas jouer le moindre rôle dans le mécanisme de ma pensée". (…) La poésie ne travaille pas dans un champ clos, même si le langage est en lui-même un champ clos indéfini. Que sait-on de l'origine du langage ? Rien. La poésie est d'abord vécue dans une sorte de perception sans forme, silencieuse, mais illuminative. Ce n'est pas un savoir, c'est autre chose, c'est l'intuition donatrice originaire que l'espace de la poésie est infini, sans nom et sans fond, donc bien plus "fondamental" que n'importe quel niveau de réalité. Le paradoxe de la poésie c'est de faire allusion à la transparence de l'infini dans le fini avec-et-contre les mots de la tribu. Le champ de conscience de la poésie, c'est l'infiniment ouvert à l'intérieur de la langue comme un "trou" dans la langue.

    Michel Camus

    in Transpoétique. La main cachée entre poésie et science

     

    http://larevuenouveauxdelits.hautetfort.com/