Babouillec - Algorythme éponyme et autres textes
Je viens enfin de terminer un livre de Babouillec. En fait, je ne savais pas exactement ce que j'allais lire, mais je savais que ce serait une claque et puis au final c'est une formidable résonance, je retrouve tellement de mes propres ressentis, de mes questionnements, mes révoltes même, dans ses mots, que je me dis que moi aussi je dois être autiste, camouflée derrière une apparente normalité et que nous sommes même peut-être tous des autistes plus ou moins intégrés dans la normalité, et alors la question s'impose : qu'est ce que ça veut dire "être normal" ? La question que nous posent, parfois comme un flingue sur la tempe, tous les dits "anormaux", tous les "différents", peut-être pour nous montrer à quel point nous sommes éloignés, coupés de nous-mêmes, de notre être véritable, unique et extraordinaire dans son anormalité.
Qu'est ce que ça veut dire "être normal" ?
C'est la question qui vient nous remettre en question justement, qui vient nous réveiller. Une question qui dérange notre sommeil, une sorte de sommeil collectif hypnotique.
Dans la folie de l’obéissance d’être en vie, j’accuse l’infinie gourmandise jubilatoire de mon cerveau, de m’inonder du désir impalpable de jouer avec les lettres et raconter l’invisible qui vit en moi.
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L’enjeu systématique de l’appartenance sociale inhibe ta résonance au monde, à toi-même, à elle-même. (…) Fantômes itinérants et sans bagages, les corps s’alignent sur le modèle disponible.
Je suis arrivée dans ce jeu de quille comme un boulet de canon, tête la première, pas de corps aligné, des neurones survoltés, une euphorie sensorielle sans limites. Les oreilles stand-by à la jacasserie humaine, les mains et les pieds sens dessus dessous, les yeux dans les yeux de moi-même. Modèle dispersé, gratuitement mis au monde par besoin de casser la mécanique culturelle.
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Le regard des autres : à qui devons nous appartenir ressembler (…) Quality Street boulevard de notre déambulation linéaire alignés docilement par peur du vide. Ronde infernale high Tech ces rencontres compulsives moulinées dans nos boites à dialogue sous haute surveillance.
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On décore mal le paysage, jamais à la bonne place, dans la bonne attitude, bonne posture, bonne gueule de l’emploi. (…) Sortons les handicapés dans la rue et faisons une grande fresque vivante.
Nous ne sommes pas des anges, la preuve, nous n’avons pas deux ailes pour fuir ce monde hostile.
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Il faut se souvenir que nous ignorons l’origine du bing bang cellulaire.
Apocalyptique pari illicite, cet éclatement des éléments pour fabriquer la mécanique humaine obsolète sous Prozac.
Babouillec, alias Hélène Nicolas, jeune femme née autiste sans parole, en 1985. Diagnostiquée « déficitaire à 80 % », jamais scolarisée, son habileté motrice est insuffisante pour écrire, elle est enfermée dans le silence. Hélène a intégré vers l’âge de huit ans une institution médico-sociale qu’elle quitte en 1999. À partir de cette date, elle suit un programme de stimulations neurosensorielles accompagné d’activités artistiques et corporelles au domicile familial – un travail quotidien partagé entre Hélène et sa maman. Au bout de vingt ans, elle réussit, grâce et avec le soutien de sa mère, à écrire à l’aide de lettres en carton déposées sur une feuille blanche et toute la richesse de son être et ses talent se révèlent. Plusieurs livres sont alors publiés, des pièces sont mises en scène. En 2016, Julie Bertucelli sort un documentaire sur Babouillec : Dernières nouvelles du cosmos.
Bande annonce : https://www.youtube.com/watch?v=SkHtzY-9DEs
Entretien avec Julie Bertucelli : https://www.youtube.com/watch?v=2NMFWE1gtf8