Jacques Roumain
Il y a les affaires du ciel et les affaires de la terre : ça fait deux et ce n'est pas la même chose. Le ciel, c'est le pâturage des anges ; ils sont bien heureux ; ils n'ont pas à prendre soin du manger et du boire. Et sûrement qu'il y a des anges nègres pour faire le gros travail de la lessive des nuages ou balayer la pluie et mettre la propreté du soleil après l'orage, pendant que les anges blancs chantent comme des rossignols toute la sainte journée ou bien soufflent dans de petites trompettes comme c'est marqué dans les images qu'on voit dans les églises.
Mais la terre, c'est une bataille jour pour jour, une bataille sans repos : défricher, planter, sarcler, arroser, jusqu'à la récolte, et alors tu vois ton champ mûr couché devant toi le matin, sous la rosée, et tu dis : moi untel, gouverneur de la rosée et l'orgueil entre dans ton cœur. Mais la terre est comme une bonne femme, à force de la maltraiter, elle se révolte : j'ai vu que vous avez déboisé les mornes. la terre est toute nue et sans protection. Ce sont les racines qui font amitié avec la terre et la retiennent : ce sont les manguiers, les bois de chênes, les acajous qui lui donnent les eaux des pluies pour sa grande soif et leur ombrage contre la chaleur du midi. C'est comme ça et pas autrement, sinon la pluie écorche la terre et le soleil l'échaude : il ne reste plus que les roches.
in Gouverneurs de la rosée, 1944