Daniel Birnbaum - L'instant malgache
Un magnifique livre de Daniel Birnbaum, autant ses texte que ses photos, paru aux éd. Jacques Flament en novembre 2020. Tous deux nous ont quitté depuis et ce n'est pas sans émotion que j'ai plongé avec beaucoup de retard dans ce très émouvant témoignage d'un homme, Humain avec un très grand H, dont la vocation était de guérir les autres avec une humilité rare. Je connaissais déjà une partie des poèmes pour en avoir publié dans ma revue en 2018 (numéro 60), celui-ci par exemple :
Les ongles
La petite
toute belle toute fine
elle a des ongles peints
au feutre noir
il n’y a pas de vernis dans ce pays
il a été gratté depuis bien longtemps
elle a les pieds infectés
suintants
sanguinolents
il faudrait les mettre à l’abri de la poussière
de la boue des ordures des mouches
mais il fait trop chaud dans ce pays
elle marche pieds nus
elle a les ongles peints
et le feutre s’usera
lui aussi très vite.
Un des poèmes que j'avais publié ne figure pas dans le livre et la fin d'un autre a été modifiée, cette modification me touche car à elle seule, elle dit tout :
"l’heure viendra-t-elle un jour
une heure dans ce pays
où l’on pourra dire enfin au lieu de faim ?"
qui est devenu dans le livre "où l'on pourra dire enfin au lieu de fin".
En ce moment, la jeunesse de Madagascar, île tellement sacrifiée, se soulève comme une marée montante contre les inégalités, injustices, corruptions, coupures d'eau et de courant et, fait peu commun, les militaires envoyés contre eux, ont lâché leurs armes, Daniel aurait apprécié ce geste sans aucun doute. Aussi ce livre prend une dimension intemporelle, l'instant malgache est de tous les instants.
Daniel a présenté son livre ainsi :
Pourquoi L’instant malgache ?
Malgache parce qu’il s’agit de Madagascar, une petite partie seulement, de Tananarive, la capitale, à Majunga, sur la côte Nord-Ouest.
L’instant, parce que sur la Grande Île la plupart des gens vivent au jour le jour.
Et accessoirement parce que les photos, prises sans grande technique et livrées ici sans grandes retouches, sont des instantanés. On pourrait dire que les poèmes, comme les photos, sont également bruts.
Daniel Birnbaum, né en 1953, était médecin-chercheur à Marseille, biologiste moléculaire, directeur de recherche à l'Inserm et vivait près d'Aix-en-Provence. Il a aussi vécu en Creuse et en gardait des souvenirs très forts. Il a beaucoup écrit les quinze dernières années de sa vie, publié une vingtaine de recueils de poésies, essai, nouvelles, romans chez plusieurs éditeurs (Jacques Flament, P.i.sage intérieur, Voix tissées, Unicité...). Il m'avait demandé d'écrire la présentation de son polder chez Décharge/Gros Textes, "Monde, j'aime ce monde" (2015). Il a aussi publié chez L'Harmattan dans la collection éthique et pratique médicale, un livre qui relate la vie d'un laboratoire, l'avènement de l'oncologie moléculaire à l'hôpital et le développement de la médecine personnalisée. Il y évoque les difficultés, les problèmes, les choix, les défis, mais aussi les accomplissements de cette discipline. On peut lire l'hommage de l'INSERM ici et mesurer l'humilité vraiment exceptionnelle de cet homme qui jamais ne mettait en avant quoi que ce soit de lui-même : https://pro.inserm.fr/daniel-birnbaum-une-vie-de-passion-et-dengagement-au-service-de-la-recherche-contre-le-cancer
Daniel nous a quitté en août 2024, ce fut un grand choc de l'apprendre. Laurent Bouisset m'a proposé de lui dédier (à lui et à un photographe mexicain) le dernier numéro de la revue Nouveaux Délits, le 82 paru ce mois-ci, un spécial Mexique et Guatemala que nous avons réalisé ensemble. Daniel, avec sa grande ouverture aux autres, appréciait énormément l'intense travail de traduction des poètes contemporains latino-américains auquel s'adonne inlassablement Laurent.
Qui va s'élever un jour
qui va gronder
bousculer
taper du poing
sur cette putain de face du destin
mille fois vendue
qui sera un jour peut-être
comme les vagues
qui obéissent au rythmes
mais ignore le destin
qui sera un jour...
in L'instant malgache, Jacques Flament éd., 2020