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Rouge de soi de Babouillec

 

 

Rivages éd., mars 2018

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142 pages, 15 €.

 

Expérience d’immersion totale, Babouillec nous offre avec son Rouge de soi, un roman spirale qui nous entraîne dans son tourbillon jusqu’au centre, là où l’auteur ne fait plus qu’un avec son personnage. Éloïse Othello est un alter ego plus intégré, indépendant, autonome à qui l’auteur peut confier ce qui se trouve à l’intérieur d’elle-même, au plus rouge de soi, au cœur de l’être : ses rêves, ses élans, ses désirs, sa liberté de voir, de penser, de bouger, ses profonds questionnements existentiels. Éloïse Othello danse, a des amis, des projets, des poids et des peurs aussi dont elle veut se libérer en suivant une thérapie. Elle est perçue comme différente mais c’est une nana qui rebondit. Cependant, plane sur elle une peur ultime et on ne peut s’empêcher de frissonner en lisant ceci parce qu’on comprend à quel point l’auteur est tout près derrière ces mots-là :

« Entrer dans la confusion de l’amour et de la folie est ordinaire dans ce monde qui bombarde nos vies de slogans ordinaires, un amour fou, fou d’amour. Alors pour une personne traquée par la folie depuis son enfance, l’amour est synonyme de piège. Sa vie a pris des allures d’animal traqué. Pour dominer ses peurs, pour chasser ses angoisses, elle se réfugie dans ses entrailles où elle devient son ombre, une zombie sociale hantée par une peur ultime, la folie, l’enfermement. »

Il y a de l’autofiction dans Rouge de soi car si on a lu Algorithme éponyme et autres textes, on ne peut que reconnaître Babouillec à travers Miss Othello, sa vision juste, percutante, inédite, aiguisée et brillante du monde et de l’humain, un monde dans lequel son personnage aussi doit se battre pour trouver sa place.

« Le mécanisme de la survie de l’espèce humaine tisse habilement sa toile, le piège se referme rapidement et commence l’ascension sociale. Un peu comme les montagnes russes, on monte et on descend. »

La danse pour Éloïse Othello, qui se perçoit comme nomade sociale et sauvagement mutante, c’est comme les mots pour Babouillec, ils permettent d’échapper à la pesanteur, à la solitude, à l’angoisse, à la sensation d’enfermement, aux difficultés des relations humaines.

« Donner une définition de l’être en soi, sans déborder sur la ligne rouge du boulevard de l’autre, est un exercice compliqué. Nous mordons la poussière à pleines mâchoires de jour comme de nuit pour mettre la mécanique de l’existence sur les rails. »

Éloïse Othello s’interroge beaucoup, son cerveau bouillonne en permanence, la fragilise, et l’écriture devient alors pour elle aussi l’issue de secours : « Avec l’écriture, j’ai enfin trouvé un moyen de me raconter sans parler de moi. »

Rouge de soi n’est pas un roman comme les autres et ici ce n’est pas juste une formule, dans sa structure même, il est différent, déstabilisant. Une expérience vraiment étonnante car à la fois étrange et terriblement familière. L'écriture offre à Babouillec la possibilité de s’exprimer et elle le fait dans une quasi totale liberté, détachée des règles, des normes, des habitudes du genre, le résultat est inclassable, unique, plein de fraîcheur, de poésie et d’humour.

« Marcher à contre-courant de la culture établie donne du fil à détordre, des nœuds à l’estomac, des cheveux en pétard, une vie dépareillée. »

Le simple fait que ce roman existe est un merveilleux pied de nez justement à tout ce qui voudrait nous enfermer dans des cases et des limites.

« Rouge comme les interdits, le sang, l'intimité, l'émotion suprême, la timidité, le dépassement de soi dans la profondeur de l'identité, le carrefour des sens interdits. »

Rouge de soi, d’émotion et de plaisir.

 

Cathy Garcia

 

SI_6170701_1.jpgBabouillec, alias Hélène Nicolas, jeune femme née autiste sans parole, en 1985. Diagnostiquée « déficitaire à 80 % », jamais scolarisée, son habileté motrice est insuffisante pour écrire, elle est enfermée dans le silence. Hélène a intégré vers l’âge de huit ans une institution médico-sociale qu’elle quitte en 1999. À partir de cette date, elle suit un programme de stimulations neurosensorielles accompagné d’activités artistiques et corporelles au domicile familial – un travail quotidien partagé entre Hélène et sa maman. Au bout de vingt ans, elle réussit, grâce et avec le soutien de sa mère, à écrire à l’aide de lettres en carton déposées sur une feuille blanche et toute la richesse de son être et ses talent se révèlent. Plusieurs livres sont  alors publiés, des pièces sont mises en scène. En 2016, Julie Bertucelli sort un documentaire sur Babouillec : Dernières nouvelles du cosmos.

 

Bande annonce : https://www.youtube.com/watch?v=SkHtzY-9DEs

Entretien avec Julie Bertucelli : https://www.youtube.com/watch?v=2NMFWE1gtf8

 

 

 

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