Vincent Breton - Ne m'étiquette pas !
"Ne m’étiquette pas ! Je ne suis pas celui que tu crois et peut-être que sur ma tête ne tiennent pas les étiquettes que tu aurais voulu poser. Je ne dis pas ça pour m’opposer, mais parce que pas plus que tu ne m’appartiens, je ne t’appartiens. Mais s’il est vrai qu’il ne faut pas se laisser définir par autrui, il faut aussi oser dépasser ses propres auto-représentations nourries souvent de nos biais cognitifs…
C’est quoi la norme ?
Petit garçon, il fallait être baptisé, faire son catéchisme, aimer ses parents, travailler pour avoir des bons points.
Je n’étais pas baptisé. Pour certains copains dans la cour de l’école, c’était impossible. Je serais mort. Ils demandèrent l’avis du « meilleur de la classe » qui réfléchit longuement à la question, me fixa et prononça (véridique) son avis d’expert : « non, c’est possible, mais il ira en enfer ! »
J’avais beau revendiquer à huit ans ne pas croire en Dieu, la menace pesait sourdement sur mon destin. Pire encore, mes parents étaient divorcés – à l’époque c’était rare- et j’avais, comble de la subversion, avoué publiquement détester mon père. Cela choquait mais je ne pouvais révéler ce qu’il avait pu faire sous mes yeux à ma mère ou plus tard à ma sœur. Une petite voix en moi, celle de l’injustice, fit de moi un petit garçon qui ne voudrait jamais s’identifier au patriarcat, même si je ne savais pas dire ce que c’était.
Au collège, j’étais bon à l’écrit. Alors il « fallait » que je ne sois pas matheux. Au lycée, une professeure écrivit : « aime l’Histoire, n’aime pas la géographie« . Que devais-je faire avec cette sentence ? Pourtant, j’aimais beaucoup la géographie…
Fonctionnaire on m’accorda le sérieux de la fonction publique. Il fallait pour être engagé que le maire signe « un certificat de bonne moralité ». Je me conformai donc au risque de mettre en tension certains aspects de ma vie qu’il convenait de dissimuler alors qu’ils n’avaient rien de répréhensibles : « cache tes sentiments amoureux. »
Il me fallut quitter l’étroitesse d’esprit des campagnes d’alors pour me « libérer » dans la capitale. Mais la « tolérance » vous colle des étiquettes sur le front. Je fus présenté aux diners amicaux de l’une de mes tantes adorées, comme son « neveu gay ». Ça partait d’une bonne intention, ça faisait bien dans le décor des années quatre-vingts, mais je me sentais réduis à mes préférences amoureuses dans des sous entendus parfois à la limite du graveleux.
Plus tard encore, en charge d’une fonction administrative, on me prêta un pouvoir dont je ne disposais pas et même de revenus qui ne me furent jamais dévolus. On s’imaginait que j’étais forcément du côté « du ministre » ou que j’avais trahi ma classe pour quelques honneurs…
Retraité – quel mot englobant et réducteur- on m’imagina éclusant ma vie en loisirs sans fin dormant sur un matelas de billets. Billevesées bien sûr ! Et parfois, il m’est arrivé, il m’arrive encore, de me glisser dans le paysage en portant l’uniforme tranquille qui permettra que mon rôle social se trouve identifié et que « ça passe » en discrétion…"
(...)
Un texte très intéressant et très juste qui résonne pour moi, à lire dans son intégralité (important) sur le blog de l'auteur : https://vincentbreton.fr/ne-metiquette-pas/