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  • Marc Moulin

     

    Je nous vois déjà dans 20 ans. Tous enfermés chez nous. Claquemurés (j’adore ce verbe, et ce n’est pas tous les jours qu’on peut le sortir pour lui faire faire un petit tour). Les épidémies se seront multipliées: pneumopathie atypique, peste aviaire, et toutes les nouvelles maladies. Et l’unique manière d’y échapper sera de rester chez soi. Et puis il y aura toujours plus de menaces extérieures: insécurité, vols, attaques, rapts et agressions — puisqu’on aura continué de s’acharner sur les (justes) punitions en négligeant les (vraies) causes. Et le terrorisme, avec les erreurs à répétition des Américains, sera potentiellement à tous les coins de rues. La vie de « nouveaux prisonniers » que nous mènerons alors sera non seulement préconisée, mais parfaitement possible, et même en grande partie très agréable. Grâce au télé-travail qui nous permettra de bosser à la maison tout en gardant les enfants (qui eux-mêmes suivront l’école en vidéo-conférence). Grâce à Internet qui nous épargnera bien des déplacements: on n’aura plus besoin ni de poster les lettres, ni d’acheter un journal « physique », ni d’aller faire la file dans les administrations. (…). Dans les rues, il ne restera plus que des chiens masqués qui font seuls leur petite promenade (pas de problème, sans voitures), et du personnel immigré sous-payé en combinaison étanche, qui s’occupera de l’entretien des sols et des arbres. D’autres s’occuperont de la livraison de notre caddy de commandes à domicile. Alors nous aurons enfin accompli le dessein de Big Brother. Nous serons des citoyens disciplinés, inoffensifs, confinés, désocialisés. Nous serons chacun dans notre boîte. Un immense contingent de «je», consommateurs inertes. Finie l’agitation. Finie la rue.

     

    dans sa rubrique « Humoeurs » (TéléMoustique), 2003

     

    Marc Moulin, né le 16 août 1942 et mort le 26 septembre 2008, pianiste, compositeur, animateur et producteur radio, humoriste, chroniqueur et touche-à-tout belge.

     

     

  • Alain Etchepare - de la série La thébaïde

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    Thébaïde

     

    Elle est entrée en silence comme dans un bain d’huiles, quand les parfums se font médecine. Elle est entrée en silence et n’en est plus ressortie. Certains disent qu’elle s’est noyée, d’autres — mauvaises langues —, que le bain a refroidi. Tout cela est faux. Elle est entrée en silence et elle y a découvert un vaste univers, nul besoin de revenir puisque elle n’est même pas partie. Elle est simplement entrée. Entrée en silence. Les pieds léchés par les vagues, la place immense où il ne fait jamais nuit, pas plus que jour d’ailleurs, il y fait seulement un léger, un merveilleux, un dense silence. Elle y est entrée comme on entre dans son lit, comme on glisse en soi. Elle n’est pas partie. Elle est là, minuscule et immense, en silence.

     

    cg in Le baume, le pire et la quintessence

     

     

     

     

     

     

     

  • Rainer Maria Rilke

     
    La Panthère
     
    (Jardin des Plantes, Paris)
     
    Son regard du retour éternel des barreaux
    s’est tellement lassé qu’il ne saisit plus rien.
    Il ne lui semble voir que barreaux par milliers
    et derrière mille barreaux, plus de monde.
     
    La molle marche des pas flexibles et forts
    qui tourne dans le cercle le plus exigu
    paraît une danse de force autour d’un centre
    où dort dans la torpeur un immense vouloir.
     
    Quelquefois seulement le rideau des pupilles
    sans bruit se lève. Alors une image y pénètre,
    court à travers le silence tendu des membres -
    et dans le cœur s’interrompt d’être.
     
     
    traduction Claude Vigée
     
     
     

  • Narki Nal

     

    L’animal en soi sommeille
    On le dit
    Mais l’animal en moi est éveillé
    Je vibre aux odeurs de terre mouillée
    Je hume la mer d’aussi loin que le chien hume sa pâtée
    Nulle fleur odorante ne passe inaperçue 
    Ma peau est sensible aux alizés
    J’entends la petite vie qui grouille, sable ou gravier
    Humus, lichen, pourriture organique
    Je vois la douceur tendre du vert des jeunes pousses
    Les feuillages éclaboussent ma rétine
    Les pétales blancs ou pastel y impriment leur pointillisme
    Toute bête qui croise mon chemin me rend l’extase des lointains jours d’avant
    D’avant que ne se séparent femmes et femelles

     

    in Animalité