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  • Nâzim Hikmet - La plus drôle des créatures - 1948

     

    Comme le scorpion, mon frère,
    tu es comme le scorpion
    dans une nuit d’épouvante.

    Comme le moineau, mon frère,
    tu es comme le moineau
    dans ses menues inquiétudes.

    Comme la moule, mon frère,
    tu es comme la moule
    enfermée et tranquille.

    Tu es terrible, mon frère,
    comme la bouche d’un volcan éteint.

    Et tu n’es pas un, hélas,
    tu n’es pas cinq,
    tu es des millions.

    Tu es comme le mouton, mon frère,
    quand le bourreau habillé de ta peau,
    quand le bourreau lève son bâton
    tu te hâtes de rentrer dans le troupeau
    et tu vas à l’abattoir en courant, presque fier.

    Tu es la plus drôle des créatures, en somme,
    plus drôle que le poisson
    qui vit dans la mer sans savoir la mer.

    Et s’il y a tant de misère sur terre,
    c’est grâce à toi, mon frère.
    Si nous sommes affamés, épuisés,
    si nous sommes écorchés jusqu’au sang,
    pressés comme la grappe pour donner notre vin,
    irai-je jusqu’à dire que c’est de ta faute ? Non,
    mais tu y es pour beaucoup, mon frère.

     

    Traduit par Hasan Gureh

     

     

     

     

  • Karim Akouche - Lettre ouverte à un soldat d’Allah - Arrête de m’appeler « frère »!



    122179288_1542107332639177_7883627901685424794_o.jpgPrépare ta valise. Achète un billet. Change de pays. Cesse d’être schizophrène. Tu ne le regretteras pas. Ici, tu n’es pas en paix avec ton âme. Tu te racles tout le temps la gorge. L’Occident n’est pas fait pour toi. Ses valeurs t’agressent. Tu ne supportes pas la mixité. Ici, les filles sont libres. Elles ne cachent pas leurs cheveux. Elles portent des jupes. Elles se maquillent dans le métro. Elles courent dans les parcs. Elles boivent du whisky. Ici, on ne coupe pas la main au voleur. On ne lapide pas les femmes adultères. La polygamie est interdite. C’est la justice qui le dit. C’est la démocratie qui le fait. Ce sont les citoyens qui votent les lois. L’État est un navire que pilote le peuple. Ce n’est pas Allah qui en tient le gouvernail.

    Tu pries beaucoup. Tu tapes trop ta tête contre le tapis. C’est quoi cette tache noire que tu as sur le front ? Tu pousses la piété jusqu’au fanatisme. Des poils ont mangé ton menton. Tu fréquentes souvent la mosquée. Tu lis des livres dangereux. Tu regardes des vidéos suspectes. Il y a trop de violence dans ton regard. Il y a trop d’aigreur dans tes mots. Ton cœur est un caillou. Tu ne sens plus les choses. On t’a lessivé le cerveau. Ton visage est froid. Tes mâchoires sont acérées. Tes bras sont prêts à frapper. Calme-toi. La violence ne résout pas les problèmes.

    Je sais d’où tu viens. Tu habites trop dans le passé. Sors et affronte le présent. Accroche-toi à l’avenir. On ne vit qu’une fois. Pourquoi offrir sa jeunesse à la perdition? Pourquoi cracher sur le visage de la beauté?

    Je sais qui tu es. Tu es l’homme du ressentiment. La vérité est amère. Elle fait souvent gerber les imbéciles. Mais aujourd’hui j’ai envie de te la dire. Quitte à faire saigner tes yeux.

    Ouvre grand tes tympans. J’ai des choses à te raconter. Tu n’as rien inventé. Tu n’as rien édifié. Tu n’as rien apporté à la civilisation du monde. On t’a tout donné : lumière, papier, pantalon, avion, auto, ordinateur… C’est pour ça que tu es vexé. La rancœur te ronge les tripes.

    Gonfle tes poumons. Respire. La civilisation est une œuvre collective. Il n’y a pas de surhomme ni de sous-homme. Tous égaux devant les mystères de la vie. Tous misérables devant les catastrophes. On ne peut pas habiter la haine longtemps. Elle enfante des cadavres et du sang.

    Questionne les morts. Fouille dans les ruines. Décortique les manuscrits. Tu es en retard de plusieurs révolutions. Tu ne cesses d’évoquer l’âge d’or de l’islam. Tu parles du chiffre zéro que tes ancêtres auraient inventé. Tu parles des philosophes grecs qu’ils auraient traduits. Tu parles de l’astronomie et des maths qu’ils auraient révolutionnées. Tant de mythes fondés sur l’approximation. Arrête de berner le monde. Les mille et une nuits est une œuvre persane. L’histoire ne se lit pas avec les bons sentiments. Rends à Mani ce qui appartient à Mani et à Mohammed ce qui découle de Mohammed. Cesse de te glorifier. Cesse de te victimiser. Cesse de réclamer la repentance. Ceux qui ont tué tes grands-parents sont morts depuis bien longtemps. Leurs petits-enfants n’ont rien à voir avec le colonialisme. C’est injuste de leur demander des excuses pour des crimes qu’ils n’ont pas commis.

    Tes ancêtres ont aussi conquis des peuples. Ils ont colonisé les Berbères, les Kurdes, les Ouzbeks, les Coptes, les Phéniciens, les Perses… Ils ont décapité des hommes et violé des femmes. C’est avec le sabre et le coran qu’ils ont exterminé des cultures. En Afrique, ils étaient esclavagistes bien avant l’île de Gorée.

    Pourquoi fais-tu cette tête ? Je ne fais que dérouler le fil tragique du récit. Tout est authentique. Tu n’as qu’à confronter les sources. La terre est ronde comme une toupie, même s’il y a un hadith où il est écrit qu’elle est plate. Tu aurais dû lire l’histoire de Galilée. Tu as beaucoup à apprendre de sa science. Tu préfères el-Qaradawi. Tu aimes Abul Ala Maududi. Tu écoutes Tarik Ramadan. Change un peu de routine. Il y a des œuvres plus puissantes que les religions.

    Essaie Dostoïevski. Ouvre Crime et châtiment. Joue Shakespeare. Ose Nietzche. Quand bien même avait-il annoncé la mort de Dieu, on a le droit de convier Allah au tribunal de la raison. Il jouera dans un vaudeville. Il fera du théâtre avec nous. On lui donnera un rôle à la hauteur de son message. Ses enfants sont fous. Ils commettent des carnages en son nom. On veut l’interroger. Il ne peut pas se dérober. Il doit apaiser ses textes.

    Tu trouves que j’exagère ? Mais je suis libre de penser comme tu es libre de prier. J’ai le droit de blasphémer comme tu as le droit de t’agenouiller. Chacun sa Mecque et chacun ses repères. Chacun son dieu et à chaque fidèle ses versets. Les prophètes se fustigent et la vérité n’est pas unique. Qui a raison et qui a tort ? Qui est sot et qui est lucide ? Le soleil est assez haut pour nous éclairer. La démocratie est assez vaste pour contenir nos folies.

    On n’est pas en Arabie saoudite ni au Yémen. Ici, la religion d’État, c’est la liberté. On peut dire ce qu’on pense et on peut rire du sacré comme du sacrilège. On doit laisser sa divinité sur le seuil de sa demeure. La croyance, c’est la foi et la foi est une flamme qu’on doit éteindre en public.

    Dans ton pays d’origine, les chrétiens et les juifs rasent les cloisons. Les athées y sont chassés. Les apostats y sont massacrés. Lorsque les soldats d’Allah ont tué les journalistes, tes frères ont explosé de joie. Ils ont brûlé des étendards et des bâtiments. Ils ont appelé au djihad. Ils ont promis à l’Occident des représailles. L’un d’eux a même prénommé son nouveau-né Kouachi.

    Je ne comprends pas tes frères. Il y a trop de contradictions dans leur tête. Il y a trop de balles dans leurs mitraillettes. Ils regardent La Mecque, mais ils rêvent de Hollywood. Ils conduisent des Chrysler. Ils chaussent des Nike. Ils ont des IPhone. Ils bouffent des hamburgers. Ils aiment les marques américaines. Ils combattent « l’empire », mais ils ont un faible pour ses produits.

    Et puis, arrête de m’appeler « frère ». On n’a ni la même mère, ni les mêmes repères. Tu t’es trop éloigné de moi. Tu as pris un chemin tordu. J’en ai assez de tes fourberies. J’ai trop enduré tes sottises. Nos liens se sont brisés. Je ne te fais plus confiance. Tu respires le chaos. Tu es un enfant de la vengeance. Tu es en mission. Tu travailles pour le royaume d’Allah. La vie d’ici-bas ne t’intéresse pas. Tu es quelqu’un d’autre. Tu es un monstre. Je ne te saisis pas. Tu m’échappes. Aujourd’hui tu es intégriste, demain tu seras terroriste. Tu iras grossir les rangs de l’État Islamique.

    Un jour, tu tueras des innocents. Un autre, tu seras un martyr. Puis tu seras en enfer. Les vierges ne viendront pas à ton chevet. Tu seras bouffé par les vers. Tu seras dévoré par les flammes. Tu seras noyé dans la rivière de vin qu’on t’a promise. Tu seras torturé par les démons de ta bêtise. Tu seras cendre. Tu seras poussière. Tu seras fiente. Tu seras salive. Tu seras honte. Tu seras chien. Tu seras rien. Tu seras misère.

    Extrait de Lettre à un soldat d’Allah - Chroniques d’un monde désorienté, Karim Akouche, éd. Écriture (Editions de l'Archipel), Paris, 2018 ; éd. Frantz Fanon, Boumerdès, 2018.

     

     

  • Extinction of the Himba Tribe

     

    Les safaris, les touristes, les "j'ai vécu 24 h avec les Himbas", je me déguise en Himba..... Ils sont beaux, presque encore authentiques bien que photographiés et filmés en permanence, surtout les femmes, pour pouvoir continuer à être ce qu'ils sont, c'est à dire libres et magnifiques, mais au-delà de l'image et du frisson dont les Occidentaux sont friands.... qu'en est-il de l'avenir du peuple Himba ?

     

     

     

  • La chanson de naissance chez les Himbas

     

    Je ne sais pas si c'est vrai, car on trouve ça qui circule sur le net, mais ça me parait absolument vraisemblable et le chant chez tous les peuples autochtones (nous compris, autrefois) est étroitement lié à la naissance, à la vie tout au long et à la mort, sacré et profane ne sont pas séparés.

    Chez le peuple Himba de Namibie, la date de naissance d’un enfant n’est pas comptée depuis sa naissance, ni depuis sa conception, mais depuis le jour où il était une pensée dans l’esprit de sa mère.

    Et quand une femme décide qu'elle aura un enfant, elle s'en va s'asseoir toute seule sous un arbre et elle écoute jusqu'à ce qu'elle puisse entendre le chant de l'enfant qui veut venir. Et après avoir entendu le chant de cet enfant, elle revient vers l'homme qui sera son père et le lui apprendra. Et puis, quand ils font l'amour pour concevoir physiquement l'enfant, ils chantent parfois le chant de l'enfant comme un moyen de l'inviter.

    Et puis, quand la mère est enceinte, la mère enseigne la chanson de cet enfant aux sages-femmes et aux vieilles femmes du village, de sorte que, lorsque l'enfant est né, les vieilles femmes et son entourage chantent la chanson de l'enfant pour l'accueillir. Et ensuite, à mesure que l'enfant grandit, les autres villageois apprennent le chant de l'enfant. Si l'enfant tombe ou se blesse au genou, quelqu'un le relève et lui chante sa chanson. Ou peut-être que l'enfant fait quelque chose de merveilleux ou qu'il passe par les rites de la puberté, puis, pour honorer cette personne, les habitants du village chantent sa chanson.

    Et ça va dans leur vie. Dans le mariage, les chansons sont chantées ensemble. Et enfin, quand cet enfant est allongé dans son lit, prêt à mourir, tous les villageois connaissent son chant et le chantent pour la dernière fois.

     

    Source :

    https://www.beeso.fr/read-blog/257_les-himbas-la-tribu-namibienne-ou-la-date-de-naissance-d-un-enfant-n-est-pas-com.html#

     

     

  • Eva Antonini

    Eva Antonini - Tutt'Art@ - (37).jpg

     

    Le chant de La Vieille

     

    corps tordu

    incendie

    calcinée

    je suis

     

    soumise

    tel fut mon satori

    ma beauté demeure

    hors de ta portée

     

    vie et mort

    j’ai la connaissance

    des profondeurs

    c’est pour cela

    que le serpent m’a aimée

     

    toutes les bêtes

    m’ont apprivoisée

    pattes griffes

    plumes toisons

    ma flèche touche au cœur

    tout prédateur nommé homme

    je règne animale

    sur toute la création

     

    j’ai initié bien des peuples

    qui m’ont nommée lunaire

    de la génisse à la brebis

    pour m’asservir

    nombre de lois

    ont été dictées

    mais joug après joug

    je demeure l’indomptée.

     

    je parle la langue des oiseaux

    qui lisent dans mon cœur

    les mauvais augures

    ne portent pas de plumes

    mais des bâtons cracheurs de feu

    des couteaux et des bombes

     

    au commencement des temps

    j’étais déjà penchée

    sur le berceau de l’humanité

    en moi était contenue

    l’empreinte de toute forme

    et la mémoire des abysses

     

    ma puissance est immense

    je suis la porte des mondes

    je suis le cobra

    prends garde humain

    si tu ne respectes pas l’équilibre

    tu seras balayé pulvérisé

     

    à genoux homme

    ferme les yeux

    ouvre ton cœur

    ton sexe est sacré

    l’as-tu donc oublié ?

     

    allez viens danser avec moi

    sens-tu sous tes pieds

    le frisson des racines ?

    sens-tu le rythme du vent

    les tourbillons de la sève ?

    viens danser avec moi

    viens sentir l’étreinte

    et la lune dans nos veines

     

    je connais les partitions du frisson

    et les passes secrètes

    qui font du plaisir

    un art sacré

     

    je connais les paysages intérieurs

    des quêtes et des illuminations

    vers le nord hypothétique

    je vois au loin sur les plaines

    la lente pérégrination des hommes

     

    pour se connaître

    il leur faut pénétrer la terre

    ériger des totems

    pour ensemencer les cieux

    mais ils se trompent

    et n’encensent

    que faux dieux.

    pour me connaître

    qu’ils suivent la piste

    féline.

     

    ils pourront me trouver aussi

    nue et lisse au creux des pierres

    s’ils posent leur oreille

    contre les os de la terre

    ils entendront battre

    mon cœur

     

    je suis l’innocence faite chair

    mais ne te laisse pas bercer

    par la douceur de mes courbes

    une part de moi ne dort jamais

    sous le regard de l’éveillée

    tu es nu comme un nouveau né

     

    mystère et magie

    art des saltimbanques

    depuis le début des temps

    j’accompagne les nomades

    car mon nom est mouvement

     

    je suis la première et la dernière

    sœur amante mère épouse

    je suis toutes en une

    et une en toutes

    je suis la voie du cœur

    la voix enchanteresse

     

    j’ai pouvoir de vie et de mort

    tant de fois j’ai enfanté les ténèbres

    huilé la nuit de mon corps

    je suis le serpent primordial

    qui enlacera le monde

     

    après tant de siècles à m’humilier

    comprendras-tu enfin ?

     

     

    cg, 2009

    in Universelle