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LA SOURCE ORIGINELLE - Page 20

  • Des astronomes pourraient avoir capturé la toute première image d'un trou noir

     

    Grâce à leur réseau de télescopes, des scientifiques disposent désormais de données qui pourraient ouvrir de nouvelles pistes sur notre compréhension de la gravité.

    De Ron Cowen
     

    C’en est fini pour ce monstre niché dans la voie lactée !

    Après cinq nuits d’observation, les scientifiques auraient mis fin à la traque de ce gouffre gravitationnel sans fond, appelé « trou noir », en lui tirant le portrait pour la toute première fois.

    Plus précisément, le portrait tant attendu est celui d’une région mystérieuse qui enveloppe le trou noir. Appelé « horizon des événements », il s’agit de la frontière au-delà de laquelle rien, pas même la lumière, ne peut échapper à la force de l’objet gargantuesque.

    Alors que la dernière session d’observation a pris fin à 23h22 HNE, Vincent Fish, membre de l’équipe, est assis paisiblement à son bureau à l’Observatoire astronomique du MIT Haysack à Westford, dans le Massachussetts. Cela fait une semaine que Fish est d’astreinte, 24 heures sur 24, 7 jours sur 7, et qu’il dort d’un sommeil agité, son téléphone près de lui, la sonnerie réglée au volume maximum.

    Les toutes dernières données étant parvenues aux observatoires, il a assisté à une profusion de commentaires jubilatoires sur un forum de discussion fréquenté par les radioastronomes et les ingénieurs. Si l’un d’eux a indiqué qu’il s’apprêtait à ouvrir une bouteille de scotch de 50 ans d’âge, un autre a révélé qu’il écoutait les accords triomphants de Bohemian Rhapsody.

    « Je suis ravi et soulagé, et j’ai hâte de m’offrir une bonne nuit de sommeil, » dit Fish.

    Mais ce sentiment de soulagement est teinté d’un soupçon d’appréhension : en effet, traiter une telle quantité de données requiert beaucoup de temps, et l’équipe devra patienter plusieurs mois avant de savoir si leurs efforts auront porté leurs fruits.

    « Même si les premières images ne sont pas très nettes, nous pouvons d’ores et déjà, et pour la première fois, vérifier quelques-unes des prédictions basiques de la théorie de la relativité d’Einstein dans l’environnement extrême d’un trou noir, » explique Heino Falcke, radioastronome à l’Université Radboud de Nimègue aux Pays-Bas.

    Présentée en 1915, la théorie révolutionnaire d’Einstein avance que la matière tord ou courbe la géométrie de l’espace-temps, et que nous faisons l’expérience de cette distorsion par la gravité. L’existence de ces trous noirs particulièrement massifs était l’une des prévisions de la théorie d’Einstein.

    « Ils sont les extrémités suprêmes de l’espace-temps et pourraient représenter l’ultime limite de notre connaissance, » dit Falcke. Cependant, les astronomes ne possèdent que la preuve circonstancielle qu’ils sont dissimulés au cœur de chaque grande galaxie de l’univers. Einstein lui-même avait des doutes sur leur existence.  

    Grâce aux premières images, « les trous noirs qui jusqu’ici n’étaient qu’un mythe, deviendront quelque chose de concret que nous pourrons étudier, » dit Fish.

     

    Une image prise à partir du télescope spatial Hubble montre des jets de particules à grande vitesse déversées par le trou noir géant, au cœur de la galaxie..jpg

     

    Une image prise à partir du télescope spatial Hubble montre des jets de particules à grande vitesse déversées par le trou noir géant, au cœur de la galaxie.

    SURVEILLER LA MÉTÉO : UNE TÂCHE ARDUE

    Il s’agit de l’aboutissement de plusieurs années de planification et de coopération entre des partenaires internationaux au sein d’observatoires répartis aux quatre coins de la planète, de la plus haute montagne d’Hawaï jusqu’aux terres gelées du Pôle Sud. Ce réseau électroniquement lié de huit observatoires a permis la création d’une antenne parabolique virtuelle aussi vaste que la planète.

    Appelé Event Horizon Telescope (Télescope de l’horizon des événements), ce réseau d’antenne parabolique a commencé à observer les cieux le 4 avril dernier, sur une période de 10 jours.

    Le télescope s’est focalisé sur deux trous noirs géants : Sagittaire A*, un monstre aussi large que quatre millions de soleils niché au cœur de notre galaxie, ainsi qu’un trou noir environ 1 500 fois plus lourd, logé au centre de la galaxie voisine, M87.

    Ce n’était pas la première fois que l’Event Horizon Telescope sondait les environs de chacun de ces mastodontes, mais cette fois-ci, le réseau a inclus le télescope du Pôle Sud ainsi que l’ALMA (Atacama Large Millimeter/submillimeter Array), le grand réseau d’antennes millimétrique/submillimétrique de l’Atacama, un groupe de 66 antennes paraboliques basé au Chili.

    L’ALMA, d’une netteté 10 fois plus précise, permet au Event Horizon Telescope de repérer des objets aussi petits qu’une balle de golf sur la Lune et, par conséquent, d'obtenir des images des horizons des événements des deux trous noirs, étonnamment minuscules.

    Après des années de palabres concernant le temps d’observation et l’aménagement de chaque site avec tout l’attirail électronique nécessaire, l’équipe a fini par se retrouver à la merci d'un élément sur lequel ses membres n’avaient aucun contrôle : la météo.  

    Les astronomes observent ces trous noirs en ondes radio millimétriques, la bande de longueur d’ondes à laquelle la lumière peut pénétrer les fortes concentrations de gaz et de poussière au centre de la galaxie et se déplacer librement vers la Terre.

    Néanmoins, l’eau absorbe et dégage des ondes radio, ce qui complique les observations.

    Pour minimiser ce problème, les radiotélescopes sont placés à haute altitude – au sommet des montagnes ou dans les hauts plateaux désertiques – mais les nuages entrants, la pluie ou la neige compliquent la tâche des observatoires. À haute altitude, les bourrasques de vent peuvent faire dysfonctionner les télescopes.

    « La probabilité d’avoir des conditions météorologiques optimales pour chaque site est souvent proche de zéro, » dit Fish.

    Avec seulement cinq nuits d’observation possibles pendant la période d’observation, Fish et ses collègues se retrouvaient chaque jour pour prendre l’épineuse décision d’activer ou non le réseau, jonglant avec la transmission des informations sur les conditions météorologiques de chaque site et celles prévues au cours des jours suivants. Depuis les locaux du MIT, Fish surveillait constamment la météo de chaque site sur un écran et communiquait avec les astronomes sur un autre.

    « C’est un crève-cœur de programmer une nuit d’observation qui se retrouve gâchée par le mauvais temps, ou de déprogrammer des observations alors que les conditions climatiques s’avèrent favorables, » dit Shep Doeleman, directeur de l’Event Horizon Telescope au Harvard-Smithsonian Center for Astrophysics de Cambridge, dans le Massachussetts.

     

    BEAUCOUP D'ESPOIRS AUTOUR D'UNE «CACAHUÈTE »

    Maintenant que les cinq jours d’observation sont terminés, les astronomes devront patienter – pendant des mois d’analyse – avant de savoir si les images prises sont bien le portrait d’un trou noir.

    Chaque observation rapporte un volume de données tel qu’elles ne peuvent être transmises par voie électronique. Au lieu de cela, les informations des télescopes – dont le volume équivaut à la capacité de stockage de 10 000 ordinateurs portables – ont été enregistrées sur 1 024 disques durs. Ces disques-durs doivent être envoyés aux centres de traitement des données du MIT Haystack ainsi qu’à l’Institut Max-Planck de radioastronomie à Bonn, en Allemagne.

    Les disques-durs du télescope du Pôle Sud ne seront envoyés qu’à la fin de l’hiver austral, à la fin octobre.

    Une fois que les données arrivent au centre de traitement, un tas de serveurs auront la délicate tâche de regrouper les signaux horodatés des huit observatoires. Les ondes radio doivent être comparées et fusionnées avec grand soin afin que les informations essentielles relatives à la taille et la structure de l’horizon des événements ne soient pas perdues lorsqu’elles sont regroupées.

    Cette technique de convergence des ondes radio, appelée « interférométrie à très longue base », est assez courante en radioastronomie. Mais généralement, les télescopes ne sont ni aussi nombreux, ni disséminés sur un espace aussi vaste.

    « Nous essayons de coordonner un réseau aussi grand que la planète, ce qui est incroyable quand on y pense, » dit Doeleman.

    Lorsqu’ils auront ajouté tous les signaux, les astronomes espèrent qu’ils pourront enfin voir un halo de lumière enveloppant un cercle noir, c’est-à-dire l’ombre du trou noir. Le croissant de lumière, produit à partir des gaz lumineux, chauffés par des centaines de milliards de degrés, orbite hors du trou noir, traçant la région juste au-dessus de l’horizon des événements.

    Des tests indiqueraient que le halo pourrait être plus lumineux et plus épais d'un côté que de l’autre, ressemblant « à une cacahuète qui arriverait dernière à un concours de beauté de cacahuète, » dit Falcke.

    Même s’ils ne peuvent produire d’images au cours de cette période d’observation, Doeleman et ses collègues ont déjà prévu de retenter l’expérience l’année suivante, avec un réseau de radiotélescopes encore plus important.  

    « Au cours des dix prochaines années, » dit Falcke, « nous devrions être capables de produire des images d’une netteté incomparable car nous étendrons le réseau jusqu’en Afrique et dans l’espace par la suite. »