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MON CINÉMA - Page 36

  • Sâdhu – Seeker of truth de Gaël Métroz (2013)

     

    Comment vivre une ascèse du cœur sans que l’écho de l’humanité ne rebondisse constamment contre nos murs ? Comment contourner la dictature du mental, sortir du fonctionnariat de notre ego ? Sommes-nous capables de rester dans ce monde sans être emportés par lui, de vivre cette société qui s’attache davantage à la cohérence d’un parcours qu’à la vérité d’un être ? Comment passer de la méditation à la médit-action ?
    « Sadhu – seeker of truth », dernier long-métrage du réalisateur Suisse, Gaël Métroz, est avant tout la rencontre entre deux hommes en quête intérieure, le réalisateur et son protagoniste. Fidèle à sa démarche de cinéaste pratiquant l’immersion solitaire, généreux, jamais intrusif, le Valaisan a marché pendant 18 mois sur les pas de Suraj Baba, un ermite indien en rupture, au terme de huit années d’isolement consacrées à la méditation, dans une grotte aux sources du Gange. Caméra à l’épaule, épousant tous les détours du chemin, perdu dans l’immensité minérale, dans un décor ample jamais montré à l’écran (cols de l’Himalaya, Kumbh Mela à Haridwar, vallée du Mustang, les lacs sacrés du Tibet …), ce film s’annonce déjà comme un formidable rendez-vous céleste avec soi-même. C’est l’histoire d’un silence que l’on cultive comme une plante, à l’abris du vent, au plus près de la lumière … et des images en parfaite harmonie avec le sujet. Alors que le monde bouge à une vitesse vertigineuse, ici la nature, majestueuse, s’impose comme le béton de la vie et le voyage se poursuit à l’intérieur, à l’écoute d’une voix immatérielle, dans un dialogue juste et réfléchissant où l’on ressent une filiation avec tout ce qui vit.

    Né à Darjeeling, en Inde, Suraj Baba est issu d’une famille bourgeoise. Il a tout quitté, pour mener la vie dépouillée de renonçant. Cela faisait huit ans qu’il s’isolait dans une grotte, vivant de méditation et d’offrandes à 3200 mètres dans l’Himalaya lorsqu’il a rencontré Gaël. « La première fois que je l’ai vu, il réparait le chemin qui menait de sa grotte au Gange (…) On a roulé des pierres ensemble, on s’est apprivoisé pendant un mois. Au fil des semaines, je me suis installé dans sa grotte voisine. J’ai compris qu’il se sentait piégé par son érémitisme et n’osait plus revenir au monde après tant d’isolement ». Les premiers jours il parlait si peu que Gaël ignorait même qu’il connaissait l’anglais. Le temps passant, il a eu la chance de devenir lentement son confident, la caméra aussi …
    Véritable éloge du rien, une fois de plus, c’est le déshérité qui nous comble. La force du personnage tient aussi dans son grand tourment : un homme divisé entre la marche pieds-nus et ses baskets, entre l’eau des glaciers et l’alcool des bars de Katmandou, à la recherche d’un équilibre entre occident et orient, entre société de consommation et dépouillement, entre vie familiale aisée et solitude austère, entre réussir dans la vie et réussir sa vie.
    Depuis six ans, Gaël Métroz a rencontré bon nombre de sâdhus sur les routes d’ Inde et du Népal, il a effectué plusieurs pèlerinages à leurs côtés tant cette philosophie du dépouillement le captivait. Durant les trois mois qu’il a effectué à la recherche du personnage principal de son film, sa fascination pour ces ascètes est devenue affection. A la poursuite du sâdhu trop idéal, il a finalement croisé le chemin de Suraj Baba qui détruisait en lui-même le mythe du sâdhu. « En doutant même de son statut de saint homme, il est devenu pour moi le vrai sage. Un homme en quête », confie le Suisse. Un être d’une candeur curative, qui s’exprime ici les paumes ouvertes, devenant malgré lui un maître à penser à l’endroit, à panser en soi …

     

    Durant ces longs mois de tournage, ils dorment tous deux au bord des rivières, se nourrissant d’offrandes des pèlerins, Suraj voyageant avec sa petite besace, sa guitare et ses sachets de thé, Gaël le suivant avec ses 30 kg de matériel à travers les plaines gangétiques. Leur rencontre, renforcée par l’occasion unique de se rendre à la Kumbh Mela, l’un des plus grands maelström religieux de la planète (70 millions de pèlerins) a finalement décidé Suraj à réaliser son vieux rêve et à faire face définitivement à tous ses démons. Un pélerinage qui allait devenir le plus long de leurs vies. « Le scénario de mes documentaires, c’est la vie. Et la vie est beaucoup plus avare de scénari que nos esprits, il faut donc attendre que les nœuds se fassent, se défassent, cela prend du temps. Là, il a fallu 18 mois, s’il en avait fallu 18 de plus et bien je les aurais passés ». – G.M.
    Arrivés à la Kumbh Mela, dans une promiscuité étouffante, les images tentent de capter cette effervescence floutée par les fumées de chillum et d’encens. Les sâdhus, réunis par chapelles, ont de la peine à comprendre ce duo excentrique, formé d’un jeune occidental et d’un sâdhu qui refuse tout attachement à une quelconque école. Et c’est à ce moment aussi que le film bascule : … l’ouverture aux larmes du chemin, lorsque tout ce que l’on savait sur le monde éclate en morceaux. La désillusion n’en est que plus violente et ouvre de nouveaux questionnements. Véritable crise de foi. Comment préserver cet embryon de « zénitude » ? Comment accueillir l’autre en soi, tout en étant conscient des frontières que sont nos propres épidermes et l’air qui les séparent. « C’est le voyage personnel qui m’intéresse, plus que l’Inde mythique – je voulais faire un film moins instructif, qu’affectif » – G.M. Et ce n’est pas le moindre avantage de ce film, servit par une bande originale sublime, une élévation superbe où cithare et guitare bluesy fusionnent sans s’observer. Un glissement progressif qui donne la réplique à un gracieux silence qui en dit long. Des moments de mutisme souvent plus éloquents qu’un flot de paroles.

    Un film qui ramasse dans ses filets tous les tourments spirituels de notre condition, mesurant au passage le pouls de notre propre humanité et relançant enfin ce cœur dilaté, tendre, vulnérable et neuf qui, à lui seul, peut transformer le monde. On en ressort chargé de cette précieuse confiance en la texture du monde et dopé par un sens nouveau du pèlerinage : offrir une sépulture à son passé et voyager, le coeur à tout, la tête à rien … sans maux inutiles.
    Avec cette perle, Gaël Métroz plane loin au-dessus du lot.
    Sortie en salle, le 6 novembre prochain.

     

     

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     « L’esprit créé le gouffre, le cœur le franchit » – Sri Nasargadatta

     

     


    Gaël Métroz en quelques mots
    Né le 28 novembre 1978 à Liddes (Suisse), Gaël Métroz obtient une licence en littérature française, philosophie et histoire de l’Art à l’Université de Lausanne, en 2004 avant d’être récompensé par plusieurs prix littéraires, dont le Prix de la Sorge en 2004 et le premier Prix Nicolas Bouvier en 2008. Après avoir écrit et mis en scène la pièce L’Enfant Déchu, il décide de se focaliser sur les métiers d’auteur-réalisateur et de journaliste.

    Il tournera autour du monde afin de donner le temps au voyage de s’exprimer en parcourant plusieurs pays, comme l’Ethiopie, le Soudan, l’Egypte, la Birmanie, la Turquie, l’Iran, le Pakistan, l’Afghanistan, la Chine, l’Inde, le Népal… En qualité de journaliste, il publie ses carnets de route autant à la télévision (Passe-Moi les Jumelles, TSR), à la radio (Un Dromadaire sur l’Epaule, RSR), que dans la presse écrite (Le Nouvelliste, La Liberté, L’Express, L’Impartial, Le Journal du Jura, Le Courrier, L’Illustré…). En 2008, il réalise son premier long métrage cinéma « NOMAD’S LANDsur les traces de Nicolas Bouvier », primé entre autres par le prestigieux Golden Gate Award pour le meilleur documentaire au Festival international du film de San Francisco. Aujourd’hui, il présente son deuxième long métrage intitulé « SADHU – SEEKER OF TRUTH », portrait d’un saint homme hindou qu’il a suivi pendant 18 mois dans l’Himalaya.