Debra Bernier
trace de ta langue
le contour de mes fentes
piste et sème en moi
étends tes racines
au ciel transparent des lymphes
cg in Des volcans sur la lune
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trace de ta langue
le contour de mes fentes
piste et sème en moi
étends tes racines
au ciel transparent des lymphes
cg in Des volcans sur la lune
Pour celles d’entre nous qui vivent sur le rivage
debout, sur le dur rebord de la décision
cruciale et seule
pour celles d’entre nous qui ne peuvent pas s’abandonner
aux rêves fugaces du choix
qui aiment dans l’embrasure des portes, allant et venant,
aux heures d’entre deux aubes
regardant à l’intérieur et à l’extérieur
à la fois avant et près
cherchant un maintenant qui pourrait engendrer des futurs
comme le pain dans la bouche de nos enfants
pour que leurs rêves ne reflètent pas la mort des nôtres.
Pour celles d’entre nous
sur qui on a imprimé la peur
comme une ligne fine au milieu de nos fronts
une peur apprise dans le lait de nos mères
car par cette arme
cette illusion d’une certaine sécurité à trouver
les pieds lourds espéraient nous faire taire
Pour nous toutes
ce moment et ce triomphe
Nous n’étions pas censées survivre.
Et quand le soleil se lève nous avons peur qu’il ne reste pas
quand il se couche
qu’il ne se lève pas le lendemain
quand notre ventre est plein nous avons peur
de l’indigestion
quand notre ventre est vide nous avons peur
de ne plus jamais manger
quand nous sommes aimées nous avons peur
que l’amour disparaisse
quand nous sommes seules nous avons peur
que l’amour ne revienne jamais
et quand nous parlons nous avons peur
que nos mots ne soient pas entendus
ni bienvenus
mais si nous nous taisons
nous avons toujours peur
Il vaut donc mieux parler
sachant que
nous n’étions pas censées survivre.
Audre Lorde (1934-1992), était une femme de lettres et poétesse américaine noire, militante féministe, lesbienne, engagée contre le racisme.
texte de murièle modély (2012) ill. jlmi 2019
tu es assise à table, à faire tourner entre ton pouce et ton index
une coupe remplie d'alcool, disons... du champagne
à laper, tu te reprends, à siroter quelques gorgées, entre deux rires et un regard
/
soudain tu te mets à tousser en postillons serrés, le rêve démesuré
tu bois une bière dans un bock, assise à la table écaillée
pendant que lui regarde dans l'autre pièce, un truc ou l'autre à la télé
/
tu tousses, mais ce n'est pas la bière ou la peur qu'il te voit
à cette heure déjà en train de picoler, qui te fait crachoter
la télé est à fond, il ne t'entend jamais
/
tu bois vite, tu manges vite, tu vis vite, faut faire passer tout ça
lui ou un autre, tu avales, tousses, t'étouffes
ton rêve comme une arête coincée en travers de la gorge
/
faut faire passer tout ça...
t'avais dit ça aussi quand elle avait pris l'aiguille à tricoter
t'avais dit ça tout pareil sans majuscule ni point d'exclamation
l'aiguille à tricoter en métal blanc
/
l'envie de tricoter t'est d'ailleurs passé d'un coup
quand ton regard se pose maintenant
sur la pelote dans le panier
c'est bizarre, tu penses à un crâne réduit en miettes
les fils de laine en boule, comme du tissu cérébral, emmêlés
/
de toute façon, le tricot c'était pour faire plaisir à ta mère
le genre de truc, penses-tu, qui plaît aux hommes, avec les turlutes
le rouge te monte aux joues, parce que ce mot tu ne le dis jamais, ta mère si
/
ton assiette est rouge, tu pensais que peut-être
la couleur passerait avec la mousse
tu as beau picoler, toujours le rouge devant toi
les spaghettis figent dans la sauce grasse
il est neuf heures, tu n'as pas faim
/
l'assiette te donne des hauts le cœur, il ne dit rien
- il ne dit jamais rien
il n'a rien dit la veille, quand tu t'es soudain arrêtée de manger
quelque chose coincé dans l’œsophage
il a juste frappé la table très fort
du plat de la main
/
alors tu avais mis l'assiette au frigo, sans rien dire toi non plus
parce que c'est toujours pareil, tu ne peux t'empêcher de faire tout de travers
non contente de vivre aux crochets de la société, de ta mère, des hommes
tu ne peux t'empêcher de te faire remarquer
/
le ventre
la bouche pleine
l'aiguille à tricoter
tout ce que tu avales
tu le recraches
/
ce matin, tu as ressorti l'assiette
car tu ne peux pas passer ta vie à gaspiller
tout ce qu'on s'échine à te donner
/
ce matin, tu regardes l'assiette
au milieu de tes rêves qui hoquètent
tu avales des bières, l'estomac au bord
tout au bord des lèvres
en chipotant encore
les restes du repas d'hier
Au hasard des connivences