Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

Rechercher : d'ombres

  • Vide alentour de Jean-Baptiste Pedini

     

    Note parue sur : http://www.lacauselitteraire.fr/vide-alentour-jean-baptis...

     

    Encres Vives (Coll. Encres Blanches n°488) 2011 - 16 pages – Préface de Patrice Maltaverne - Prix 6.10€

     

    Vide alentour, Jean-Baptiste Pedini

     

     

    Le vide on ne s’y fait pas, écrit Jean-Baptiste Pedini, en 10 poèmes qui tournent autour de ce vide alentour. Le vide, il le creuse, le fouille, le traque, tente de lui donner forme en quelque sorte, de lui donner sens. Des poèmes comme des corps pour englober ce qui échappe, questionne pourtant, obsède même. Le vide révèle comme une éternelle insatisfaction.


     

    « on décompose espaces

    gestes

    fouilles au corps

     

    toujours plus simples

     

    toujours à rechercher

    d’autres possibles. »

    Il y a va et vient entre ce vide alentour et le besoin de sentir, de se sentir à défaut de pouvoir combler le vide.


     

    « on regarde un ciel vide

    on se mouille en-dedans »


     

    Le vide alentour reflète sans aucun doute cette peur du vide intérieur, comme si le vide extérieur menaçait d’absorber l’auteur.

     

    Tout se joue entre ombres et absence.


     

    « entre  le moût du jour

    et la chair qui plisse

    l’absence

     

    (…)

     

    et de ces ombres

     

    des petites plaies rouges

    qui remuent dans la nuit »


     

    La matière est absorbée, dissoute.


     

    « le bruit de l’eau dans nos gourdes d’ombre »


     

    Et même le temps disparaît.


     

    « temps à ôter encore

    à ce qu’il reste »


     

    Il y a ces tentatives d’arrimer le corps.


     

    « avec ou sans

    les jours où l’on est bien

     

    où bouches et bouches

    se mangent

    gravitent autour des peaux »


     

    On s’accroche aux corps pour ne pas sombrer dans le vide, mais les corps-bouées rappellent encore qu’on ne peut échapper à ce vide. Alors,

     

     

    « on trace de petits traits

    qui tirent

    et qui dégorgent

     

    petits traits inouïs

    petits traits des absents »


     

    En fin de compte, il n’y a qu’absence, ombre et silence.


     

    « il n’y a que ça

    et personne ne dit rien »


     

    La poésie devient alors comme le seul révélateur, la seule issue possible.


     

    « on creuse une matière nouvelle

    on noircit les phalanges

    en deçà

    aucune rue ne s’élève »


     

    Cela permet une certaine forme d’acceptation.


     

    « on reste ce mirage

    qui recule sans cesse »


     

    Le vide qui nous pousse finalement dans le vide, le vide autour, le vide devant, le vide derrière.


     

    « on s’en souvient à peine

    de la brise d’hiver

     

    (…)

    les têtes qui dépassent

    à peine

     

    secouent les rideaux

    d’ombre »


     

    L’ombre et le silence pour habiller le vide… Reste tout de même comme une lueur, on croit encore à l’après.


     

    « le silence rôde

     

    on a du mal à savoir

    ce qui viendra après »


     

    Il s’agirait  de passer par l’acceptation, alors que :


     

    « l’ombre roule

    à mesure

    dans la poussière du jour

     

    il n’y a rien à sauver

    il n’y a plus de distance »


     

    Peut-être n’y a t-il simplement qu’un plein présent, avec le vide alentour.


     

    Cathy Garcia

     

    A propos de l'écrivain

    Jean-Baptiste Pedini

    Jean-Baptiste Pedini est né en 1984 à Rodez et vit et travaille actuellement en région toulousaine. A publié : Hors la ville (haïkus), Guy Boulianne éditeur 2006 et Ombres à moudre, -36° édition (collection 8pA6), 2009 ; Peut-être à minuit, -36° édition (collection 8pA6), 2010 ; La légèreté des cendres, éditions Clapàs (collection Franche Lippée) 2010.


     

     

  • Les gribouglyphes illustrent...

     

     

    EN PLUS D'UNE BONNE PARTIE DE MES PROPRES LIVRES :



    DÉBILE AUX TROIS QUARTS Patrice Maltaverne Gros textes 2017 (collage Regard intérieur, 1997 en couv)

    VOIES LACTÉES, Dynamique des bassins laitiers entre globalisation et territorialisation de M. Napoleone, C. Corniaux, B. Leclerc -Cardère 2015 (Illustration originale couleur pour la couverture)

    DÉTAIL D'INTÉRIEUR  de Basile Rouchin, Intervention à haute Voix, février 2015 (collages : En attendant l’amour en couv, plus Sanctuaire et Fils de la mère en repro nb)

    THIERRY ROQUET & CIE,mgv2<publishing,novembre 2014 (Où sont passés les poètes I en couverture)

    AUX CONFINS DU PRINTEMPS de Marie-Françoise Ghesquier - Di Fraja, Encres Vives 2013 (Tatoo, encre en couverture)

    LE NORD INTIME Pierre Colin illustration au dos, Ed. D’Autres Univers - Collection Equinoxe, Février 2013 (une des illustrations des deux livres d’artistes réalisés pour Pierre Colin autour du même recueil en janvier 2012)

    LE CHEF D’ŒUVRE SUR LA TEMPE, Guillaume Decourt, Ed. du Coudrier 2013, Belgique (illustrations originales)

    MY BELOVED SISTERS, Walter Ruhlmann - Rick Lupert PSH (Poetry Super Highway, Californie),  2012 (encre en couverture) 

    RECUERDOS (EN COULEUR), Pascal Pratz, Ed. du Petit Véhicule, juillet 2012 (illustrations originales) 

    CES MISSILES D’ALLÉGRESSE, Anna Jouy - Ed. de l’Atlantique 2011 (Collage : Rouge zèbre)  

    CE QU'IL RESTE, Anne Jullien-Pérouas (Collage : Vert en couverture) Voir : http://fr.calameo.com/read/00020828964db30d22c39  

    LE SYNDRÔME D’ORPHÉE, Christian Monginot, Ed. de L’Atlantique 2010 (Collage : Archétypes)  

    KELTIA CANTORUM, Zen Evasion 2008, Gwerz de Jean-Louis Millet et paléoglyphes de Cathy Garcia, tirage limité. Visible sur http://www.evazine.com/livre04/default.html

       

    EN REVUES :

     

    Régulièrement :

     

    Traction Brabant (27, 28, 29, 30, 31, 32, 33, 34,35, 36, 37, 42 etc.)

    Pages Insulaires (n°3, n°4, n°12, n°21, n°22, n°24)

     

     

    Exceptionnellement :

     

    Journal à Sajat  n°85 - Janvier 2010 - Le Baiser de Kahi (pastel & encre) en couverture, après avoir été publié en nb dans la revue Expressions - Les Adex n° 35 - Mars 2009, dans la cadre du jeu "écrivez un poème pour cette illustration"

     

    Le Grognard n°17 – Mars 2011 – plusieurs illustrations

     

    Microbe n°63 – Janvier 2011 et n°74 – Novembre-Décembre 2012 (Intégralité des illustrations de ces n°)

     

     

     

    DANS LES REVUES NUMÉRIQUES :

     

    LE POD http://www.calameo.com/read/0000232144a57c220df59

    ZINZOLINE http://fr.calameo.com/read/00031095978491ce69d1c

     

     

       

    PHOTOGRAPHIES

     À HAUTEUR D'OMBRE de Marie-Françoise Di Fraja, 8 photos retravaillées en nb, Cardère mars 2014

    JE SUIS L’EAU Zen Evasion 2012, Cathy Garcia, mots sur images (photos) http://evazine.com/livre30/Default.html

    BORDERLINE Zen Evasion 2012, naguèrotypes de Cathy Garcia & gogyohshi de Jean-Louis Millet http://evazine.com/livre29/Default.html

     HOCHETS DE SÈVE Zen Evasion 2010, instantanés de Cathy Garcia, tresses de Patrick Fischmann. http://www.evazine.com/livre17/Default.html

     LES  ÉTATS GÉNÉREUX DE DAME NATURE, Tome 1 et 2, Zen Evasion 2009, propos de Jean-Louis Millet (haïkaï), instantanés de Cathy Garcia.

     Tome 1 http://www.evazine.com/livre13/Default.html

     Tome 2 http://www.evazine.com/livre15/Default.html

       

     

     

  • Feux de Perrine Le Querrec

    éditions Bruno Doucey, mars 2021

    9782362293597-475x500-1.jpg

    75 pages, 14 €.

     

     

    Et le poète de sa voix de feu

    D’une aile d’oiseau attise les mots

     

    On peut dire que dans ce recueil dont le titre dit clairement de quoi elle parle, Perrine Le Querrec fait ici feu de tout feu. Traversant quelques milliers d’années d’Histoire et explorant toutes les facettes de cet élément, les bénéfiques comme les dramatiques, elle déploie une sorte de fresque mouvante, un théâtre d’ombres de personnages que le feu met ou a mis, et parfois très cruellement, en lumière et peut-être plus particulièrement des femmes. Depuis celle qui dans la caverne a inventé le feu « Seins hanches ventre rond / Disparue à jamais » aux ouvrières sacrifiées, aux femmes indociles et veuves indésirables, aux militantes immolées en passant par les sorcières aux bûchers : femmes trop vives, feu aux femmes !

     

    La ville silencieuse cadenasse ses oreilles

    Qu’on démonte les cloches, qu’on fonde leur acier

    Dans le feu des sorcières et des illuminés.

     

    Des feux politiques donc, des feux de religion, des feux symboliques, des feux géologiques mais aussi des feux artistiques et littéraires. Des figures renaissent des cendres, comme Marguerite de Porète, béguine itinérante et première femme à avoir péri sur un bûcher de la place de Grève à Paris pour avoir eu trop d’esprit, une âme trop libre et un cœur trop flamboyant. C’était en 1310. Le feu a fait d’elle, et de tant d’autres, une immortelle.

     

    Des feux de joie, des feux de guerre, « des feux autoritaires, des feux de dictatures / mais aussi / Des feux de résistance, des feux brûlants de vie. » L’ordre du recueil est chronologique, une traversée de l’Histoire dans le miroir des flammes, la grande Histoire collective et les histoires individuelles. L’humanité, écrit Perrine Le Querrec, se dessine à travers ses feux

     

    Des feux qui ramènent une mémoire enfouie.

     

    Feux salvateurs, feux destructeurs, feux de mémoire, feux de langues, c’est à un grand incendie que nous convie Perrine le Querrec en agitant ainsi les tisons de son écriture. Elle y convoque des poètes, écrivains, artistes disparus, très connus comme Gogol, Van Gogh, Nerval, Artaud ou moins connus comme Angus McPhee, un artiste brut écossais ou la poétesse Ingeborg Bachmann.

     

    Depuis quand le soleil se couche

    J’ai toujours l’impression

    Que quelqu’un brûle.

     

    Elle évoque Piotr Pavlenski, artiste dissident russe fiévreux et incontrôlable toujours actif, elle rend hommage aux victimes de guerres et de catastrophes plus ou moins naturelles. Elle évoque des corps et des lieux marqués au feu, dévorés par le feu mais, écrit-elle, depuis des millénaires la vie renaît de ses cendres / Il y a des racines que jamais le feu n’atteint.

     

    Un questionnement plus discret souffle entre ces pages aussi, celui que soulèvent les flammes du désir, du sentiment amoureux.

     

    Il y a un côté compilation dans ce recueil, une énumération qui parfois en étouffe même le souffle poétique, peut-être parce qu’il s’agit surtout de faire œuvre de mémoire. Pour qui connaît l’écriture de Perrine le Querrec, on sent qu’il y a là presque comme un chantier en cours encore, une récolte de braises plus ou moins vives dont chacune pourrait donner naissance à un développement. On sent ce qui chez elle a été attisé et qui est un peu trop énorme, trop violent aussi, pour pouvoir être contenu en 75 pages, mais c’est déjà un beau départ de feu car les livres aussi brûlent.

     

    Savez vous

    Les livres brûlent les doigts brûlent l’esprit brûlent les à priori

    brûlent les ignorances brûlent les yeux brûlent les dictatures

    saviez-vous

    les livres brûlent

     

    Le monde parfois semble n’être plus qu’un grand brasier.

      

    Cathy Garcia Canalès

     

     

    Fondazione0258-edited.jpgPerrine Le Querrec est née à Paris en 1968. Elle hante les bibliothèques et les archives pour assouvir son appétit de mots et révéler les secrets oubliés. De cette quête elle a fait son métier : recherchiste. Les heures d’attente dans le silence des bibliothèques sont propices à l’écriture, une écriture qui, lorsqu’elle se déchaîne, l’entraîne vers des continents lointains à la recherche de nouveaux horizons.
    Perrine Le Querrec
    écrit de la poésie et de la prose. Sa langue est une architecture de mots, de silences, d’archives de trous et de pliures. Lorsqu’elle sort de la page, elle travaille en duo avec le contrebassiste Ronan Courty et forme l’autre moitié de PLY, duo avec le photographe Mathieu Farcy. Ses dernières parutions en 2020 : Vers Valparaiso, Éditions Les Carnets du dessert de lune, Rouge pute, Éditions La contre allée.

    http://www.perrine-lequerrec.fr/

     

     

     

  • Atelier collage & écriture du 24 juin 2021

     

    Odile.jpg

    O.

     

    Les sourires et les larmes côtoient les masques. 

    Est-ce cela être vivant ?  

    Traverser telle une marionnette le théâtre d’ombres et de lumières et mordre dans un monde sans queue, ni tête ?

     

    L.

     

    *

     

    Dans la tête, un monde vivant à croquer. Théâtre psychédélique, envers et endroit, visages et masques, esprits libres et corps marionnettes. Lotus et cavalcade dans la tête, un océan dans un bocal, des crocs prédateurs. Silhouettes et mots tempêtes, grands sages et grands fous. Jongler vivement avec des mots bâtisseurs, des mots voyageurs, des mots doux comme des tétons qui pointent. Dans la tête, une chaise et d'innombrables fenêtres. Des écritures tatouées tracent des lignes de fuite pour échapper à ce qui voudrait nous arraisonner, nous avaler, nous pétrifier. Dans la tête, tout un monde à mordre goulûment avant de le dissoudre.

     

    C.

     

    *

     

     

    Le monde est fou.

    Ronde des sorcières, pantins et arlequins.

    Prisonnière de châteaux imaginaires, je brode des marionnettes qu’engloutissent et dévorent les crocodiles.

    J’ai perdu la tête à mordre la vie. 

    J’ai chevauché à travers les steppes et les mémoires, survolé les mers sur le dos des grands oiseaux.

    La voix des masques est la plus forte.

    S’entêtent les mots-poignards pour mater l’illusion et rester vivante.

     

    O.

     

     

    collage Liliane_20210628_0002.jpg

    L.

     

     

    Je veux croire aux possibles sur ta drôle de planète.

    Frotte ton animalité à ma peau, serre-moi, trinquons à l’envie, à en faire crier les étoiles ! Mélangeons nos sucs !

    Je rêvais de voyages, d’immensités pâles. Regarde ces étendues moussues, ces lacs, ces rivières, toute cette eau que je sens couler dans nos veines.

    Oasis improbable. Havre de fraîcheur.

    Les ombres nomades ne sont plus ; la tendresse a jailli d’un fourré où murmurent les écureuils.

    Embrasse-moi ! 

     

    O.

     

    *

     

    Dans le trouble de l’eau, surgissent des mémoires très anciennes, imprégnées du suc d’une animalité pleine de tendresse. Voyage intra-imaginaire vers la source originelle. Planète douceur et nectar chlorophylle, l’envie d’être en vie. Au fil du courant, l’amour se faufile, ombre et lumière, anamnèse des espèces. Se retrouver inlassablement depuis l’aube première jusqu’à l’ultime baiser des météorites dans le doux berceau de l’incréé.

     

    C.

     

    *

     

    J’ai juste envie d’être là avec toi et de partager encore une fois nos mondes au creux des reins. Envie de retrouver notre planète d’eau et de sucs malgré les cratères. Et blottis dans notre écrin vert, de rire toujours des visites impromptues et malicieuses.

    Mais tu n’es pas là et je voyage seule. Le manque de tendresse réveille mon animalité et mon désir brûle comme un mirage.

     

    L.

     

     

    001.jpg

    C.

     

     

    Du livre magique surgit la lumière. Tu as pu encore une fois disparaître dans les fleurs du sofa. 

    L’échappée chaude comme l’or d’un baiser te fait voyager si loin que ton cœur flambeau chevauche des nébuleuses.

     

    L.

     

    *

     

    Tu m’as déposée là, dans ta lumière.

    Un seul baiser et j’ai pris goût à la douceur. 

    Touchée en plein cœur, je m’enfonce dans le sofa, au mépris du désir d’échappées.

    Je survis au milieu des cactus.

    Prison d’or et d’argent d’un Barbe-Bleue d’un printemps. 

    Où sont les clefs ?...

    Séduisant papillon, aide-moi !

    Joue-moi la petite cantate oubliée qui respirait la liberté et, sûr, je m’envole avec toi ! 

     

    O.

     

    *

     

    Ardence d’un baiser, son or, sa douceur, son piquant. Le cœur cavale, flamboie, le cœur s’ouvre et s’enflamme et ô joli papillon, ô fragile fleur sur sa tige penchée. Idéogramme des sens, marque de l’Éros qui cherche la trouée. Forgé comme une épée mystique, le cœur pourtant lassé des épines, se laisse jouer la partition des frissons. Évadé d’un sofa gorgé de fleurs, il chevauche la ligne de crête, cherche à bondir hors des cycles du déjà vécu. L’horizon pèse trop lourd sans la verticalité, sa part vive d’inconnu.

     

    C.

     

    *

     

  • Promesse achevée à bras nus d'Éric Barbier

    CCI04072012_0002.jpg

    Editions Rafael de Surtis, Collection Pour une Terre interdite, 2011,

    56 p. (tirage limité et numéroté), 15 €

     

     

     

    Écrire, effraction dans la voix de l’autre »

     

    La poésie d’Eric Barbier puise à une source limpide comme celles des montagnes qu’il affectionne. Dans ce recueil, il se livre à un questionnement qui n’attend pas de réponse. Le poète semble même s’être délivré du besoin de réponse, pour être simplement le témoin d’une nature où se concentre l’essentiel de l’Homme.

     

    « De quoi témoigner ?

    l’esprit se déposant en limon

    sur la croyance de l’automne

    croit ensemencer ce qui n’attend rien »

    Eric Barbier sait à merveille capter les langages de cette nature, pour entrer peut-être encore plus profondément en communion avec elle, et s’en faire l’écho. Une poésie d’altitude, à la fois terrienne et transcendante, qui vise le détachement sans l’indifférence.

     

    « Il restera paisible dans son ordre

    Chaque nuit retrouvera de quoi occuper le ciel »

     

    Le poète s’abandonne à la nature pour guérir aussi ses douleurs d’homme, les saisons de l’une font les saisons de l’autre, la nature se fait miroir pudique des émotions.

     

    « Il faudra adoucir l’œil pris dans l’hiver

    Pour enfanter à nouveau

    Les usages du temps »

     

    Mais, il n’est en vérité d’autre temps que celui de l’instant présent, « l’aujourd’hui, seul aujourd’hui », et le questionnement du poète est plus une façon de se livrer à la contemplation, qu’un interrogatoire angoissé.

     

    « Ici

    s’attarde un présent anachronique

    (…)

    demain s’y devine dans les soupçons

    des valérianes détrempées d’aurore »

     

    et

    « entre les pages pliées

    du matin qui s’avance

    viennent des semences d’or libre »

     

    L’or du temps peut-être, cher à Breton, mais ici, point de surréalisme, la réalité est suffisamment riche pour que l’on ne ressente nul besoin de s’en évader. La poésie naît de caresses inattendues entre les mots et ce que l’œil perçoit. La contemplation ouvre une porte sur l’éternité.

     

    « La reprise lumineuse d’un œillet

    vient m’absenter de ce temps

    langueur longée de houx

    la paix construit son regard »

     

    Il y a, oui, comme une grande paix dans ce recueil, qu’on a envie de lire et relire afin de mieux s’en imprégner. Une paix cependant non exempte d’ombres, comme la montagne, l’homme a son ubac, ou son ombrée comme on dit dans les Pyrénées. Cela dit, chez Éric Barbier, même l’inquiétude est calme.

    Toujours cette quête d’équilibre, grâce au recul, celui que permet justement l’ascension d’une montagne.

     

    « retrouver une distance

    se tenir sur le fil

    encore lâche du jour

     

    s’y dresser encore à nu

    dans l’équilibre empierré de la mémoire »

     

    Ainsi, dans la plus grande simplicité, toute la magnificence du monde s’offre au regard du poète, en « vol fou des hirondelles dans le ciel de cuivre bleu ».

     

    On note au détour d’un mot, d’une phrase, un vide, une absence. L’auteur s’adresse aussi à « celle qui n’est pas là ».

     

    « Le manque se croit-il désir ? »

     

    Mais ce manque, aussi cruel soit-il, se répand en amour diffus pour tout ce qui l’entoure. La solitude s’illumine au contact d’une nature prodigue, elle en devient presque jouissance, plénitude en tout cas.

     

    « J’erre dans la démesurée douceur

    du songe »

     

    Et c’est la nature encore, qui enseigne le nécessaire détachement.

     

    « le souvenir d’une robe s’accroche à l’indifférence

    d’un alisier »

     

    Le défilé des saisons est une médecine de l’âme, « des fruits viennent l’oubli cueille les siens ».

     

    Sans aucun doute, Éric Barbier est un poète des hauteurs, qui chemine, humble et discret, sur des chemins de sagesse, et en le lisant, on ne peut s’empêcher de penser parfois à ces poètes errant comme, par exemple, Bashô.

     

    Cathy Garcia

     

    Eric Barbier.jpgÉric Barbier est un poète de Tarbes, ville dans laquelle il est aussi bibliothécaire. Pierre Colin, autre écrivain et poète tarbais, le présente ainsi : « Pourquoi écrire ? » se demande Eric Barbier. Et il répond « Pour inscrire ce témoignage de quelques heures éparses… pour résister à tout et d’abord à soi-même ». La poésie d’Eric Barbier est rebelle aux modes de communication actuels. Elle s’inscrit dans l’étrangeté, la mise en déséquilibre du signe. Elle n’est pas dans une modernité de la mélancolie ou de la beauté. Elle invente de l’inconnu pour ouvrir une brèche vers la réalité de demain.

     

     

     

    Note parue sur : http://www.lacauselitteraire.fr/promesse-achevee-a-bras-nus-eric-barbier.html

  • Vers le silence de Max Pons, Ed de La Barbacane 2011

    Note publiée sur La Cause Littéraire :

    Max Pons Vers le silence.JPG

    Max Pons est un amoureux, un grand amoureux de l’humain et des pierres, amoureux au sens le plus courtois du terme, comme les troubadours de langue d’Oc. Dans ce recueil, admirablement préfacé par Michel Host, il nous offre un cheminement de haut vol poétique  « Vers le silence ».

     

    Fidèle à sa passion minérale, le recueil s’ouvre sur la pierre, mais une « Pierre de caresse/ Pierre maternelle ». Max Pons, qui fut pendant si longtemps gardien et guide du Château de Bonaguil, un château-fort, allégorie de la forteresse quasi imprenable du féminin, connait mieux que personne les liens secrets qui se tissent entre la pierre et les forces de la nature et ce que je retiens de l’ensemble de ce nouveau recueil, ce rassemblement de fragments, de morceaux de ce territoire qui est le sien, c’est que tout, de la pierre à la chair, de la terre au ciel, transpire et conspire un puissant chant d’amour.

     

    « Arc en pleine caresse

    Ton plaisir pointe vers le ciel

    Ton désir vient de la terre

    Et l’homme hésite

    À franchir le seuil. »

     

    Le poète déploie ses antennes en toutes directions, attentif et précis, c’est un amant d’expérience, porteur d’histoire, la sienne, mais aussi de celle des Hommes

     

    « Voici des portes qui s’ouvrent sur d’autres portes.

    Voici des fenêtres qui croisent leurs bras puissants sur la nudité blessante de la lumière.

    Et puis voici d’autres yeux encore. D’autres croisées de lumière. »

     

    Et de tous leurs questionnements.

     

    « En ces lieux de foudre, à l’odeur d’Histoire, retournant à la domination de l’élément aquatique, quelle est donc cette force sauvage qui habite la somptueuse gésine minérale dans la quiétude des mousses.»

     

    En homme avisé, le poète sait que malgré tout le chemin parcouru, il n’y a pas de réponse définitive à ses interrogations, mais que l’essentiel reste encore et toujours à vivre.

     

    « Inventer la survie

    Débusquer le mouvant

    Jusqu’à l’immobilité lucide

    Au seuil du sanctuaire »

     

    Et que la vie est désir, sans cesse renouvelé, comme le fleuve va à la mer

     

    « Je te parlerai des libellules des premiers émois

    et des éclairs de chaleur sur la robe mouillée des soirs.

    Et de cette cascade qui bat de sa chevelure

    le dur silence. »

     

    Et le poète chante et honore la Source

     

    « Devant ce val délicatement veiné

    À la naissance d’un fleuve d’ombre et de feu

    Estuaire au limon de vie

    Devant ces meules lourdes de louanges

    Cette fête de courbes

    Ce langoureux ballet

    Paysage pour la grande faim du dehors et du dedans »

     

    Un chant qui se fait « profond » et « vérité primitive ». « Faire l’amour », voilà la « Pureté retrouvée » et revient l’homme qui savait parler aux pierres

     

    « Du fond de ma caverne charnelle

     Je te bâtis »

     

    Que le poète se donne tout entier à son chant ne l’empêche nullement d’être lucide et ô combien !

     

    « Inéluctable marche

    D’ultime vérité. »

     

    Et son regard saisit le moindre détail qui témoigne de l’infime et infinie beauté

     

    « La marmite ronronne

    Près du chat. »

     

    Comme seuls savent le faire ceux qui ont envisagé la mort en face, car nul n’est plus habile qu’elle à nous faire ressentir le précieux bonheur de l’instant

     

    « Au fil,

    Le linge blanc

    - Lessive de l’œil -

    Le linge qui raconte des êtres. »

     

    Mais si le temps, à Max Pons comme à nous tous, est compté, le poète magicien a plus d’un tour dans sa plume :

     

    « -  Il faut bien passer le temps,

    Dit l’un.

    - Non, lui répond l’autre :

    Il faut l’agrandir. »

     

    La lucidité sans l’humour serait torture. Max Pons sait qu’il est bon de garder l’œil amusé et le sens de la facétie :

     

    « Il y a sur la table

    Une salière à lunettes

    Ne manquant pas de sel.

    Il y a l’éclatement même

    De la vérité. Personne ne

    S’y retrouve. 

     

    (…)

     

    Et c’est ainsi qu’il voit le monde

    Tel qu’il est, au grand étonnement

    De la réalité

    Et des paroles rassurantes… »

     

    Et le poète, une main sur la chair, l’autre sur la pierre, tel un vieux sage sur la terrasse nous suggère de

     

    « Tourner longuement

    La petite cuiller.

    Deux sucres, voulez-vous ?

    La poésie est infusion… »

     

    Et nullement pressé de nous voir partir, il nous donne à boire encore et encore de sa belle et bonne poésie, dans un recueil qui s’étire comme un chat

     

    « Et vient le petit jour, longue robe flottante.

    Demeure un goût d’amour, tel un oiseau perdu

    De ses ailes frappant la cage de nos gorges »

     

    En s’inspirant aussi de gravures de Maya Mémin et quelques dessins que son ami Zadkine lui avait confiés, avant de poser un point que l’on espère non final, en faisant sienne cette phrase de Cocteau

     

    « On ne se consacre pas à la poésie, on s’y sacrifie ».

     

  • Chroniques du Diable consolateur de Yann Bourven

      

    Ed. Sulliver, septembre 2013

    chroniques-du-diable-consolateur-9782351221433_0.gif

     

    110 pages, 11 €.

     

      

    Les Chroniques du Diable consolateur est un monologue du Bourven, l’auteur, qui s’adresse ici à sa compagne de malfortune : « Je nous vois cernés et haletant dans ce grand lit, Inhès ». Inhès aux adorables petites fesses. Un monologue poétique tout sauf monotone, qui prend sa source dans la chambre et le quotidien d’un couple, artiste, rsa, taf alimentaire, galère… dans Paris, or si la poésie a souvent pour fonction de transfigurer, ici c’est une transfiguration inversée, vers la face obscure. En effet, ce récit se place sous le signe des Ombres et de la lune avorteuse, des nuits insomniaques et des sommeils bavards. Les Chroniques du Diable consolateur sont le livre des terreurs nocturnes mais aussi celui de la fureur, où l’auteur enchaîne des textes-spasmes, oniriques et hallucinés qui parlent de la Réalité-nuit (saturée d’Ombres perverses), entre bad-trip et delirium tremens, pour exorciser une Réalité-jour, bien pire encore. Réalité-jour que l’on me tend et que l’on voudrait m’imposer par la force où même les campagnes sont tristes, jonchées de cadavres de chevaux, de vaches et de vieillards aux dos tout tordus. C’est donc et surtout aussi un livre-colère contre une société et une époque qui ne savent procurer qu’angoisses destructrices et impuissance désespérée et même si l’auteur s’enfonce dans la nuit-foutre-fugue-nuit, cela ne suffit pas pour apaiser la colère et la trouille. Voyage entre deux mondes, « Voyageant d’une douleur à l’autre ! D’une jouissance à l’autre !  Avec au bout du Fleuve Noir, quand la Seine devient Styx, Pluton et Proserpine fornicateurs, faisant cargaison de chair fraîche à bord de leur sombre péniche.

     

    Yann Bourven dans la lignée des écrivains-poètes que l’on disait maudits, les visionnaires torturés, les mystiques contrariés, le regard exorbité sur l’invisible sans pour autant échapper à la merditude du réel, nous évoque des Baudelaire, Burroughs « J’étais là, une barre au crâne, comme nu, et les passants ressemblaient à des limaces géantes qui défilaient en rampant et en grognant dans la boue, survolées par des hiboux klaxonnant. » ou Lautréamont, Artaud, qui auraient longuement macéré à la sauce punk. « Non, je ne suis pas un ado attardé, merde !... ».

      

    « C’est l’avenir qui nous torture ».

     

    Le lit, le couple, le radeau de survie, le couple solaire malgré tout par opposition au couple maudit infernal et dévorateur, mais comment échapper aux cauchemars de la Réalité-jour sinon en se maudissant pour y échapper par la Réalité-nuit. « Caresse-moi et je te dirai comment je vomirai cette société et cette Europe mal famée. Je t’expliquerai ma politique sanglante, tu verras ! »  La Vraie-Vie ou le désert au bout du Fleuve Noir ? Lequel des deux est le pire ? Faut-il écouter Proserpine ?

     

    - Cette Vraie-Vie est un leurre ! Si tu restes ici je te prédis une vie bête et sans saveur ! Une vie de routine et d’asservissement, d’ennui et de surconsommation ! Sois mignon, reviens ! Allez ! Au pied ! Tu feras partie de ma légende putréfiée ! »

     

    Puisque Vie et Beauté sont tant malmenées dans la Réalité-jour aux écrans de nausée sexuelle, où l’amour balancé sur les trottoirs est dévoré par des chiensqui le chient quelques heures plus tard dans les jardins d’enfants,

     

    « C’est la nuit (pilotée par la lune avorteuse) qui nous intéresse ! La nuit qui nous hurle ses poèmes épileptiques ! »

     

    Et les amants s’accrochent l’un à l’autre. « Tes caresses sont précises et elles me lisent à tombeau ouvert. La mort, c’est ma peau que tu tends comme un voile dans la nuit. »

     

    Ce sont des enfants en « folles virées dans Tragédie City. Enfants dépourvus d’innocence qui partent en vrille ».

     

    « Nos noms s’affichent sur les murs de la ville froide. Avis de recherche. Perdus à jamais. Dans des nids de frelons. Dans la Réalité-nuit. On nous oubliera vite, tu sais. On nous oubliera. »

     

    Et les amants baisent et baisent encore, le sexe comme flambeau d’amour rédempteur, « Je ne débande plus, regarde-là, elle est dure comme du bois ! Tâte ces veines diurnes qui surgissent une à une gonflées à mort ! De vraies racines qui palpitent ! ». Sexe défonce, antidote au venin de la trouille, au feu dévorant de la rage, mais pas assez puissant puisque « L’homme tourne en rond dans la pièce, marche autour du lit en se grattant le menton, en se claquant les joues et en se grondant la bite. Puis il se jette par la fenêtre. »

     

    « Ci-gît l’espoir, ils ont assassiné la poésie-vérité ! me disais-je enfiévré. Ils m’ont eu, mais qui ? Qui tire les ficelles de la résignation ».

     

    Portrait sous acide-vitriol et paradoxalement extralucide de notre époque, où « des vigiles métalliques nous expliquent qu’ils lacèreront nos enfants si jamais nous en faisons », ne passez pas à côté de ces Chroniques du Diable consolateur qui sonnent comme une alarme salutaire de poésie-vérité.

     

      

    Cathy Garcia

     

     

     

    sans-titre.pngYann Bourven est un écrivain français né le 17 octobre 1978 à Rennes. Il a déjà publié Face à la Mer (2001), Mon Héroïne (2003), La Course Éperdue du Gosse Enflammé (2004) et Les Fantômes te détestent (2006), parus aux éditions Diabase. Puis : Le Dérèglement (2009), Maclow, Ville-Fièvre (2011) et Chroniques du Diable consolateur (2013), parus aux éditions Sulliver.

     

     

     

     Cet article sera en ligne sur le site de la Cause Littéraire.

  • Demain 17 heures Copacabana de Guénane

     

    Éditions Apogée 2014

    demain-17-heures,-copacabana-675290.jpg

    237 pages, 18 €.

     

    Guénane nous entraine dans le sillage d’un coup de foudre sous l’égide du poète Saint Pol-Roux, et nous voilà plongés à sa suite dans le Brésil des années 70. Dans ce roman, il y a quatre-vingts pour cent d’autobiographie et vingt pour cent de caïpirinha arrangée, comme elle le confie elle-même, et tout lecteur qui a eu la chance de franchir l’océan pour poser les pieds sur cette terre de braises, sentira frémir en lui, les symptômes de cette douce maladie, ce virus brasiliensis dont on ne peut plus jamais se défaire.

     

    Du Maranhão et de l’Amazonie au Minas Gerais, Brasilia, Belo Horizonte et plus au sud encore, Rio de Janeiro, quelques-uns des points les plus névralgiques de ce pays immense, sans oublier le sertaõ mangé de lumière et de désespérance, toute l’âme du Brésil est évoquée dans ces deux cent et quelques pages. Sa beauté, ses disparités, ses rythmes, ses rites, ses mystères, sa folie, sa monstruosité. Romancé ? Mais le pays lui-même est un gigantesque roman, quand il vous prend, il vous tient, ne vous lâche plus, c’est de la magie pure, une obscure sorcellerie. Même avec toutes ses douleurs, ses laideurs, l’injustice qui frappe, le fossé entre les classes et tout le poids de l’Histoire et des populations broyées.

     

    « trop d’enfants à manger dans les poubelles, enfouis jusqu’à la taille, à fouir les décharges, leurs îles aux trésors, à en mourir de torpeur sous les émanations de la décomposition, le ventre enflé à force d’être vide ; (…) Luxo, lixo, étrange langue qui joue sur une seule voyelle pour nommer le luxe et les ordures. »

     

    Brésil qui danse et « ici la nuit les rats mangent les bébés. Clouants tropiques (…), les paradis sont des livres que la vie ne lit pas. »

     

    Et dans les années 70, la dictature… « Mais nous sommes en plein miracle économique, en réalité nous décollons et nous pourrissons en même temps, là est le miracle… », explique l’homme aux yeux de perdition aqueuse qui a enlevé la Bretonne et lui offrira le cercle magique de son nom. Quant à l’y enfermer, c’est une autre histoire. La fille est une Bretonne passée par la Prusse, difficile à soumettre.

     

    Guénane a glissé dans ce livre, outre un vécu très personnel, la langue même du Brésil, fondante, envoûtante, elle l’entremêle à sa langue natale, délicieusement. Les Brésiliens ne parlent pas, ils vibrent, ils se caressent de diminutifs.

     

    On lit et on voyage, on plonge et on souffre aussi, le virus se réveille… Il est inexplicable, mais si vous l’avez attrapé, alors vous savez.

     

    On la suit donc volontiers, pas à pas, cette vive et attachante francesinha, cette pimenta, toute jeune, curieuse et entêtée, faite sans aucun doute du même bois que ce rouge Brésil, rouge sang qui bat aux tempes, qui fouette l’âme, qui fait sursauter, danser et pleurer tout à la fois. « la houille humaine, le radium humain (…). C’est ainsi que Saint-Pol-Roux appelle cette énergie dépensée par les yeux, les mains, les cris, les battements du cœur ».

     

    Terre d’énergie, le Brésil l’est sans aucun doute, riche de tout son sang mêlé, contre lequel nulle suprématie ne pourra rien, diluée, emportée, brassée dans la convergence et l’impétuosité des fleuves, jusqu’à l’océan-femme, la belle Iemanja, qui les accueillent tous en son sein fier.

     

    Et la francesinha, est-ce un Brésilien de quinze ans son aîné qu’elle a épousé ou bien le Brésil tout entier ?  Car à ce pays si contrasté, on peut aussi confier ses blessures, ses manques. Il se tisse des liens secrets entre lui et ceux qui ont le cœur boiteux et l’âme à vif.

     

    « Si tu savais ne jamais arriver, partirais-tu ? » lit-on dans un poème de Saint-Pol-Roux. La réponse est oui, mille fois oui. Il y a des rendez-vous auxquels,on n’échappe pas. Demain 17 heures Copacabana.

     

     

    Cathy Garcia

     

     

    393548940.jpgLa ville de Lorient ayant été anéantie par les bombes alliées, Guénane est née le 26 juillet 1946, "en exil" au cœur de la Bretagne. Elle a grandi dans la vallée du Blavet, fleuve canalisé par Napoléon, en un lieu où régnait une usine sidérurgique et où continue d'étouffer son enfance. Après des études de lettres à Rennes où elle a enseigné, elle a longtemps vécu en Amérique du Sud. Elle réside aujourd’hui en Bretagne Sud là où le Blavet se jette dans la mer.

     

    Bibliographie :

    Poésie/ Au-delà du bout du monde, La porte, 2015 •  L'approche de Minorque, la porte, 2014 •  Dans la gorge du diable, Apogée, 2013 •  La guerre secrète, Apogée, 2011 •  La ville secrète, Rougerie, 2011 •  Couleur femme, Rougerie, 2007 •  L'Ile Subtile, Rougerie, 2007 •  Ile, Rougerie, 2006 •  L'océan te l'apprendra, Rougerie (2005) •  L'idée d'île, Rougerie, 2003 •  Une île dans le regard, Rougerie, 2002 •  Un fleuve en fer forgé, Rougerie, 2002 •  Poing d'ombre, Rougerie, 2000

    Plaquettes/ Venise ruse, La Porte, 2012 •  Hoedic (Caneton), La Porte, 2010 •  Le Mot de la fin, Apogée, 2010 •  Sein, La Porte, 2009 •  L'île frôlée, La Porte, 2005

    Prose/ Deux récits : 40 pieds sur le Rhum, G.D Editions, 2003 •  L'ange gardien, éditions Blanc Silex, 2001

    Romans, nouvelles/  Demain 17 heures Copacabana, éd. Apogée, 2014 •  L'Approche de l'Equinoxe, nouvelle avec bois poli signé Christophe Carmellino •  Carnet des Sept Collines, Jean-Pierre Huguet Editeur ,2007 •  Pax, Amers Editions, 2002

     

    http://guenane.olympe.in/

     

     

     

  • Le bruit du dégel de John Burnside

    traduit de l’Anglais (Écosse) par Catherine Richard-Mas

    Métailié, 23 août 2018

     

    editions-metailie.com-le-bruit-du-degel-bruit-du-degel-hd-300x460.jpg

    362 pages, 22 euros.

     

    Dans Le bruit du dégel, la patte, ou plutôt la texture de l’auteur de L’été des noyés, se confirme. Cette même lumière intérieure, une sorte de douceur un peu étrange qui baigne le roman, qui en floute les contours, adoucit les angles, même les plus tranchants. On pourrait penser que John Burnside peint ses romans plus encore qu’il ne les écrit et ce n’est sans doute pas un hasard si l’art tient une grande place dans son écriture. Mais, si la peinture était omniprésente dans L’été des noyés, ici ce sont surtout le cinéma, la musique : images, ambiances, atmosphères….  Les sens du lecteur sont extrêmement sollicitées, y compris celui du goût et nous lisons le roman comme nous regarderions des morceaux de films, où les personnages s’appréhendent peu à peu dans leur complexité, leur solitude, leur histoire particulière, souvent dramatique. Et justement dans Le bruit du dégel, c’est de cela qu’il est question : d’histoires, des morceaux de vie racontés par Jean, une vieille dame qui vit en lisière d’une forêt, qui coupe son bois, fait des beignets aux pommes, concocte des tisanes et adore aller boire un café accompagné d’une délicieuse pâtisserie, au Territoire sacré.

    Jean a passé un pacte avec Kate, jeune fille mordue de cinéma, plus ou moins étudiante dans ce domaine, mais surtout paumée et enchaînée à un deuil qu’elle n’arrive pas à faire. Jean accepte de raconter des histoires de sa vie à Kate, que le hasard d’improbables enquêtes cinématographiques a conduit jusque chez elle, à condition que cette dernière accepte de ne pas céder à son penchant morbide pour l’alcool durant tout ce temps.

    Et c’est ainsi que des portes s’ouvrent à l’intérieur du roman pour accéder, comme dans une sorte de mise en abîme à un autre roman, où d’autres vies, d’autres temps, sont racontés pendant que la vie de Kate elle-même, personnage central et narrateur, se dévoile peu à peu.

    Kate partage sa vie depuis quelques temps avec Laurits, jeune réalisateur de cinéma, exigeant, complexe, excessif, peut-être bien génial, mais désabusé, plus suicidaire encore qu’elle-même et par qui elle se laisse volontairement absorber. Avec qui, elle se laisse couler.

    « Ses films étaient appréciés dans certains milieux, mais lui affirmait que finalement ils étaient tous merdiques. L’idée initiale n’était pas merdique, disait-il, mais le produit fini n’était jamais à la hauteur. Il soulignait toujours qu’il n’y avait pas d’histoire dans ces films maison (…) parce qu’il méprisait l’intrigue, détestait le suspense, le mensonge que ça impliquait, la maladresse de l’artifice, mais je ne crois pas que le public partageait ce point de vue. (…) Laurits disait que sa vie ne s’attachait pas aux événements, ni à cette sensation durable d’exister en tant qu’histoire que le processus de socialisation s’efforce de nous vendre. Il disait que les relations impliquant une quelconque complexité ne l’intéressaient pas, qu’il recherchait juste ces textures et gradations insaisissables d’ombre et de lumière, les nuances, l’atmosphère. Il y était question de l’étoffe du monde — ou plutôt de ces instants et lieux où l’étoffe du monde était effilochée ou déchirée. »

    Le lecteur ne pourra peut-être pas s’empêcher de faire le lien entre ces deux dernières phrases et l’écriture de John Burnside lui-même, car il y a vraiment de ça dans ses romans, ce qui peut plaire comme agacer, parce qu’on peut avoir l’impression de ne pas avoir de prises, de glisser sur cette écriture comme sur une vitre. Tout en étant absolument touché par le paysage qu’on peut voir au travers, il demeure toujours pourtant comme une distance, une part inaccessible. On pourrait dire qu’il y a une sorte de pudeur dans l’écriture, une distance, même si l’auteur nous offre d’aller au plus près de ses personnages, notamment au travers de ce que raconte cette étonnante vieille dame.

    Jean porte en elle, en plus de la sienne, l’histoire de ses proches et un pan de l’histoire contemporaine américaine est étroitement tissé à toutes ces existences: le mirage du rêve de liberté et de justice, le Vietnam, les mouvements contestataires des années 60-70, la guerre froide, les idéaux déçus ou poussés jusqu’au non-retour. Il y a donc dans ce roman, un évident fond politique, mais qui apparaît par contraste, toujours avec cette écriture qui semble fondre l’ensemble dans une même matière, tout en nous faisant percevoir que, par endroits justement, l’étoffe du monde peut se déchirer et on peut alors voir au-delà, quelque chose que les mots n’atteignent pas. Et dans Le bruit du dégel, cet endroit pourrait se trouver dans cette maison si accueillante à la lisière de la forêt.

    La lisière : la frontière fragile entre le réel et le rêve, la frontière fragile entre les personnes, entre le passé et le présent, la vie et la mort et sans aucun doute certaines personnes — et les chouettes rayées — ont connaissance de passages secrets.

     

    Cathy Garcia

     

    editions-metailie.com-burnside-john--hannah-assouline-2014-300x460.jpgJohn Burnside a reçu le Forward Poetry Prize 2011, principale récompense destinée aux poètes en Grande-Bretagne. John Burnside est né le 19 mars 1955 dans le Fife, en Écosse, où il vit actuellement. Il a étudié au collège des Arts et Technologies de Cambridge. Membre honoraire de l’Université de Dundee, il enseigne aujourd’hui la littérature à l’université de Saint Andrews. Poète reconnu, il a reçu en 2000 le prix Whitbread de poésie. Il est l’auteur des romans La Maison muetteUne vie nulle partLes Empreintes du diable et d'un récit autobiographique, Un mensonge sur mon père. John Burnside est lauréat de The Petrarca Awards 2011, l'un des plus prestigieux prix littéraires en Allemagne.

     

     

     

     

     

  • Atelier ”Collage & écriture” du 4 juillet à Cajarc

     

    Brigitte_n.jpg

    B.

     

    Métronome_oser_tournis_vortex

     

     

    *

    Il fallait oser ce charivari !
    Qu’allait donc engendrer ce magnifique vortex, ce tournis inextinguible ?
    Le métronome ne parviendrait pas à réguler toute ces forces !

    J.

     

     

    *

    Je suis d'une autre galaxie, j'arrive d'un vortex insaisissable et complexe. Je me prénomme Lolita, j'ai le temps d'atterrir. 
    Il me suffit d'oser poser mon métronome pour que mon espace d'anamorphose se replace ailleurs que dans ce cercle infernal 
    qui me donne le tournis. 
    Patientez quelque peu bientôt mon regard ne sera plus vide.

    P.

     

     

    *

    Métronome, oser le tournis du vortex


    Métronome du temps et de l’espace, oser se laisser emporter par le tournis, rêve et cauchemar s’emmêlent dans la démesure. Vortex karmique, luxe et simplicité, sagesse et frivolité, oser descendre dans les couches les plus profondes de la psyché. Entrepôts et entrevoir, le monde est une éclipse, le monde est une ellipse.

    C.

     

     

    *

    J'ose le tournis sidéral du vortex terrien sur le rythme d'un métronome extraterrestre. Les lignes se télescopent… Mon cerveau se démultiplie et embrasse tout… Mystère de la création.

    B.

     

     

     

     

    Pascale collage.jpg

    P.

     

    Attente_carcéral_torture_focus

     

     

    *

    L'attente carcérale de la torture dans un environnement sordide met le focus sur l'homme oublié. misère et solitude... Forêt tremblante et néanmoins solaire.

    B.

     

     

    *

    Dehors, les arbres étaient si beaux.
    Mais l’œil, tel un focus démesuré, surveillait l’intérieur des salles carcérales.
    Un prisonnier, allongé, semblait apprécier ce moment de repos et de répit.
    D’autres, assis, en apparence plus détendus, 
    étaient-ils en attente de quitter ce lieu 
    où se pratiquaient violence et torture ? 

    J.

     

     

    *

    Attente carcérale : torture et focus

    Prise dans le mécanisme infernal de la machine carcérale, une jeunesse broyée par une accumulation d’injustices et des voies d’avenir barrées, se retrouve livrée à la torture de l’attente d’un hypothétique jugement. Effondrement dans l’effondrement, focus sur l’ennui féroce d’un désœuvrement total, elle attend — quoi d’autre ? — la mort comme une libération sans condition.

    C.

     

     

    *

    En lévitation quand il ne reste plus rien d'humain, je scrute d'un œil mon intériorité. 
    Le monde m'apparaît carcéral. Sidérée, je suis en attente, focus sur les murs délabrés de mon cortex malade.
    Est-ce vraiment une torture que de ne plus rien penser ou bien ne plus rien penser ne vous évite-t-il pas la torture, la lobotomie et les électrochocs ?

    P.

     

     

     

     

    Josette coll.jpg

    J.

     

    Sang_esclave_ombre_questionnement

     

     

    *

    Le travail des esclaves sorti de l'ombre projette sur les murs blancs du sang et de la sueur. Un questionnement silencieux se profile et fait vibrer notre cortex frontal. Pas de réponse.

    B.

     

     

    *

    Balayez-moi le plancher, au propre comme au figuré. Tout ce sang répandu ! 
    Je ne veux plus rien voir, ni même cette ombre rouge indiscrète et bavarde. Balayez-moi tout cela. 
    Je veux une surface sans aspérité. Vos questionnements me fatiguent, esclaves modernes resurgis du passé ! 

    P.

     

     

    *

    Sang d’esclave, l’ombre d’un questionnement…

    Sang d’esclave, ombre pour ombre, venu de tous les continents. Le travail ne manque pas quand il est asservissement. Travailler pour, oui, se dit-elle, mais le questionnement sans fin,  c’est comment vivre avec ces blancs aux mains si rouges. Esclaves d’hier et d’aujourd’hui, ombres dans l’ombre de l’argent.

    C.

     

     

    *

    Retirée dans un coin d’ombre, la jeune fille noire se rappelait tous ces esclaves entachés de sang.  En elle ne cessait un questionnement récurrent : comment vivre avec les Blancs ?

    J.

     

     

     

     

    La Question.jpg

    C.

     

     

    Vivant (le)_abysse_couronnement_question

     

     

    *

    Le vivant remonte des abysses pour aller vers son couronnement. le féminin veille, préoccupée mais sans se poser de question.  Mèr(e) veille…

    B.

     

     

    *

    Moi, l'Irlandaise de Courbet, j'ai cru voir dans mon miroir le fond des abysses bleu, j'ai vu l'homme, l'homo-sapiens se lever droit 
    et marcher comme un homme debout. 
    J'ai vu un théâtre de mots sur le sable profond. 
    J'ai regardé de face la tristesse du tigre. 
    J'ai pris 1000 chemins stroboscopiques pour répondre à l'incendie vivant dont le couronnement vous posait question 
    et j'ai pu enfin y répondre.

    P.

     

     

    *

    Pensive, elle regardait ce collage : elle y voyait le couronnement du vivant, 
    celui des animaux en particulier, 
    des abysses au plus haut des coupoles.
    Mais aujourd’hui le trône de l’homme était vide et à terre. 
    Pourquoi ?
    La réponse à cette question lui semblait évidente : on ne pouvait ignorer sa responsabilité 
    dans l’extinction des espèces et les pollutions de l’air, des eaux, des terres.

    J.

     

     

    *

    Le vivant, abysse et couronnement d’une question


    Du fin fond des abysses jusqu’au rituel du couronnement, toujours la même question : qui sommes-nous ? Quelle place dans l’échelle du vivant ? Quel pouvoir nous oct-roy-ons-nous ? Nous cherchons dans le visible, l’invisible, notre origine et notre destination et nous nous épuisons dans cette quête sans fin de savoir, de pouvoir. Nous cherchons l’impossible et ne savons plus vivre.

    C.

     

    *

     

    Et deux autres collages du même jour par la très prolifique P. !

     

    Pascale 2_n.jpg

     

     

    Pascale 3n.jpg

     

     

     

    Merci aux participantes et à La souris verte !

    Le prochain atelier en ce lieu : le 25 juillet,

    attention, places très limitées !

     

    Inscription : mc.gc@orange.fr

     

     

     

     

     

     

  • Atelier Collage & écriture du 13 septembre 2022

    collage sept 2022.jpg

    L.

     

    valse_puissance_jouissance_festin

     

     

    Le cours de la valse doit cesser pour faire place à la puissance de la jouissance, ce délicieux festin enfermé.

    K.

     

     

    L’autel est dressé pour le grand bal dédié à la jouissance. J’ai le chef d'orchestre bien en main ; il battra la mesure du violon pour entraîner notre valse folle sous une débauche d’étoiles et de paillettes, rien n’est trop pour les galipettes. Examinez ce mets de choix promis à notre festin, un jeune homme soumis et  tendre à qui nous allons infliger nos caprices et imposer notre puissance. Mais toi, la Joconde, tu viens ou tu regardes seulement ?

    O.

     

     

    Sur le guéridon, les esprits tourneurs ont la nausée, c’est la valse incessante des puissances, le festin sans faim de la course à la jouissance et ça s’amuse et sarabande jusqu’à ce que chair s’effondre. La pomme d’Ève sur la tête de la Joconde attend la flèche d’un cul bidon, allez dansez Messieurs, Mesdames, la valse ivre des dominations !

    C.

     

     

    Le chat n’est pas là, les souris dansent ! Et ce soir, quelle fiesta ! La grande prêtresse de la soirée a préparé pour toutes ses invitées un véritable festin. Mais avant de passer à table, place au jeu. Il faudra faire preuve de patience avant la jouissance. 1ère épreuve : le jeu de la pomme. Pendant la valse, une convive doit atteindre la cible placée sur la tête d’une volontaire à l’aide d’un fouet. Grâce, puissance et adresse sont indispensables. 2ème épreuve : le jeu du tabouret consiste à rester assise en équilibre le plus longtemps possible, jambes en l’air, sans filer ses bas résille. Celle qui réussit les 2 épreuves a gagné et peut déguster le plat à sa convenance : seule ou en équipe. 

    L.

     

     

     

     

     

    Karine.jpg

    K.

     

     

    globe_solitaire_ombre_couleurs

     

     

     

    De quel côté du globe ai-je été projeté ? Je ne sais plus . Il semblerait que ce soit dans le grand froid arctique au milieu d’une colonie de manchots alors que j'ai chaud, tellement chaud… Où suis-je ? Qui peut me dire ? ...Solitaire, prisonnier de mes ombres, je ne vois la vie qu’en noir et blanc . Vous dites brandir la couleur …Qu’est-ce que la couleur ?...

    O.

     

     

     

    Le pèlerinage avait débuté en Bretagne. Mais Bécassine, trop timide, avait fait demi-tour et était retournée chez son père, de son pas de bigoudène corsetée. Elle rêvait pourtant de parcourir le globe pour visiter tous les lieux de culte. Elle aurait aimé rencontrer – ne serait-ce que son ombre – l’anachorète mongol, les éléphants sacrés de Thaïlande... et surtout, surtout Gengis Chan, acteur taïwanais véritable dieu vivant ! Il est en plein tournage de son dernier thriller au Groenland entouré de bébés manchots. Un film sans couleur (en noir et blanc, quoi !) où il joue un homme solitaire qui réalise son rêve : poncer des statues de glace.

    L.

     

     

     

    Madame l’épouse du savant explorateur assiste au colloque de son digne époux qui raconte à un parterre de dignitaires vêtus comme des manchots, son périple solitaire autour du globe. Et plus il parle et plus madame son épouse prend des couleurs mais ce n’est pas le voyage de son cher époux qui l’émoustille ainsi mais le souvenir du beau et solide maçon coréen qui était chargé des travaux de réfection du salon, et d’autres parties de la maison, durant l’absence prolongé du célèbre savant explorateur. Et tandis que celui-ci parle, parle et parle encore, se dessine sur les lèvres de madame son épouse, l’ombre d’un sourire gourmand.

    C.

     

     

     

    Mais que veut-elle de moi ?

    Mais quel amour ?

    Que d'ombre ...

    Dans sa recherche solitaire, elle englobe les couleurs.

    K.

     

     

     

     

     

     

    307157054_1758475164531596_7596686145051617147_n.jpg

    O.

     

    fracas_corolle_perçant_souffle

     

     

     

    Le fracas fait apparaître un ordre perçant provoqué par un souffle immense laissant apparaître la végétalisation puis la substantifique corolle.

    K.

     

     

    Dans le fracas du monde, la femme résiste à tout, même à l’impensable. Aucun regard ne l’a tue. Du premier cri perçant au dernier souffle, elle reste l’origine de tout. On la croit chenille, elle devient papillon. On la dit fanée, elle est corolle. Elle connait tout des graines, des savoirs de l’homme-médecine. Mais chut ! il ne le sait pas

    L.

     

     

     

    Petits pois magiques : se déchire la corolle du temps sur les ailes émeraude, souffle de papillon, l’œil perçant de l’homme-médecine traverse les mondes. Le feu jaillit à grands fracas des corps contaminés, l’enfant-agneau tête le sein de sa mère et le Grand Tout quoiqu’il arrive, demeure impassible. La réalité pulvérisée retournera toujours à son état de paix originelle. Petits pois magiques : ne pas dépasser la dose prescrite.

    C.

     

     

     

    La presse en parle. Sous les glaces du grand rapace blanc, un sinistre fracas a retenti suivi de hurlements et de cris perçants. Les villageois accourus ont découvert une corolle géante et vaporeuse, de couleur rose bonbon. Du jamais vu ! Des inconnus musclés se sont proposés pour examiner la chose et, aidés par le souffle puissant d'un sorcier sorti de nulle part, ils ont écarté les voiles et extirpé du calice, un chaman en pleine forme qui a béni la population. On ne sait pas encore si l'information est avérée ou si le journaliste était sous l’emprise des petites pilules vertes qui circulent beaucoup par ici.

    O.

     

     

     

     

    Rouge paix (2).jpg

    C.

     

    temps_rêve_pétrir_rouge

     

     

     

    Le rouge étant une couleur primaire, couleur aussi de l'argile, de la terre, le temps du rêve devrait se transformer à force de pétrissage pour faire éclore ses fruits parés d'or.

    K.

     

     

     

    La vieille femme est à la recherche du temps perdu. Elle se revoit jeune fille. Elle rêve, se demande si cela a existé. Elle cherche les couleurs. Seul le rouge lui revient en mémoire. Elle se souvient – ou est-ce encore une rêverie – des pommes, des peaux. A-t-elle pu pétrir, être pétrie et ne garder aucun souvenir de la chambre ?

    L.

     

     

     

    Drôle de rêve …Une main tourne, creuse et pétrit le temps. La vie a fui. De la béatitude de l'enfance, du bébé bien nourri ,déjà pourtant sur le qui-vive , à l’adolescente timide et discrète, qui a su s’épanouir en jeune femme libre aux robes rouge feu… J'ai traversé et croqué la vie,  en ai aimé les rondeurs et les tempêtes. Et pomme, me voilà ridée comme une vieille du jardin , les roses sont coupées, les lits sont vides… Ne restent que les gigolos en vente privée !

    O.

     

     

     

    Le temps pétrit le rouge des rêves, le modèle avec ses mains de dieu tranquille, colore les roses, les pommes et les pommettes et fait couler le lait sur les épines. Pendant que les vendeurs d’artifices ignorent les volcans qui les menacent, les nourrissons et les sage-femmes conspirent pour la paix. Le temps pétrit la pâte des rêves et les âmes douces ramassent les roses et pardonnent à celles et ceux qui les ont coupées.

    C.

     

     

     

     

     

     

     

  • La simplicité joyeuse et volontaire

     

    Circée de Paris ou Herbe aux sorcières (6).JPGLa simplicité joyeuse et volontaire, comme je la vis et l’ai vécu avant même de l’avoir nommée, c’est de savoir apprécier ce qu’on a, quels que soient nos moyens, et ceci sur tous les plans. Pas dans l’idée d’une discipline qu’on s’impose, d’une vertu à cultiver, non, pas d’efforts qui finiront par nous dégouter, nous révolter et nous faire retomber plus bas qu’au départ, c’est vraiment autre chose. C’est une sorte d’initiation à l’essence du plaisir. C’est d’abord apprendre à regarder les choses à la loupe et à amplifier nos sensations. Lorsqu’on passe près d’une plante à toutes petites fleurs, souvent elle est tellement insignifiante qu’on ne la remarque pas ou à peine, mais si on prend le temps de se pencher et de la regarder de près, alors se révèlent des trésors de nuances, de finesse, de beauté. C’est pourquoi j’aime faire de la macro en photo. En macro une punaise devient un joyau, mais la macro, c’est aussi une façon de voir que l’on peut appliquer à tous les domaines de notre vie.

    Pas seulement pour aller remuer ce qui ne va pas, ce qui manque, ce qui fait mal, ça en général on sait tous le faire et il faut parfois le faire, mais il faudrait aussi le faire pour aller arroser les minuscules graines de joie inconditionnelle qui n’attendent que notre attention pour s’épanouir. Alors, ça ne veut pas dire se forcer à être d’un optimiste béat ou se voiler la face, bien au contraire, plus on sait apprécier le minuscule, plus on voit aussi la moindre petite ombre triste de ne pas être prise en compte elle aussi, car la vie est faite d’ombres et de lumière et nous avons à apprendre des deux. Les deux sont nécessaires pour prendre conscience, terme emprunté au latin classique « conscientia »,  la « connaissance en commun », donc quelque chose qui va au delà de l’individu, quelque chose que nous partageons et que nous devons chacun alimenter autant que possible,  afin que l’humanité dans son ensemble puisse évoluer. Ainsi la simplicité joyeuse et volontaire pourrait s’apparenter à une sorte de travail d’alchimiste, en plongeant dans l’infiniment petit, on dégage les éléments les plus élémentaires du réel et il nous est alors possible de transformer le plomb en or.

    Peut-être par exemple, que comme moi, vous n’avez pas les moyens de partir en vacances, ou alors seulement un jour par ci par là, voire deux ou trois jours consécutifs une fois par an ou tous les deux ans, c’est mon cas, mais aussi parce que finalement la notion même de vacances ne veut plus dire grand-chose quand on vit pleinement sa vie et tout ce que l’on y fait. Mais donc, même si on part ailleurs une seule journée, il est tout à fait possible de savourer ces moments comme s’ils étaient interminables. Un jour égale trois semaines avec le stress des préparations de longues vacances en moins. Chaque seconde, chaque minute alors, se déploient, prennent une saveur incroyable, tout devient intéressant, agréable, beau, le moindre détail est agrandi et révèle ses merveilles. On peut vraiment appliquer ça à n’importe quel domaine de notre vie, y compris à celui de nos relations, ainsi qu’à chaque période de notre vie. Imaginez quel trésor peut être le temps de la vieillesse avec cette façon de voir et de la vivre.

    Au lieu de courir sans cesse après quelque chose, d’essayer de retenir les choses ou de les figer, de se gaver, d’être dans une sorte de boulimie de plaisirs, de loisirs, de reconnaissance, de sécurité, pour au final cultiver une frustration souvent permanente de tout ce qui nous est impossible, inaccessible ou refusé dans l’instant ou en général, nous pouvons agrandir tout ce qui nous entoure, approfondir toujours plus, l’infiniment petit n’a pas plus de limites que l’infiniment grand, sans parler des univers qui sont en nous. Cela demande de savoir vivre l’instant présent, être dans l’instant présent, de ne pas trop laisser nos pensées nous embarquer n’importe où, de ne rien regretter d’hier (ça ne sert à rien et puis hier a nourri nôtre expérience présente, remercions-le), de ne pas avoir peur de demain (ça ne changera rien), de s’accepter aussi ici et maintenant, tel que l’on est, là où l’on en est, ce qui veut dire être fluide, laisser venir les humeurs, les émotions, les sensations, ne les jugez pas, ne les bloquez pas, mais ne vous accrochez pas à celles qui sont désagréables, reconnaissez-les par contre, donnez leur de l’amour, elles ont le droit elles aussi de passer, laissez-les passer, comme des nuages elles finiront par s’effilocher dans le ciel, attention à ne pas vous croire supérieurs ou plus forts qu’elles cependant, elles ont un travail à faire elles aussi avec nous. Trop souvent on se trompe sur la « pensée positive », il ne s’agit pas d’être parfaits, mais d’être ce que nous sommes instant après instant, et nous sommes changeants, impermanents, nous sommes les nuages et nous sommes aussi le ciel.

    Nous n’avons pas fini de découvrir des trésors en nous, et plus nous découvrons de trésors en nous, plus nous sommes capables de les voir chez les autres, car nous ne pouvons voir chez les autres que ce que l‘on connait déjà, nous ne les comprenons qu’à travers notre propre prisme, notre propre réalité, alors plus on agrandit notre réalité, plus il y a de la place pour les autres, tous les autres, tels qu’ils sont, aussi changeant que des nuages dans le ciel de l’ici et maintenant.

    Tout ça pour dire que la simplicité joyeuse et volontaire, ce n’est pas seulement consommer bio et moins gaspiller, chacun de nos gestes, de nos pensées agissent dans plusieurs dimensions, et la dimension symbolique est tout aussi effective et agissante que les autres. Cela devient donc une sorte de philosophie pratique et spirituelle, ascétisme et hédonisme fusionnent, une simple bouchée de nourriture devient un festin à elle toute seule, un parfum, un souffle d’air, une musique peuvent provoquer un orgasme ou une illumination, tous les sens sont en éveil et on découvre qu’ils ont des capacités d’extension insoupçonnées, et que nous avons des capacités toutes aussi insoupçonnées pour faire face aux épreuves, à ce qui semble adversité, de voir au-delà des apparences.

    Et ceci d’autant plus que nous savons simplifier justement nos vies, que nous arrivons à distinguer nos satisfactions réelles de celles qui nous sont en quelque sorte présentées comme indispensables. Cela peut remettre en question bon nombre d’évidences, ou de ce qu’on l’on prenait pour des évidences, concernant notre statut social par exemple, notre vie professionnelle, l’image que l’on pense devoir donner de soi. Quand on commence à s’engager sur ce chemin de la simplicité joyeuse et volontaire, on fait rarement demi-tour, ce qu’on y trouve pulvérise bon nombre de nos croyances. On se rend compte déjà que ce n’était que des croyances, dont on avait hérité sans même s’en apercevoir de notre milieu familial, social, amical même. Nous ne gardons alors que celles qui restent d’elles-mêmes parce qu’elles sont justes évidentes, notre détecteur de mensonges, ceux que l’on se fait à soi-même, s’affine de plus en plus et comme la simplicité réduit nos besoins, nous découvrons de plus en plus d’espaces de liberté, de possibles. Nous ouvrons grand toutes les portes, les fenêtres, voire nous faisons tomber des pans de murs, nous savons que même avec un strict minimum, notre regard positionné en macro, nos sens démultipliés et notre source intarissable de joie inconditionnelle, nous offrent absolument tout ce que l’on pourrait souhaiter. C’est peut être ça le secret de la multiplication des pains et de l’eau changée en vin des Chrétiens. Un secret qui vient de bien plus loin et traverse les époques, intact.

     

    Cathy Garcia, 21 juin 2017

     

    (photo de l'auteur : Circée de Paris, herbe aux sorcières)

     

     

     

    Vivre simplement pour que tout le monde puisse simplement vivre

    Gandhi

     

     

     

  • Une quête infinie, Mary Johnson

     

     

    9782221111666.jpg

     

    Robert Laffont, parution le 18 février 2013

    Traduit de l’anglais (États-Unis) par Marianne Reiner.

    480 pages, 22 €

     

     

    Sous-titré « Auprès de Mère Teresa, mon itinéraire entre passion et désillusion », Une quête infinie est un captivant témoignage. Mary Johnson y raconte avec une impressionnante franchise, son parcours de nonne catholique. Cela commence un jour de 1975, où elle tombe sur une photo de Mère Teresa à la une du Time. Subjuguée par le personnage, elle prend alors, du haut de ses 17 ans, une importante décision vers laquelle convergeaient alors tout son être et ses plus profondes aspirations. Elle ne pouvait imaginer plus belle vie que celle qui se consacre entièrement à apporter soutien et compassion aux plus démunis de ce monde. Aucun membre de sa famille ne put la décourager d’arrêter ainsi ses études, pour se retrouver dix-huit mois plus tard dans un couvent du sud du Bronx, face à Mère Teresa, qui lui dit en accrochant un crucifix sur sa chemise « Reçois le symbole de ton époux crucifié. Porte sa lumière et son amour dans les demeures des pauvres partout où tu te rendras ». La voici donc novice chez les Missionnaires de la Charité. Mary Johnson y donnera vingt ans de sa vie. C’est donc un récit exceptionnel, vu de l’intérieur d’une de ces congrégations religieuses, qui souvent s’entourent d’ombre et de secrets pour mener à bien leur mission et accomplir leur vocation. Mary Johnson est alors une jeune fille un peu mal dans sa peau, qui n’intéressait pas les garçons, mais elle est intelligente, enthousiaste et dotée d’une foi qu’elle veut croire à toute épreuve. Mais la réalité est bien différente des rêves, et dès le premier jour nous pénétrons avec elle dans un monde clos, austère, difficile, exigeant et souvent injuste. Son enthousiasme et son idéal d’amour et de don total, se heurtent à des règles extrêmement rigides, paraissant parfois même moyenâgeuses, un monde où l’obéissance aveugle et sans condition est considérée comme la voie unique vers la sainteté. Mary Johnson dès le départ se retrouve confrontée au doute, à l’humiliation, à la remise en question de faits et gestes qui pourtant ne lui paraissent pas contradictoires avec la vie d’une Missionnaire de la Charité. Elle se sent pourtant prête à tous les sacrifices, elle veut travailler à devenir meilleure, pourvu qu’elle puisse se dévouer entièrement à sa mission, mais son esprit d’initiative, son intelligence et son sens de la justice, vont devenir alors ses pires ennemis. Ainsi devra t’elle, dès les premiers jours, accepter sans répliquer d’être traitée d’égoïste, de désobéissante, d’impudique, de paresseuse et de vaniteuse, tout cela pour avoir pris des douches et non utilisé un seau, alors qu’elle ne savait même pas qu’elle était censée le faire.

     

    « Lorsqu’une sœur était corrigée, avait expliqué sœur Carmeline, même si l’accusation était injuste, elle devait demeurer silencieuse, comme Jésus devant Pilate. Je savais que ce n’était pas tout à fait exact – Jésus était resté silencieux devant Hérode mais pas devant Pilate. J’avais levé la main pour signaler cette erreur, mais je l’avais immédiatement abaissée : comme elle l’avait expliqué, mourir à soi-même et à la fierté était plus important que d’avoir raison, j’allais donc rester silencieuse, comme Jésus devant Pilate. »

     

    Mary Johnson devient Sœur Donata, « celle qui se donne librement », car pour se donner à Jésus, il faut tout perdre, jusqu’à son propre nom. Et page après page, elle nous offre le récit de cette expérience unique, elle s’y livre intégralement, jusque dans les détails les plus intimes et les interdits qu’elle a enfreint, des amitiés particulières avec d’autres sœurs, allant jusqu’au plaisir charnel, et un amour profond et partagé avec un prêtre. Elle ne cache rien, non par goût de l’exhibition ou par provocation, mais dans un souci constant de vérité, de sincérité. Un besoin sans doute exacerbé par toutes ses années vécues dans un milieu où le secret et le silence étaient de mise, même quand il aurait été préférable de parler. On la suit ainsi de mission en mission, d’abord aux États-Unis, puis en Italie, à Rome. A sa plus grande déception, elle ne sera jamais envoyée plus loin, ses qualités et ses compétences, une fois de plus, se retournant contre elle, si bien qu’on lui confie toujours des taches qui ne lui permettent pas se consacrer véritablement à ce qui l’avait poussée, au départ, à rejoindre les Missionnaires de la Charité. On la voit se débattre avec des questionnements, des contradictions, des désirs, des obsessions et ce combat incessant entre ce qui lui semble naturel, voire même voulu par un Dieu d’amour, et le dogme, la honte, la culpabilité. Un combat qui durera vingt ans, avant que le besoin d’être soi, d’être dans l’amour véritable et non simplement dans une obéissance aveugle qui donne à la souffrance des odeurs de sainteté, ne devienne plus fort que tout. Cette obéissance aveugle à laquelle elle ne peut plus croire, ayant vu quel terreau elle était pour bon nombre d’injustices, en donnant raison aux plus intégristes, aux plus arrivistes, aux manigances de certain(e)s qui sous couvert de règles et d’intégrité théologiques se livrent aux plus viles manies humaines : manipulations, mensonges, cruauté, humiliations, pour assouvir leur soif de pouvoir, ce qui rappelle les plus sombres périodes inquisitrices. Un monde finalement bien éloigné de l’idéal Chrétien. C’est pourquoi Mary Johnson, au bout de vingt ans, prendra la courageuse et très difficile décision de quitter la congrégation pour ne plus jamais y retourner. Ce récit témoigne justement de comment une personne habitée d’une véritable vocation de don aux autres, d’un véritable esprit de compassion, un esprit christique dans le sens le plus profond, le plus libre du terme, se verra barrer la route dans ses aspiration les plus saines et les plus utiles et en arrivera au point d’y perdre toute joie et la santé.

     

     

    Nous ne sommes là que pour aimer et être aimés répétait Mère Teresa et pourtant elle ne supportait pas d’être embrassée et si une sœur Missionnaire de la Charité ne pouvait prendre, ne serait-ce que la main d’une autre sœur dans la sienne, pour la réconforter sur un moment difficile, « Nous ne devions pas nous serrer la main, encore moins nous tapoter le bras ou nous toucher l’épaule et jamais, bien-sûr, nous étreindre », il leur était demandé par contre de pratiquer « la discipline » : « Mais tout en me fouettant les cuisses et en serrant les chaînes autour de mon bras et de ma taille, je découvris que je ne croyais plus que Dieu prenait du plaisir dans ma douleur. »

     

    Sœur Donata se donnera à fond, elle fera taire ses réticences, fera tout son possible pour devenir une sœur accomplie telle que le conçoit Mère Teresa, qui voulait en faire de véritables saintes. Elle sera d’ailleurs appréciée de la plupart de ses compagnes, mais cela deviendra de plus en plus difficile, de plus en plus impossible d’aller à ce point contre elle-même d’une part, mais surtout contre ses convictions religieuses les plus profondes. « En attendant, je priais. Je savais à nouveau que Dieu résidait dans mon cœur, bien plus certainement qu’Il ne se trouvait dans les Règles. ». Elle en arrivera à maudire le jour où Dieu avait placé sous ses yeux, sur la couverture du magazine Time, le visage de cette femme ridée qui parlait de l’amour des pauvres.

     

    « Et je ne me sentais plus à ma place. J’ai vu la Congrégation devenir de plus en plus étroite d’esprit. Ce n’était pas ce pour quoi je m’étais engagée. Je voulais apporter ma contribution, mais la congrégation ne semblait pas intéressée par ce que j’avais à offrir. »

     

    Aussi, quand Sœur Donata prit la décision irrévocable de quitter la Congrégation, de redevenir Mary Johnson, et qu’elle se retrouva face à Mère Teresa, elle savait à quel point celle-ci ne pourrait pas comprendre.

     

    « Savait-elle à quel point je détestais l’idée de la décevoir ?

    « Ma Sœur, écoutez Mère Teresa. Parlez-lui. Pourquoi voulez-vous partir ? »

    Tout me revient en mémoire. L’étouffement, les désillusions, la frustration, la soif de plus.

    J’aurais voulu dire : Mère Teresa, mon Dieu n’est pas comme le vôtre. Votre Dieu vous demande de vous nier vous-même. Il compte chaque sacrifice et récompensera chaque acte de déni de soi. Votre Dieu est Jésus crucifié. Mon Dieu est celui de la résurrection – le Dieu qui dit : « Assez avec la souffrance. Guérissons le monde. »

    Votre Dieu est un Dieu jaloux, qui dit : Tant que vous ne serez jamais trop proche d’un autre humain, je serai toujours proche de vous. » Mon Dieu dit : « Je vous offre des amis, je vous offre des amants. Je suis présent dans les gens que je vous donne. »

    Ma Mère, j’aimerais que vous compreniez. Mais je ne peux pas prendre le risque que vous ne compreniez pas. Je ne veux plus de votre Dieu.

     

    Sœur Donata quitta les Missionnaires de la Charité en 1997, trois mois avant le décès de Mère Teresa. Ce livre qui sort 10 ans après la béatification de celle qui reçut le prix Nobel de la Paix en 1979 et consacra sa vie aux plus pauvres d’entre les pauvres, apporte un autre éclairage sur le personnage de cette femme hors du commun. Un dévouement aussi total peut camoufler de grandes souffrances. Dans ce livre, Mary Johnson redonne à Mère Teresa sa dimension humaine, avec tout ce que cela implique d’imperfection.

    « Mère Teresa en était ainsi arrivée à croire que ses sentiments de « torture et de douleur » faisaient plaisir à Dieu. Au cours des années, elle avait encouragée ses filles spirituelles à devenir des « victimes de l’amour divin ». Souvent elle disait aux malades : « la souffrance est le baiser de Jésus ».

    Ses questions n’avaient finalement débouché que sur une détermination dogmatique à croire. Elle évitait les doutes en insistant, de manière intransigeante, sur les enseignements de l’Église, y compris ceux portant sur le contrôle des naissances, la place des femmes, sans tenir compte de la souffrance ou de l’injustice que ces enseignements perpétuaient.

     

    Tant de choses dépendent des histoires que nous nous racontons et des questions que nous nous posons ou que nous ne voulons pas nous poser. »

     

    Ce qui n’empêche que Mary Johnson éprouve un profond respect et un réel amour pour cette femme et à la fin de ce livre qu’elle dédie « à toutes ses sœurs où qu’elles soient », elle remercie les Missionnaires de la Charité « pour avoir enrichi et compliqué ma vie de manière inestimable et pour avoir été mes sœurs et mes frères ».

     

    Nul besoin d’être catholique, ou justement de ne pas l’être, pour lire ce livre. Passionnant, il se lit comme un roman, et son plus grand mérite, est sans doute de montrer que la bonté et les aspirations spirituelles demeurent en chacune et chacun de nous, et que si la religion peut ou devrait être une des voies pour les réaliser, la primauté des règles sur l’intelligence du cœur, les raideurs et archaïsmes dogmatiques, l’aveuglement et les excès qu’ils entrainent, peuvent devenir au contraire, et ceci quelle que soit la religion, de graves entraves. Alors, s’en libérer, devient un véritable acte de foi, libre et responsable.

     

    Cathy Garcia

     

     

     

    Mary Johnson 2011.jpgMary Johnson est née en 1958 au Texas dans une famille catholique. Lorsqu'elle quitte les Missionnaires de la charité en 1997, elle obtient une licence en littérature et un master en beaux-arts et art de la rédaction. Conférencière très respectée, elle enseigne à présent à l'Université et a créé une fondation, Une chambre à soi, qui a pour vocation d'aider et soutenir les femmes écrivains. Son livre, Une quête infinie, est traduit dans de nombreux pays.

     

  • Ernest Pépin - A tous les reconduits

     

    Fils des murailles
          Nous avons transporté les bosses du désert
          Jusqu'aux portes du refus
          La terre sous nos pieds déroulait ses frontières
          Hissait des barbelés
          Et refusait nos mains de pèlerins
          Les passeurs cassaient nos âmes
          Nos corps marqués au fer du soleil
          Nos langues sèches de barbares errants
          Et froidement tétaient l'argent de nos exils
          C'est l'heure d'une folie douce
          Nos genoux ont balisé l'enfer
          Notre faim a mangé la poussière
          Et nos silences ont grimpé la tour de Babel
          C'est l'heure d'une folie douce
          Là-bas
          La ville amarre la misère
          Le visage de l'épouse allume une feuille morte
          L'enfant qui naît enjambe l'avenir
          Là-bas la mort embarque les jours
          Et les nuits dévorent la chair des étoiles
          Nous sommes d'un long voyage
          Un voyage d'ancêtres au cœur maigre
          Un voyage de sauterelles affamées
          Un voyage de pays sous perfusion

          Un voyage d'ombres sans corps
          Nous sommes de ce voyage
          Où les nuits font contrebande de chair

          Où les jours ont honte de leur soleil
          Où les hommes quémandent le droit de respirer
          Nous sommes de ce voyage
          Nos yeux chavirent comme des pirogues blessées

          Nos mains dénouent le nombril des vents
          Et nul arbre n'accueille l'ombre de nos rêves

          Partir n'est pas partir
          Quand les murs sont vivants
          Partir n'est pas partir
          Quand l'oiseau est sans nid
          Partir n'est pas partir

          Quand la terre se cloisonne
          Dans la peur des peuples
          Nos pas effraient la tour Eiffel
          Les capitales repues du sel des colonies
          Les usines à chômage
          Les bourreaux d'arc-en-ciel
          Les bourses mondialisées
          Et les marchands de peau
          Nos pas dérangent la marche du monde
          Nos pas vont en fraude supplier l'horizon
          Ils ne savent pas ouvrir les monnaies de l'accueil
          Et ils s'en retournent humiliés
          D'avoir à retourner
          Au seuil de nous-mêmes
          Est-ce la peau qui refoule
          Est-ce l'homme qui dit non
          Nous sommes les arpenteurs du refus
          Les déserteurs sans papiers
          Les capitales ont tissé nos douleurs
          Et leurs lumières sont des flocons de sang
          Des feux rouges sans paupières
          Des enseignes interdites
          Insectes saisonniers
          Nous jouons
          A recoudre l'espace
          Derrière l'incendie
          Nous jouons des jeux de prisonniers
          Le monde entier est notre prison
          Et nous jouons nos vies
          Au casino des riches
          Voici venue la saison des fleuves vides
          Voici venue la saison des barbelés
          Voici venue la saison des marées humaines
          Voici venue la saison des esclaves volontaires
          Même le village a mangé son midi
          Et nos villes drapées dans la poussière
          Sortent des seins maigres comme des aiguilles
          Ô pays !
          Nous avions rendez-vous avec les pays du rêve
          Avec une autre géographie
          Avec les grandes puissances de l'or et de l'euro
          Leurs villes sont des vallées de miel
          Des cornes d'abondance
          Et leur pain quotidien récite sa prière
          A l'ombre des cathédrales
          Nous n'avons rien à déclarer sinon la faim

          la faim n'a pas de passeport
          Nous n'avons rien à déclarer sinon la vie
          la vie n'est pas une marchandise
          Nous n'avons rien à déclarer sinon l'humanité
          L'humanité n'est pas une nationalité
          La misère ne passe pas
          Passager clandestin
          Elle retourne au pays
          Nos sandales ont usé les nuits
          Nos pieds nus ont écorché les dunes
          La rosée pleurait une terre inhumaine
          Et nos mains mendiaient une autre main
          Les drapeaux ont peur de leurs promesses
          Ils se sont enroulés comme des scolopendres
          Notre soif est retournée au feu de notre gorge
          Et la vie nous a tourné son dos
          Tout homme qui s'en va défie l'entour
          Dessouche une nation
          Et lézarde une étoile
          Et dans ses yeux grésillent une autre vie
          Son feuillage est d'outre-mer
          Quand tout au loin luit son désastre
          Il fait troupeau vers les quatre saisons
          Il fait tombeau aux bornages
          O nègres marrons !
          Ce sont forêts de béton et d'arbres chauves
          Souviens-toi de l'enfant mort d'atterrir
          En un seul bloc de froidure
          Dessous le ventre de l'avion
          Souviens-toi de sa mort d'oiseau gelé
          Souviens-toi
          Et toi reconduit
          Econduit
          Déviré
          Jeté par-dessus bord
          Taureau d'herbe sèche
          Regarde toi passer sur ta terre
          Les yeux baissés
          Et sur la joue le crachat des nations

         
          Ils ont faim du soleil
          Mais le soleil a faim aussi
          (Parole de poète)
          Demande-toi où est ton lieu
          Ton seul lieu d'accueil
          Tu inventeras ta terre

     

    à Lamentin le 29 octobre 2006

     

     

  • Charles Marie René Leconte de Lisle - La Légende des Nornes

     

    La neige, par flots lourds, avec lenteur, inonde,
    Du haut des cieux muets, la terre plate et ronde.
    Tels, sur nos yeux sans flamme et sur nos fronts courbés,
    Sans relâche, mes sœurs, les siècles sont tombés,
    Dès l’heure où le premier jaillissement des âges
    D’une écume glacée a lavé nos visages.
    À peine avions-nous vu, dans le brouillard vermeil,
    Monter, aux jours anciens, l’orbe d’or du soleil,
    Qu’il retombait au fond des ténèbres premières,
    Sans pouvoir réchauffer nos rigides paupières.
    Et, depuis, il n’est plus de trêve ni de paix :
    Le vent des steppes froids gèle nos pleurs épais,
    Et, sur ce cuivre dur, avec nos ongles blêmes,
    Nous gravons le destin de l’homme et des Dieux mêmes.
    Ô Nornes ! qu’ils sont loin, ces jours d’ombre couverts,
    Où, du vide fécond, s’épandit l’univers !
    Qu’il est loin, le matin des temps intarissables,
    Où rien n’était encor, ni les eaux, ni les sables,
    Ni terre, ni rochers, ni la voûte du ciel,
    Rien qu’un gouffre béant, l’abîme originel !
    Et les germes nageaient dans cette nuit profonde,
    Hormis nous, cependant, plus vieilles que le monde,
    Et le silence errait sur le vide dormant,
    Quand la rumeur vivante éclata brusquement.
    Du Nord, enveloppé d’un tourbillon de brume,
    Par bonds impétueux, quatre fleuves d’écume
    Tombèrent, rugissants, dans l’antre du milieu ;
    Les blocs lourds qui roulaient se fondirent au feu :
    Le sombre Ymer naquit de la flamme et du givre,
    Et les Géants, ses fils, commencèrent de vivre.
    Pervers, ils méditaient, dans leur songe envieux,
    D’entraver à jamais l’éclosion des Dieux ;
    Mais nul ne peut briser ta chaîne, ô destinée !
    Et la Vache céleste en ce temps était née !
    Blanche comme la neige, où, tiède, ruisselait
    De ses pis maternels la source de son lait,
    Elle trouva le Roi des Ases, frais et rose,
    Qui dormait, fleur divine aux vents du pôle éclose.
    Baigné d’un souffle doux et chaud, il s’éveilla ;
    L’Aurore primitive en son œil bleu brilla ;
    Il rit, et, soulevant ses lèvres altérées,
    But la Vie immortelle aux mamelles sacrées.
    Voici qu’il engendra les Ases bienheureux,
    Les purificateurs du chaos ténébreux,
    Beaux et pleins de vigueur, intelligents et justes.
    Ymer, dompté, mourut entre leurs mains augustes ;
    Et de son crâne immense ils formèrent les cieux,
    Les astres, des éclairs échappés de ses yeux,
    Les rochers, de ses os. Ses épaules charnues
    Furent la terre stable, et la houle des nues
    Sortit en tourbillons de son cerveau pesant.
    Et, comme l’univers roulait des flots de sang,
    Faisant jaillir, du fond de ses cavités noires,
    Une écume de pourpre au front des promontoires,
    Le déluge envahit l’étendue, et la mer
    Assiégea le troupeau hurlant des fils d’Ymer.
    Ils fuyaient, secouant leurs chevelures rudes,
    Escaladant les pics des hautes solitudes,
    Monstrueux, éperdus ; mais le sang paternel
    Croissait, gonflait ses flots fumants jusques au ciel ;
    Et voici qu’arrachés des suprêmes rivages,
    Ils s’engloutirent tous avec des cris sauvages.
    Puis ce rouge Océan s’enveloppa d’azur ;
    La Terre d’un seul bond reverdit dans l’air pur ;
    Le couple humain sortit de l’écorce du frêne,
    Et le soleil dora l’immensité sereine.
    Hélas ! mes sœurs, ce fut un rêve éblouissant.
    Voyez ! la neige tombe et va s’épaississant ;
    Et peut-être Yggdrasill, le frêne aux trois racines,
    Ne fait-il plus tourner les neuf sphères divines !
    Je suis la vieille Urda, l’éternel Souvenir ;
    Mais le présent m’échappe autant que l’avenir.

     


    DEUXIÈME NORNE.

    Tombe, neige sans fin ! Enveloppe d’un voile
    Le rose éclair de l’aube et l’éclat de l’étoile !
    Brouillards silencieux, ensevelissez-nous !
    Ô vents glacés, par qui frissonnent nos genoux,
    Ainsi que des bouleaux vous secouez les branches,
    Sur nos fronts aux plis creux fouettez nos mèches blanches !
    Neige, brouillards et vents, désert, cercle éternel,
    Je nage malgré vous dans la splendeur du ciel !
    Par delà ce silence où nous sommes assises,
    Je me berce en esprit au vol joyeux des brises,
    Je m’enivre à souhait de l’arôme des fleurs,
    Et je m’endors, plongée en de molles chaleurs !
    Urda, réjouis-toi ! l’œuvre des Dieux fut bonne.
    La gloire du soleil sur leur face rayonne,
    Comme au jour où tu vis le monde nouveau-né
    Du déluge sanglant sortir illuminé ;
    Et toujours Yggdrasill, à sa plus haute cime,
    Des neuf sphères du ciel porte le poids sublime.
    Ô Nornes ! Échappé du naufrage des siens,
    Vivant, mais enchaîné dans les antres anciens,
    Loki, le dernier fils d’Ymer, tordant sa bouche,
    S’agite et se consume en sa rage farouche ;
    Tandis que le Serpent, de ses nœuds convulsifs,
    Étreint, sans l’ébranler, la terre aux rocs massifs,
    Et que le loup Fenris, hérissant son échine,
    Hurle et pleure, les yeux flamboyants de famine.
    Le noir Surtur sommeille, immobile et dompté ;
    Et, des vers du tombeau vile postérité,
    Les Nains hideux, vêtus de rouges chevelures,
    Martèlent les métaux sur les enclumes dures ;
    Mais ils ne souillent plus l’air du ciel étoilé.
    Le mal, sous les neuf sceaux de l’abîme, est scellé,
    Mes sœurs ! La sombre Héla, comme un oiseau nocturne,
    Plane au-dessus du gouffre, aveugle et taciturne,
    Et les Ases, assis dans le palais d’Asgard,
    Embrassent l’univers immense d’un regard !
    Modérateurs du monde et source d’harmonie,
    Ils répandent d’en haut la lumière bénie ;
    La joie est dans leur cœur : sur la tige des Dieux
    Une fleur a germé qui parfume les cieux ;
    Et voici qu’aux rayons d’une immuable aurore,
    Le Fruit sacré, désir des siècles, vient d’éclore !
    Balder est né ! Je vois, à ses pieds innocents,
    Les Alfes lumineux faire onduler l’encens.
    Toute chose a doué de splendeur et de grâce
    Le plus beau, le meilleur d’une immortelle race :
    L’aube a de ses clartés tressé ses cheveux blonds,
    L’azur céleste rit à travers ses cils longs,
    Les astres attendris ont, comme une rosée,
    Versé des lueurs d’or sur sa joue irisée,
    Et les Dieux, à l’envi, déjà l’ont revêtu
    D’amour et d’équité, de force et de vertu,
    Afin que, grandissant et triomphant en elle,
    Il soit le bouclier de leur œuvre éternelle !
    Nornes ! Je l’ai vu naître, et mon sort est rempli.
    Meure le souvenir au plus noir de l’oubli !
    Tout est dit, tout est bien. Les siècles fatidiques
    Ont tenu jusqu’au bout leurs promesses antiques,
    Puisque le chœur du ciel et de l’humanité
    Autour de ce berceau vénérable a chanté !

     

    TROISIÈME NORNE.

    Que ne puis-je dormir sans réveil et sans rêve,
    Tandis que cette aurore éclatante se lève !
    Inaccessible et sourde aux voix de l’avenir,
    À vos côtés, mes sœurs, que ne puis-je dormir,
    Spectres aux cheveux blancs, aux prunelles glacées,
    Sous le suaire épais des neiges amassées !
    Ô songe, ô désirs vains, inutiles souhaits !
    Ceci ne sera point, maintenant ni jamais.
    Oui ! le Meilleur est né, plein de grâce et de charmes,
    Celui que l’univers baignera de ses larmes,
    Qui, de sa propre flamme aussitôt consumé,
    Doit vivre par l’amour et mourir d’être aimé !
    Il grandit comme un frêne au milieu des pins sombres,
    Celui que le destin enserre de ses ombres,
    Le guide jeune et beau qui mène l’homme aux Dieux !
    Hélas ! rien d’éternel ne fleurit sous les cieux,
    Il n’est rien d’immuable où palpite la vie !
    La douleur fut domptée et non pas assouvie,
    Et la destruction a rongé sourdement
    Des temps laborieux le vaste monument.
    Vieille Urda, ton œil cave a vu l’essaim des choses
    Du vide primitif soudainement écloses,
    Jaillir, tourbillonner, emplir l’immensité...
    Tu le verras rentrer au gouffre illimité.
    Verdandi ! Ce concert de triomphe et de joie,
    L’orage le disperse et l’espace le noie !
    Ô vous qui survivrez quand les cieux vermoulus
    S’en iront en poussière et qu’ils ne seront plus,
    Des siècles infinis Contemporaines mornes,
    Vieille Urda, Verdandi, lamentez-vous, ô Nornes !
    Car voici que j’entends monter comme des flots
    Des cris de mort mêlés à de divins sanglots.
    Pleurez, lamentez-vous, Nornes désespérées !
    Ils sont venus, les jours des épreuves sacrées,
    Les suprêmes soleils dont le ciel flamboiera,
    Le siècle d’épouvante où le Juste mourra.
    Sur le centre du monde inclinez votre oreille :
    Loki brise les sceaux ; le noir Surtur s’éveille ;
    Le Reptile assoupi se redresse en sifflant ;
    L’écume dans la gueule et le regard sanglant,
    Fenris flaire déjà sa proie irrévocable ;
    Comme un autre déluge, hélas ! plus implacable,
    Se rue au jour la race effrayante d’Ymer,
    L’impur troupeau des Nains qui martèlent le fer !
    Asgard ! Asgard n’est plus qu’une ardente ruine ;
    Yggdrasill ébranlé ploie et se déracine ;
    Tels qu’une grêle d’or, au fond du ciel mouvant,
    Les astres flagellés tourbillonnent au vent,
    Se heurtent en éclats, tombent et disparaissent ;
    Veuves de leur pilier, les neuf Sphères s’affaissent ;
    Et dans l’océan noir, silencieux, fumant,
    La Terre avec horreur s’enfonce pesamment !
    Voilà ce que j’ai vu par delà les années,
    Moi, Skulda, dont la main grave les destinées ;
    Et ma parole est vraie ! Et maintenant, ô Jours,
    Allez, accomplissez votre rapide cours !
    Dans la joie ou les pleurs, montez, rumeurs suprêmes,
    Rires des Dieux heureux, chansons, soupirs, blasphèmes !
    Ô souffles de la vie immense, ô bruits sacrés,
    Hâtez-vous : l’heure est proche où vous vous éteindrez !