Nina Hagen Band - Naturträne
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Une fois la tempête passée, tu te demanderas comment tu as fait pour la traverser, comment tu as fait pour survivre. Tu ne seras pas très sûr, en fait, qu'elle soit vraiment achevée. Mais sois certain d'une chose : une fois que tu auras essuyé cette tempête, tu ne seras plus le même. Tel est le sens de la tempête.
in Kafka sur le rivage
Extrait de "Mordre les temps de mort" parmi les extraits du recueil Aujourd'hui est habitable présentés dans ce numéro en écho à sa parution chez Cardère éditeur, en septembre 2018. Lu par moi-même.
http://larevuenouveauxdelits.hautetfort.com/
La haine change de camp, change de temps, du passé au présent, mais vous qu'avez-vous fait très précisément pendant l'Occupation, mais nous, que faisons-nous très précisément pendant ces temps d'attentats de meurtres d'exécutions de génocides ? Que faisions-nous, que faisons-nous, qu'aurions-nous fait, que faites-vous, que faire ?
Vous tondez la haine à la main, vous tondez la haine à la bouche, la haine actionne la lame qui crisse ses cris aigus aux oreilles des survivantes
Lente défiguration, mèche à mèche le visage s'efface la femme disparaît
Lente correction goutte à goutte l'acide brûle sous la peau la chair à vif
Lente mutilation point après point le sexe cousu défendu
Traumatisées à jamais défigurées à jamais marquées pour toujours ainsi en a décidé le peuple la plaie le pouvoir du jour.
Il faut bien se venger il faut bien crier vengeance et haine il faut bien accuser il faut des victimes des bourreaux encore et encore des justes des injustes des justices expédiées des doigts pointés des poings brandis des femmes à genoux des crânes rasés encore rasés tondus des crânes d'enfants la peau à nu la fragile à nue la coupable déshabillée il faut des coupables toujours partout pour tout comment tenir sans accuser sans dénoncer il en faut des tonnes de camps des quantités il faut les montrer les violer les enfermer les terroriser il faut d'un côté le pouvoir d'un côté la loi d'un côté le fort d'un côté du même côté il faut choisir son côté son camp son clan il faut savoir que ça arrivera encore et encore il faut des édits des dits des lettres anonymes des rumeurs des portes ouvertes à coups de bottes des gonds arrachés des crânes tondus il faut sortir les femmes et les enfants de leur lit il faut arracher le nourrisson du sein ouvrir le ventre plein et tuer le futur il faut lever les ciseaux abattre la justice il faut trancher des têtes tondre des femmes il faut former le troupeau suivre le grand leader il faut les brebis égarées les galeuses les tondre jusqu'à la lie il faut l'hallali pour sublimer la victoire les victorieux comme ils brillent leur firmament leur exemple il faut des exemples pour la jeunesse pour le peuple pour marcher il faut marcher au pas il faut pousser dans le dos les brusques bourrades les faire tomber les femmes qui ont couché qui ont sans doute couché qui ont ouvert la porte leur bras leurs cuisses leur ventre il faut éliminer Tout Ce Qui Frémit.
in Les tondues
illustrations de Jacques Cauda, Z4 éditions, 2017
Une perle......l'album entier, sorti en 2000. Textes issus du roman de Georges Hyvernaud "La peau et les os" aux éditions La Dilettante. Un auteur (1902-1984) oublié pendant 30 ans et dont le travail littéraire (fulgurant) n'a été reconnu qu'à titre posthume, encore un.... qui a trop dérangé les bonnes conscience. Soyez curieux : https://fr.wikipedia.org/wiki/Georges_Hyvernaud
Le pire de tout, c'est les cabinets. Quand je veux former une image dense et irréprochable du bonheur, c'est à des cabinets que je pense. À des cabinets bien enfermés de murs blancs, dallés de clair, verrouillés. Je suis assis dignement sur la couronne de bois verni, dans ma dignité d'homme libre. Je suis assis au centre d'un épais silence savoureux. Un silence blanc, luisant, crémeux. Il y a contre le mur une boîte de faïence d'où pend un rectangle de papier hygiénique. Il y a au-dessus de ma tête une chaînette munie d une poignée de faïence. Je suis assis. J'ai tout mon temps et toute ma liberté. Je puis parler seul, lire des vers. Je puis penser à l'immortalité de l'âme, si ça me chante... Les cabinets, ici, c'est une baraque badigeonnée d'un brun ignoble, avec une porte qui ne ferme pas et des vitres cassées. Seize sièges là-dedans, huit d un côté, huit de l'autre. Et des traces de merde sèche sur les sièges. On s'installe côte à côte, dos à dos. Seize types sur leurs seize sièges, alignés, identiques, pareillement attentifs au travail de leurs boyaux. Chacun a une feuille de papier à la main, comme une demoiselle qui s'apprête à chanter dans un salon. Ils s'efforcent ensemble, mornes, soucieux, confondant leurs bruits et leurs odeurs. Et d'autres, debout contre la paroi goudronnée, pissent. Un petit ruisseau d'urine mousseuse coule à leurs pieds. Et il y a encore ceux qui attendent leur tour en causant de leur famille ou de leur constipation. Fraternité des barbelés. Fraternité dans la puanteur et la flatulence. Tout le monde ensemble dans un gargouillis de paroles, d'urine et de tripes. De temps en temps quelqu'un se soulève un peu, et, retenant d'une main son pantalon, de l'autre, soigneusement, se torche. Au suivant. On se bouscule autour du trou. On proteste : Grouillez-vous un peu, bon dieu.
J'aimerais autant parler d'autre chose. De choses claires. Parler des claires jeunes filles, ou d'un regard de vieille dame, ou d'un peuplier au bord de la route. Parler d'un poème, d'une écharpe, d'un tableau de Matisse. Mais tout cela n'existe plus. C'est fini. Il n'y a plus de couleurs, de feuillages ni de regards. Tout a été englouti dans une catastrophe informe. Tout est foutu. Il n'y a plus, au milieu d'un univers détruit, que cette baraque où l'on se soulage en tas. Tout est vide et mort. Et au milieu du vide et de la mort, il ne reste plus que cet asile de la défécation en commun.[…]
Quand même, les cabinets, cela résume mieux notre condition. Mieux que les punaises. C'est plus complet, plus significatif. Avec même un air loufoque, une qualité d'humour sordide. Pour prendre pleinement conscience de ce qui nous est arrivé, rien de tel que de s'accroupir fesse à fesse dans les latrines. Voilà ce qu'ils ont fait de nous. Et on s'imaginait qu'on avait une âme, ou quelque chose d'approchant. On en était fier. Ça nous permettait de regarder de haut les singes et les laitues. On n'a pas d'âme. On n'a que des tripes. On s'emplit tant bien que mal, et puis on va se vider. C'est toute notre existence. On parlait de sa dignité. On se figurait qu'on était à part, qu'on était soi. Mais maintenant on est les autres. Des êtres sans frontières, pareils, mêlés, dans l'odeur de leurs déjections. Englués dans une fermentante marmelade d'hommes. Remués, brassés, perdus et fondus là-dedans. Égalité et fraternité de la merde. On avait ses problèmes. On était fier de ses problèmes, de ses angoisses. On n'est plus fier de rien, maintenant. Et il n'y a plus qu'un problème qui est de manger, et ensuite de trouver une place où poser ses fesses sur ces planches maculées. S'emplir, se vider. Et toujours ensemble, en public, en commun. Dans l'indistinction de la merde. On ne s'appartient pas. On appartient à ce monstre collectif et machinal qui toute la journée se reforme autour de la fosse d'aisances.
[...] On publiera de belles choses sur l'énergie spirituelle des captifs. Et on ne dira rien des cabinets. C'est pourtant ça l'important. Cette fosse à merde et ce méli-mélo de larves. Toute l'abjection de la captivité est là, et l'Histoire, et le destin. En voilà un bouquin que j'aurais aimé écrire. Bien simplement, bien honnêtement. Un bouquin désolant, qui aurait l'odeur des cabinets et il faudrait que chacun la sentît et y reconnût l'odeur insoutenable de sa vie, l'odeur de son époque. Et que toute l'époque lui apparût comme une mélasse d’êtres sans pensée, sans squelette, grouillant dans les cabinets, comme nous, s'emplissant et se vidant avec gravité, sans fin et sans but. Et que le sens, le non-sens de l'époque fût là-dedans, visible, lisible, incontestable.
in La Peau et les Os