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  • Dé-camper de Florentine Rey

     

    Gros Textes éd.2018

     

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    50 pages, 9 €.

     

     

     

    Avant que ne meure le temps d’aimer, comme le chante Barbara, avant de repeindre ou de redécorer, elle s’est désencombrée de tout ce qu’elle savait ne pas être elle pour tenter d’aller se trouver ailleurs. Seule.

     

    « Elle se croit sans colère.

    Rupture facile, pardon, grandeur d’âme ; elle flaire le mensonge, les bobards de la marchande de chimères, le cœur protégé par des ruses de sioux.

    Sa colère c’est à elle qu’elle l’adresse.

    Son cerveau cède le contrôle à des forces anciennes.

     

    (…)

     

    Son projet : mettre l’essentiel dans une valise et partir le plus loin de la ville, du béton, du plastique, des corps à la mode. »

     

    Elle décampe donc pour aller camper seule dans le sud de la France. Une grande voiture, une tente, un carnet, un crayon. « Une assiette, un bol et trois couverts suffiront. » Une nouvelle tête :

     

    « La crête c’est marrant, typé, mais pas joli. » Dixit sa mère.

    « Toute la violence qu’elle essaie de contenir, elle la porte sur sa tête.

    La coupe WOODY : une coupe de piqueuse de bois vert. »

     

    WOODY à qui le PIVORE viendra tenir compagnie, le pic-vert vorace qui dévore les mots bavards, Maître PIVORE, le juge qui rendra son verdict : coupable de rien du tout, on remballe, on retourne sur la plage, écrivez, circulez.

     

    Trouver ce qu’elle est hors des clichés. Femme ?

     

    « Elle a une jupe dans la tête et les réflexes qui vont avec. Dans ses plis logent des chuchotements de nonnes, des histoires de sorcières, de la rage, de l’enfoui qui fait gonfler les jambes. »

     

    Nomade.

    Le mot la réconforte : perspective d’une identité la moins définie possible. »

     

    Avec Dé-camper, Florentine Rey nous entraîne dans un inner-trip, avec des images, des mots bien à elle, une autodérision qui ne cache pas l’émotion à vif, la névrose, jouer avec les mots jusqu’à trouver la clé de l’énigme de soi, du mal-être. La quête d’une identité qui ne trahirait pas l’être dans sa réalité profonde, abyssale, mais comment émerger de cette mer en soi et affronter le large au-dehors peuplé d’Autres avec qui le contact s’avère difficile, compliqué. Malaise de l’incommunicabilité. Ne pas se noyer : ni hors de soi, ni en soi, sans pour autant chercher à se gaver pour contrer la peur, masquer la faim. Mâcher du chewing-gum, avaler du vide, mais mâcher quand même, mâcher jusqu’à plus de mâchoire, mâcher jusqu’à disparition. Jusqu’à l’apparition de Madame COUJOU, qui boursoufle, grosses joues, gros cou, qui gonfle.

     

    « Elle élève la mâche au rang de drogue » mais « La mâche est toxique, ça devient dangereux. »

     

    « Si elle reste bouche vide ?

    Boucherie dans la bouche ? »

     

    Camper, écrit-elle, c’est rétrécir l’habitation et retrouver de l’espace à l’intérieur de soi pour penser, créer.

     

    « Ce qu’elle veut ?

    Une vraie place dans le monde. »

     

    Assumer la sensibilité et la déployer, la dire, se dire sans retenue, faire une force de ce que le monde lui renvoie comme étant un handicap : elle veut être encore plus sensible, sentir plus fort, en faire quelque chose.

     

    « Elle dévoilera la planque du chasseur au chevreuil et fera témoigner les poules qui vivent à quinze sur un mètre carré de paille. Elle rencontrera des cochons qui souhaitent qu’on ferme leurs yeux avant qu’ils ne meurent. Les asticots lui montreront comment manger les morts. »

     

    Décamper est le journal d’un accouchement d’un soi intégral, l’écriture sert de balancier entre le dehors et le dedans, le trop et le pas assez, tenter le pont de mots pour toucher l’autre sans se mettre en danger, sans creuser plus encore les blessures, celles qui lui donnent envie de se dissoudre, « de débarrasser son corps de tous ses organes, le remplir de sel et l’offrir à la mer ». L’écriture permet de toucher du mot les plaies, leur donner des coups de langue.

     

    Femme-poisson, elle habite un château de sable. (…) Personne ne sait qu’elle creuse au centre du château. Un jour, elle coupera sa queue en deux pour se fabriquer des jambes et fuira par le fond du puits.

     

    Dé-camper un recueil qui dit le pas pareil, la non-évidence de l’être au monde, la quête, la peur, le courage d’aller à sa propre source. Ce n’est pas un recueil de poésie, c’est de la poésie qui sourd d’un recueil au fur et à mesure que la source est désobstruée, c’est fort, c’est fragile, intime et bouleversant.

     

    Cathy Garcia

     

     

     

     

    rey 2.jpgFlorentine Rey est écrivain, poète et performeuse. Elle est née à Saint-Étienne en 1975. Des études de piano intensives affinent sa sensibilité, lui apprennent l’exigence mais l’isolent. Une année d’hypokhâgne lui fait rencontrer la philosophie. Elle entre ensuite à l’École Nationale Supérieure d’Arts de Paris-Cergy. À la fin de ses études, elle crée une structure de production artistique où se croisent l’art et la technologie. Six ans plus tard, la nécessité d’écrire et de créer la rattrape. Elle se consacre aujourd’hui à l’écriture et à la performance. Son travail interroge notamment le corps et le féminin. Son site :  https://florentine-rey.fr/

     

     

     

     

  • Marina Tsvetaieva

     

    Je suis exclue de naissance, du cercle des humains, de la société. (...)

    Je suis sans âge et sans visage. Peut-être suis-je la Vie même.

     

    in Vivre dans le feu

     

     

     

     

     

     

     

  • La boue, extrait de Pandémonium II

    Poème que je traîne depuis longtemps, publié enfin dans le tout récent Pandémonium II... certains d'entre vous se souviennent peut être, ce fut pour moi toute gamine, la prise de conscience sur les limites du journalisme... et de ce qu'on appelle "information"...

     

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    texte de cathy garcia               ill. Omayra Sánchez d'après Frank Fournier

     

     

     

    zone dévastée 
    tôles flottantes
    torrents glissements 
    zone engloutie
    la gamine ne peut dire mot
    émettre un son 
    sa bouche envasée
    sa langue d’eau
    souillée

    ses yeux noirs
    si noirs

    personne 
    plus que fange 
    pour la prendre dans ses bras
    et ses grands yeux noirs
    fixent la caméra
    le journaliste étranger 
    qui l’immortalisera
    quelques minutes 
    à l’autre bout du monde
    quelques minutes
    d’apitoiement

    entre fromage
    et dessert

     

     

    paru dans Pandemonium II

     

     

    Publié en ligne avec mon accord par Au hasard des connivences :

    http://auhasarddeconnivences.eklablog.com

     

     

     

  • Kahil Gibran

    Vous serez vraiment libres non pas lorsque vos jours seront sans soucis et vos nuits sans désir ni peine,

    Mais plutôt lorsque votre vie sera enrobée de toutes ces choses et que vous vous élèverez au-dessus d'elles, nus et sans entraves.

    Et comment vous élèverez-vous au-dessus de vos jours et de vos nuits sinon en brisant les chaînes qu'à l'aube de votre intelligence vous avez nouées autour de votre heure de midi ?

    En vérité, ce que vous appelez liberté est la plus solide de ces chaînes, même si ses maillons brillent au soleil et vous aveuglent.

    Et qu'est-ce sinon des fragments de votre propre moi que vous voudriez écarter pour devenir libres ?

    Si c'est une loi injuste que vous voulez abolir, cette loi a été écrite de votre propre main sur votre propre front.

    Vous ne pourrez pas l'effacer en brûlant vos livres de lois ni en lavant les fronts de vos juges, quand bien même vous y déverseriez la mer.

    Et si c'est un despote que vous voulez détrôner, veillez d'abord à ce que son trône érigé en vous soit détruit.

    Car comment le tyran pourrait-il dominer l'homme libre et fier si dans sa liberté ne se trouvait une tyrannie et dans sa fierté, un déshonneur ?

    Et si c'est une inquiétude dont vous voulez vous délivrer, cette inquiétude a été choisie par vous plutôt qu'imposée à vous.

    Et si c'est une crainte que vous voulez dissiper, le siège de cette crainte est dans votre coeur, et non pas dans la main que vous craignez.

    En vérité, toutes ces choses se meuvent en votre être dans une perpétuelle et demi-étreinte, ce que vous craignez et ce que vous désirez, ce qui vous répugne et ce que vous aimez, ce que vous recherchez et ce que vous voudriez fuir.

    Ces choses se meuvent en vous comme des lumières et des ombres attachées deux à deux.

    Et quand une ombre faiblit et disparaît, la lumière qui subsiste devient l'ombre d'une autre lumière.

    Ainsi en est-il de votre liberté qui, quand elle perd ses chaînes, devient elle-même les chaînes d'une liberté plus grande encore.