Félix Labisse
La main a des yeux. Dedans mordre délicatement. Faire le vide, dedans, autour. Rien ne sert de courir après l’autre s’il n’est pas prêt. Descendre, faire confiance.
in Celle qui manque
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La main a des yeux. Dedans mordre délicatement. Faire le vide, dedans, autour. Rien ne sert de courir après l’autre s’il n’est pas prêt. Descendre, faire confiance.
in Celle qui manque
défaire le crépuscule
glisser dans les reflets renards de ses draps
fixer l’horizon par des pointes d’améthyste
le laisser sécher à la lune
tracer un paysage au fusain de la langue
compter les brûlis sur la peau
les innombrables feuillets de nos masques pâles
regarder fondre la vitre du réel
ses reflets d’huile sur l’étendue de neige
le roulis des roseaux
grand soleil rouge à l’horizon brûlé
in Mystica perdita, à tire d'ailes 2009
Du plomb fera-t-on métal solaire ?
Folle ou sage la grande perforatrice
Pour aller au cœur où réside le secret ?
Créatures oui
Mais de quoi ?
Dans son bain en fusion
Son rire apocalyptique
Grand x
Non résolu
Arbitre défoncé
Programmateur de génie
Méga lumineux
Maître amour
Chercher le sens
N’a aucun sens
Le révélé
Demeure
Caché
in Mystica perdita, à tire d'ailes 2009
éditions Bruno Doucey, mars 2021
75 pages, 14 €.
Et le poète de sa voix de feu
D’une aile d’oiseau attise les mots
On peut dire que dans ce recueil dont le titre dit clairement de quoi elle parle, Perrine Le Querrec fait ici feu de tout feu. Traversant quelques milliers d’années d’Histoire et explorant toutes les facettes de cet élément, les bénéfiques comme les dramatiques, elle déploie une sorte de fresque mouvante, un théâtre d’ombres de personnages que le feu met ou a mis, et parfois très cruellement, en lumière et peut-être plus particulièrement des femmes. Depuis celle qui dans la caverne a inventé le feu « Seins hanches ventre rond / Disparue à jamais » aux ouvrières sacrifiées, aux femmes indociles et veuves indésirables, aux militantes immolées en passant par les sorcières aux bûchers : femmes trop vives, feu aux femmes !
La ville silencieuse cadenasse ses oreilles
Qu’on démonte les cloches, qu’on fonde leur acier
Dans le feu des sorcières et des illuminés.
Des feux politiques donc, des feux de religion, des feux symboliques, des feux géologiques mais aussi des feux artistiques et littéraires. Des figures renaissent des cendres, comme Marguerite de Porète, béguine itinérante et première femme à avoir péri sur un bûcher de la place de Grève à Paris pour avoir eu trop d’esprit, une âme trop libre et un cœur trop flamboyant. C’était en 1310. Le feu a fait d’elle, et de tant d’autres, une immortelle.
Des feux de joie, des feux de guerre, « des feux autoritaires, des feux de dictatures / mais aussi / Des feux de résistance, des feux brûlants de vie. » L’ordre du recueil est chronologique, une traversée de l’Histoire dans le miroir des flammes, la grande Histoire collective et les histoires individuelles. L’humanité, écrit Perrine Le Querrec, se dessine à travers ses feux.
Des feux qui ramènent une mémoire enfouie.
Feux salvateurs, feux destructeurs, feux de mémoire, feux de langues, c’est à un grand incendie que nous convie Perrine le Querrec en agitant ainsi les tisons de son écriture. Elle y convoque des poètes, écrivains, artistes disparus, très connus comme Gogol, Van Gogh, Nerval, Artaud ou moins connus comme Angus McPhee, un artiste brut écossais ou la poétesse Ingeborg Bachmann.
Depuis quand le soleil se couche
J’ai toujours l’impression
Que quelqu’un brûle.
Elle évoque Piotr Pavlenski, artiste dissident russe fiévreux et incontrôlable toujours actif, elle rend hommage aux victimes de guerres et de catastrophes plus ou moins naturelles. Elle évoque des corps et des lieux marqués au feu, dévorés par le feu mais, écrit-elle, depuis des millénaires la vie renaît de ses cendres / Il y a des racines que jamais le feu n’atteint.
Un questionnement plus discret souffle entre ces pages aussi, celui que soulèvent les flammes du désir, du sentiment amoureux.
Il y a un côté compilation dans ce recueil, une énumération qui parfois en étouffe même le souffle poétique, peut-être parce qu’il s’agit surtout de faire œuvre de mémoire. Pour qui connaît l’écriture de Perrine le Querrec, on sent qu’il y a là presque comme un chantier en cours encore, une récolte de braises plus ou moins vives dont chacune pourrait donner naissance à un développement. On sent ce qui chez elle a été attisé et qui est un peu trop énorme, trop violent aussi, pour pouvoir être contenu en 75 pages, mais c’est déjà un beau départ de feu car les livres aussi brûlent.
Savez vous
Les livres brûlent les doigts brûlent l’esprit brûlent les à priori
brûlent les ignorances brûlent les yeux brûlent les dictatures
saviez-vous
les livres brûlent
Le monde parfois semble n’être plus qu’un grand brasier.
Cathy Garcia Canalès
Perrine Le Querrec est née à Paris en 1968. Elle hante les bibliothèques et les archives pour assouvir son appétit de mots et révéler les secrets oubliés. De cette quête elle a fait son métier : recherchiste. Les heures d’attente dans le silence des bibliothèques sont propices à l’écriture, une écriture qui, lorsqu’elle se déchaîne, l’entraîne vers des continents lointains à la recherche de nouveaux horizons.
Perrine Le Querrec écrit de la poésie et de la prose. Sa langue est une architecture de mots, de silences, d’archives de trous et de pliures. Lorsqu’elle sort de la page, elle travaille en duo avec le contrebassiste Ronan Courty et forme l’autre moitié de PLY, duo avec le photographe Mathieu Farcy. Ses dernières parutions en 2020 : Vers Valparaiso, Éditions Les Carnets du dessert de lune, Rouge pute, Éditions La contre allée.
http://www.perrine-lequerrec.fr/
SE TENIR INFORMÉ
Une éruption de bus
perturbe la circulation en Seine Saint Denis.
Un volcan caillassé en Islande.
in Purgatoire du quotidien
Il faut être seul pour être grand.
Mais il faut déjà être grand pour être seul.
nos illusions seront sans sépultures
in Une brèche dans la tapisserie des ombres
chanté par Colombe Frézin...cordes : Serge Bouzouki...piano Dominique Charnay
On ne l'appelle plus
pour les fenaisons,
les vendanges ;
mais juste pour les osselets.
Son pain n'est pas de blé,
son vin n'est pas de sang.
On ne l'appelle que
pour débaptiser.
La Mort aime
les bons vivants ;
elle aime jouer
avec leurs âmes d’enfant
qu’elle raccompagne
à la Maison.
Ce qui l'amuse plus que tout,
c'est bien de les perdre en chemin,
bien loin de cette Maison
qu'elle met en pièces.
Mais ne soyez pas trop durs avec elle !
Elle ne fait que son boulot ;
derrière elle ne doit rester
que le cintre blanc des os.
in Le Tarot de Saint Cirque, Gros Textes 2020