Dmitrij Markov - Russie
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L’enfance devrait être un paradis, toutes les enfances, un paradis de sensations où apprendre est un jeu permanent. Mes pensées vont vers les enfants des guerres, les enfants des exils, les enfants de la violence, les enfants de la peur et de la misère, mes pensées vont à toutes les enfances détruites. Quelle douleur, quelle insupportable douleur et quelle monumentale impuissance.
Alors ressentir. Aimer. Être. Oser être pour ceux qui ne sont plus. Pinson, lézard, coucou. Douleur et joie s’unissent dans le cœur, qu’il faut solide et battant.
cg in Le livre des sensations
feuilles mortes
il a fallu qu'elle apprenne vite à grandir et elle a vite appris
y a des vies qui demandent ça
elle a mal dormi
ses mauvaises habitudes et ses rêves l'ont réveillée
des yeux d'animaux l'observaient qui brillaient sur l'autre rive
elle décide de rester sale
la chatte bien sauvage
elle vire deux-trois trucs superflus et de suite tout redevient simple
feuilles mortes comme autant d'oiseaux morts
elle va manquer cette fête où les conversations semblent toujours écrites à l'avance
et où elle connaît déjà la plupart des questions
trop de gens impossibles à détester
trop de gens impossibles à aimer
trop de braves gens toujours dans les bons coups
trop de gens persuadés d'être géniaux
trop de gens
trop de bons vivants
trop d'alcooliques ne pensant qu'à leur gueule
trop de bouches camées pleines de conseils judicieux
elle va manquer cette fête mais pas celle des brouillards qui enveloppent cette ville toute en longueur
le château qui fut un hôpital autrefois la cathédrale l'esplanade le kiosque à musique et les trois bornes de remparts qui l'invitent à flâner
ses tendons la propulsent gentiment l'éloignant du centre-ville où les nuages marchent dans les rues
elle se sent bien dans ces non lieux de murs décrépis et d'éclairages blafards que certains voient vides de sens et de sentiments
pas elle
la mélancolie qui l'encercle lui tient chaud
le silence a des murmures qu'elle traduit en mots et ces mots dévissent quelque chose dans son for intérieur qu'elle note immédiatement
être à l'heure ne lui servira à rien si elle n'est pas dans la bonne direction
et c'est tant mieux puisque ni l'un ni l'autre ne l'intéresse vraiment
https://revuecatastrophes.wordpress.com/2019/11/29/avale-...
Il se pourrait que le poète fût une sorte de Jonas, une sorte de prophète empêché de prophétie, qui n’ait plus rien à révéler de l’avenir aux hommes, et pour cause : il n’y a plus de dieu, plus de mission, plus de châtiment, plus d’avenir non plus ni d’absence d’avenir d’ailleurs mais un éternel présent, à la fois catastrophique et habitable, tout ensemble désastreux et confortable. Un Jonas, parce qu’il est un prophète en exil dans le cœur du présent, et parce qu’il trouve son refuge au sein du danger même, dans la gueule accueillante du grand poisson. Le poète est un renverseur de signes.
Enfermé volontaire, emprisonné satisfait, il a troqué la tour d’ivoire pour la baleine blanche et sombre. À la position de surplomb au dessus de la mêlée, il préfère se lover dans chacun des nœuds de l’emmêlement général, dans le cœur intime et obscur des choses dont il explore indéfiniment l’intimité foisonnante. Gaston Bachelard fait de Jonas la figure même du rêveur d’intimité [1]. Il est celui qui se repose et qui, se reposant, se nourrit, s’agrandit de songes. Il vit chaudement les intériorités. S’ouvre alors à lui l’horizon de la profondeur. Il ne connaît qu’un infini, celui des poupées gigognes. Il a devant lui une seule immensité, celle des emboîtements sans fin. Jeté dans le ventre du monstre, il en est paradoxalement protégé ; il jouit d’une protection maximale et absolue (car elle est paradoxale) et il récupère en quelque sorte sa force de digestion et d’assimilation. Nombre de poètes ont rêvé cette situation de dévoré heureux baignant dans un liquide amniotique et ce prestige de l’avalé avalant, avatar positif de l’arroseur arrosé. Être heureux, c’est précisément jouir d’une intimité qu’on transforme à volonté en vastitude qu’on métabolise, au sens digestif. Ainsi de Jean-Paul de Dadelsen :
Autour de nos reins les parois de la nuit sont rondes et sonores.
Dans la rumeur des artères heureuses et du sang contenté le cœur
Écoute s’ouvrir l’espace intérieur.
Les yeux fermés, regarde, telle une image dans une eau sombre,
À l’inverse de la fuite des mondes tournoyer des constellations obscures
Sous les voûtes de notre sang.
Les ténèbres du temple charnel sont vastes comme les profondeurs des cieux. [2]
Exemple parmi tant d’autres d’un avalement heureux, de l’exploration d’une intériorité océanique. Être avalé tel Jonas, c’est être pris dans un processus sans fin d’avalement, et c’est se faire soi-même avalant, avaleur. Ce n’est pas seulement être mangé, c’est aussi devenir peu à peu le mangeur, c’est participer à la lente rumination des mondes qui se fait dans toutes les intimités heureuses. Être contenu, c’est être inséré dans une chaîne continue de contenance, dans un emboîtement généralisé. Comme si être dedans les choses, c’était se découvrir au seuil d’un dedans infiniment répété, dont chacun recommence la promesse de bonheur.
Jonas est celui qui change une hostilité en une hospitalité. C’est aussi celui qui, par son inaction, par sa situation d’empêchement, est en état de réceptivité maximale. Jonas nous rappelle qu’il y a des passivités fécondes, des attentes génératrices, des végétativités nourricières, des rêveries dont on se relève rien de moins qu’accouché.
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[1] Cf. « Le complexe de Jonas », in La Terre et les rêveries du repos, José Corti, 1992, p. 129 sq.
[2] Jean-Paul de Dadelsen, Jonas, Poésie/Gallimard, 2005, p. 54.
j'ai eu la chance, la joie et la fierté de prononcer cette phrase devant des milliers de personnes, dans diverses parties du monde pendant quelques années, dans un spectacle autour de la figure du chevalier Don Quichotte, avec la Cie Plasticiens Volants : j'y étais la voix de la dulcinée imaginaire avant de traverser la place pour aller promener la Terre, littéralement...
Terre et Lune se sont d'ailleurs littéralement aussi et imprévisiblement envolées dans la nuit, pendant une éclipse lunaire, à Mazamet en 1999. Ce sont des choses qui ne s'oublient pas.
https://www.ladepeche.fr/article/1999/09/30/271098-don-quichotte-arrivera-du-ciel.html
Une phrase donc que l'on doit à Rafael Sebastián Guillén Vicente, dit « sous-commandant Marcos » et qui gonfle les voiles de mon cœur chaque fois que je la lis ou que je l'entends...