Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

CATHY GARCIA-CANALES - Page 364

  • Résistances poétiques, par Aurélien Barrau

    La poésie n’a rien à voir avec la beauté et encore moins avec la mièvrerie. Intransigeante, elle est surtout un moyen politique d’être contre, contre le repliement identitaire, la folie consumériste et technocratique.

    Résistances poétiques, c’est le débat qui réunira Edgar Morin, Isabelle Autissier et Erri de Luca, mercredi 6 novembre à Paris, dans le cadre du Forum Libération «Finance solidaire : des idées et des actions pour changer la société».

    Tribune. Nous n’avons jamais été heureux.

    Le monde n’a jamais été doux, harmonieux et apaisé. Les passés idylliques sont de purs fantasmes. La nostalgie du jardin d’Eden est un leurre naïf et presque dangereux.

    Pourtant, la violence froide et insidieuse de notre temps ne peut pas ne pas frapper. Violences aux réfugiés, violences aux précaires, violences aux femmes, violences aux minorités, violences aux manifestants, violences à l’espoir, violences à chaque ébauche de différence… Et, bien évidemment : violence à la vie, à la nature, à l’avenir. Désastre écologique avéré, désastre éthique suspecté, désastre esthétique consommé.

    Face à l’extinction massive en cours - plus de la moitié de la vie sauvage a déjà été éradiquée en quelques décennies - il serait vital de nouer de nouvelles alliances, d’inventer des solidarités impromptues, de voir émerger d’inévidentes connivences, de travailler aux modes de partage. Le temps devrait être au déploiement d’un activisme «fractal» qui affronte l’immensité disséminée de la métacrise en cours. Tout au contraire, fleurissent partout le repliement identitaire, la crainte de l’étranger et de l’étrangeté, la peur de l’altérité, la folie consumériste et technocratique, le désir simultané de soutenir les libertés prédatrices et d’endiguer les libertés émancipatrices.

    Reste le choix d’être poète.

    La poésie n’a rien à voir avec la beauté. Moins encore avec le charme mièvre de quelques douces métaphores ou de tendres allégories. Elle n’est ni un divertissement ni une distraction. La poésie, c’est la précision. La poésie, c’est à la fois la maîtrise souveraine de la grammaire, l’humble soumission à la syntaxe, et le droit - presque le devoir - de pourtant réinventer la langue à chaque strophe. La poésie, c’est l’implacable nécessité d’un agencement qui déconstruit en respectant. C’est le choix d’une immense cohérence locale conjuguée avec une espiègle errance globale.

    Se faire poète, ici, ça ne signifierait évidemment pas nécessairement écrire des vers. Cela engagerait avant tout à travailler la matrice sémantique et sémiotique pour ouvrir au questionnement tous les construits que nous avons confondus avec des donnés.

    La résistance poétique est intransigeante. Elle se dessine au scalpel. Elle est rigoureuse et pointilleuse. Elle cherche à connaître et à comprendre. Elle n’ignore rien des règles ni des codes. Elle débute par une exploration patiente et savante du réel.

    Mais elle s’autorise aussi à tout interroger. Elle n’a pas peur de l’ailleurs. Elle n’est pas contrainte par les carcans d’une pensée héritée. Elle tente d’exister, c’est-à-dire de s’extraire, de se désarrimer. Elle ose remettre en cause ce qui n’était jusqu’alors pas même questionable. Elle jubile face à l’incroyable.

    Tenter aujourd’hui «d’infléchir» notre fonctionnement systémique pour entamer une «transition» n’a aucune chance de fonctionner et ne présente aucun intérêt fondamental.

    C’est l’entièreté de notre manière d’habiter l’espace, de hiérarchiser nos priorités, d’envisager nos réjouissances, de condamner nos agressions, de considérer nos alter ego humains et non humains qu’il faut revoir. C’est d’une révolution qu’il est question. Comment cesser de voir la nature comme une simple ressource ? Comment penser au-delà de nos intérêts à court terme ? Comment outrepasser notre propension à confondre des choix contingents avec un ordre nécessaire ? Et plus profondément encore : comment renverser le sens même de ce qui est indûment ressenti comme mélioratif ? Le défi est immense, incommensurable à tout autre.

    Le poétique s’invite dans le jeu non pas au titre de décoration ou de raffinement mais en tant qu’élément essentiel : sans redéfinition des attentes et des possibles, les évolutions demeureront dérisoires. Les violences les plus insidieuses et les plus dangereuses sont presque toujours celles qui n’ont pas encore été identifiées comme telles. Il faut être poète pour penser hors de l’ordre et déceler l’arbitraire de ce qu’une tradition pluriséculaire fait nécessairement apparaître comme inéluctable.

     

    Si nous restons prisonniers de nos vieux critères, il n’y aura aucune issue. Remettre en cause la croissance illimitée, la prédation décomplexée, la xénophobie revendiquée, l’indifférence assumée, l’arrogance affichée, demande bien plus qu’une évolution : il s’agit de changer de paradigme. C’est toute notre image du monde qui est ici en jeu. Il ne saurait être suffisant, ni même signifiant, d’inventer de nouvelles manières de satisfaire nos vieux démons : il est vital de réenchanter un tout autre «habiter l’espace». Qui ne renie ni les savoirs ancestraux ni les découvertes scientifiques. Mais qui s’autorise - à titre expérimental - toutes les ruptures, toutes les fractures. La langue n’est pas neutre : renommer la croissance du PIB en «taux de divergence suicidaire» aurait sans doute quelques conséquences sur nos ressentis, nommer «autoterrorisme intérieur» notre décision implicite de n’offrir aucun avenir vivable à nos enfants pourrait éveiller quelques consciences. Les mots comptent.

    Le poète ne se laisse pas intimider par la dictature malveillante d’une pensée oppressive qui tue chaque possible alternative avant même son éclosion. Comprendre et clamer que le réel pourrait être autre, esquisser l’inchoatif des ramifications avortées, exhiber les modes des mondes manqués constitue le cœur dur de la poésie en acte.

    Le poète refuse l’unicité du prisme. Même s’il est révolutionnaire, même s’il est solidaire, même s’il est salutaire. User d’une seule grille de lecture relève nécessairement d’une atrophie radicale. Le subtil démissionne dès que le pullulement est réfuté. Le monde est «plus d’un» de dedans et la pensée échoue tout autant quand elle gomme la multiplicité que quand elle omet la déconstructibilité.

     

    Les résistances poétiques doivent maintenant se disséminer, se déterritorialiser, se chaotiser, se diffracter et s’infecter mutuellement. Il est question d’écriture mais aussi de pensée, de regard, de ressenti, de geste, d’engagement, de désir, de plaisir. Le vivre poétique est tout sauf triste, étriqué et nostalgique. Il est transgressif, précis et aventureux, par essence. Il peut aussi devenir enchanteur, libérateur et salvateur. Par choix.

    Aurélien Barrau professeur à l’université Grenoble-Alpes, astrophysicien au laboratoire de physique subatomique et de cosmologie
  • Walt Whitman

     

    Je crois qu’une feuille d’herbe n’est en rien inférieure au labeur des étoiles

    Et que la fourmi est également parfaite, et un grain de sable, et l’œuf du roitelet,

    Et que la rainette est un chef-d’œuvre digne du plus haut des cieux,

    Et que la ronce grimpante pourrait orner les salons du ciel,

    Et que la plus infime jointure de ma main l’emporte sur toute mécanique,

    Et que la vache qui broute tête baissée surpasse n’importe quelle stature,

    Et qu’une souris est un miracle capable de confondre des milliards d’incroyants.

     

     

     


     

     

     

  • Christian Saint-Paul parle de la revue Nouveaux Délits

     

    Capture.PNG

    Le poète Christian Saint-Paul a, comme il le fait fidèlement depuis longtemps, encore parlé du dernier numéro de la revue dans son émission "Les poètes" du 17 octobre dernier sur Radio Occitania et il a choisi deux poèmes de Cathy Jurado, une lecture de cœur et de tripes avant tout, à écouter ici : https://lespoetes.site/emmission/emmission.html

     

    Merci à lui !

     

     

  • Atelier "collage & écriture" du 17 octobre

     

     

    atelier collage.jpg

    L.

     

     

    La plante du pied, racine, enfouie dans la douceur des draperies. Le pied qui touche terre, pied humain dégagé de la matrice pour aller marcher sur la terre, toutes les terres. Voyages, rencontres, traces et empreintes dans tous les sols, chaines humaines liées, tissées sous un seul et même soleil. Couleurs, textures, espoirs. Humains circulant comme le sang dans les veines, pérégrinations, pèlerinages, transhumance, exodes. Tous issus d’une même mère, reliée au cordon ombilical de la Terre. Marcheurs en quête de sagesse, exilés en quête de repos.

    Humanité tissée qui trop souvent s’effiloche, dénigrant ses couleurs, sa multiplicité, l’incroyable diversité de ses richesses et la simplicité de ces quelques mots : « Viens, entre, c’est ouvert, qui que tu sois, sois le bienvenu. ».

    La plante du pied, résonnance, tambour de la marche qui nous relie d’un bout à l’autre de la trame. Racines nomades qui devraient pouvoir fleurir partout où le sol les accueille.

     

    C.

     

    *

     

    L’homme revient chez lui. Dans la lumière et les dessins des temples, il a retrouvé le chemin. Sa peau a bruni. Sa maison a changé.

    Dans son foyer, les draperies du lit et la femme ont faim de la nouvelle peau de l’homme.

    L’envie voyage des lèvres aux seins.

    Il gravit l’escalier. Son pied est sûr. Il sait, il sent le désir.

    Dans l’alcôve, berceau de la vie, les tissus et la peau susurrent.

    L’homme sourit.

     

    L.

     

     

    Ultimum Judicium SMALL.jpg

    C.

     

    Pachamama, Terre Mère, te voici en colère. Esprits de la nature qui veillez à l’équilibre, vous voici en colère. Les volcans explosent, les rivières débordent, les sources tarissent, les montagnes et le ciel s’effondrent. Ô vous les Gardiens, esprits totems, vos regards nous foudroient, nous avons réveillé la Santa Muerte, l’avenir est de cendres et de suie, le passage de plus en plus étroit. Puissent les plumes de la sagesse effleurer nos esprits car nos fronts seront marqués par la griffe, la vieille griffe de la Terre, l’antédiluvienne griffe et par la blessure s’engouffreront tous les oiseaux, tous les animaux, toutes les eaux, toutes les flammes. Par la blessure nous ne feront plus qu’un avec toi Pachamama, Terre Mère. Ceux qui survivront seront volcans avec les volcans, lynx avec les lynx, tigres avec les tigres, ceux qui survivront toucheront l’horizon du bout de leurs ailes.

    Esprits totems, les enfants de la Terre apaiseront sa colère et berceront la Santa Muerte jusqu’à ce qu’elle se rendorme et reprenne sa place de gardienne des rêves, d’un nouveau rêve, une nouvelle source. Un nouveau pacte de la vie avec elle-même.

    C.

     

    *

     

    La terre aux temps premiers.

    Pierres, glace, eau

    animaux et chaos

    frémissements et griffes.

    La lune, visage de lait,

    douce comme la plume

    ne sait pas encore la mort.

    Mais tout est là déjà

    frôlement d’aile.

    C’est la source naturelle

    et la porte d’entrée.

    Les côtes étincelantes

    et le crâne ricanant

    disent le chemin à suivre.

    Les animaux attentifs

    le savent bien, tout recommence

    c’est écrit dans le paysage

    évident.

    L’homme-lune sans regard

    flotte au-dessus de l’univers,

    confiant.

     

    L.