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  • Vient de paraître : Les Mots Allumettes

     

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    Cathy Garcia – poésie, 52 p.

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    avec des illustrations originales de l'auteur

     

     

    EXTRAITS :

     

    Survivre, hanches fendues de foudre, gorge dépouillée.

    Je marche, froisse un fantôme. Les oiseaux

    du jour fondent en l’air. Je plie les genoux,

    ramasse mes entrailles de verre. Un peu de sel, un

    peu de chair. Je ramasse et enjambe

    l’éblouissement.

     

    Avale-moi, dis-je au bois. Écorce-moi, dis-je à

    l’homme, lentement comme un coma.

    Terre et copeaux. Ma langue éboulée au creux du

    refuge.

    Je suis morcelée. Là mon coeur, là un poumon.

    Là mon âme et des frontières entre chaque terrier.

     

     

     

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    Piqûre du vivre. Miel rauque du secret. Nudité

    inhabitable.

    Se sertir dans un jardin amer. Ciseler le semblant,

    en élucider les ramifications.

    J’épouse le cercle de la cohérence oubliée.

     

    Buisson des cuisses où croassent les crapauds.

    Rumeur des langues qui lapent les pierres.

    Bouillon noir des reins vrillés de trouille. La vie et

    son implacable sentence de mort.

    La brume se faufile dans la fissure, embaume

    l’esprit de visions funestes. Ce qui transpire des

    murs, c’est le goût de l’ombre. Il ébouriffe et déshabille

    le sang.

     

     

     

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    12 .

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  • Bashō – Seigneur Ermite – L’intégrale des haïkus

    Note parue sur : http://www.lacauselitteraire.fr/seigneur-ermite-l-integrale-des-haikus-basho.html

    Edition bilingue par Makoto Kemmoku & Dominique Chipot. Edition de La Table Ronde -Mars 2012. ISBN 978-2-7103-6915-8 - 480 pages - 25 €

     

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    Quel bel objet déjà ! Un écrin à la hauteur du contenu, la couverture est  d’un vert qui fait aussitôt penser au jade, ce même vert se retrouve à l’intérieur pour le texte en version japonaise. Ce livre, dédié aux victimes  et sinistrés du grand tremblement de terre du Tōhoku, région que Bashō a visité lors de ses voyages, s’ouvre sur une note concernant la traduction. Elle commence ainsi, ce qui résume bien le propos, « Traduire c’est trahir » et expose les difficultés auxquelles ont été confrontés les traducteurs et donc leurs partis-pris. Ensuite, une introduction aborde en un tour rapide, mais instructif, l’histoire de la poésie japonaise, suivie d’une biographie détaillée de Bashō, illustrée par quelques haïkus. Indispensable pour la compréhension de son œuvre. Nous entrons alors dans la chair même de l’ouvrage : l’intégrale des haïkus du maître en la matière, souvent précédé par des avant-propos de Bashō lui-même, classés par ordre chronologique.

     

    Le premier est daté de 1663 :

     

    La lune pour guide –

    restez donc un peu avec nous

    dans cette auberge !

     

    Bashō ne s’appelle pas encore ainsi, il a vingt ans (en tenant compte, comme l’ont fait les traducteurs, de l’ancien principe japonais en vigueur jusqu’aux environs de 1945, qui voulait qu’un enfant ait un an le jour de sa naissance), il se prénomme Munefusa depuis peu (car ce fils de petit samouraï, et travailleur de la terre en tant de paix, est d’abord né sous le nom de Kinsaku). Son père étant décédé, il est depuis un an au service d’un fils de châtelain de deux ans son ainé, qui par amitié l’a invité à l’accompagner dans ses études, dont celle des premiers rudiments du haïkaï. Munefusa a alors pris le pseudonyme de Sōbō. En 1664, un premier hokku de Sōbō est publié dans un recueil de l’école Teimon, inestimable honneur pour un si jeune poète :

     

    Très vieux cerisier en fleur –

    cette femme bien conservée

    aimerait aussi refleurir

     

    La mort prématuré de son ami en 1666, l’oblige à quitter le clan. On sait peu de choses de cette période sauf le fait qu’il a probablement épousé une bonzesse, Jutei, qu’il continue à écrire de la poésie et qu’il est présent dans plusieurs anthologies, et ainsi sa réputation commence à se faire.

     

    Les gens pauvres

    peuvent voir aussi les esprits

    dans les fleurs de chardon-ogre

     

    Le goût pour la contemplation est là, ainsi que l’appel au voyage.

     

    Distrait

    par la fleur de calebasse

    longtemps

     

    La lune des moissons

    si claires ce soir…

    vivre n’importe où

     

    Fleur, lune, des éléments récurrents dans la poésie traditionnelle japonaise, comme les saisons et d’autres éléments de la nature. Déjà on sent aussi chez lui une aspiration à la solitude, il fuit les mondanités.

     

    Trop de fêtards

    pour admirer les fleurs

    à Hatsuse

     

     

    En 1672, il s’installe à Edo (aujourd’hui Tôkyô), où il devient fonctionnaire tout en continuant la poésie.

     

    Enchanté par la valériane

    comme par une belle femme,

    perdant patience, je l’ai cassée

     

     

    De 1672 à 1675, il côtoie différentes écoles, celle de ses débuts, l’école de Teimon, qui influençait la poésie à Kyoto, mais aussi celle de Danrin (la Forêt des bavardages), plus libre, venue d’Osaka, et qui a supplanté le Teimon à Edo. C’est d’ailleurs Bashō qui mettra un terme au conflit entre les deux écoles, en élevant le haïkaï (moins raffiné que le renga – art poétique très ancien autorisé seulement pour l’élite à la Cour) au rang de véritable poème.

     

    La maison bourgeoise,

    pour quêter le médecin

    elle envoie un cheval !

     

    Bashō se retrouve écartelé entre une carrière de fonctionnaire et le désir de se livrer tout entier à la poésie. Certains de ses nombreux admirateurs sont fortunés et peuvent lui permettre donc de lâcher sa carrière sans trop se soucier de problèmes d’argent, problèmes dont il ne se soucie guère de toute façon. Il est naturellement plus attiré par le spirituel que le matériel, ce qui a d’ailleurs donné à croire à ceux qui, plus tard, ont étudié sa vie, qu’il avait été moine, alors que son sacerdoce était uniquement littéraire.

     

    C’est en 1675 qu’il change de pseudonyme en prenant celui de Tosei.

     

    Contemplant la lune près des montagnes,

    elle est rarement si claire

    vue d’Edo, polluée

     

    En 1680, il a 37 ans, il abandonne son métier de fonctionnaire pour ne vivre que de son art et il créé sa propre école, le Shōmon (l’École de l’authenticité) dont l’enseignement se base sur la profondeur spirituelle et la subtilité esthétique. La même année, un de ses disciples, riche marchand, lui offre un ermitage dans les faubourgs de Fukagawa, une ville de la banlieue d’Edo. Un lieu parfait pour le poète, peu à l’aise avec sa notoriété grandissante et son aisance financière, et qui commençait à se tourner vers le zen.

     

    Nuit sous les fleurs –

    ascète raffiné à l’excès

    je me surnomme « Seigneur ermite »

     

    Un an plus tard, un autre disciple lui offre un bananier et l’ermitage est baptisé bashō-an, l’ermitage au bananier. C’est ainsi que vient le nom de plume par lequel il sera immortalisé : Bashō, le Maître « bananier ».

     

    Violent typhon dans les feuilles de bananier –

    toute la nuit le rythme de la pluie

    dans la cuvette

     

    En1682, l’incendie qui détruit Edo n’épargne pas le monastère, le temps que ses disciples le reconstruisent, Bashō entame le premier d’une longue série de voyages spirituels et poétiques, mais ce n’est que deux ans plus tard qu’il commencera à noter ses impressions dans des journaux.

     

    N’oublie pas mon haïku

    Dans la fraîcheur du col

    de Sayo no Nakayama

     

    Voyager lui permet de se recueillir sur des lieux célébrés par ses prédécesseurs poètes, retrouver sa famille, des amis et ses disciples, mais avant tout à se frotter à l’impermanence, en risquant ses os sur les routes, pour peaufiner son art, comme l’indique le titre de son carnet de voyage à Ueno : Journal d’un voyageur résigné à y laisser ses os. Bashō a une santé fragile, il souffre de maladies chroniques et de plus les routes à cette époque sont peu sûres, il y a là un véritable défi d’aventurier, mais il faut voir dans ce choix, une dimension tout à fait initiatique au sens spirituel.

     

    Le vent me transperce

    résigné à y laisser mes os

    je pars en voyage

     

    Son regard sur le monde, contemplatif bien-sûr, est aussi empreint de compassion :

     

    Poètes émus par les cris des singes

    Entendez-vous l’enfant abandonné

    Dans le vent d’automne ?

     

    Et non dénué d’humour :

     

    Les nuages défilent -

    Un chien qui pisse partout

    cette averse d ‘hiver.

     

    Après le voyage à Ueno, il reste deux ans sédentaire à l’ermitage reconstruit, ce sera sa période la plus longue sans voyager. Il se consacre à l’enseignement de son art et à une perpétuelle recherche pour l’améliorer. Il lui arrive cependant souvent de souffrir de la solitude.

     

    Lune et neige

    mes seuls compagnons de l’année –

    Fin de l’année

     

    C’est durant cette période, en 1686, qu’il publie son poème sans doute le plus célèbre :

     

    Vieil étang -

    Une reinette y plongeant,

    chuchotis de l’eau

     

    En 1687, il reprend la route. Son amour de la nature est de plus en plus présent dans son art mais aussi un intérêt pour l’esthétisme du Furyu, un idéal artistique du moyen-âge. Cette année là, il écrit aussi des haïkus où il se décrit lui-même :

     

    Cheveux longs

    et visage pâle -

    La pluie de juin

     

     

    Soleil d’hiver

    je suis une ombre gelée

    sur son cheval

     

    Il serait trop long de détailler encore sa biographie, mais à la lecture de ces haïkus, on apprend beaucoup sur la vie, les traditions, les mœurs de l’époque, y compris la nourriture et les tenues vestimentaires. 973 notes indispensables en fin d’ouvrage permettent d’approfondir la compréhension de ces haïkus, de percevoir leur subtilité et de tout ce qu’ils évoquent du quotidien de cette époque.

     

    Bashō ne cessera plus de voyager, malgré les maladies, de ville en ville, de temples bouddhistes en sanctuaire shintoïstes. Souvent il rédigera un haïku à la mémoire d’un(e) défunt(e).

     

    Ces carnets de voyages sont un hymne permanent à la « beauté émouvante et mélancolique des choses » (awaresa ou encore mono no aware).

     

    La bise semble

    aiguiser les rocs

    entre les cèdres

     

    Le voyageur toujours en mouvement tend vers l’équilibre entre vide et profusion, au rythme de l’alternance des saisons.

     

    Saumon séché

    et maigreur du bonze vagabond

    dans les grands froids

     

    La lune, la pluie, le froid, les fleurs, le vent, habitent une majorité de poèmes et les maladies qui l’affectent, Bashō les efface d’un seul haïku :

     

    De toute façon

    il ne m’est rien arrivé –

    Herbes de pampas fanées sous la neige

     

    Il a alors 48 ans. Il mourra sur la route, à Osaka, en 1694 à l’âge de 51 ans, laissant pour ultime consigne à ses disciples :

     

    « La fleur du haïkaï est dans la nouveauté »

     

    Il est reconnu comme étant le père du haïku et le plus grand poète du genre, mais suite à un délitement de son école après sa mort, c’est le peintre et poète Buson (1716-1788), qui cinquante ans plus tard, redonnera son blason au Maître.

     

    Cathy Garcia

     

     

     

    Les traducteurs :

     

    Dominique Chipot. Haïjin français, auteur du guide d'écriture Haïkudo, la voie du haïku (Ed. David et Tire-Veilles 2011), il est cofondateur de Gong, la première revue francophone de haïku, et fondateur de l'Association pour la promotion du haïku francophone. Fondateur de l'association pour la promotion du haïku (www.100pour100haiku.fr)), il anime des conférences, des ateliers, des expositions et dirige Ploc! la lettre du haïku.

     

    Makoto Kemmoku est membre de la revue de haïku Ashibi (Azalée) et traducteur en japonais de plusieurs livres, entre autre, Le Roman de la rose. Il a publié avec Dominique Chipot deux autres ouvrages, en plus de celui–ci : Du rouge aux lèvres. Haïjins japonaises (La Table Ronde, 2008 et Points 2010) et La lune et moi. Haïkus contemporains (Points 2011).

     

  • Tarn en poésie 2012 avec Kenneth White

    Cette année c'est la revue Nouveaux Délits, en la personne de Cathy Garcia, qui assure le compte-rendu de Tarn en poésie. L'invité est Kenneth White.

    J'en profite pour rappeler ce texte qui a inauguré en quatrième de couverture le numéro 0 de cette revue, en juillet 2003 :

    "Ce que je recommande en définitif, sur le plan du comportement, c'est un mélange de résistance, d'indifférence et de rire. Résistance à la bêtise, au système de crétinisation mis en place par une grande partie des médias. Indifférence à tant de discours qui, au nom du Progrès, de l'Avenir, de l'Humanité invitent à une participation sentimentale et aveugle à des mouvements de foule. Rire (sans en faire une profession) devant le faux sérieux, le prétentieux creux, la guimauve sentimentale. Ensuite, je propose d'entrer dans le champ du grand travail, par la porte d'un questionnement radical et par l'intermédiaire de la littérature mondiale. Pour la première fois dans l'histoire du monde, les ressources de pratiquement toutes les cultures sont là, à notre disposition. A l'individu de chercher, en utilisant les institutions. On pourrait aussi envisager la création de groupes, des groupes d'amis, d'esprits chercheurs, pour la discussion de textes radicaux et séminaux, pour l'échange d'informations, pour veiller sur la biosphère, sur l'éco-région. De tels groupes formeraient comme un archipel de vie à l'intérieur de la masse amorphe (ou régimentée) de notre civilisation. Il faut surtout être sur le qui-vive pour tout signe de métamorphose de cette civilisation. Et puis, le plus souvent possible, l'œil et l'esprit ouverts, emprunter n'importe quel sentier dans le bois, suivre n'importe quel ruisseau jusqu'à la mer"

     

     

     

    Kenneth White(poète, écrivain écossais)

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  • Plein de gribouglyphes dans le deuxième numéro de Zinzoline, revue incertaine !

    Précédant de peu le printemps conventionnel et calendaire,
    en ligne à l'adresse : http://fr.calameo.com/read/00031095978491ce69d1c

    Cette édition a bénéficié du concours de Sarolta Bán | Claude Barraud | Martine Bellue | Roman Bonnefoy | Xavier Bordes | Thomas Chéronnet | Serge Corriéras | David de Souza | Christine Desvaux | Cathy Garcia | Jérôme Gilliard | Wilfried Guyot | Jocelyne Hermilly | Denis Heudré | Aurore Lephilipponat | Krystyna Le Rudulier | Nadu Marsaudon | Samuel Merzeaud | Christophe Pilard | Michel Quéral | Lysiane Rolland | Lambert Savigneux | Isabelle Théret | Mireille Togni
    que je remercie vivement et invite à renouveler leur participation.

    Ainsi que des contributions involontaires de Louise Ackermann, Louis Aragon, Zo d'Axa, Jacques Charpentreau, Jim Dodge, Serge Goudin-Thébia, Hervé Le Corre, Bernard Noël, Stéphane Renault, Jules Supervielle, Tomas Tranströmer et Paul Verlaine.

    Quelques rappels :

    • Il est toujours possible de s'abonner ou se réabonner : voir page 207.
    • Zinzoline peut se télécharger au format pdf.
    • Zinzoline # 1 est toujours visible / téléchargeable / imprimable ici http://fr.calameo.com/read/000310959b7eb12e5fbba

     

    --

    Alain Cotten / Zinzoline, revue incertaine
    revue.zinzoline@free.fr
    alain-cotten.over-blog.com

  • Else comme absentée de Lou Raoul - Editions Henry 2011

    ISBN 978-2-917698-89-1 - 40 pages - 6 €

     

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    J’avais déjà fait une note pour Else comme absentée, mais si j’en avais assez bien saisi la forme, j’étais passée à côté du fond, aussi Lou Raoul m’a proposé de lire aussi Sven, paru la même année chez Gros texte. Ces deux recueils auraient pu être effectivement rassemblés en un seul. Je retrouve dans Sven la même écriture concise et imagée que j’avais aimée dans Else, et qui me donne par moment l’impression de feuilleter un album photo. Le cadre est le même : maison, jardin, campagne, la vraie, celle où l’on cuisine le lapin, élève des poules, travaille aux champs pour nourrir les animaux l’hiver. Mais, derrière cette apparente et tranquille immuabilité, s’ouvrent des puits comme une « ambulance dans la nuit verte d’avril » et c’est bien là où parler de ce livre devient difficile. J’avoue avoir faillit y renoncer, mais ce serait dommage car il mérite vraiment d’être lu, tout comme Sven d’ailleurs, et plutôt deux fois qu’une. Mais voilà, l’écriture de Lou Raoul ne dit pas tout, à l’image de ces gens justement de la campagne à qui la pudeur fait préférer le silence, là où d’autres donneraient dans les cris et les larmes.

    Else d’abord, rien que le titre est mystérieux. On peut y lire Elle se… et la phrase reste en suspens, devient question. Elle se quoi ? Elle se qui ?

    Else c’est aussi « autre » dans la langue de Grande-Bretagne. Ce serait donc ça ? L’autre comme absentée. L’autre soi, couchée sur le papier, à qui l’auteur s’adresse par un tu. Une sorte de dédoublement pour dire sans dire. Au lecteur de deviner. Pas que ce soit un jeu non, mais simplement la parole de l’auteur est si authentique justement qu’elle ne peut qu’être pudique. C’est de vraie vie dont il s’agit ici, par petites touches, une vie ancrée à la terre, pleine d’odeurs, de solitude aussi. D’ailleurs Else comme absentée démarre sur ces mots « T’enfuir, t’enfouir ». Fuir quoi ? La coiffeuse et ses questions déplacées, « vous avez commencé les achats ? », la furie commerciale de noël et « les tables dressées pour des repas, puis des décors, des scintillants, des pièces chaudes » ? Else ne fête pas noël, Else « vomit toutes ces odeurs, parfums, sucrés, ces bras pressés, ces bouches portables dans la rue ». Else préfère « un ancien sac de pomme de terre sur son corps doux ».

    En fait c’est ça qui m’avait échappé à la première lecture, j’avais oublié le début et la fin, bercée entre deux par le bon air de la campagne, le soleil, le jardin, cette vie à l’apparence paisible. Au début du recueil, ce décompte des jours du vingt au trente décembre, faut que ça passe, et ça passe, « tu t’perds de vue, Else, jusqu’aux premières minutes en plus des soirs de janvier où. » Parfois les phrases s’arrêtent ainsi, brusquement, comme Else, elles s’absentent. Comme une photo qui manquerait dans un album, laissant juste l’empreinte du cadre vide. Et là on passe à un nouveau chapitre, Ilse Else, et le voile s’épaissit. Ilse ?

    Et l’auteur comme si de rien n’était nous plonge d’un coup dans le quotidien, un poulailler, une cour intérieure, des tiges de rhubarbe, la cuvette d’épluchures pour l’âne, le ragoût de lapin mais trop de sauge, c’est amer. Pas anodin ça, ce mot amer. Et une voix, une silhouette d’homme, et là je sais maintenant, c’est Sven, l’homme de Norvège, un homme dans la vie d’Else « son souffle dans tes jours éclairant ton visage ». Du bonheur ? Et c’est le passé qui s’engouffre dans le recueil, et tout se voile à nouveau, « « des traces disent rien du temps passé présent venant c’est hier ça tient pas debout. (…) c’est une odeur de tilleul en fleurs tandis que tu fouilles boîtes archives poésie (…). ». S’ouvre soudain le puits « revient la mort malade couler dans ton sang » et l’ombre du crabe, « juste une poignée de jours entre temps avant de reperdre tous tes cheveux tu achètes une nouvelle coiffure » aussitôt effacée, sans même une virgule entre les deux par « un homme bricole que t’entends siffloter dans les jardins, y’a du soleil de juillet, sur toi, et sur tes sœurs, quoiqu’il advienne ».

     

    Serait-ce là, en quelques phrases que se trouve le secret d’Else comme absentée ?

     

    « toi sans blessure tu deviens Ilse ».

     

    Et là s’ouvre un nouveau chapitre, un nouveau mystère : Else comme absentée ou orcanète. Orcanète ? Une fleur, une fleur méditerranéenne dont la racine sert à teindre en rouge, du henné en quelque sorte. On songe au sang bien-sûr mais aussi aux cheveux, qui reviennent souvent dans ce recueil.

     

    Puis la page s’ouvre sur un décor presque idyllique, intemporel,

     

    « un homme dans le champs

    comme il voit le printemps, comme il coupe les tiges de maïs (…)

     

    qu’aux brebis il distribue

    les jaunes épis aux matins d’hiver

     

    des travaux, des saisons, des brebis, des agneaux »

     

    (…)

     

    « aux gestes mesurés

    est un homme dans le champ

    ne dépend que de toi

    que tu le suives et sois sur ses pas »

     

    Et c’est là qu’à ma première lecture, j’ai commencé, comme Else peut-être, à oublier tout le reste et me suis plongée dans le présent d’une vie bonne et simple, rude aussi, dans ce coin de campagne bretonne, à la douceur se mêle toujours quelques échardes, « les peaux sèches cartonnées des animaux, morts animaux » « toutes les peintures s’écaillent dedans » mais Sven est là. Lou Raoul évoque l’homme essentiellement par la voix, qui chante, sifflote, par les mains qui travaillent, ramassent, bricolent, une présence rassurante, « et lui ce jour ses yeux sont bleus autant que son pull ». Et la vie s’écoule, et on suit le regard d’Else

     

    « l’ombre des cyprès déplacée et puis des toiles d’araignées, des morceaux de jute, des bouts de cageots, des ficelles nouées

    sur le rebord de la fenêtre un gobelet de plastique bleu

    la poudre de lait des petits veaux »

     

    Et le printemps est là, il éclate dans le regard d’Else, des pages et des pages de printemps, d’été

     

    « c’est dans la cour

    comme un poème

    où t’éparpilles les chevelures des pissenlits »

     

    et puis brusquement arrive « comme une silhouette en imper gris » et « le matin si froid si frêle » et voilà que tout se voile de nouveau devient mystère

     

    « tu poses un ange

    devant la porte

    où est celui

    que plus personne

     

    la main de l’ange

    parfois t’y penses

    t’y penses encore

    t’y penses sans cesse »

     

    et le livre s’achève

     

    « comme à une pluie

    une pluie qui pleut

    depuis trois jours

    discontinue

    sur Brest, Brest même »

     

    et je me dis alors que, oui, le livre est à l’image de ce climat breton, si changeant, et où le soleil peut laisser place instantanément à la pluie, un voile qui obscurcit tout et puis de nouveau le soleil, un peu comme la vie finalement, avec ses creux et ses pleins.

     

    Cathy Garcia

     

     

    Lou Raoul vit en Bretagne où elle est née en 1964. Depuis 2008, elle publie poèmes et textes dans diverses revues (Comme en Poésie, Décharge, Gros Textes, Liqueur 44, N4728, Traction-Brabant, Trémalo, Verso... ). Un recueil Roche Jagu / Roc'h Ugu (Éditions Encres Vives / Collection Lieu) est paru en 2010, suivi en février 2011 par Sven (Éditions Gros Textes) et en mars 2011 par Les jours où Else (Éditions Isabelle Sauvage), Else comme absentée fin 2011 aux Éditions Henry. quand elle / prairie jaunes tanaisies prévu pour 2012 aux Éditions Isabelle Sauvage. Son travail d'écriture, qui oscille entre poésie et prose narrative, croise aussi le spectacle vivant et les arts plastiques. Son blog ouvert en 2010 accueille textes et photographies : http://friches-et-appentis.blogspot.com/ (faites un copier/coller de l'adresse car le lien ne fonctionne pas directement, allez savoir pourquoi !)