AJ Frena - Sleipnir, 2012

MOIRURE
et chaque fois je réapprends
à regarder ma peur qui me regarde
cette sensibilité
un peu idiote
l’humide d’un trop plein
de beauté
l’envie d’un regard
amoureux
petit cinéma personnel
qui fait salle comble
l’indécrottable romantisme
cet élan qui fait gicler
de nous-mêmes le meilleur
cet enfant en nous qui veut plaire
mais le monde peut bien hurler
il y a des crocs qui jamais ne lâchent
accueillir donc
ouvrir se fondre à l’appel
briseur de sirènes
se couler dans le courant
d’une non-réalité
s’allonger sur le fond
et du coup sur les formes
danser la danse dissolue
des algues amnésiques
des traces des marques des signes
à tâtons je cherche
puis ne cherche plus
trouve la paix
sur les ailes d’un délire
un sourire qui s’étire
comme chat reptile
œil vif
cheval blanc
brin d’herbe entre les dents
guérisseur
ouvrir la fenêtre
du bout des lèvres happer la lune
la laisser fondre sous la langue
manger la nuit
recracher ses étoiles
ces milliards de soleils dans les yeux
dans nos yeux
toujours noirs
et que vienne la relève
les nouveaux dieux
barbares et bandant
qui marqueront nos lèvres
d’une sève profane
feu
averse
vapeur
la traversée
l’entre-deux mondes
je sens la force qui émane
des anciens sillons
je sens la chaleur
des entrailles
la rougeur organique
les flux de la peur
et du désir
qui tressaute
les muscles épices
le regard perforateur
du cheval écarlate
trempé de sueur
qui se cabre
juste le souffle
pour dompter
ce cheval fou
ce cheval ivre
de cette puissance
qu’est vivre
et chaque fois je réapprends
à regarder ma peur qui me regarde
Cg in Salines, 2007







































Jephan de Villiers est sculpteur. Il est né au Chesnay le 4 avril 1940. Il partage son temps entre l'atelier de Jolymont à Watermael-Boitsfort (Bruxelles) et celui de Corloux à Mirambeau (Charente-Maritime). Vers l'âge de 14 ans il commence à recueillir dans le jardin de sa grand-mère près de Versailles des brindilles et des feuilles mortes pour en faire d'immenses villages de terre et d'écorces. Quelques années plus tard, il remplit de gouaches des coquilles d'œuf et les jette sur de grands papiers noirs. Dans les années 1960, la découverte de l'atelier de Brancusi reconstitué au musée d'art moderne de Paris, donne naissance à des sculptures blanches filiformes qu'il appelle Structures aquatiales. Il s'installe alors à Londres où il expose ses sculptures de plâtre. En 1976, lors d'un voyage à Bruxelles, Jephan de Villiers découvre la forêt de Soignes et ramasse le premier "bois-corps" préfiguration du Voyage en Arbonie. Dès lors, tout ce qu'il utilise vient de ce monde secret des végétaux tombés sur la terre où ils pourrissent, se perdent et se transforment. Ces racines, ces écorces de bouleau, ces bogues, ramassés au cours de ses promenades en forêt, vont devenir des peuples de nomades, des forêts en marche, des anges chevauchant des ours géants. Ce peuple de bois mort s'avance en longs défilés silencieux, étranges tribus d'un territoire imaginaire.












