Denoël, août 2013.
205 pages, 16 €.
Avec un titre pareil, on s’attend en commençant la lecture à se faire emporter par un certain lyrisme, il n’en est rien. L’écriture ici est plutôt dépouillée, rêche, comme en retrait, à l’image de ces vieillards retirés du monde dans des cabanes au fond de la forêt. Ceci jusqu’à l’arrivée de Marie-Desneiges, qui infusera dans l’histoire, une poésie aussi pure et fragile qu’elle.
Au départ ils étaient trois, Ted, Tom et Charlie, plus leurs chiens, tous trois ont en commun d’avoir survécu il y a longtemps au Grand Feu de Matheson en 1916, un de ces violents incendies qui ont ravagé la région québécoise du Témiscamingue au début du XXe siècle. Tom avait ensuite brûlé sa vie dans l’alcool et Charlie, ancien employé des Postes et trappeur à ses heures, avait déjà était donné pour mort, suite à une insuffisance rénale. Parti mourir dans la forêt, celle-ci lui avait offert une seconde vie. Ted, lui, son histoire est la plus mystérieuse. Après avoir perdu toute sa famille dans le Grand Feu, on a dit qu’il était devenu aveugle, puis fou… « Une blessure ouverte, disait-on le plus souvent. »
Tous trois, avaient chacun leurs raisons et leur façon d’être épris de liberté jusqu’à l’absolu. Ils ont donc décidé de disparaître aux yeux du monde et rejoindre la forêt pour de bon. Ils y vivent coupés de tout, leurs besoins réduits au minimum étant assurés par une production de cannabis dont s’occupe Bruno, un marginal plus jeune, qui fait le va et vient entre le camp des disparus volontaires et le reste du monde. C’est lui qui leur apporte le strict nécessaire : nourriture et matériel divers. Il y a aussi Steve, qui tient un hôtel de luxe qui ne l’a jamais été, un caprice de riche Libanais qui avait fait fortune dans l’alcool frelaté, un immense hôtel vide au milieu de nulle-part, et qui est devenu en quelque sorte l’avant-poste de garde du campement des vieux, veillant à ce que personne n’aille fouiner par chez eux. Steve, c’est le désenchantement absolu, un homme qui n’a ni ambition ni vanité. Il régnait sur un domaine avec une totale insouciance. L’hôtel ne lui appartenait pas. Le propriétaire lui avait laissé à sa gérance, autant dire à l’abandon.
Ted, 94 ans, Charlie, 89 ans et Tom, 86 ans, sont liés par une volonté de survie et un pacte de mort, chacun a sur une étagère dans sa cabane une petite boite de strychnine.
« Chacun avait sa boite de sel et s’il fallait un jour aider, chacun savait où était la boite de l’autre. »
Tout commence quand une photographe du Herald Tribune débarque sans crier gare dans le sanctuaire des vieillards disparus. Elle est sur les traces de Ted, Edward ou Ed Boychuck, l’homme aux plusieurs noms, le garçon qui avait marché dans les décombres fumants, dont la légende marche toujours dans la mémoire locale. La photographe veut prendre des photos de tous les survivants des Grands Feux et recueillir leur témoignage. Mais voilà, Ted est mort. Du moins, c’est ce que lui dit Charlie et il n’y a rien à dire de plus, mais la photographe, loin de se laisser intimider par la rudesse de Charlie, va au contraire s’attacher de plus en plus à ces vieux marginaux, comme elle s’attachera à Marie-Desneige, qui s’attachera à elle en la nommant Ange-Aimée en souvenir de la seule amie qu’elle avait eu à l’asile et de laquelle elle avait été séparée « pour leur bien ».
Marie-Desneige, c’est la fée de l’histoire. Une fée nommé Gertrude, qui fut internée abusivement par son père à l’âge de 16 ans et qui passera 66 ans, ignorée de tous, à l’asile. Marie-Desneige, c’est le nom qu’elle prendra pour disparaître et commencer à vivre. C’est la tante de Bruno. A la mort du frère de cette dernière et donc du père de Bruno, sa mère avait découvert l’existence de cette belle-sœur en retrouvant une lettre qu’elle avait envoyée, dans laquelle elle suppliait son frère de venir la sortir de là. Elle avait alors 37 ans. Il faudra 45 ans de plus pour que quelqu’un réponde à cette lettre. Bruno rencontre sa tante donc chez sa mère. C’était la première fois en 66 ans que quelqu’un la sortait de l’asile. « Sa mère, après sa première visite à sa belle-sœur, a entrepris de lui enjoliver la vie. C’est ce qu’elle disait, lui enjoliver la vie. » Elle l’avait donc invitée pour passer quelques jours chez elle « mais quelques jours seulement, la pauvre ne supporterait pas davantage. » Bruno tombé sous le charme de la vieille dame, qui parait tout sauf folle, ne pourra se résoudre à la ramener entre ces quatre murs où elle a vécu toute une vie volée… Alors, il fera croire qu’elle s’est échappée sur le chemin du retour et va l’amener là où vont les disparus de son âge. L’arrivée de Marie-Desneige dans le camp des vieux de la forêt va bouleverser les habitudes. Avec elle arrive le désir de vivre et avec elle arrive l’amour le plus inattendu qui va illuminer Charlie. Charlie qui, à l’aube de ses 90 ans, va commencer ainsi sa troisième vie.
Ce serait dommage de trop en dire car l’histoire racontée ici est d’une telle délicatesse, qu’inexplicablement au fur et à mesure de la lecture, qui au départ peut sembler un peu sèche, on tombe sous le charme, on est pris aux tripes, on est parcouru de sensations, d’émotions. Il y a vraiment quelque chose de particulier qui opère malgré nous, l’auteur tisse sans en avoir l’air ses filets et nous voilà pris dedans, bouleversés. On a alors envie d’écouter du Tom Waits, de sentir l’odeur de la forêt, une odeur de terre, de fumée et de bois mouillé. On a le cœur qui bat un peu plus fort et on ne s’y attendait pas, mais on a vraiment basculé de l’autre côté, happé par le livre. C’est là sans aucun doute le talent discret mais terriblement efficace de Jocelyne Saucier.
Ce roman va être prochainement adapté au cinéma, et on s’en réjouit d’avance.
Cathy Garcia
Jocelyne Saucier est une romancière canadienne née dans la province du Nouveau-Brunswick en 1948. Elle a fait des études de sciences politiques et de journalisme. Il pleuvait des oiseaux est son quatrième roman.