Carmelo Marchetta
Dans notre monde occidental, la seule chose qui relie réellement les hommes entre eux relève davantage de la tuyauterie ou du câblage.
in Microbe n°68 (+1)
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Dans notre monde occidental, la seule chose qui relie réellement les hommes entre eux relève davantage de la tuyauterie ou du câblage.
in Microbe n°68 (+1)
Avec ce que tu fais de ta langue,
je te dirai ce que tu fais de ta société
La panthère est pleine et les chatons bougent sous la paume,
alors on se sent sage femme, sage chatte et c’est bien.
cg in A la loupe
Programme Pinocchio. L’humain doit disparaître, seules doivent demeurer les panoplies.
La fatalité est une arme de contrôle massif. Un bain de ciguë où clapotent les siècles.
Les fils à couper sont intégrés, il faut donc les chercher à l’intérieur.
cg in Le poulpe et la pulpe (Cardère 2011)
Gérard Gartner, au seuil de sa 81ème année, artiste rom et manouche, a décidé de détruire la totalité de ses sculptures de son vivant, l’œuvre de toute une vie.
« L’attitude que je propose n’a pas encore de nom. Les dictionnaires ignorent involontairement le fait d’éliminer soi-même son œuvre artistique. »Gérard Gartner
Ce que Gérard Gartner envisage est dans la continuité du mouvement Dada des origines, ces anartistes, dont il a fait siennes les actions, les pensées, la critique et la révolte. Ce sera donc un acte Dada, cent années exactement après la naissance du mouvement qui sera célébré partout en occident en 2016. Gartner, de la sorte, héritier des dadaïstes, inaugurera le 15 janvier 2016 à Douarnenez en Bretagne, dans un geste radical, le centenaire du mouvement Dada né en 1916. Mais c’est aussi parce que la révélation de son travail d’artiste s’est faite au contact d’Alberto Giacometti, dans l’atelier du Maitre, que la date choisie par Gérard Gartner, correspond au cinquantième anniversaire de la mort d’Alberto Giacometti.
Gérard Gartner dit Mutsa (chat en langue rromani) est un artiste aux cent vies. Avant de sculpter la matière, il a été portraitiste d’amis et de personnages connus comme Charles d’Avray, Louis Lecoin, Georges Brassens… mais également chaudronnier, garde du corps d’André Malraux, boxeur professionnel, embaumeur, écrivain, militant de l’art tsigane et récupérateur de plastiques dans le chaos des décharges de Rungis.
Gérard Gartner a toujours refusé de vendre ses œuvres.
Dans une cohérence et une loyauté aux pensées et figures radicales du XXème siècle qu’il a fait siennes toute sa vie, d’Arthur Cravan et de Marcel Duchamp aux situationnistes et objecteurs de conscience, de Fluxus à la reconnaissance des artistes tsiganes, de Giacometti à la critique sociale et aux transgressions, de la récupération et de la transformation de l’ordinaire de la vie, Gérard Gartner réalisera à sa manière ce que les précurseurs du mouvement Dada de 1916 n’ont pas réalisé : la destruction de l’Art.
Ayant exposé partout en France ainsi qu’à Florence, Pize, Barcelone, Montréal et Québec, Chicago, Moscou, Aachen, Bruxelles… La Galerie Kai Dikhas de Berlin, sera le point d’orgue d’un itinéraire hors du commun.
ULTIMA VERBA / LE GESTE MAJEUR DE LA DESTRUCTION / TEXTE DE JEAN-LOUIS POITEVIN
Gartner voit dans ce geste de destruction l’aboutissement non seulement de sa démarche, mais de sa conception même de l’art. Ou, plutôt qu’un aboutissement, un geste qui ne fait qu’accélérer le moment inévitable de disparition à laquelle tout ce qui vit, tout ce qui existe, est voué à plus ou moins long terme.
C’est aussi un geste qui se trouve en total accord avec sa pratique créatrice.
En effet, il ne travaille pas avec des matériaux de récupération pour le plaisir ni pour la facilité, mais parce que ce matériau en tant que tel rend perceptible la philosophie et la conception de l’art qui sont les siennes. Pourquoi le nier, il a sur l’art et sur sa fonction un avis qui rompt totalement avec les conceptions classiques et traditionnelles de l’art valables en occident.
En un mot, il pense l’art comme processus vivant et vital et ne voit donc pas en quoi, sinon par cette singulière perversion de l’esprit humain qui travaille souvent à s’opposer à ce qu’il sait, l’art devrait échapper à la règle générale qui gouverne le vivant.
Marcel Proust l’a déjà noté : « Victor Hugo dit : « il faut que l’herbe pousse et que les enfants meurent. » Lui, dit que la loi cruelle de l’art est que les êtres meurent et que nous-mêmes mourions en épuisant toutes les souffrances pour que pousse l’herbe non de l’oubli mais de la vie éternelle, l’herbe drue des œuvres fécondes, sur laquelle les générations viendront faire gaiement, sans souci de ceux qui dorment en dessous, leur Déjeuner sur l’herbe. »
Et comme s’ils voulaient s’opposer à cette loi de la disparition nécessaire de ce qui a été, les hommes s’obstinent à reporter cette angoisse fondamentale sur les produits de leur génie, sur les objets de leur création, comme si vénérer était la réponse unique à leur solitude absolue et qu’ainsi ils cherchaient à persister dans le monde, à travers leurs œuvres au-delà de toute limite.
L’obsession humaine pour l’éternité le fait sourire et il en va de même pour les traces que les hommes entendent laisser de leur passage sur terre.
Vivre, c’est vivre. C’est pourquoi il n’y a pas de raison de ne pas faire ce pour quoi l’on se sent appelé, que ce soit rêver, travailler, construire, inventer, créer. Mais de là, de là à prétendre et à vouloir faire en sorte que ces traces deviennent éternelles, il y a un pas qu’il ne peut franchir. C’est pourquoi il reste encore plus loin du second pas qui consiste à vouloir à tout prix diviniser et les œuvres, et leurs créateurs.
Il se sent proche de ce que dit Paul Klee lorsqu’il déclare dans sa conférence de 1924, De l’art moderne, que ce monde « n’est pas le seul possible » et « que la création ne peut pas être achevée à ce jour ».
La nature ne cesse de produire du changement et rien de ce qui vient d’elle ne peut échapper à ce processus de destruction permanente qui est le véritable moteur de toute création.
C’est cela qui constitue la base de sa pratique artistique, cette « évidence » qui est aussi la base de notre expérience globale de la vie.
Face aux œuvres d’art, il lui semble que l’enjeu est qu’elles nous permettent de nous connecter au mouvement général de l’univers, à l’énergie du « sans limite », dans lequel rien ne se perd, rien ne se crée et de trouver en nous le chemin qui conduit à l’appréhension de ce vide immobile, dynamique et silencieux, qui constitue pour moi la véritable « réalité ».
Face à ces éléments qui partent du plastique abandonné pour en exhumer et en exhiber les potentialités non-vues pas nous qui ne le considérons que comme un déchet, je vous invite moins à vous perdre dans la contemplation des objets qui sont nés sous sa main qu’à vous glisser dans le mouvement même de la création-destruction qui constitue la vérité intime de la nature, de la vie, du cosmos.
Si, face à ces sculptures qui se tordent sous vos yeux « ainsi qu’un serpent sur la braise » vous laissez votre esprit suivre le mouvement de torsion qui les constitue, alors vous percevrez ces objets comme des clés ouvrant sur le mystère indicible de la création.
Mais c’est à vous de tourner la clé, à vous de pousser la porte, à vous de vous glisser de l’autre côté, à vous d’ouvrir votre esprit, à vous de faire l’expérience d’un voyage dans l’envers du monde.
Chacune de ses œuvres est une de ces barques que l’on prend lorsque est venue l’heure de passer le Styx. Mais loin de vous conduire dans le royaume des morts, ses œuvres vous conduisent du côté de la vie éternelle, dans ce monde où vérité et éternité ne font qu’un, elles qui sont le nom imparfait de ce qui échappe à toute prise.
Si vous faites cette expérience, même de manière fugitive, alors vous comprendrez que son souhait de détruire ses œuvres n’est ni la lubie d’un original, ni l’acte d’un désaxé, mais bien l’affirmation consciente d’une conception de l’œuvre comme geste ouvrant sur l’envers du monde.
Vous comprendrez qu’il entend affirmer en le mettant en œuvre par la destruction, la force absolue et invincible de la transformation et de la renaissance, c’est-à-dire de cette éternité dans laquelle baigne tout ce qui existe et qui, en effet, matière incertaine, doit un jour disparaitre pour que renaisse autre chose, encore et encore.
Détruire, ici, c’est ouvrir la porte pour de nouveaux gestes et non enfermer le regard dans le piège d’une forme figée. Ses œuvres se tiennent au plus près du secret de cette transformation permanente, mais le geste de les détruire seul peut permettre de rendre à la vérité absolue un peu de visibilité dans ce monde des formes figées par l’irrésistible besoin qu’ont les hommes de croire.
Jean-Louis Poitevin est écrivain et critique d’art. Docteur en philosophie, il est l’auteur de nombreux livres et articles sur l’art contemporain en particulier. De 2000 à 2004, il a dirigé les instituts français de Stuttgart et d’Innsbruck.
Texte de Gérard Gartener à propos de ses réalisations :
J’aimerais bien partir d’ici
Retrouver l’empreinte d’une crinière
Dans le vent
Un galop d’avant la parole
Il me suffirait pour cela
De siffler
Lascaux
Un cheval y manquerait.
in Triptyque du veilleur