Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

- Page 4

  • Frederick Kaufman

     

    (…) alors que 200 milliards de dollars atterrirent sur le marché alimentaire, 250 millions de personnes tombèrent dans l’extrême pauvreté. Entre 2005 et 2008, le prix de la nourriture augmenta de 80 % et personne ne fut étonné lorsque The Economist annonça que le prix réel de la nourriture avait atteint son niveau le plus élevé depuis 1845, l’année où le magazine l’avait calculé pour la première fois »

    in son article : « The food bubble : How Wall Street starved millions and got away with it » Harper’s 2011

     

     

     

  • Martín Caparrós

     

    L’éthanol nord-américain est fabriqué à partir de maïs, une de leurs principales cultures. Les Etats-Unis produisent 35 % du maïs mondial, plus de 350 millions de tonnes par an.  Selon une loi fédérale, la Renewable Fuel Standard, 40 % de cette céréale doit être utilisé pour remplir les réservoirs des voitures. Cela représente près d’un sixième de la consommation mondiale d’un des aliments les plus consommés dans le monde. Avec les 170 kilos de maïs nécessaires pour remplir un réservoir d’éthanol-85, un enfant zambien ou mexicain ou bangladais peut survivre toute une année. Un réservoir, un enfant, un an. Et l’on remplit chaque année près de 900 millions de réservoirs.

    in La faim

     

     

     

     

     

  • Jg Tartar(e)

    Jg Tartare.jpg

    Jg Tartar(e)

     

     

    - TARTAR(E), A QUOI TU PENSES ?


    - Vite dit ? Aux chants du monde, aux drapeaux de prières tibétains, aux talismans gravés d’incantations : abraxas, ostracas, phylactères et autres pierres que les ancêtres glissaient entre les mâchoires des morts. On les appelle Loungta, ces drapeaux flottant sur les temples de l'Himalaya où les analphabètes passent courbés sous l'étagère de livres saints, où l'étudiant nettoie sa tablette d’écriture puis boit l’eau mêlée d’encre pour que les sons sacrés ne subissent pas l’outrage de l’égout, son maître a le corps tatoué du nom de son dieu répété 108 fois. Je pense aux Dogons, aux signes qu’ils dessinent sur le sol et qu’un renard transformera en récit divinatoire, je pense à l'Australie, au shaman assis en tailleur qui chante l’univers en lisant les veinures d’une pierre affleurante tandis qu’à Bora Bora, un Ariori enseigne l'astronomie à grand renfort de coquillages.

    Je pense au cosmos tapi dans la lettre, fœtus lové dans le signe, et je m’interroge : le vent, le chant, la lettre, l’encre boisson, l’homme livre, le renard devin, le signe noir et son homonyme blanc. Le signe... le son « signe », le mot « signe » et son anagramme, « singe », je m’interroge sur la copulation des signes et la peau de banane sémiologique, je pense à cette famille amérindienne scalpant un typographe yankee pour lui piquer son matériel et inventer une nouvelle écriture, les mouches tournent autour du cadavre, combien d’alphabets sont morts, combien de fois la violence accoucha-t-elle de sublime dans les tempêtes de l’Histoire ? On s’en fout, comme dit Bruno, 20 ans : « chaque question est une apocalypse ». 
    « Qui est lettré ? » demande Gengis Kahn aux vaincus de Samarcande. « Moi, je prends des cours » répond opportunément un malin qui craint la décapitation promise aux analphabètes... 
    Me trouver face à un objet sans nom me rend perplexe, mais me trouver face à une définition sans nom, me rend fou ; qu’un seul mot m’échappe et je m’acharne, je veux tous les mots, tous les outils de la langue, les mots clefs, les mots à molette, les mots de serrage, à pipe, le mot de 13, mots crocodile, les mots dynamométriques, à griffes, à douille ou à mâchoires dentées. 
    A mesure que se remplit ma boîte à mot, que s’équipe mon atelier de mocanique, mon fictionnaire, je trouve ça et là des brimborions, des machins inutiles mais que j’aime bien, j’ai trouvé "philtrum" et là... Je ne sais pas où il est, le nom de la chute de reins, j’ai trouvé sérendipité, périzonium et hapax, ça y est, la lordose, la chute des reins, c’est la lordose, et la taroupe qui buissonne sur la glabelle...

    « Je suis épuisé » dit le grand lettré Littré ayant achevé son dictionnaire, épuisé d’avoir rameuté les mots, le troupeau est au complet. Oui... mais il manque pour nourrir son vertige d’autiste, de Noé sauvant les ani-mots, il manque les mots exotiques, 7000 langues, 100 000 mots par langue, 700 millions de mots, soit 1 milliard avec les mots disparus des langues connues, les mots des langues disparues, inconnues et inventées, novlangues pérennes, néologismes éphémères, protolangues évanouies, idiolectes secrets bavardages de aras, argots et jargons. Le dictionnaire universel pèsera 3 tonnes de papier, soit 60 000 arbres, un bois carré de 244 mètres de côté, 6 hectares de peupliers de 10 ans plus une étagère de 180 mètres linéaires soit deux sapins que l’on aura eu soin de planter à distance des peupliers pour leur éviter un stress acide. A raison d’un mot par minute, huit heures par jour, il faut mille ans pour achever cet ouvrage de 60 000 volumes et plus d’un siècle pour le lire, sans les citations qui pour faire complet ce dictionnaire devront être exhaustives, en rapportant tout ce que les hommes ont dit depuis qu’ils disent. Or chaque homme prononce 150 millions de mots dans sa vie. Multiplié par 14 milliards en ajoutant les morts, cela fait, soustraits les muets, les chartreux et autres profanateurs de boucan : à 15 mots par citation cela fait 15 fois 10 puissance 17 citations, divisé par 10 puissance 5 mots : 1500 milliards de citations par mot ce qui est excessif, on en conviendra, dommage que les hommes ne pratiquent pas l’antelogosheptagyrolingus, nom masculin, néologisme signifiant « tourner sept fois sa langue dans sa bouche avant de parler ». Ne nous laissons pas impressionner par ces nombres faramineux, l’infini est encore loin et une approximation nous révèle que ce qu’a dit l’humanité à raison de 3 postillons par mot remplirait à peine un volume de 1000 mètres cube, soit l’équivalent d’une mare de salive que j’imagine peuplée de rainettes en symposium, séminaire, colloque, coloc, coloc, coloc, batraciens suppliant l’homme, leur gargouille, de remplir leur mare de grenouille : coloc, coloc, parle, bavarde, babille, bavasse, bagoule, fais-en des tonnes, enfume embrouille endort étonne, cause débat discours jacte conférence, meuble le silence, clame réclame acclame déclame blâme, slame enflamme l’âme, roucoule chantre libéral, cigale du capital. Théorise rhétorise terrorise rhéteur retors, rétorque pied à pied, en prose ou vers à pieds. Harangue tribun, invective, parlemente, qu’importe pourvu que tu mentes ! Foudre d’éloquence et trait d’esprit, logorrhée loquace, boutade la répartie, patrocine ratiocine, sois épique et pique et calligramme, pointe parole et loquèle l’épigramme ! Coasse, sermonne, apologise en éloge volubile, faconde abstruse et verve féconde, scande scalde logographe aède abscons, laïus prolixe, verbum parnasse versificato logos, amen... ta fraise !

    « Tu te souviendras et tu n’en finiras pas de raconter », tel est le sens du mot hébreu zakkor.

    Mémoire et narration, zakkor, d’accord, je suis là, chauffé par une colère contre les CMPS, les couilles molles de la pulsion sécuritaire, vigiles qui m’ont brisé la mâchoire dans un festival de poésie. Il me fallait des mots contre ces vigiles, ces cerbères qui confient l’éthique aux chiens, des pierres contre leurs caméras de surveillance mais on ne dit plus caméra de surveillance, on dit caméra de protection et bientôt on dira caméra de survie, ce sera comme au Chili sous Pinochet, mais on ne dit plus Pinochet, on dit « sextoy ». Sextoy, c’est un xénisme, synonyme de pérégrinisme, signifiant « mot qui voyage », exemples : « dollar », « dealer », « harakiri » ou « Samlekhana », suicide par inanition, mot qui m’est tombé dessus à Sravanabelagola, Etat du Karnataka, en Inde, auprès d’un ascète mourant.

    Assis en tailleur, n’ayant rien mangé depuis des semaines, il approche son visage du mien et parle : chaos de langue, humections, sussions de joues creuses, dentition en ruine, salivation brune, une haleine d’épouvante, exhalation de charnier, cliquetis, mâchouillage, mâchonnage de berblication, il ouvre, cale, aspire, renifle et crache !

    Il... parle, mû par quelque urgence, en trahison de silence, en contorsion de langue qui bondit, colle au palais, racle une gencive, replace une dent et disparaît dans la béance de sa gorge où je m’engouffre, et je suis tout entier là-dedans, dans l’ahurissant slam de l’âme, d’où je m’arrache pour aussitôt me fracasser dans son regard de cobra millénaire. Œil pâle, étang de douceur… Bulle d’éternité. Mort. J’observe cela... Cette dépouille, me voici face à une définition... me manque le mot. C’est Shankar, l’épicier du village qui me l’a offert : Samlekhana, et depuis ce mot m’accompagne, il voyage jusqu’en cet instant, dans mon Zakkor qui se vide malgré moi, dans le non agir, Wu Wei disent les chinois, encore un pérégrinisme que je chevauche, comme la devise d’un FDM fouteur de merde ou, si vous préférez « fauteur de mésintelligence » qui se bat les couilles de toute préciosité, atticisme, artistisme, gongorisme, maniérisme, marinisme, mignardise, pétrarquisme et autres pindarisme cavalcadour.

    Ainsi je définis les mots, je confesse que « définir » m'est le mot le plus précieux puisque je l’entends comme dé-finir, libérer un mot de sa fin, entendue comme but de l’auteur précipitant la fin du mot.

    Je libère les mots de leur page, de leur cage. Page et cage étant voisins, j’appris par hasard qu’ils étaient paronymes, et je me mis à collectionner ces jumeaux : ataraxie/ataxie, sondage/bondage, chresmologie/chrestomathie, conjoncture/conjecture, escapologie/eschatologie, florilège/sortilège, idiologie/idéologie, périœcien/ périscien, copuler/poculer, subvention/subversion et puis je trouvai ces triplés : chéromanie, chiromanie et chironomie qui signifient masturbation, conduite d’un orchestre et gaité excessive, j’ai oublié dans quel ordre. 
    Lautréamont me souffle : récolte et révolte. 
    Me croirez-vous si je vous dis que mon ordinateur corrige automatiquement « chants de Maldoror en « chants de Marlboro » ?

    Faut-il que je change d’ordinateur ou de siècle ? Peut-être de pays, ce qui est mon lot : errer en gyrovague.

    Gyrovague : nom masculin, sorte de clochard céleste, nomade qui préfère donner de la paille au cheval que du blé au notaire. Le gyrovague a pour ancêtres le moine Chan, l’orphéotéleste grec, le yogin tibétain, le tantriste indien friand d’impureté anti sociale, le goliard, moine défroqué protestataire et libertin. Parmi ces musards des siècles et autres pérégrins de la planète, on rencontre encore l’Ariori tahitien, le rishi de purana dravidien, le baguenaudeur Baul, le bellure de hudhud, le griot niamakala guinéen, le flâneur de Namsandang Nori, le punake de lakalaka, le Babalawo Ifa, le griot burkinabé, le lybon massaï, le asik tatar, le saltigué Sérère et la folle de Toulouse ; tous trôleurs, galfâtres et frelampiers plus ou moins oracles métaphrastes, ovates parémiologues ou chrysologues déipnosophes comme le iourodivy yacoute tolstoïen tous aux semelles de vent comme le gymnosophiste, ascète jaïn, qui vagabonde nu...
    destination le silence.

     

    Jg T.