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CATHY GARCIA-CANALES - Page 1329

  • Gîtes de Julio Cortazar

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    trad. de l’esp. par Laure Bataillon,

    Gallimard, Collection L’imaginaire, Mai 2012,

    280 p. 9,50 €

     

     

     

    Ce qu’il y a de fascinant dans les nouvelles de Cortázar, très représentatives de la riche littérature fantastique latino-américaine, c’est qu’elles partent quasi toujours du quotidien, de situations des plus banales, et puis, comme si la réalité commune n’était protégée que par un voile extrêmement ténu, soudain par une brèche, une faille, une déchirure, elle est envahie ou insidieusement pénétrée par d’autres réalités bien plus sombres et menaçantes, où évoluent des créatures dangereuses, effrayantes, ou pire encore. Elles montrent à quel point notre normalité, finalement, tient à peu de chose et qu’un rien peut nous faire basculer dans la folie, attiser nos pulsions les plus obscures, les plus animales, comme la statuette qui rend fou et sanguinaire dans L’idole des Cyclades et Les ménades, où un chef d’orchestre paye cher et probablement en chair, son moment de gloire, quand le concert classique se transforme en orgie carnassière, sous la conduite d’une femme vêtue de rouge. Le talent de Cortázar n’est plus à démontrer, et bien que les nouvelles de Gîtes, dont certaines figurent également dans d’autres recueils, commencent à dater – première parution chez Gallimard en 1968 – elles n’ont pas pris une ride. Elles se lisent avec toujours autant d’intérêt, de frissons et de plaisir.

    Une des plus notables, c’est sans doute N’accusez personne. Un homme enfile un pull, situation que nous avons tous connue, ça serre un peu, on se débat, on cherche la sortie, lui n’en ressortira pas vivant. Cette nouvelle, très simple en apparence est d’une efficacité redoutable. Dans le registre légèrement surréaliste, il y a encore Céphalée, où un couple d’éleveurs subit les symptômes de tous les terrains homéopathiques, sur fond d’élevage de bêtes étranges, fragiles et apparemment répugnantes, les mancuspies.

    Il y a cet homme dans Lettre à une amie en voyage qui vomit des petits lapins. Dans Maison occupée, un frère et une sœur vivent seuls dans une vaste demeure familiale, mais peu à peu sont obligés de se retrancher dans un espace de plus en plus restreint, jusqu’à devoir quitter la maison. Le talent de Cortázar est l’art de rendre palpables les tensions, sans besoin d’expliquer quoi que ce soit, souvent les situations virent à l’absurde, mais un absurde si noir qu’il est difficile d’en rire. Parfois, les nouvelles ressemblent à des souvenirs d’enfance, elles ont cette ambiance un peu douce et délavée, des anciens albums photos, et soudain transparait, sans crier gare, la cruauté.

    Pas mal de nouvelles se construisent aussi autour des rêves, des prémonitions, comme Récit sur un fond d’eau, Dîner d’amis ; de la perméabilité des frontières entre la vie et la mort, comme cet enfant qui pleure derrière La porte condamnée d’une chambre d’hôtel, scène qui pourrait tout à fait figurer dans un film fantastique japonais, et puis dans Le fleuve, une nouvelle particulièrement cynique autour du couple, ainsi que dans Autobus, où les deux mondes s’interpénètrent le temps d’un parcours en autobus, au plus grand effroi de deux des passagers qui n’ont pas de bouquet de fleurs et ne descendent pas au cimetière. Cette nouvelle d’ailleurs fait penser à une autre excellente nouvelle qui se déroule dans un tramway, Les vautours, de l’auteur bolivien Oscar Cerruto dans Cercle de pénombre.

    Pour les aficionados de ce genre de littérature, on ne saurait trop conseiller entre autre l’anthologie Histoires étranges et fantastiques d’Amérique latine parue chez Métailié en 1997, où l’on peut retrouver deux nouvelles de Cortázar,N’accusez personne et Apocalypse du Solentiname. Un auteur à découvrir également, uruguayen, si ce n’est déjà fait : Horacio Quiroga, avec notamment ses Contes d’Amour, de folie et de mort.

     

    Cathy Garcia

     

    Cortazar.jpgJulio Florencio Cortázar Descotte, né le 26 août 1914 à Ixelles (Belgique) est un écrivain argentin, auteur de romans et de nouvelles, établi en France en 1951 et naturalisé français en 1981. À sa naissance en 1914, son père travaille à la délégation commerciale de la mission diplomatique argentine à Bruxelles. La famille, issue d’un pays neutre dans le conflit qui commence, peut rejoindre l’Espagne en passant par la Suisse, et passe 18 mois à Barcelone. En 1918, la famille retourne en Argentine. Julio Cortázar passe le reste de son enfance à Buenos Aires, dans le quartier périphérique de Banfield, en compagnie de sa mère et de sa sœur unique, d’un an sa cadette. Le père abandonne la famille. L’enfant, fréquemment malade, lit des livres choisis par sa mère, dont les romans de Jules Verne. Après des études de lettres et philosophie, restées inachevées, à l’université de Buenos Aires, il enseigne dans différents établissements secondaires de province. En 1932, grâce à la lecture d’Opium de Jean Cocteau, il découvre le surréalisme. En 1938, il publie un recueil de poésies, renié plus tard, sous le pseudonyme de Julio Denis. En 1944, il devient professeur de littérature française à l’Université nationale de Cuyo, dans la province de Mendoza. En 1951, opposé au gouvernement de Perón, il émigre en France, où il vivra jusqu’à sa mort. Il travaille alors pour l’UNESCO en tant que traducteur. Il traduit en espagnol Defoe, Yourcenar, Poe. Alfred Jarry et Lautréamont sont d’autres influences décisives. Il s’intéresse ensuite aux droits de l’homme et à la gauche politique en Amérique latine, déclarant son soutien à la Révolution cubaine (tempéré par la suite : tout en maintenant son appui, il soutient le poète Heberto Padilla) et aux sandinistes du Nicaragua. Il participe aussi au tribunal Russell. La nature souvent contrainte de ses romans, comme Livre de Manuel, modelo para armar ou Marelle, conduit l’Oulipo à lui proposer de devenir membre du groupe. Écrivain engagé, il refuse, l’Oulipo étant un groupe sans démarche politique affirmée. Ses trois épouses successives sont Aurora Bernárdez, Ugné Karvelis (qui a traduit de l’espagnol quelques-uns de ses inédits) et l’écrivain Carol Dunlop. Naturalisé français par François Mitterrand en 1981 en même temps que Milan Kundera, il meurt le 12 février 1984 à Paris. Sa tombe au cimetière du Montparnasse est un lieu de culte pour des jeunes lecteurs, qui y déposent des dessins représentant un jeu de marelle, parfois un verre de vin. L’œuvre de Julio Cortázar se caractérise entre autres par l’expérimentation formelle, la grande proportion de nouvelles et la récurrence du fantastique et du surréalisme. Si son œuvre a souvent été comparée à celle de son compatriote Jorge Luis Borges, elle s’en distingue toutefois par une approche plus ludique et moins érudite de la littérature. Avec Rayuela (1963), Cortázar a par ailleurs écrit l’un des romans les plus commentés de la langue espagnole. Une grande partie de son œuvre a été traduite en français par Laure Guille-Bataillon, souvent en collaboration étroite avec l’auteur.

     

    NOTE PARUE SUR : http://www.lacauselitteraire.fr/gites-julio-cortazar.html

  • Contes d'ailleurs et d'autre part, Pierre Gripari

    Note parue sur : http://www.lacauselitteraire.fr/contes-d-ailleurs-et-d-au...

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    Illustrations de Guillaume Long, Grasset Jeunesse 2012. 190 p. 9 €

     

    Publiés une première fois en 1990, voici la réédition de huit contes d’ailleurs et d’autre part, à la sauce Gripari, huit bijoux de drôlerie fantastique, inspirés des folklores russes, français, italien et d’Afrique du Nord. Un véritable régal, avec ce verbe franc, truculent et tellement poétique de Pierre Gripari, s’adressant à ses lectrices et lecteurs d’une façon si familière, qu’elles et ils pourraient croire qu’il est assis tout près d’elles et eux. Le conteur de la Rue Broca est véritablement talentueux, c’est évident, mais outre son imagination pétulante, il est doté également d’une grande liberté de pensée. Ils nous emmènent donc ici dans un monde peuplé comme il se doit de magie, d’amour et de courage. Dans Mademoiselle Scarabée, on comprend que l’apparence importe peu, mais qu’il importe de trouver bonne boulette à son pied quand on veut se marier. « Quand un cheval trottine et crottine, quand une vache lâche sa bouse en marchant, je fais une petite boule de la chose en question, puis je la pousse à reculons jusqu’à ma maison ! » Dans Madame-la-Terre-Est-Basse, les objets ont une âme, ils parlent, ils bougent, ils peuvent être tristes mais savent aussi se venger.

     

    «  Quand elle met ses souliers

    Elle se pique le pied.

    Quand elle écosse les pois, elle se pique le doigt.

    Quand elle épluche des pommes de terre,

    Elle se pique le derrière.

    Quand elle veut prendre une douche,

    Elle se pique la bouche.

    Quand elle veut prendre un bain,

    Elle se pique les reins.

    Quand elle se met au lit,

    Elle se pique le mistigri ! »

     

    Dans Le diable aux cheveux blancs, on comprend que même un démon, aussi malin qu’il soit, ne peut rien contre le pouvoir d’une femme contrariante, « Merci à toi, brave homme, qui m’a tiré de cet enfer ! Imagine-toi  qu’il y a un mois, pas plus, une femme nous est tombée ici, une femme terrible, épouvantable, qui nous fait enrager jour et nuit ! ». Il ne peut guère plus d’ailleurs, contre les rêves d’une petite fille qui veut obstinément un Bagada.

     

    « - Oh ! Le beau bagada !

    Elle prend le démon dans ses bras, le caresse, le cajole, l’embrasse, le bécote… Qu’est-ce que cela veut dire ? Notre diable se regarde… Malédiction ! Il est devenu un bagada ! Un simple bagada ! »

     

    On a donc vu que les objets pouvaient se déplacer tout seul, et bien figurez-vous que les villages aussi, et c’est comme ça que Saint-Déodat en bord de Loire a fini au bord de l’Océan pour consoler un petit garçon, et si vous ne me croyez pas, et bien vous n’avez qu’à lire, c’est le village lui-même qui raconte l’histoire.

     

    « J’étais profondément ému. Les paysans qui m’habitaient ne rêvaient pas beaucoup, et jamais à d’aussi jolies choses. J’avais comme envie d’obéir à ce petit garçon, et de me transporter au bord de l’océan. »

     

    Dans Petite Sœur, nous voilà plongé dans les aventures fabuleuses et palpitantes, façon conte initiatique de fée - ou de sorcière, mais fée et sorcière c’est kif-kif bourricot non ?  Bref, les aventures palpitantes et fabuleuses de la princesse Claude qui n’a pas un zizi, mais un mistigri. 

     

    « C’est un frère que nous voulons !

    De petite sœur pas question !

    Nous resterons entre garçons

    Ou nous partirons ! »

     

    Dans L’eau qui rend invisible, c’est le conteur lui-même à qui une sorcière fait un cadeau, tellement elle trouve que ce qu’il raconte sur les sorcières est rigolo ! Et dire qu’à cause de lui, le monde a faillit devenir complètement invisible, comment aurait-on fait pour lire le dernier conte du livre ? L’histoire de Sadko, le cithariste virtuose qui épousera l’ondine du lac Ilmen, la fille de Vodianoï, le dieu de toutes les eaux du monde, après bien des péripéties tout de même, où on ne s’embarrassera pas trop de morale, après tout, c’est un conte et on n’est pas là pour s’embêter, non mais ! 

     

    « Il vend ses marchandises russes, ses fourrures, son bois,  son miel et ses esclaves. En échange il achète beaucoup de choses qu’on ne trouve pas en Russie : de l’or et de l’argent, des parfums et des perles, des étoffes, des épices, des objets fabriqués… Il fait aussi un peu de piraterie, quand il en a l’occasion. Ça se faisait, à l’époque… »

     

    D’ailleurs, les enfants, si vous avez la joie d’avoir entre les mains, ces Contes d’ailleurs et d’autre part de Pierre Gripari, cachez-les bien, car s’ils plaisent au petits, mais ils plaisent aussi beaucoup, beaucoup aux grands ! Foi de Maman !

     

     

    Cathy Garcia

     

    pierre-gripari.jpgPour en savoir plus sur Pierre Gripari : http://fr.wikipedia.org/wiki/Pierre_Gripari

  • Promesse achevée à bras nus d'Éric Barbier

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    Editions Rafael de Surtis, Collection Pour une Terre interdite, 2011,

    56 p. (tirage limité et numéroté), 15 €

     

     

     

    Écrire, effraction dans la voix de l’autre »

     

    La poésie d’Eric Barbier puise à une source limpide comme celles des montagnes qu’il affectionne. Dans ce recueil, il se livre à un questionnement qui n’attend pas de réponse. Le poète semble même s’être délivré du besoin de réponse, pour être simplement le témoin d’une nature où se concentre l’essentiel de l’Homme.

     

    « De quoi témoigner ?

    l’esprit se déposant en limon

    sur la croyance de l’automne

    croit ensemencer ce qui n’attend rien »

    Eric Barbier sait à merveille capter les langages de cette nature, pour entrer peut-être encore plus profondément en communion avec elle, et s’en faire l’écho. Une poésie d’altitude, à la fois terrienne et transcendante, qui vise le détachement sans l’indifférence.

     

    « Il restera paisible dans son ordre

    Chaque nuit retrouvera de quoi occuper le ciel »

     

    Le poète s’abandonne à la nature pour guérir aussi ses douleurs d’homme, les saisons de l’une font les saisons de l’autre, la nature se fait miroir pudique des émotions.

     

    « Il faudra adoucir l’œil pris dans l’hiver

    Pour enfanter à nouveau

    Les usages du temps »

     

    Mais, il n’est en vérité d’autre temps que celui de l’instant présent, « l’aujourd’hui, seul aujourd’hui », et le questionnement du poète est plus une façon de se livrer à la contemplation, qu’un interrogatoire angoissé.

     

    « Ici

    s’attarde un présent anachronique

    (…)

    demain s’y devine dans les soupçons

    des valérianes détrempées d’aurore »

     

    et

    « entre les pages pliées

    du matin qui s’avance

    viennent des semences d’or libre »

     

    L’or du temps peut-être, cher à Breton, mais ici, point de surréalisme, la réalité est suffisamment riche pour que l’on ne ressente nul besoin de s’en évader. La poésie naît de caresses inattendues entre les mots et ce que l’œil perçoit. La contemplation ouvre une porte sur l’éternité.

     

    « La reprise lumineuse d’un œillet

    vient m’absenter de ce temps

    langueur longée de houx

    la paix construit son regard »

     

    Il y a, oui, comme une grande paix dans ce recueil, qu’on a envie de lire et relire afin de mieux s’en imprégner. Une paix cependant non exempte d’ombres, comme la montagne, l’homme a son ubac, ou son ombrée comme on dit dans les Pyrénées. Cela dit, chez Éric Barbier, même l’inquiétude est calme.

    Toujours cette quête d’équilibre, grâce au recul, celui que permet justement l’ascension d’une montagne.

     

    « retrouver une distance

    se tenir sur le fil

    encore lâche du jour

     

    s’y dresser encore à nu

    dans l’équilibre empierré de la mémoire »

     

    Ainsi, dans la plus grande simplicité, toute la magnificence du monde s’offre au regard du poète, en « vol fou des hirondelles dans le ciel de cuivre bleu ».

     

    On note au détour d’un mot, d’une phrase, un vide, une absence. L’auteur s’adresse aussi à « celle qui n’est pas là ».

     

    « Le manque se croit-il désir ? »

     

    Mais ce manque, aussi cruel soit-il, se répand en amour diffus pour tout ce qui l’entoure. La solitude s’illumine au contact d’une nature prodigue, elle en devient presque jouissance, plénitude en tout cas.

     

    « J’erre dans la démesurée douceur

    du songe »

     

    Et c’est la nature encore, qui enseigne le nécessaire détachement.

     

    « le souvenir d’une robe s’accroche à l’indifférence

    d’un alisier »

     

    Le défilé des saisons est une médecine de l’âme, « des fruits viennent l’oubli cueille les siens ».

     

    Sans aucun doute, Éric Barbier est un poète des hauteurs, qui chemine, humble et discret, sur des chemins de sagesse, et en le lisant, on ne peut s’empêcher de penser parfois à ces poètes errant comme, par exemple, Bashô.

     

    Cathy Garcia

     

    Eric Barbier.jpgÉric Barbier est un poète de Tarbes, ville dans laquelle il est aussi bibliothécaire. Pierre Colin, autre écrivain et poète tarbais, le présente ainsi : « Pourquoi écrire ? » se demande Eric Barbier. Et il répond « Pour inscrire ce témoignage de quelques heures éparses… pour résister à tout et d’abord à soi-même ». La poésie d’Eric Barbier est rebelle aux modes de communication actuels. Elle s’inscrit dans l’étrangeté, la mise en déséquilibre du signe. Elle n’est pas dans une modernité de la mélancolie ou de la beauté. Elle invente de l’inconnu pour ouvrir une brèche vers la réalité de demain.

     

     

     

    Note parue sur : http://www.lacauselitteraire.fr/promesse-achevee-a-bras-nus-eric-barbier.html

  • Deux poings, ouvrez les guillemets - Guillaume Siaudeau

    Un très percutant Mi(ni)crobe (n°35), signé Guillaume Siaudeau, avec des illustrations de Magali Planès.

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    James "quand il sort du ventre

    ses poings sont déjà fermés

    (...)

     

    Son coeur est

    un taureau

    qu'on jette dans l'arène"

     

    "La première fois que James

    voit son père

    trancher le cou d'un gallinacé

    il n'a que 10 ans

    et le corps de l'animal

    traversant la cour

    lui souffle

    "Dans la vie

    il ne faut jamais lâcher"

     

    C'est comme à l'école :

     

    "Pensez à apprendre vos leçons

    pour demain

    pour après-demain

    pour le restant de vos jours

    et jusqu'à ce que

    mort s'ensuive"

     

    Il ya le vieux Sam qui

    "chaque jour

    montre au poteau

    qui est le chef"

     

    Frapper, cogner. parce que "quand les mains n'en peuvent plus d'être seules alors elles deviennent des poings"

     

    Alors "James dompte les rings

    apprivoise la victoire

    la gloire cette bête

    sauvage et volatile

    qui court au fond du coeur"

     

    "Ses gants sont deux montgolfières

    s'échappant dans l'obscurité"

     

    "Combattre

    aimer

    combattre

    aimer

    frapper ou embrasser

    à la chaîne"

     

    "tambouille

    d'alcool

    &

    d'amour

    Les jours qui passent

    ont une odeur de nuit"

     

    et un jour James choisira d'aller "ramper sous les étoiles".

     

    Cathy Garcia

     

     

    LE BLOG DE GUILLAUME SIAUDEAU : http://lameduseetlerenard.blogspot.fr/

     

     

    Les MI(ni)CROBES sont de petits débordements de la revue Microbe. Chaque plaquette propose des textes d'un auteur ayant retenu l'attention de Paul Guiot ou d'Éric Dejaeger. Les exemplaires, tirés à un nombre très limité (une centaine), sont réservés à l'auteur, à un service de presse ciblé et aux lecteurs de Microbe ayant souscrit un abonnement « plus ». Aucune réédition n'est prévue.

    http://courttoujours.hautetfort.com/archive/2012/06/17/mi...

  • Cardère éditeur en tournée !

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    Il s'agit de Villeneuve-les-Avignon. Vous pourrez retrouver Bruno Msika, l'éditeur et les livres (dont Le poulpe et la pulpe et Les Mots allumettes), au festival de poésie de Sète du 20 au 28 juillet et au 7ème salon des petits éditeurs le 23 septembre à Cotignac, dans le Var.

    Si vous êtes dans le coin, n'hésitez pas, Cardère éditeur a une très belle collection d'ouvrages à vous faire découvrir.

    http://www.cardere.fr/index.php

  • Tryptique du veilleur de Louis Raoul

    Note publiée sur : http://www.lacauselitteraire.fr/tryptique-du-veilleur-lou...

     

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    Cardère, 2012, 58 pages, 12 €

     

     

    Parce que la vie nous pousse de l’avant tout en nous dépouillant, vient ce temps où il nous faut prendre de la hauteur, de cette nécessité-là peut-être est né Triptyque du veilleur. Une tour, une barque et une archère. Non pas un, mais une, selon le choix de l’auteur. Une archère, qui est aussi la flèche envolée, et la cible invisible de l’au-delà.

    Il y a donc une tour dans la première partie, intitulée L’approche de la hauteur. Une tour de pierre, de chair et de vent.

     

    « Prisonnier et gardien

    Tu n’habites pas la tour

    Tu es ses assauts et sa défense

    Le poème qui la fonde ».

    Mais voilà, « Entrer dans la tour n’est pas tout, il faut se faire accepter de la hauteur ».

    Et qui dit tour, dit sentinelle, celle qui veille quand tout le monde dort.

     

    « Les tours fécondent la nuit

    Les sentinelles oubliées. »

     

    Il est question de solitude dans ce recueil à l’écriture très concise, dépouillée, polie comme les pierres qui doivent s’ajuster parfaitement pour former une tour et on songe au Désert des Tartares de Buzzati. Au cœur de cette solitude, qui est le lot de chacun d’entre nous dans le voyage de l’existence, l’auteur se raccroche au poème, pierre de fondation, point d’ancrage et nous embarque dans la seconde partie du recueil, la Barque. C’est au lecteur qu’il s’adresse, un autre lui-même.

     

    « Il faut rester là longtemps

    Jusqu’à que ce que cette barque qui est vous

    Prenne âge de toute part

    Et le chant cèdera

    Qui vous retenait au monde »

     

    Qui dit barque dit traversée, se détacher des rives, du connu, se préparer à la grande fonte du soi.

     

    « Il reste à mettre de l’ordre

    Dans cette débâcle du dire

    Vous n’êtes pas encore

    De ceux qui signent d’une noyade

    Au bas de l’eau ».

     

    Il y a alors récapitulation, souvenance.

     

    « Un portail

    Vous attendait

    Au bout de l’enfance

    Que vous ne saviez pas

    Tous ces temps d’orage

    À jouer

    Quand le ciel perdait ses clés

    Sur les toits ».

     

    Et puis,

     

    « Vous entrez dans un autre pays

    Une autre saison

    La parole se fait maintenant plus lente

    Elle peut dire ce bruit de paille

    Dans le vent

    D’une pluie coupée ».

     

    Et c’est cette barque qui conduit

     

    « Au pied de la tour

    Qui est vous

    Il vous faut rejoindre la hauteur »

     

    S’ouvre alors la troisième partie du triptyque, l’Archère. Ce terme évoque la tension qui vise un ailleurs plus vaste, « cette nuit je me suis inventé une rupture », qui cherche à percer peut-être un secret, celui qui ne peut nous être dévoilé de ce côté-ci.

     

    « J’ai attendu

    Un improbable retour

     

    (…)

     

    Enfermé

    Dans l’épaisseur

    D’une vitre ».

     

    Il est question de « cette quête du passage », de « rêve de voyage », un appel d’air, on pense à la symbolique du sagittaire, mais il nous faut redescendre de la tour et « Reprendre taille humaine »

     

    « Avec la soif

    Qui un des lieux du poème ».

     

    Une solitude que l’auteur désire et ne désire pas, hantée par le manque.

     

    « Je te cherche encore

    Sachant l’inutile

    J’interroge les rues de tes pas

    J’essaie des portes

    Dans la chambre-seconde

    Où ton souffle habitait ».

     

    L’auteur voudrait sans doute trouver une issue à cet enfermement dans le temps, se libérer des frontières.

     

    « J’aimerais bien partir d’ici

    Retrouver l’empreinte d’une crinière

    Dans le vent

    Un galop d’avant la parole

    Il me suffirait pour cela

    De siffler

    Lascaux

    Un cheval y manquerait ».

     

    Il y a beaucoup de noblesse et de fierté dans ce recueil, taillé par un verbe d’artisan, quelque chose d’intemporel justement, l’ombre d’un chevalier qui demeure droit et digne, le regard fixé sur l’horizon et Louis Raoul le ponctue d’un final à la hauteur.

     

    « Puis vient l’heure

    D’une lance claire

    Et haute

    Saison d’orgueil

    Et de victoire

    Avec le vent

    C’est une offrande de feuilles

    Au pied de la tour ».

     

    Cathy Garcia

     

    louis-raoul.jpgLouis Raoul est né en 1953 à Paris où il réside toujours. Il a publié une quinzaine de recueils et a obtenu en 2008 le Prix de la Librairie Olympique pour son livre Logistique du regard publié chez N&B/Pleine Page. Parmi ses autres publications : Par peur de l’équilibre (L’Harmattan), Préface aux confins (Opales/Pleine Page), Sources du manque (Ex Aequo), Démantèlement du jour (Éclats d’encre).

  • Visage vive de Matthieu Gosztola

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    Ed.Gros Textes, photographies de l’auteur, 2011, 96 p. 7 €

     

     

    Visage vive n’est pas de lecture aisée, car derrière une langue qui semble s’égarer, s’éteindre avant de se rallumer à nouveau, un peu comme des soubresauts, il y a cette tentative de dire l’indicible.

     

    Il faisait un froid terrible

    Dans le visage

    De cet enfant là

     

    Il n’y a pas de mots assez vastes, assez puissants pour contenir la douleur, sans doute la plus insupportable, de la perte d’un enfant. Aussi, par petites touches, ce texte se remémore, parle à l’enfant qui n’est plus, lui imagine même un futur, le tout accompagné de très belles photos de l’auteur, prises en Inde, pays de grande intensité spirituelle. Des photos dont toute la lumière et les vives couleurs aident peut-être à transcender la souffrance. Visage vive est un livre tendu comme une main au-dessus du vide et qui s’adresse aussi à tous ces autres « parents-funambules », qui subissent cette épreuve.

     

    Ce n’est pas toi qu’on

    Enterre

    C’est moi dans ma vie de toi

     

    Visage vive est un recueil qui avec amour, avec pudeur, tient en fragile équilibre entre l’écorchement du « pourquoi ? » et une difficile tentative d’acceptation de ce qui est, de ce qui a été et qui n’est plus.

     

    Tu n’as jamais vu la mer

    Tu es ce qui retourne à sa

    Réception d’étoile

     

    Mais, l’amour ne s’arrête pas aux frontières de la mort. Des êtres aimés qui les franchissent, demeure le souvenir, la présence intangible mais si puissante du souvenir. Ici l’écriture est comme une catharsis, les mots sont parfois comme retenus ou égarent leur sens dans la vacuité, ils tâtonnent comme des mains dans le noir et soudain ils se déversent à flots précipités, avec cette obsession du visage.

     

    La peinture du visage n’a pas eu le

    Temps

    De sécher

     

    Tout finalement tient dans le visage.

     

    Tout est là dans le visage

    Et je prends tout

    Avec mon souvenir

     

    Mon souvenir est déjà là même

    Dans le présent du regard

     

    Il y a vie dans visage, et la peur sans doute que la mémoire des traits ne finisse par disparaitre elle aussi.

     

    Ton visage est identifiable à ce qui

    Ne viendra jamais

    Même avec les décibels des cris

    Diminuer le silence

     

    Alors par delà l’intolérable déchirure, les mots viennent pour divorcer du silence, tisser un fil auquel se raccrocher.

     

    Je crois que c’est possible

    De vivre car on est deux

    Et ça a duré

     

    Des mots que l’on voudrait magiques.

     

    Je ferai si c’est

    Nécessaire

    Dans toute la pièce des

    Moulinets

    Avec les bras en récitant

    Des incantations mais

    Malheureusement je me réveille

    La vie n’est pas un conte de fée

     

    La mort est sourde à nos questions, elle est juste une réponse. Une réponse à la trop vive douleur du corps. Peut-être se fait-elle ainsi pardonner, elle vient apaiser les souffrances de l’enfant aimé, qui sont tout autant, sinon plus insupportables qu’elle. Reste alors un amour indéfectible et le pinceau des mots pour que visage vive.

     

    Cathy Garcia

     

     

    M_Gosztola.jpg Matthieu Gosztola, né le 4 octobre 1981 au Mans. Doctorant en littérature et sciences humaines, il enseigne la littérature au Mans et à Paris. Il a écrit des critiques dans les revues Europe, Acta fabula, CCP (Cahier Critique de Poésie), Histoires Littéraires, La Main millénaire, remue.net, Poezibao, Terre à Ciel, La Cause littéraire, Contre-allées, ainsi que dans les revues de la Comédie-Française, des Presses Universitaires de Rennes et des éditions Du Lérot. Pianiste et compositeur de formation (sous la direction de Walter Chodack notamment), il donne des récitals, en tant qu’interprète ou improvisateur, qu’ils soient ou non reliés à la poésie comme lors du festival international MidiMinuitPoésie.

     

    Publications :

     

    Sur la musicalité du vide, Atelier de l’agneau, 2001

    Travelling, Contre-allées, 2001

    Les Voitures traversent tes yeux, Contre-allées, 2002

    Sur la musicalité du vide 2, Atelier de l’agneau, 2003, Prix des découvreurs 2007

    Matière à respirer, Création et Recherche, 2003, Livre d’art en collaboration avec le photographe plasticien Claude Py

    Recueil des caresses échangées entre Camille Claudel et Auguste Rodin, Éditions de l’Atlantique, 2008, Photographies et poèmes agrémentés d’un dessin à l’encre de Chine de Zuzanna Walas

    J’invente un sexe à ton souvenir, Minuscule, 2009

    Une caresse pieds nus, Contre-allées, 2009

    Débris de tuer (Rwanda 1994), Atelier de l’agneau, 2010

    Un seul coup d’aile dans le bleu, Fugue et variations, Editions de l’Atlantique, 2010

    Ton départ ensemble, La Porte, 2011

    Un père (Chant), Encres Vives, 2011

    La Face de l’animal, Éditions de l’Atlantique, 2011, Photographies et poèmes

    Visage vive, Gros Textes, 2011, Photographies et poèmes

    Contre le nihilisme, Éditions de l’Atlantique, 2011, Essai

    Le génocide face à l’image, Éditions L’Harmattan, collection Questions contemporaines, 2012, Essai de philosophie politique

    Traverser le verre, syllabe après syllabe, La Porte, 2012

    Ariane Dreyfus, Éditions des Vanneaux, 2012, Essai

     

     

    Note publiée sur : http://www.lacauselitteraire.fr/visage-vive-matthieu-gosztola.html

  • "Calepin paisible d'une pâtresse de poules" lu par Ile Eniger

    A lire sur son blog : http://insula.over-blog.net/article-cathy-garcia-107808791.html

    Je vous recommande vivement la lecture de ce petit livre imprimé sur papier recyclé, relié par deux bouts de cordes et joliment présenté dans une enveloppe translucide art-lettre, ensemble numéroté que l'auteur (site ici : link ) vous expédie pour 8 Euros.

    L'écriture de Cathy Garcia est une belle écriture, tant de fond que de forme, par les temps qui courent c'est de plus en plus rare, aussi quand un véritable auteur se profile, il faut le lire, cela repose des nombrils déployés et autres médiatisations insipides qu'on nous propose un peu partout dans un air du temps de plus en plus pollué ! Ile E.

  • Voyages sur Chesterfield de Philippe Coussin-Grudzinski

    Editions Intervalles, 2012, 128 p. 15 €

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    Editions Intervalles, 2012, 128 p. 15 €

     

    Ce court récit, s’étalant sur une seule nuit de 0h07 à 7h00 du matin d’un mois de février pluvieux dans un appartement parisien, fait sans concession le portrait socio-zoologique de notre société contemporaine. Un portrait cynique mais réaliste d’un monde grotesque et un autoportrait d’une jubilatoire sincérité. Dans ce qui pourrait être comme des pages d’un journal intime, Philippe, jeune surdiplômé au chômage, expose comment il préfère se vautrer dans l’ennui le plus total, ponctué de petites rapines de produits de luxe, que de se plier aux hypocrisies, au fiel et à la poussée de dents, dont il faut faire preuve pour tracer sa route de paillettes dans le monde. « Pour remplacer mes pulls en cachemire à moindre frais, je retire habilement l’étiquette antivol dans les cabines d’essayage et je mise sur mon physique de fils de bonne famille pour déjouer la vigilance des hommes en noir à l’entrée des magasins ». Un monde top high-tech, celui des grands groupes de média, des « maîtres du monde », qu’il a connu alors qu’il était, il n’y a pas si longtemps, ce jeune con sous-employé lors de stages café/photocopies légèrement amélioré mais sans intérêt. Parcours obligatoire de tous les jeunes loups bien équipés pour espérer grimper rapidement l’échelle du paradis social, mais pour cela mieux vaut ne pas avoir trop soif d’Idéal.

    Welcome dans un monde creux, superficiel et superfétatoire, puissamment épris de tape à l’œil, de réussite bling bling et cependant dépourvu de toute grandeur. L’auteur décrypte les personnages, les rouages et les backstages carton-pâte de ce parfait symbole de la société moderne, où le look, le cv et la bêtise ont ceci en commun que ça doit briller pleins feux, qu’importent les moyens, qu’importe le mensonge, qu’il est d’ailleurs de bon ton d’angliciser un peu. Ce qui est in un jour, top tendance le lendemain, est has been le jour suivant. Alors le narrateur reste chômeur, dort le jour et passe ses nuits sur facebook, où à travers des dialogues tantôt drôles, tantôt consternants, se brosse un portrait de l’ennui poussé à l’extrême. De tout ça, un être un tant soit peu sensible et idéaliste, ne peut que chercher à s’évader. L’amour, la drogue, la musique… Tout ce qui peut donner encore de véritables émotions. Pour Philippe, ce sont les souvenirs, d’enfance, de voyages, les fantasmes, et puis l’amour de Raphaël, l’intensité du plaisir, des transes sur la musique électronique des nuits de Berlin-Est, la grandeur de l’opéra, l’herbe bio d’Auvergne. C’est donc bien à un voyage sur Chesterfield, le fameux canapé cuir fait main, qu’il nous convie dans ce texte. Un texte facile à lire, qui au départ peut agacer, voire rebuter. On peut se poser la question de son intérêt, surtout si on trouve qu’on perd déjà soi-même trop de temps sur facebook, mais outre le fait qu’en transformant en quelque sorte le lecteur en voyeur, ce qui questionne aussi, c’est quelque chose de très essentiel qui filtre de ce récit : qu’en est-il de la beauté, du cœur, de l’intelligence, de la relation à l’autre, de tout qui donne valeur à l’humanité dans notre société de consommation ultra-artificielle, où il est si facile de se laisse hypnotiser, voire lobotomiser par tout et surtout rien, et passer sa vie à brasser du vide ? Il y a donc un espoir pour que les jeunes générations de diplômés échappent au grand cauchemar éveillé du monde des apparences et exigent que leur vie ait le véritable goût du vivant.

     

    Cathy Garcia

     

    Philippe Coussin-Grudzinski

    Philippe Coussin-Grudzinski est né en 1986. Après avoir collaboré aux Inrocks, il est devenu community manager pour la télévision. Son blog Humeurs sur Chesterfield connaît un succès fulgurant : Voyages sur Chesterfield est son premier roman.


  • La Fissure

    Un webdocu d’Annabelle Lourenço et Cyprien Nozières sur le Japon de l’après-Fukushima

     

    Article de Cathy Garcia paru dans le journal Le Lot en Action n°56

    http://www.lelotenaction.org/

     

    Un homme pêche près d’une maison renversée, presqu’ïle d’Oshika (Annabelle Lourenço)la_fissure3_0.jpg

     

    Annabelle Lourenço est photographe et Cyprien Nozières* réalisateur-animateur. Ils sont partis tous les deux au Japon, dans un esprit de totale indépendance et par conséquent peu de moyens, pour récolter des témoignages et des photos de l’après Fukushima, neuf mois, chiffre on ne peut plus symbolique, après la tragique catastrophe du 11 mars. Accueillis à Tokyo par le frère de Cyprien et son épouse japonaise, ils sont restés au Japon trois semaines, pour rencontrer les gens et les lieux : la préfecture de Miyagi à la pointe de la presque île d’Oshika, lieu plus proche de l’épicentre du séisme, Fukushima dont nul aujourd’hui n’ignore, hélas, le nom, et Tokyo donc, la capitale, où l’inquiétude va grandissante.

    « Nous avons réfléchi à un projet commun qui considérerait le problème dans son ensemble. Nous ne voulions pas nous contenter d’aborder uniquement la situation des victimes du tsunami, ni nous concentrer exclusivement sur le problème des radiations. »

    Ainsi est né Fissure, un webdoc que vous pouvez voir ici sur le site d’Annabelle Lourenço : http://annabellelourenco.com/lafissure/

    Le fil conducteur de ce très sensible webdoc, c’est l’eau, des gouttes d’eau qui semblent suinter de l’écran, chacun y verra ce qu’il veut, des larmes, des fuites d’eau contaminée et l’eau nous accompagne aussi parfois en fond sonore. Le webdoc se regarde, se lit et s’écoute. Après une présentation et un rappel des faits, il fait apparaître la carte du Japon où sont indiqués les trois lieux cités plus haut. Une grosse tache sombre s’étale sur la région en partant de Fukushima, la catastrophe après la catastrophe : la centrale, les réacteurs, les radiations. A l’internaute de cliquer ensuite sur la ville de son choix. Commençons par la préfecture de Miyagi. La vidéo présente Ishinomaki, à 90 km de la centrale, la ville a été dévastée par le séisme et le tsunami, 163 000 habitants, 6000 morts et disparus. Une photographie de Tadashi Okubo a immortalisée à jamais une jeune habitante au milieu des décombres, cette inconnue est alors devenue en quelque sorte, et bien malgré elle, l’icône du séisme japonais. Mais ici les images de la ville dévastée sont d’Annabelle Lourenço, la ville, une maison, une fenêtre, des portraits de disparus, des bruits de couverts, on est à table, la voix d’un pêcheur d’un petit village tout proche raconte. Comme tout le monde là-bas, il a perdu des parents, des amis : « Les gens devrait se réjouir d’être en vie. C’est si précieux la vie. ». Retour sur la ville fantôme, les travaux de reconstruction en cours… De ces traces de vie interrompue si brutalement, on ne peut qu’imaginer… Les photos d’Annabelle Lourenço sont très belles et le choix des sujets interpelle. Une espèce de grand silo renversé, rouge vif avec une publicité pour de la viande cuisinée, comme une immense boite de conserve absurde, renversée au milieu des ruines et gravats, des magazines ouverts sur des photos abîmées de jeunes filles nues, allongées, assises, souriantes, aguichantes… Éros contre Thanatos. La voix du pêcheur continue de parler : remercier, être courageux, positif, aller de l’avant, « Si on marche en se retournant, on tourne le dos à la lumière ».

    Les photos disparaissent au profit d’une petite animation très simple mais efficace, pour raconter les secousses, puis le tsunami, la GROSSE goutte d’eau qui a tout balayé.

    Puis des photos de la famille qui reçoit, le pêcheur, son épouse, les parents octogénaires, et l’homme raconte, la vie, maintenant, les problèmes de logement, de reconstruction, l’espoir. Ici point n’est question de radiations, on n’en est pas encore là, trop de choses à faire pour se remettre en selle et il y a déjà tant de morts à garder en mémoire, grâce aux photos que chaque famille a pu récupérer. Un travail de centaines de bénévoles venus d’un peu partout dans le Japon, le webdoc n’en parle pas car il reste centré sur ce témoignage en particulier, qui en dit tout aussi long mais c’est un détail qui me parait suffisamment important pour le mentionner. Et nous quittons la préfecture de Miyagi sur des photos de la grand-mère qui s’est déguisée, un chapeau, des lunettes rigolotes, un nez de clown, et qui chante, qui danse. Quelle belle leçon nous donne cette octogénaire qui a tout perdu mais peut être pas l’essentiel. Elle a eu cette chance, une partie de sa famille est vivante et il faut vivre, et vivre c’est se réjouir !

    Pas de sensationnel morbide, d’apitoiement mais une volonté dans ce webdoc de rendre simplement hommage au courage et à la dignité des survivants, à leur capacité à continuer à vivre malgré tout.

    Retour à la carte, un clic sur Fukushima. Fukushima, neuf mois après, des gens plus que légitimement inquiets et un gouvernement qui minimise, qui dissimule. Apparait Wataru Imata, un jeune homme originaire de Tokyo, membre du groupe Projet 47, un projet visant à fournir des outils de mesure aux habitants de Fukushima afin qu’ils puissent décider par eux-mêmes s’ils doivent évacuer ou pas. Projet 47 s’est associé avec le Réseau citoyen pour sauver les enfants de Fukushima pour créer le CRMS (Citizen’s Radioactivity Monitoring Station), un centre de mesure pour les contrôles citoyens, indépendant de TEPCO et des autorités japonaises.

    Là encore des animations très simples, ludiques, faciles à comprendre pour les enfants, illustrent le propos. La politique de la préfecture de Fukushima pour les déjeuners des écoles, était de « produire local et manger local », quelle belle initiative, on en rêve tous, si seulement il n’y avait pas eu…. la catastrophe après la catastrophe. Le spectre peu appétissant du nucléaire. On peut apprendre ainsi que début mai 2011, soit moins de deux mois après le tsunami et ses terribles conséquences, si on allait dans un supermarché à Fukushima, tout ce qu’on y trouvait était des produits de Fukushima. C’est la CRIIRAD en déplacement sur place qui a fournit au CRMS les instruments nécessaires pour les mesures. Il faut savoir que la ville de Fukushima n’est pas dans le périmètre d’évacuation, donc si les gens voulaient partir, c’était selon leurs propres moyens, aucune aide à attendre de la part de TEPCO. Aujourd’hui on parle de décontamination, mais qu’en est-il vraiment ? On change les chiffres, on rehausse la limite de radiations annuelle de 1 micro sievert, elle est passé soudain à 20 mSv/ an, ceci pour les radiations externes, mais qu’en est-il de l’ingestion d’alimentation contaminée ? Le choix de partir ou de rester est difficile. Les radiations, les habitants ne peuvent pas les voir, ni les sentir, seulement les imaginer et se faire leur propre opinion, sachant que le temps joue contre eux. Wataru Imata est sur place depuis fin avril 2011, il sait que c’est son choix, il peut rester encore ou partir. En toute conscience et nous ne pouvons que saluer son courage.

    Retour à Tokyo, situé à 250 km de la centrale, c’est l’angoisse, l’inquiétude, le doute. Le manque d’informations, c’est ce qui ressort de tous les témoignages, et nous savons bien ou devrions savoir que là-bas comme ici, la transparence en matière de nucléaire est une fiction, à fortiori en cas de catastrophe. Tchernobyl nous avait donné une bonne leçon à ce sujet, mais apparemment elle n’a pas servi à grand-chose. Les parents pensent à leurs enfants, et se regroupent en associations actives pour échanger des informations et se faire entendre des autorités. Sumiko Sasa et son mari, ont une fillette de 3 ans et Sumiko est très impliquée dans l’ « Association pour la défense des enfants du quartier de Kita contre les radiations ». Ce sont de simples citoyens, comme on dit, et surtout des mères de famille, qui font ce qu’ils peuvent pour prévenir autant que possible les risques, pour en informer les autres, pour faire pression sur les conseils municipaux. Ils s’encouragent, se soutiennent et sont de plus en plus nombreux. Les enfants ont des problèmes avérés de santé : thyroïde, saignement de nez, sang dans les urines… Sans doute qu’une véritable conscience anti-nucléaire est en train de grandir au Japon, un pays où les habitants n’avaient pourtant pas été habitués à prendre position contre l’autorité quelle qu’elle soit, mais ce qui ressort de ce webdoc c’est qu’il s’agit surtout de mères de famille, les maris se sentent apparemment moins concernés, ce qui créé des conflits dans les couples. Les hommes sont donc plus conditionnés que les femmes, histoire d’éducation, pour accepter l’inacceptable ? Ce n’est pas le cas de tous en tous cas, je pense entre autre à Laurent Mabesoone*, un français qui vit à Nagano, même distance de la centrale que Tokyo, depuis 19 ans, marié à une japonaise, père d’une fillette de 3 ans, et qui a choisi de rester là-bas. Il publie régulièrement des "chroniques anti-nucléaires" sur le site Netoyens* et participe activement au mouvement anti-nucléaire du Ruban Jaune (Yellow ribbon against nuclear power) au Japon. Ces regroupements de citoyens, comme les mères de famille du quartier de Kita, vont peut-être réussir à se faire entendre à force de persévérance mais tout de même, on ne peut s’empêcher de penser que ce monde marche sur la tête. Heureusement qu’il y a des personnes courageuses et suffisamment concernés par les autres, même à l’autre bout du monde, pour prendre des initiatives et réaliser des projets tel que ce webdoc.Je pense notamment au réalisateur Alain de Halleux et les Récits de Fukushima, visibles ici http://fukushima.arte.tv/#!/4883.

    Nous ne devons pas oublier, car l’horreur de Fukushima n’est pas derrière nous, elle est en cours.

     

    Cathy Garcia

     

    *Voir les vidéos de Cyprien Nozières :http://vimeo.com/cypriennozieres/videos

    *Le site Netoyens : http://www.netoyens.info/index.php/

     

    * On peut lire des haïkus japonais écrits après Fukushima dans les deux derniers numéros de la revue Nouveaux Délits : des extraits d’Après Fukushima, haïkus du Cercle Seegan, présenté par Seegan (Laurent) Mabesoone dans le n°41 et Fukushima Renaissance de Taro Aizu dans le n°42 http://larevuenouveauxdelits.hautetfort.com/

    Écouter une entrevue avec Laurent Mabesoone : http://www.youtube.com/watch?v=trgdE5KQeSw

     

    Quelques liens pour savoir ce qui se passe aujourd’hui à Fukushima :

    http://www.scoop.it/t/fukushima-informations/

    http://fukushima.over-blog.fr/

    http://www.acro.eu.org/chronoFukushima.html

    On peut aussi écouter le slam du groupe japonais Frying Dutchman qui, les 10 et 11 Mars 2012, ont organisé une grande parade anti-nucléaire "humanERROR" du nom de leur album et morceau éponyme sorti en Aout 2011 : http://www.dailymotion.com/video/xoccwe_frying-dutchman-humanerror_music

     

     

     

     

     

  • Ici comme ailleurs de Lee Seung-U

    Note parue sur : http://www.lacauselitteraire.fr/ici-comme-ailleurs-lee-se...

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    Zulma 2012 - Traduit du coréen par Choi Mikyung et Jean-Noël Juttet – 220 pages – 21 €

     

    Kafkaïen est le premier qualificatif qui vient à l’esprit en lisant ce roman, pour l’univers dans lequel il se déroule et l’absurdité qui émane du parcours du personnage principal. Yu est muté par sa boite, le Gangsan Complex Resort, à Sori, une ville perdue entre un lac et des montagnes à l’Ouest du pays. « Lorsque, dans son guide, il a lu que « la petite ville de Sori, du fait de sa topologie particulière avait servi de lieu de bannissement », son cœur s’est de nouveau mis à balancer ».

     

    L’histoire démarre sur ses mots qui donnent d’emblée le ton :

     

    « Le vent a des hurlements de bête féroce. Au moment de quitter sa voiture, Yu a l’impression qu’un molosse enragé se jette sur lui. Il a un mouvement de recul. Le long des rues, papiers sales et sacs plastique tourbillonnent sous la bourrasque. Quelques véhicules cahotent sur la chaussée éventrée en soulevant des nuages de poussière ocre. Les rares passants, silencieux, font la gueule. »

     

    Ici comme ailleurs est un roman hybride, indéfinissable. Il tient du polar, du roman noir, psychologique, métaphysique, à la limite du fantastique, et on pense à des films de cet extrêmement riche cinéma sud-coréen, en particulier ceux de Kim Ki-Duk, qui de même échappent à toute définition.

     

    Lee Seung-U raconte le parcours d’un homme qui arrive dans une ville inconnue en pensant y travailler et qui y perdra tout ce avec quoi il est venu : sa femme, avant même d’arriver, car elle ne le suivra pas mais retournera dans une autre ville s’occuper d’un ancien amant, son portefeuille, l’accès à son compte, sa voiture, la raison pour laquelle il est là et ainsi de suite, comme si le réel se dissolvait derrière lui à chacun de ses pas. Sori, cette ville grise, froide, venteuse, inhospitalière et même dangereuse est un piège, mais à vrai dire, cet homme là n’avait-il pas déjà tout perdu avant même d’y arriver ? En refermant les dernières pages du livre, où la nature dans une apothéose grandiose, met un point final à tout questionnement, toute corruption, à toute l’absurdité de la condition humaine qui est exprimée ici, c’est la question que l’on se pose. Ce roman est un véritable condensé critique du monde d’aujourd’hui, une allégorie inversée, et finalement c’est un roman initiatique. On se détruit ici-bas et le seul espoir, le seul moyen que les hommes ont trouvé pour ne pas sombrer totalement dans la folie, c’est de quitter ce monde avant que la mort ne les prenne, découvrir par la dépossession, la paix éternelle. La grotte où un vieux fou dénommé Noé construit des maisons de pierre, est le seul lieu par lequel on peut s’échapper, le double enfermement devient matrice. Les vivants sont morts et les morts sont éternellement vivants. Les hommes libres sont piégés par une ville entièrement corrompue dans laquelle ils s’enlisent, ceux qui ont tenté de résister sont enfermés dans une grotte et découvrent dans l’enfermement, la liberté du détachement suprême. Subtile hybridation là aussi entre la pensée occidentale et orientale.

     

    Ce roman austère, minéral, désespérant parfois, offre de par sa lecture elle-même, une étonnante expérience. Parfois, on voudrait poser le livre, le laisser tomber, mais il est impossible d’en sortir avant la fin car on la cherche, comme on cherche une goulée d’air. Par moment on s’ennuie,on se sent morne et même quand la fin arrive, on reste hébété, comme choqué, voire insatisfait. La magie de Lee Seung-U, c’est de provoquer ainsi une réflexion, où soudain on accède à la compréhension de l’ensemble et on ne peut que saluer le génie de l’auteur. Ce n’est pas une lecture facile, une lecture de détente, si au départ nous pouvons être captivés comme on l’est par un polar, vers la fin, on s’enlise comme le protagoniste, on se sent gris. L’auteur nous fait traverser les états d’âme, les sensations de ce qu’il raconte, si bien que nous ne faisons plus qu’un avec ce que nous lisons. Avec le recul, c’est fascinant.

     

    Cathy Garcia

     

    lee seung-u.jpgLee Seung-U est né en 1959 à Jangheung, au sud-est de la péninsule, et a passé son adolescence à Séoul. Suite à une expérience religieuse, il entreprend des études de théologie ("Je ne me sentais pas heureux, je me suis lancé dans cette voie pour fuir ce malheur et cette pression"), bientôt interrompues ("J'ai réalisé que l'on ne pouvait aborder la théologie d'un point de vue mystique ou à la manière d'un refuge."). Le goût retrouvé de l'écriture se concrétise en 1990 par la parution d'un premier roman (Portrait d'Erisichton) qui lui vaut le Prix du jeune espoir littéraire de son pays. Majeure et unique dans la littérature contemporaine, sa voix est celle de l’intranquilité.

     

    Du même auteur :

     

    L’envers de la vie, Zulma, 2000

     

    La vie rêvée des plantes, Zulma, 2007

  • Aller simple, Erri de Luca

    9782070775811.jpg

    Gallimard 2012, édition bilingue, trad. de l’italien par Danièle Valin, 16,50 €

     

    « Aller Simple, des lignes qui vont trop souvent à la ligne », marquées par le point final, le point fatal quelque part entre les deux rives méditerranéennes, cette grande bleue qui sépare le Sud, sa misère, ses tragédies, d’un Nord porteur de rêve, d’opulence et de liberté. C’est sur cet entre-deux que se déroule ce long et poignant poème d’Erri de Luca. Plus qu’un poème, c’est une ode mais aussi hélas un chant funèbre, découpé en voix et en chœur.

    Ce chant prend source là-bas de l’autre côté, de là où les hommes, les femmes, les enfants, partent, quittent, prennent exil comme un oiseau prendrait envol, mais avec la mémoire des fers aux pieds. Ils viennent des « hauts plateaux incendiés par les guerres et non par le soleil », avec en tête une terre espoir, une terre accueil, une terre de paix. Italie, un mot « ouvert, plein d’air »

     

    Finie l’Afrique semelle des fourmis,

    par elles les caravanes apprennent à piétiner.

    Sous un fouet de poussière en colonne

    (…)

    le voyage à pied est une piste d’échines.


    Le Sud, un terme pratique pour y caser tout ce qui attire et en même temps tout ce qui fait peur au Nord, bien confortablement installé dans ses chaussons soi-disant civilisés…

     

    Nous nous détachons de la moitié du monde, non pas du Sud.

     

    Et c’est la mer qui est la première destination, la mer qui accueille, la mer qui porte, la mère qui berce et sauve de l’invivable.

     

    Bien des jours avant de voir la mer, elle était une odeur,

    une sueur salée, chacun imaginait sa forme.

    (…)

    L’ancien près du feu discute avec les marchands

    le prix pour monter sur la mer de personne.

     

    Le prix non discuté de la traversée, c’est l’impossibilité de laisser derrière soi la peur, on embarque avec la mort.

     

    Le marin est armé, il a peur de nous, sortis du désert,

    il a des gestes de menace, les femmes couvrent leurs oreilles.

    (…)

    Ils ont déjà tué, on le sent au relent de leur peur,

    la nuit renforce l’odeur des assassins.

     

    Le temps devient alors incertain comme la terre se fait liquide, il faut faire confiance. Quelque chose est là de l’autre côté, une idée à laquelle il faut se raccrocher.

     

    Nuit de patience, la mer voyage avec nous,

    À l’aube l’horizon coule dans la poche des vagues.

     

    Il n’y a « Pas d’oiseaux, ni de papillons, l’air sur la mer est stérile de vols » mais il y a la fatigue, la faim, la soif.

    « Des poissons d’un saut de queue sortent comme un crachat » et l’on constate que « la mer se referme plus rapide que le désert ».

    Et tout devient signe prémonitoire.

     

    Impératif de sommeil, un de nous s’allonge,

    ils le repoussent au-delà de l’espace interdit.

     

    Ainsi sera la terre de l’arrivée, terrain clos interdit,

    notre sommeil qui se heurte contre elle.

     

    (…)

     

    Nous y arriverons avec des enfants endurcis plus que des cals,

    vagabonds avec leurs pères sur les écorchures de la terre.

     

    La tension monte, Erri de Luca la traduit admirablement bien, sa poésie toute entière mise au service de cette histoire dramatique, une histoire qui se répète, un refrain maudit devrait-on dire, au rythme de la mer qui « monte et cogne, un de nous roule vers eux, l’autre pointe son fusil, le nôtre lève les mains. (…) Sans soir est arrivé son jour ».

    Une violence en entraîne d’autres, et voilà que « Nous sommes sans gardiens et sans guide (…) Le bateau est un bout de terre pris à coups de bêche, les voyageurs dénouent leurs jambes, occupent les mètres ».

    La mort y prend aussi ses aises.

     

    Nous ne mettons pas les morts à la mer, ils servent pour la nuit

    leurs corps préservent du froid, la mer est sans mouches.

     

    (…)

     

    À l’aube nous léchons la rosée sur la toile, sur le bois.

     

    Solidaires et unis par le même espoir, si ténu soit-il, « Nous sommes égaux, la plus stricte égalité, jusqu’à la dernière goutte de buée ».

    Le bateau est un radeau pour les naufragés du monde et arrive le moment où « Des mains m’ont saisi, douaniers du Nord, gants en plastique et masque sur la bouche. Ils séparent les morts des vivants, voici la récolte de la mer, mille de nous enfermés dans un endroit pour cent ».

    La voici donc la terre d’accueil, la terre qui concentre tous les rêves, mais ce n’est même pas encore la véritable terre, c’est une île, un enclos, « une île n’est pas une arrivée ».

    « Surveillés par des gardiens, nous sommes coupables de voyages », alors on en revient aux prières vers l’Orient, « leurs voix est le bruit des abeilles qui remercient les fleurs ».

     

    Levain d’humanité pétri par la douleur,

     

    Nous racontons les routes parcourues,

    Des pas sur des millions de kilomètres finis face aux murs.

     

    (…)

     

    Nos enfants acrobates de voyage,

    clowns, sorciers, petits soldats.

     

    Ce sont eux, les enfants, qui portent ce qui reste de force et de courage, « ils se contentent même de rien (…). Ils brillent de sueur plus acharnés que nous, ce sont des buissons d’épines, la mort ne s’approche pas ».

    Il n’y a donc nulle arrivée, nulle hospitalité, nul havre de paix.

     

    Ils veulent nous renvoyer, ils demandent où j’étais avant

    Quel lieu laissé derrière moi.

     

    Je tourne le dos, c’est tout l’arrière qu’il me reste

     

    (…)

     

    Vous pouvez repousser, non pas ramener,

    le départ n’est que cendre dispersée, nous sommes des allers simples.

     

    Car ils ne sont pas venus pour prendre mais pour offrir, pour s’offrir corps et âme, chair à travail, boucs émissaires.

     

    Vous êtes le cou de la planète, la tête coiffée,

    le nez délicat, sommet de sable de l’humanité.

     

    Nous sommes les pieds en marche pour vous rejoindre,

    nous soutiendrons votre corps, tout frais de nos forces.

     

    Avec la ténacité, l’obstination du désespoir, ils sont les sacrifices humains de notre époque qui se croit au-dessus de ça.

     

    L’un de nous a dit au nom de tous :

    D’accord, je meurs, mais dans trois jours je ressuscite et je reviens.

     

    Après un texte d’une telle force, d’une beauté époustouflante à la hauteur du courage et des souffrances, pourtant innommables, que peuvent endurer celles et ceux que l’on appelle jamais par leur noms, car ce sont les anonymes, les sans-papier, les clandestines et clandestins de la terre, il est sans doute plus difficile d’apprécier à leur juste valeur les textes qui suivent dans la seconde partie de ce livre. Une partie divisée en quatre quartiers avec des poèmes très diversifiés qu’Erri de Luca présente comme des feuilles qui seraient le pays où il a « essayé d’habiter ». Dans le Quartier des pas reclus, il s’agit principalement de poèmes destinés à ce que l’on n’oublie pas ce qui ne doit pas être oublié, avec un hommage au prisonnier Ante Zemjlar, ce poète yougoslave qui au début des années cinquante passa cinq ans « sur l’Île Nue à casser des pierres blanches et les jeter ensuite dans la mer, dans l’Adriatique, car la peine est pure, sans valeur pratique, et la mer ne se remplira pas ». L'Île Nue, Goli Otok, la plus terrible des colonies pénitentiaires sous Tito. On notera aussi l’hommage aux Tsiganes d’Europe partis en fumée dans les camps de haute Silésie, ainsi qu’à d’autres prisonniers de différentes périodes comme Vincenzo Andraous, Paolo Persichetti, extradé en 2002 et condamné à 22 ans de prison pour sa participation aux luttes des années de plomb, mais aussi au poète bosniaque Izet Sarajlic, mort en 2002, qui a vécu le siège de Sarajevo, et bien d‘autres poèmes encore, évoquant aussi bien la seconde guerre mondiale que celle des Balkans.

    Dans le Quartier d’histoires naturelles, Erri de Luca rend hommage aux mineurs du charbon, Courrière, Pas de Calais, 1906, et à la nature.

    Dans le Quartier de l’amour sidéré, ce sont des poèmes d’amour ou à propos d’amour, un hommage à la Femme.

    Et enfin, dans le Quartier du dernier temps, le poème se fait plus métaphysique, pour « serrer dans la bouche un psaume comme les dents du chien sur un os », et un hommage à la simplicité, à l’humilité, à ces valeurs qui font l’homme vrai, humain, « Vis en déserteur d’une guerre, proclame les vaincus non pas le vainqueur, trinque à l’insurrection des cibles », l’humain dans toute sa beauté mais aussi dans sa fragilité, sa chute, « ce soir parmi nous moi j’aime l’ivrogne qui perd le chemin de sa maison ».

    On peut percevoir aussi un hommage à l’utopie dans le plus beau et véritable sens du terme, comme le présentait Théodore Monod, « L'utopie ne signifie pas l'irréalisable, mais l'irréalisé ».

    Cela prend un ton prophétique dans le poème « Après ».

     

    L’humanité sera rare, métisse, bohémienne

    Et elle ira à pied. Elle aura pour butin la vie

    La plus grande richesse à transmettre ses fils.

     

    Quelques poèmes épars encore, dans une dernière partie nommée L’hôte impénitent qui semble avoir été rajoutée au tout dernier moment, où l’on peut croiser aussi bien Chaplin que Guevara. C’est donc aussi toute une époque que l’on revisite à travers ces textes, d’un auteur sans doute aussi volubile que talentueux.

     

    Cathy Garcia

     

    Erri de Luca

    Erri de Luca, né à Naples en 1950, est l’un des écrivains italiens les plus lus dans le monde. Il vit à la campagne, près de Rome.

  • Calepin paisible d'une pâtresse de poules -

     

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    Ed. Nouveaux Délits

    Collection les Délits Vrais - N°2 - 2012

     

     

    "Que c’est bon d’être assise là au soleil, en pâtresse de poules, au sein de toute cette beauté ! Un léger vent, un esprit bienveillant pose sa main sur mon front.
    Le sourire est là, à portée de lèvres. Il affleure comme une source, il vient du cœur. Ce cœur à cajoler, à nicher dans la mousse.

     

    L’hiver se meurt, je le sais, je le sens. Ne pas chercher. Ne plus chercher. Simplement faire de la place pour accueillir."

     

     

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    Poésie postale, timbrée "Nouveaux Délits"
    Tirage signé, numéroté et limité à 50

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    Textes et photos de Cathy Garcia

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    Papier et enveloppe récyclés
    25 pages
    12 €

     

    http://associationeditionsnouveauxdelits.hautetfort.com