Les Climats (İklimler) de Nuri Bilge Ceylan (2005)
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Fièvre blanche. Au centre des pupilles, la veine de nuit.
A la fourche des doigts, mes flocons d’encre bleuissent.
cg in Le poulpe et la pulpe, Cardère 2010
Bonnes et douces fêtes
à toutes et tous !
Aimez-vous très fort !
Sorcières, meneuses de nuées, batteuses d’eau
Panseuses de secret, remégeuses, rebouteuses
Le serpent lové dessine un sein
Femme, terre, serpent Maudite par l’homme
in Universelle
Toi qui es eau et qui es terre
Qui es lumière et boue mêlées
Toi qui es source et qui es cendre
Qui es berceau, tombeau mêlés
Toi la salubre et la salie
Toi la sainte et toi la souillée
Toi la très sage et l’insensée
Qui est début, qui est déchet
in Marie d’Égypte
cette sainteté que les filles de la terre découvraient autrefois sur les bottes de foin,
les yeux perdus dans les étoiles filantes.
cg in Journal 1994
bientôt nous irons nous aimer
la tête ourlée de pluie
couchés dans le foin
avec dans le cœur
un rêve encore salé
nos poitrines sentiront
la sauge et le lilas
nous irons allumer
un feu de souches veinées
dans le taillis des rides
cg in Aujourd'hui est habitable, Cardère 2019
éditions Fario, été 2020
112 pages, 14 €.
Campagne perdue, « certes, mais une campagne transfigurée par le poème, et par là retrouvée, au moins pour un temps », comme l’écrit si justement Stéphane Pettermann dans sa postface. Postface dans laquelle il explique aussi que ce livre, paru en 1972, fut le résultat d’une longue genèse, les premiers jalons ayant été posés en 1933, à la mort de la mère de Gustave Roud, mais ce n’est que 30 ans plus tard qu’un projet littéraire, qui nécessitera encore de longues années de décantation, aboutira à une première publication à la Bibliothèque des Arts de Lausanne, en avril 1972 donc.
Campagne perdue est un tissage de proses écrites dans le Journal de l’auteur entre 1918 et 1963 avec des poèmes ayant paru pour la plupart en revues entre 1919 et 1957, des écrits glanés par le poète en marche à travers le Haut-Jura, sous le regard lointain de ses ancêtres paysans du côté maternel. En marche aussi à travers le temps, un demi-siècle qui a transformé les paysages et les hommes qui les habitent et les travaillent. Campagne perdue est un vibrant hommage à tous ces travailleurs et tout particulièrement aux laboureurs, aux faucheurs qui sous sa plume s’auréolent d’une lumière quasi sacralisée. La beauté de ces hommes, qui sont au centre de l’attention de l’auteur — qui a d’ailleurs pas mal photographié ces vigoureux corps paysans — y est soulignée, subtilement érotisée même.
Campagne perdue, c’est aussi, et surtout, le témoignage d’une lente mais inexorable disparition : celle de ce monde paysan. Une marche qui devient au fil du temps une sorte d’errance à la recherche de ce qui a disparu, Gustave Roud hante alors plus qu’il ne parcourt ce pays jurassien. Il y a dans ses écrits, en plus de cet amour, cette ferveur même, que voue le vagabond sans but à ces hommes qui ne font qu’un avec la terre qui les fait vivre, une immense nostalgie. Témoin d’un monde qui s’efface, le poète tente d’en retenir ou d’en faire revivre des bribes, des sensations, des images, usant d’une encre dont la beauté est à la hauteur de son amour.
Labour ancien, Nuit de paille, Passage du vin, Mirage d’hiver, La lampe éteinte et la chanson perdue… Le lecteur se laisse doucement porter à la rencontre d’Olivier, Fernand, André, René ou Robert, et d’autres encore. Campagne perdue est un journal humble et éminemment sensible qui leur rend leur pleine éternité, honore la beauté d’un monde où hommes et nature vivent en harmonie, car nullement séparés l’un de l’autre.
« L’heure fraîchit. Le ciel se creuse et par d’insensibles rappels nous reprend peu à peu la lumière. Un dernier coup de serpe abat le dernier rayon. Ce quartier de mousse et de roc, baigné d’eau vive, qui brillait encore entre les troncs comme une brute émeraude, redevient mousse et roc en s’éteignant. L’ombre pleut des hautes futaies, elle sourd de l’air même et du sol, elle se lève du lit de la rivière et déborde jusqu’à nous comme une autre rivière silencieuse. Elle envahit les campagnes et les bourgs, roule une sourde écume au ras du ciel. Elle saisit le monde. Elle devient la Nuit, la jeune nuit d’avant-printemps où je respire un rameau de bois-gentil aux fleurs de cire noire, où l’ami près de moi qui s’est tu tremble peut-être à sentir en soi la profonde nuit du sang sourdre à son tour, et répondre à l’autre, et s’étoiler des mêmes étoiles. »
Un livre comme un vin rare millésimé, à savourer avec lenteur.
Cathy Garcia
Gustave Roud (1897-1976) est l’un des principaux auteurs francophones de Suisse, surtout connu pour ses proses poétiques. Après la mort de C. F. Ramuz, il a été considéré comme un maître par de nombreux jeunes poètes : Maurice Chappaz, Jacques Chessex, Philippe Jaccottet. Sa correspondance, son Journal et sa critique témoignent également d’abondantes réflexions sur la littérature et les arts. Faisant sienne une injonction de Novalis – « Le paradis est dispersé sur toute la terre… Il faut réunir ses traits épars » –, Gustave Roud explore inlassablement notre lien à l’invisible et à l’éternité dans l’ici et maintenant, qu’il nomme le « paradis humain ». Publiés deux ans après sa mort, les trois volumes des Écrits (1978) rassemblent ses principaux textes parmi lesquels : Air de la solitude, Petit traité de la marche en plaine, Requiem ou Campagne perdue. Les éditions Fario ont publié plusieurs de ses livres ainsi qu’un recueil d’entretiens.