Of the Wand & the Moon ~ Time Time Time
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La lune exerce sa pleine influence. Éclat livide et ensorceleur. Le silence a une nouvelle texture, un goût de déjà vécu, un voile d'amertume... Un drap froid est tombé. Est-ce moi qui l'ai cousu de mes propres désillusions ?
Avais-je cessé de l'attendre bien avant qu'il ne revienne ? Voilà l'amour expédié au plus profond des contrées lunaires !
in Journal 1996
D’être comme déjà morte, lui a ouvert une voie spirituelle et le feu caché est si ardent, la source si vive que le plus tenace ennui n’a pas raison d’elle, que le vide loin de l’anéantir la concentre en un noyau toujours plus vif et incorruptible. Ou presque. Et dans ce presque se cache la fêlure. Dangereuse fêlure.
Alors elle creuse un tunnel sous les tombes qui mène au vaste ciel, à la mer tiède du ventre, à la bouche de sève qui fait pousser les arbres, au souffle d’où naissent toutes les musiques. Le ciel aura beau s’obscurcir, le froid pourra l’étreindre, silence et désespoir n’auront pas raison d’elle. Elle crache du sang dans les noirs chaudrons, met le feu aux bûchers de glace, joue du marteau sur les bornes de verre.
Elle trouvera toujours la faille par où passe la lumière.
Faille, fêlure, ce n’est pas la même chose.
in Le baume, le pire et la quintessence
Paroles des corps, danse cosmique, le bal du vide et ses milliards de particules.
La main a des yeux. Dedans mordre délicatement. Faire le vide, dedans, autour. Rien ne sert de courir après l’autre s’il n’est pas prêt. Descendre, faire confiance.
in Celle qui manque
défaire le crépuscule
glisser dans les reflets renards de ses draps
fixer l’horizon par des pointes d’améthyste
le laisser sécher à la lune
tracer un paysage au fusain de la langue
compter les brûlis sur la peau
les innombrables feuillets de nos masques pâles
regarder fondre la vitre du réel
ses reflets d’huile sur l’étendue de neige
le roulis des roseaux
grand soleil rouge à l’horizon brûlé
in Mystica perdita, à tire d'ailes 2009
Du plomb fera-t-on métal solaire ?
Folle ou sage la grande perforatrice
Pour aller au cœur où réside le secret ?
Créatures oui
Mais de quoi ?
Dans son bain en fusion
Son rire apocalyptique
Grand x
Non résolu
Arbitre défoncé
Programmateur de génie
Méga lumineux
Maître amour
Chercher le sens
N’a aucun sens
Le révélé
Demeure
Caché
in Mystica perdita, à tire d'ailes 2009
éditions Bruno Doucey, mars 2021
75 pages, 14 €.
Et le poète de sa voix de feu
D’une aile d’oiseau attise les mots
On peut dire que dans ce recueil dont le titre dit clairement de quoi elle parle, Perrine Le Querrec fait ici feu de tout feu. Traversant quelques milliers d’années d’Histoire et explorant toutes les facettes de cet élément, les bénéfiques comme les dramatiques, elle déploie une sorte de fresque mouvante, un théâtre d’ombres de personnages que le feu met ou a mis, et parfois très cruellement, en lumière et peut-être plus particulièrement des femmes. Depuis celle qui dans la caverne a inventé le feu « Seins hanches ventre rond / Disparue à jamais » aux ouvrières sacrifiées, aux femmes indociles et veuves indésirables, aux militantes immolées en passant par les sorcières aux bûchers : femmes trop vives, feu aux femmes !
La ville silencieuse cadenasse ses oreilles
Qu’on démonte les cloches, qu’on fonde leur acier
Dans le feu des sorcières et des illuminés.
Des feux politiques donc, des feux de religion, des feux symboliques, des feux géologiques mais aussi des feux artistiques et littéraires. Des figures renaissent des cendres, comme Marguerite de Porète, béguine itinérante et première femme à avoir péri sur un bûcher de la place de Grève à Paris pour avoir eu trop d’esprit, une âme trop libre et un cœur trop flamboyant. C’était en 1310. Le feu a fait d’elle, et de tant d’autres, une immortelle.
Des feux de joie, des feux de guerre, « des feux autoritaires, des feux de dictatures / mais aussi / Des feux de résistance, des feux brûlants de vie. » L’ordre du recueil est chronologique, une traversée de l’Histoire dans le miroir des flammes, la grande Histoire collective et les histoires individuelles. L’humanité, écrit Perrine Le Querrec, se dessine à travers ses feux.
Des feux qui ramènent une mémoire enfouie.
Feux salvateurs, feux destructeurs, feux de mémoire, feux de langues, c’est à un grand incendie que nous convie Perrine le Querrec en agitant ainsi les tisons de son écriture. Elle y convoque des poètes, écrivains, artistes disparus, très connus comme Gogol, Van Gogh, Nerval, Artaud ou moins connus comme Angus McPhee, un artiste brut écossais ou la poétesse Ingeborg Bachmann.
Depuis quand le soleil se couche
J’ai toujours l’impression
Que quelqu’un brûle.
Elle évoque Piotr Pavlenski, artiste dissident russe fiévreux et incontrôlable toujours actif, elle rend hommage aux victimes de guerres et de catastrophes plus ou moins naturelles. Elle évoque des corps et des lieux marqués au feu, dévorés par le feu mais, écrit-elle, depuis des millénaires la vie renaît de ses cendres / Il y a des racines que jamais le feu n’atteint.
Un questionnement plus discret souffle entre ces pages aussi, celui que soulèvent les flammes du désir, du sentiment amoureux.
Il y a un côté compilation dans ce recueil, une énumération qui parfois en étouffe même le souffle poétique, peut-être parce qu’il s’agit surtout de faire œuvre de mémoire. Pour qui connaît l’écriture de Perrine le Querrec, on sent qu’il y a là presque comme un chantier en cours encore, une récolte de braises plus ou moins vives dont chacune pourrait donner naissance à un développement. On sent ce qui chez elle a été attisé et qui est un peu trop énorme, trop violent aussi, pour pouvoir être contenu en 75 pages, mais c’est déjà un beau départ de feu car les livres aussi brûlent.
Savez vous
Les livres brûlent les doigts brûlent l’esprit brûlent les à priori
brûlent les ignorances brûlent les yeux brûlent les dictatures
saviez-vous
les livres brûlent
Le monde parfois semble n’être plus qu’un grand brasier.
Cathy Garcia Canalès
Perrine Le Querrec est née à Paris en 1968. Elle hante les bibliothèques et les archives pour assouvir son appétit de mots et révéler les secrets oubliés. De cette quête elle a fait son métier : recherchiste. Les heures d’attente dans le silence des bibliothèques sont propices à l’écriture, une écriture qui, lorsqu’elle se déchaîne, l’entraîne vers des continents lointains à la recherche de nouveaux horizons.
Perrine Le Querrec écrit de la poésie et de la prose. Sa langue est une architecture de mots, de silences, d’archives de trous et de pliures. Lorsqu’elle sort de la page, elle travaille en duo avec le contrebassiste Ronan Courty et forme l’autre moitié de PLY, duo avec le photographe Mathieu Farcy. Ses dernières parutions en 2020 : Vers Valparaiso, Éditions Les Carnets du dessert de lune, Rouge pute, Éditions La contre allée.
http://www.perrine-lequerrec.fr/