Lucy Hardle
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Au crépuscule, elle descend de sa colline et mène son errance dans les quartiers du centre, là où les ruelles enchevêtrées se dépelotent sous ses pas. L’automne, l'hiver, saisons où l'ombre s’éternise dans le brouillard, on dirait qu’elle navigue plutôt qu'elle ne marche.
Sa silhouette est bien connue. Beaucoup l’ont dessinée : rythme de courbes et de creux, les hanches qui entraînent, les épaules qui attendent. une large chevelure créée pour le sommeil et pour les agonies.
Elle porte toujours un manteau noir et c‘est à peu près tout ce qu’elle montre.
Ou, les nuits de chaleur, une robe étroite et courte comme une main qui la tiendrait entièrement et qui la serrerait jusqu’au spasme. Sa nudité, lis-dessous, est alors si forte que le désir ne supporte plus sa douleur.
Des enfants la suivent, titubants. Ils ont rongé leurs mains et s’épouvantent de l'appel, qui les pousse encore.
Celui-là qui croit en l’éternité et qui vient tout juste de communier donnerait son âme pour un regard sur la peau qui se cache, qu’il ne peut même pas se représenter et dont ses rêves portent le tourment.
Et cet autre aux yeux bleus qui cherche une paupière de lèvres plus grande que lui et qui a déjà envie de mourir.
Et combien encore ! Ainsi ce garçon à genoux qui ne peut faire autre chose qu’adorer et qui ruisselle au-dedans.
Lily marche en tête et c’est comme si elle était toujours seule, en avant, au-delà de tous les désirs possibles et hors d’atteinte des supplications.
Elle va du trottoir au porche, de la fontaine au fleuve, du jardin public aux berges de la nuit. Elle court dans les escaliers. Elle entre par une porte et sort par une autre. Sa déambulation n’a ni cesse ni raison.
Elle n’est étrangère ni aux églises ni aux cimetières. Elle aime les lieux où l’on se glisse. Les grands miroirs du monde où elle est seule à se voir.
Derrière elle. Dans son dos, le long de son échine et plus bas, où la croupe se scinde, elle sent le souffle pressé de ses suiveurs - sa cour haletante et qui se croit conquérante et ne cesse de grandir, la ville des hommes à la traque de ses odeurs.
La grande Lily pute et son peuple de liliputiens.
Depuis que le sexe de la femme les a laissé choir sur le carreau, ils n’ont désir que de la retrouver. Tout ce qu’ils font, c’est revenir. Aux trousses de Lily, les éperdus se hâtent. Ils s’amalgament en soupirs, en larmes, en émanations et suintements : énorme tendresse de désespoir monomane. Elle n’aurait qu’un geste à faire, comme tendre les mains par-derrière, pour tirer, d’un coup, tous les diables par leur queue.
Mais qu'en ferait-elle ? Elle n’est pas le joueur de flûte de Hameln, même si le fleuve, ici, est aussi profond que la mer.
Le désir bourdonne mais la reine ne se laisse pas rejoindre.
Alors les rues, la nuit, ont l’air de courir en rond, les ombres d’épaissir l’ombre, les rêves de suffoquer d’impuissance. Les désirs soupirés ont une telle odeur de crasse infantile que Lily, tandis que l’aurore émerge sur cette face d’elle-même que nul n’a encore vue, est soudain prise du besoin tout entier de crier.
Ce cri, elle le retient. Elle ne veut pas qu'il lui échappe.
Elle l'offrira plutôt.
in Lily transbordée
Parlons-en de l'amour:
Depuis la naissance de mes seins à eux-mêmes,
comme une chose nouvelle
soumise aux joies et aux épreuves qui mènent à
sa maturation,
depuis la naissance de mes seins à leur propre
convoitise et à celle des autres,
j’ai porté sur mon épaule la lourdeur du regard des hommes.
j’ai aimé la nudité de mon corps bougeant dans l’eau du fleuve.
Ils m'ont reproché de donner naissance à leur désir.
j’ai aimé les routes et les jardins sauvages.
Ils m'ont reproché d’attirer les violeurs par mon inconséquence.
j’ai aimé les femmes, mes sœurs, leurs formes douces.
Ils m'ont reproché de ne pas tout sacrifier à la procréation.
J’ai aimé l’amour,
donné sans rechigner.
Et ils m’ont reproché de n'être pas la servante d'un seul
in Le doux parfum des temps à venir
Il est noir (!) et propose des textes de Cathy Garcia Canalès, Michel Meyer, Ingrid S. Kim, Pénélope Corps et Christophe Siébert. Empreintes de Christophe Lalanne.
C'est une très belle petite revue, petite comme un écrin à la fois sobre et raffiné, pour des textes de grande qualité, ceci dit sans aucun parti pris.
Les clefs de la ville
Les clefs de la ville
Sont tachées de sang
L’Amiral et les rats ont quitté le navire
Depuis longtemps
Sœur Anne ma sœur Anne
Ne vois-tu rien venir
Je vois dans la misère le pied nu d’un enfant
Et le cœur de l’été
Déjà serré entre les glaces de l’hiver
Je vois dans la poussière des ruines de la guerre
Des chevaliers d’industrie lourde
A cheval sur des officiers de cavalerie légère
Qui paradent sous l’arc
Dans une musique de cirque
Et des maîtres de forges
Des maîtres de ballet
Dirigeant un quadrille immobile et glacé
Où de pauvres familles
Debout devant le buffet
Regardent sans rien dire leurs frères libérés
Leurs frères libérés
A nouveau menacés
Par un vieux monde sénile exemplaire et taré
Et je te vois Marianne
Ma pauvre petite sœur
Pendue encore une fois
Dans le cabinet noir de l’histoire
Cravatée de la Légion d’Honneur
Et je vois
Barbe bleue blanc rouge
Impassible et souriant
Remettant
Remettant les clefs tachées de sang
Aux grands serviteurs de l’Ordre
L’Ordre des grandes puissances d’argent.