Jan Bruegel Le Jeune - Le mauvais pasteur, vers 1616
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L’idée basique qui traverse l’histoire moderne et le libéralisme moderne, c’est que le public doit être marginalisé. Le public en général est simplement vu comme un groupe d’ignorants exclus qui interfèrent, tels des brebis égarées.
“On a eu l’impression, pendant cette épidémie, que la réalité devenait plus agréable: le ciel était bleu, il n’y avait pas de voitures… il y a un espoir que des choses changent” (Hubert Reeves , La terre vue du cœur)
Certes, mais ce que je vois, c’est que ça a agi comme un révélateur de choses bien petites aussi. Moi je n’ai pas d’espoir que les choses changent. L’humanité n’en sortira pas grandie parce que l’humanité n’est pas grande. L’humain est petit et le restera. Ce que je vois, c’est le verre à moitié vide. Même si malgré tout, on peut voir le verre à moitié plein, il y a des gouttes qui le font déborder. Ces gens qui veulent chasser la voisine infirmière parce qu’elle est en contact avec des covidés et risque de contaminer l’immeuble… Ce propriétaire qui veut virer un locataire malade parce qu’il n’est pas question qu’il crève dans son appartement… La délation, les petites haines culpabilisatrices et donneuses de leçon, l’égoïsme des petits mon cul d’abord (je ne parle pas que du PQ). Cette humanité est monstrueuse, comment voulez-vous avoir de l’espoir ? Je ne parle même pas de ce gouvernement incompétent qui nous sert des discours huileux pour mieux nous en…tuber ni de ses chiens de garde qui abusent du pouvoir qu’ils ont et ces autres chiens de garde qui abusent du pouvoir neuf qu’il s’improvisent et se donnent. Exemple, cette gérante de supermarché qui refuse l’entrée à un homme parce qu’il vient chaque jour prendre un litron de vin sous prétexte que ce n’est pas un achat de première nécessité…
Tous ceux qui sont grands (mes amis, je vous aime), le sont parce qu’ils l’étaient déjà, merveilleux de générosité et d’humanité tout simplement. Ils le restent.
Je suis une privilégiée, mon chez moi est magnifique, ouvert sur les arbres et les oiseaux. Je ne peux pas me plaindre.
Je me mets à la place de celles et ceux qui n’ont pas même un balcon à leur fenêtre. Je vois passer des publications aigries et jalouses. Je peux comprendre mais j’ai mes limites : la délation me révolte et je ne la comprends pas. Allo la gendarmerie ? La voisine laisse ses gosses jouer dehors / Il y a une personne dans mon immeuble qui n’habite pas là normalement / Un couple fait ses courses en ne respectant pas la distance de sécurité…
J’ai la chance d ‘être confinée avec l’homme que j’aime et il n’est pas question de gestes barrière entre nous, moi c’est dans ses bras que je me sens en sécurité.
Et puis je connais une personne, confinée en ville dans un tout petit studio. Alors qu’elle a perdu ses chats, sa vue sur la montagne et sa rivière, (je ne dis pas son nom, elle se reconnaîtra), elle, quand elle prend son téléphone, ce n’est pas pour appeler les gendarmes, c’est pour vous lire un poème.
Je salue aussi la multiplication de ces échanges poétiques via les réseaux et les courriers électroniques, circulation de pépites.
Je salue aussi la créativité, l’inventivité de ces billets ou dessins ou vidéos d’humour. C’est généreux de donner du rire.
Je salue la solidarité de ces gosses (ce ne sont plus des gosses mais l’un d’eux est le mien alors je me permets) qui se sont pris une amende de 135 euros chacun pour non-respect de l’interdiction de regroupement amical alors que l’un d’eux rapportait simplement le linge propre de ses copains qui vivent en colocation dans une maison dont la machine à laver est en panne.
Il paraît que je suis une personne à risque et qu’il me faudra être vigilante lorsque je sortirai. Mais je suis déjà contaminée par la rage, c’est pas bon pour mon cœur, m’sieu l’agent.
Je ne m’ennuie pas, je n’ai jamais su m’ennuyer. Je fabricole des poupées à l’effigie des amis, ça me permet de penser très fort à eux, je couds notre amitié avec le fil qui nous relie. J’écris de la poésie et je fais des vidéos avec des images qui me viennent des oiseaux, c’est ma manière de m’échapper.
Enfin, il ne me semble pas que ce soit une poésie cui-cui les petits oiseaux, mais il paraît quand même que ça agace. On voudrait que je témoigne de mon confinement avec souffrance, la souffrance est de mise.
Mais je souffre, voyez bien. Je souffre de mon manque d’espoir en cette humanité hallucinante de laideur. Il y aura de l’espoir lorsque les cerveaux, eux, ne seront plus confinés. Les cerveaux de ceux qui ont le cœur masqué.
Ayé, je l’ai fait mon témoignage de confinement sur l’actualité barbelée, j’ai vidé mon verre.
http://voletsouvers.ovh/index.php/2020/05/08/la-confinitude/
Tandis que par la fontanelle, la sainte banquise déverse ses poissons, les écrans phosphorescents clignotent, tranquillisants. La palpitation lasse des jardins hallucinés trace un pont entre cimes et cimetière.
Vers le calme éternel.
cg in Aujourd'hui est habitable, Cardère éd. 2018
Aujourd’hui
avait une sale odeur
de peur
de sueur
de souffre
de panne
de foule
aujourd’hui
journée de pédagogie
a dit le ministre
des transports, etc.
on avance
on sort
on s’expose
on travaille
on est responsable
et
on s’évite
on est responsable
aujourd’hui
c’est le jour D
bouffée de liberté
on est en manque
on veut consommer
enfin vendre
enfin acheter
on se presse
en se frôle
on se colle
c’est à nouveau
le monde
le nouveau monde
non ?