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  • Kathy Acker

     

    La poésie n'est pas un monument. C'est une ligne rapide et inattendue, un coup de massue dans un mur, un coup de couteau dans la toile de l'indifférence, c'est la frontière qui file, qui file, qui défile, c'est le dessous du volcan, bouillant et fumant, toujours en mouvement. C'est la danse, le cri, le corps. La poésie, c'est la vie. Celui qui fait du texte un monument est un meurtrier : il emmure un corps vivant.
    La poésie
    n'est pas
    un monument.


    in Your mind is a nightmare that has been eating you : now eat your mind

     

     

  • Eugène Savitzkaya- Au pays des poules aux œufs d’or

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    Éditions de Minuit, février 2020

     

    Il était une fois. Il sera un jour.

     

    Ni commencement, ni fin, et pourtant il est bien question d’une Genèse,  d’une Genèse gargantuesque au départ de ce livre qui semble avoir été touillé dans le chaudron d’un grand chaos primordial.

    «  Au commencement, le monde était comme le tube digestif obstrué aux deux bouts d’un ogre gigantesque dormant d’un mauvais sommeil après avoir dévoré tous ses enfants, petits-enfants, parents et grands-parents. Cet ogre était le lointain ancêtre des principaux despotes et autocrates du monde.

    Un premier pet mit le feu aux poudres, un vent tellement concentré qu’il était étincelle. Il libéra une infinité de particules nauséabondes qui s’entrechoquèrent pendant un nombre incalculable de millénaires avant de s’enflammer. »

    Aussi les enfants ont-ils quitté les cités dirigées par les tyrans ridicules aux folies des grandeurs mesquines, potentats qu’ils émasculent parfois ou font rôtir. « De même que les poules avaient disparu, les enfants s’avéraient introuvables, s’étant séparés d’un monde qui les niait. Du lourd sommeil des humains adultes montait l’âcre et sure odeur de la pourriture et de la mort. » Les enfants vivent entre eux avec les animaux, libres, sauvages, indomptables, dans les forêts, les lieux abandonnés, les grottes et le creux des arbres. La liberté dont il est question ici est une liberté nue, crue, sensuelle, amorale, jubilatoire, violente parfois, mais aussi une douceur de fourrure, la beauté, la saveur des choses simples et vraies. La nature s’y taille la part belle, foisonnante de vie. « Parfois les filles sauvages se plaisaient à aller nues même au cœur de l’hiver. Des serpents leur servaient de ceinture et elles couraient pieds nus sur la neige et s’en frictionnaient la poitrine, le ventre et les jambes pour s’endurcir. » Les enfants errants échappent aux pouvoirs des ecclésiastiques qui avaient transformé les adultes capturés dès l’enfance, en véritables benêts qui « pour cacher leurs yeux vides, [ils] ajustaient des lunettes noires sur leur groin. Pour dissimuler leur mollesse, ils pratiquaient la guerre et des sports extrêmes, chassaient en hélicoptère, achetaient des femmes au grand marché aux bestiaux. Ils buvaient du gaz liquide et du bitume raffiné. Ils pillaient les réserves accumulées par les millénaires et par le lent travail des bactéries, des enzymes et du plancton. La planète entière était leur salle de sport. »

    Le lecteur sera invité à suivre les pérégrinations d’un couple aussi étrange qu’improbable, une renarde et un héron.

    « C’est que tous deux recherchaient leur mère, la très belle princesse Nina. Mais qu’est-ce à dire ? Héron et renarde avaient-ils conservé le souvenir de leur nourricière, la souveraine aux mains douces qui régnait sur la terre et sur l’eau, souveraine séquestrée par un tyran imbécile, souveraine des poules fécondes pondant chaque jour des œufs précieux, des œufs d’or ? »

    Il est déconseillé ici de s’accrocher au désir linéaire de comprendre, au besoin d’être rassuré par des limites, car le lecteur alors ne saura où s’accrocher et devra vite y renoncer. Soit il posera le livre, soit il choisira de se laisser emporter par les flots agités de cette écriture qui ne ressemble à nulle autre, comme dans une sorte de trip hallucinatoire tantôt doux et merveilleux, souvent féroce. Fable, conte, rêve, parabole, satyre ? Un peu tout à la fois, et cela se passe là-bas, loin vers l’Est, entre Géorgie et Sibérie. On repère des noms de lieux réels, des régions, des fleuves, des villes et peut-être nous manque-t-il des clés pour savourer toutes les subtilités de ce texte, parfois on croit deviner, on hume, on renifle, le lecteur suit des pistes mais la plupart vont le perdre dans la forêt, les marécages ou le font tourner en rond, rien n’est solide, tout se transforme, se déplace, éclate en multiformes, tout est encore finalement comme au stade de la Genèse et on peut toujours entendre la Terre mugir. Alors lecteurs, laissons-nous faire, la force, la fougue, l’irrévérence et la folie d’Au pays des poules aux œufs d’or ne peuvent nous laisser indifférents. C’est un livre qu’il faut lire et relire, une fois n’y suffira pas et sous ses apparences foutraques se sont glissées de grandes sagesses oubliées.

    « Je disais à chaque enfant : tu t’instruis chaque jour et chaque nuit. Tes rêves t’instruisent, ils ne sont pas le charabia que certains prétendent, ils font partie du monde des signes que tu dois décrypter. Ils t’informent sur l’état de ton cerveau, de ton foie, de ton cœur, de tes membres, de ton sexe. À l’abri des ordres, des sermons, des lois humaines, des gangues sociales, de la glu grégaire, ils sont ton terreau intime, ton noyau autonome, ton trésor vivant et infini. S’ils t’effraient ou te laissent pantois, c’est parce que tu refuses, craintif pantin, la liberté qu’ils t’offrent sans cesse. Ils sont le suc abondant de ta vie. Tu peux t’instruire en te réveillant, quand ton cerveau, nourri de l’or précieux du langage du sommeil, fonctionne sans la moindre contrainte comme une méduse évoluant dans le fluide nourrissant de la mer. Tes premiers pas, au saut du lit, sont chaque fois, si tu le veux, si tu ne t’es donné aucun délai dérisoire, aucun but mortifère, comme les premiers balbutiements d’un nouveau-né qui accueille avec intelligence les sons, les odeurs et les ondes colorées et qui leur parlent comme les sorcières parlent aux arbres et aux fontaines, comme l’abeille dissémine négligemment les pollens.

    Tout t’instruit de tout. T’instruisent les formes et les couleurs, les douceurs et les douleurs, t’instruisent les pleurs, la mort et les puanteurs. »

    La plume enchantée, inclassable et facétieusement non domestiquée de l’auteur de Fou trop poli n’a pas fini de nous surprendre, nous dérouter au sens littéral du terme.

     

    Cathy Garcia

     

    savitzkaya-categorie.jpgEugène Savitzkaya est né à Saint-Nicolas-lez-Liège en 1955. Premiers poèmes publiés en 1972 : Les Lieux de la douleur (Éd. Liège des jeunes Poètes). Il a obtenu pour Marin mon cœur, en 1993, le Prix Point de mire (prix des auditeurs de la RTBF), en 1994 le Prix triennal du roman, attribué par la Communauté française et en 2015, pour Fraudeur, le prix Victor Rossel. Dernières publications : Flânant (Didier Devillez éditeur, 2014) ; Fraudeur, roman (Minuit, 2015) ; À la cyprine, poèmes (Minuit, 2015) ; Sister. Travail graphique de Bérangère Vallet, sur une idée d'Hélène Mathon (Editions L'Oeil d'or, 2017) ; Éloge du paillasson (Le Cadran ligné, 2019).

     

     

     



  • Coronavigation en air trouble par Alain Damasio

     

     

     

    «Vivre est le métier que je veux lui apprendre. Il s’agit moins de l’empêcher de mourir que de le faire vivre. Vivre, ce n’est pas respirer, c’est agir, c’est faire usage de nos organes, de nos sens, de nos facultés, de toutes les parties de nous-mêmes qui nous donnent le sentiment de notre existence. L’homme qui a le plus vécu n’est pas celui qui a compté le plus d’années, mais celui qui a le plus senti la vie […]

    — Jean-Jacques Rousseau, Émile ou De l’éducation

      

    Je l’ai souvent dit : je ne suis ni philosophe ni sociologue. Pas plus un psy ou un savant. Encore moins un prophète, même si l’anticipation fait partie de mon travail. Je suis un écrivain de science-fiction. Donc par choix et par nécessité : un bâtard. Un hacker de pensées, d’imaginaires filants, de perceptions furtives et de sensations vibratoires. Ma force, comme tout artiste il me semble, est de pouvoir être traversé. D’éponger les pluies chaudes du réel comme ses remontées acides, de prendre l’empreinte des cris et de restituer les vents qui passent dans mes veines. En essayant de ne jamais peindre mon moi sur le monde mais le monde sur moi, comme l’intimait Deleuze. Puis de regarder ce que ça dessine. Et tenter alors de l’écrire, comme on tatouerait une peau qui mue.

    Comme beaucoup d’entre vous, j’imagine, j’ai énormément lu pendant ces trois semaines confinées. Des tribunes, des entretiens, des articles, venus de tous les penseurs qui peuplent nos biotopes culturels. J’y ai cherché le texte de génie qui réticulerait tout et livrerait ce miracle d’une lecture lumineuse de ce qui nous atteint. Le texte qui, au milieu du brouillard spéculatif intense qui monte des réseaux, ferait l’effet d’un blizzard qui nous ouvrirait soudain le paysage. À la place, j’ai lu la réfraction de l’événement sur des pensées déjà construites, sur des sensibilités déjà faites. J’y ai lu des projections de désirs sur la brume et même quelques espoirs, derrière les ombres portées.

    Et c’est déjà beaucoup, et c’est déjà précieux.

    Je ne vais pas ici faire mieux, c’est certain, ni même autre chose. Je n’ai jamais été platonicien, ni cru que la vérité se cachait et que notre tâche serait de la dévoiler. Je crois que la vérité est produite, comme Foucault, Nietzsche ou Deleuze. Qu’elle est une construction. Qu’elle a ses rituels et ses conditions académiques de validité, qui sont parfois moins pertinentes qu’une intuition authentique. Même et surtout incomplète. Parce qu’une intuition ouvre à des prolongements collectifs possibles, elle appelle à penser — tandis que la vérité académique s’impose, certes, mais au fond se consomme sans nous rassasier.

    Hier j’ai senti que mon attente même du génie capable de penser cette pandémie à ma place disait quelque chose d’essentiel : à savoir que face au choc, on aimerait être soulagé de penser. On aimerait tellement qu’on nous dise quoi faire, comment être, qui suivre. On attend le geste de magie et la solution miraculeuse. Pire : on l’attend parfois de ceux qui n’ont aucune vocation à la moindre sagesse. Ceux qui n’ont rien prévu ni senti mais dont le métier putride est de tirer profit du moindre choc pour consolider leur pouvoir : nos « décideurs ».

    Alors bienvenue dans mes coronavigations à l’estime et à vue. Si vous entrevoyez un phare sur l’océan chaotique de ce qui va suivre, n’attendez pas qu’il vous éclaire. Tracez ! Et dites-vous que chacun de nous a un soleil posé sur l’équerre de ses épaules. La plus belle des lumières vient de nos bouilles ensemble — têtes brûlées rassemblées dans la nuit des combats.

     

    I. PETITE ÉTHOLOGIE DU COVID

    • La colère est une énergie trop belle pour qu’on la piège dans le ressentiment

    Évacuons déjà la colère, en l’exprimant. Ça va être court. Parce que ce réflexe même de chercher des boucs émissaires et des coupables est naturel mais insuffisant. Parce que cristalliser notre rage sur eux est presque déjà un honneur qu’on leur fait. Qu’ils la méritent, cette rage, c’est l’évidence ; qu’on en reste à les pointer du doigt pour penser l’après serait se priver de toute dynamique riche. La colère est une énergie trop belle pour rester piégée dans le ressentiment. On doit la convertir en joie dure comme une lame, et tailler nos étoffes avec.

    Alors allons-y, mode covide-ordure. De ce gouvernement, il n’y a rien à garder — sinon la dernière syllabe, qui est un verbe conjugué. Je voudrais faire une ultime faveur à ces crétins : juste les évaluer à l’aune de leurs propres critères, même pas des miens. À l’école de commerce où j’ai subi mes études, on nous apprenait ça : qu’un bon manager de l’entreprise « France », puisque c’est ainsi qu’ils se rêvent, devrait être capable : 1) d’écouter les clients (aka le peuple) 2) d’être réactif 3) de bien s’entourer 4) de savoir déléguer.

    On mesure ce qu’il en est de l’écoute du milieu médical depuis deux ans, qu’on a gazé à bout portant quand il a réclamé un budget, des moyens et des lits. On sait ce qu’il en a été de la réactivité face à la pandémie — criminelle de lenteur — avec ce si judicieux changement de Ministre de la Santé (Buzyn) pile à l’éclosion du virus à cause d’un type qui montrait sa bite triste sur une vidéo. Bien s’entourer ? On sait ce qu’il faut penser de l’inutilité paroxystique des trois cents pantins de la République en Moche qui siègent à l’assemblée. Pourquoi continuer à stigmatiser Macron ? Pourquoi évoquer son absence de charisme abyssale, son incapacité à même lire un prompteur, la nullité de sa vision et de l’incarnation qu’il en tire. Pourquoi discuter d’une bûche, en vérité ? On la brûle, c’est tout. 

    • Enjeux de focalisation

    À l’heure où j’écris, sur le plateau de la pandémie, dans le suspense morbide du « jusqu’où ça va durer ? », dans la scansion des 500 morts par jour et des cadavres empaquetés dans des sacs plastiques puis stockés dans des chambres froides à Rungis, tout relativisme, toute distanciation critique posée sur la tragédie en cours, passe pour une obscénité. Le randonneur qui marche deux heures seul en forêt reste un irresponsable. Celui qui vous parle à 90 cm est devenu un assassin. Les jeunes des cités qui jouent au foot la nuit postulent pour Walking Dead, saison 11.

    Dans ce contexte, qui voudrait rappeler qu’en toute rigueur, si l’on s’en tient aux chiffres et aux faits, le covid-19 ne tue qu’une personne contaminée sur 300 (létalité réelle = 0,3%) ? Que le taux réelde contaminés actifs tourne autour d’une personne sur 35 en France ? Que même en léchant les poignées de porte de votre immeuble, la probabilité que vous mourriez du coronavirus est donc d’une chance sur 10 000 environ ? Qu’en France, en mars 2020, il n’y a pas eu plus de morts qu’en mars 2018 (58 000 environ). Que tous ces chiffres qu’on vous martèle à longueur de journée mériteraient, à tout le moins, une mise en perspective, des comparaisons, un minimum de recul.

    Il ne s’agit pas de dire que le covid-19 n’est pas grave. Il ne s’agit pas de faire un concours de mortalité comparée en ricanant sur l’importance inaperçue des grippes saisonnières (13 000 morts sur la saison 2017-2018) ou en pointant, narquois, l’hyperfocalisation nécessaire des mortes par féminicide (126 en 2019) face aux morts invisibilisés des cancers du cerveau, des suicides ou de la tuberculose en Afrique. Il s’agit bien plutôt de se demander : dans ce champ primordial des « morts évitables », pourquoi les décès liés au coronavirus sont-ils parvenus à mobiliser l’attention mondiale aussi magnifiquement ?

    Pourquoi n’y est-on pas parvenu avec les cancers dûs aux pesticides, par exemple, avec la pollution atmosphèrique qui fait 45 000 mots par an en France ou pire encore avec le réchauffement climatique ?

    Et pour poser la question plus politiquement encore : pourquoi ce décompte si précieux et cette attention portée à la vie, ne l’active t-on pas pour les 30 000 migrants sauvés par SOS Méditerranée en deux ans puis les 8 000 (probables) qu’on a laissé criminellement se noyer tout le temps que la France bloquait le navire à quai en lui refusant un pavillon ?  Quel effet produirait un compteur des noyés chaque soir à 19h30 avec des images des canots qui coulent ?

    Abordons la réalité autrement : le Covid-19 n’est pas en soi un événement. Il ne l’est pas intrinsèquement. On l’a construit ainsi. Il l’est par le regroupement opéré des symptômes, dont Deleuze montrait à propos du Sida que l’histoire de la médecine n’est que ça : une façon spécifique à chaque époque d’isoler ou regrouper les symptômes et de faire émerger une pathologie. Sans cet agencement, les décès, qui sont dans une écrasante majorité des cas des décès multifactoriels, issus de comorbidités, seraient passés sous les radars dans les statistiques. On les aurait imputés au diabète, à une pathologie cardiaque ou pulmonaire, dont ces morts sont AUSSI et surtout la cause (90% des décès du covid en France avaient au moins une autre cause). Le covid est avant tout un précipiteur. Un nudgequi frappe à 90% des patients déjà âgés (> 65 ans), déjà fragiles, qu’il achève dans la solitude la plus féroce. 

    À mes questions de visibilité massive, un philosophe comme Yves Citton suggérerait une réponse possible : la clé est sans doute à chercher dans nos économies de l’attention. Dans la construction collective et « virale » — en partie médiarchique, en partie gouvernementale et en partie populaire — de l’attention à cette vague de morts-ci.

    Si bien que si l’on a une conscience écologique minimale, une attention au moins minime au massacre industriel de l’étoffe vitale de forêts, d’océans, d’animaux, de sols fertiles, d’air autrefois sain et d’eau naguère pure dont nous sommes tissés, on ne peut s’empêcher de poser la question, non qui tue, mais qui sauve :

    Comment réussir à ouvrir, pour nos crises écologiques globales, une telle fenêtre d’attention nationale et mondiale ? Un tel cadre de visibilité quotidien et suivi ? Une telle hyper-focalisation, si précieuse et si furieusement efficace ?

    Déjà : comment y a t-on réussi ici ? Le Collectif Malgré tout, sous l’égide de Miguel Benasayag, donne une réponse qui mérite qu’on s’y arrête. Il dit en substance : c’est l’action disciplinaire de nous confiner qui a créé cette visibilité cruciale à la pandémie. C’est le pouvoir qui en confinant, rend tangible le problème, le fait exister, le rend perceptible. En bloquant nos déplacements, il crée les conditions d’une visibilité optimale et exclusive : une focale. Mais il s’appuie pour ça, bien sûr, sur des faits, des probabilités, des menaces explicitables.

    Cette action disciplinante, il me semble qu’elle a deux effets croisés, au moins : agir sur les esprits et agir sur les corps.

    Agir sur les esprits : par un bombardement médiatique sans précédent dans l’histoire récente. Une véritable pluie torrentielle d’articles, de graphes, de schémas et de chiffres, un déluge continu d’hypothèses et d’incertitudes, de possibilités d’évolution tragique et de potentialités de remèdes, laquelle rassure tout autant qu’elle relance en continu les boucles d’anxiété d’une population trop confinée pour aérer son cortex ; une avalanche d’infos, d’entretiens, de témoignages, de récits et de rituels, de mises en scène, en images et en sons qui produit une bulle « spéculative » d’une infobésité assez terrifiante.

    Cette bulle nous aveugle et ça nous englue. Elle grégarise nos pensées et nos perceptions.

    Agir sur les corps : par l’activation d’une pratique basique : quarantaine, confinement, assignation de chacun à son chez-soi, blocage des corps pour bloquer ce qui circule de corps en corps, comme toute vie : ce fameux virus.

    Et c’est pour moi là qu’il faut creuser. Car cette bulle d’attention, cette mobilisation par la raison et l’émotion, est abondamment utilisée, par exemple, pour faire prendre conscience du réchauffement climatique, sans produire beaucoup d’effets. Où est donc la différence ? Pourquoi ça marche ici si bien ?

    La différence est dans la neutralisation des corps. Leur mise en veille. L’injonction qui leur est fait de ne plus bouger, ou si peu. Elle est dans l’expérience physique et donc éthologique du confinement. C’est mon hypothèse. Dans la discipline qu’elle impose, oui, et les contraintes communes auxquelles elles nous assignent. Ces contraintes créent un ethos partagé. Si rare aujourd’hui tant nos vies sont individualisées, nos comportements des mosaïques, nos statuts inégaux.

    (Je distingue ici, parce qu’ils sortent, les soignantes, les éboueurs, les livreurs, les SDF, les caissières, bref toutes celles et ceux par qui ce confort tient encore et qui eux, n’en disposent pas : c’est au contraire leur mise en danger actuelle qui protège et ménage la nôtre !)

    Un affect commun donc ! Enfin ! Pour tous, partout, et même mondialement. Cet affect commun dont Lordon montre bien qu’aucune mobilisation politique ne peut s’en passer si elle entend produire quelque effet.

    D’un seul coup, toutes nos habitudes — de déplacement, de consommation, de vie sociale, d’activité professionnelle, de modes de relation… — sont dynamitées.

    Si l’on met de côté ceux qui sont au front (une personne sur huit environ), les télétravailleurs harassés, les mères célibataires assumant seules leurs enfants et évidemment les malades, il reste encore une moitié de la population environ pour qui le confinement réouvre une vraie disponibilité. Doublement. Disponibles tout autant par le temps libéré (pour ceux que la crise n’angoisse pas) que par l’inquiétude hautement aiguillonnante qui pousse à chercher, à mieux comprendre et à apprivoiser la menace. Disponibles aussi affectivement tant la fragilité toute neuve produite par la crise nous rend sensible et empathique aux autres.

    Ce que je vais dire est horrible : mais le confinement des corps se révèle être une façon optimale de remobiliser un temps de cerveau disponible sur une durée suffisamment longue pour produire des effets. Bien sûr, cette attention est limitée, virtuelle et pervertie, mais elle est indiscutablement efficace. Ce qu’il faudrait, c’est activer et ouvrir cette capacité d’attention et d’empathie aux corps des autres pour tous les autres cas, si nombreux, où leur vulnérabilité est en jeu : vieillesse, maladie, migrations, accidents du travail, violences, harcèlement. Alors se déploierait une écologie de l’attention, à vocation sociale, que le covid révèle ici sur un seul axe.

    •  Viralité psychique et cycles du contrôle

    Trollons un peu : au fond, pour 97% des gens, la charge virale du Covid se révèle moins physique que psychique. C’est à mes yeux une leçon étrange du confinement. Elle infecte infiniment moins nos corps qu’elle n’affecte nos psychés. Active nos peurs multiples, nos paranos, nos anxiétés. Notre hypocondrie. Nos insurmontables angoisses. Et donc notre soif inétanchable d’en sortir, par les certitudes fragiles qu’un flux tendu d’infos est censé nous apporter. Alors ça compulse dur. Les audiences des sites d’infos explosent. Ah cette construction hors sol et hors corps d’une espèce de vérité flottante sur les événements, qui finit par prévaloir sur le réel ! La contagion des trouilles est devenue pulvérulente. On la hume tous et toutes, fenêtres pourtant fermées, dans nos solitudes connectées dont les fils se touchent.

    Conjurez cette peur par une discipline ancienne et presque archaïque : la quarantaine — celle de la peste si bien décrite par Foucault. Ajoutez-y le contrôle des populations, initiée historiquement sous la variole : biopolitique. Saupoudrez d’une pincée de tracking téléphonique : traçabilité. Puis secouez le shaker. Vous avez le poison et son antidote. Le pharmakon. Peurs puis réassurances partielles, en boucle, cybernétiques. 

    Cycle du contrôle comme il y a un cycle de l’eau : orage de la contamination subite. Pluie des mesures et des ordonnances s’abattant dans les corps. Évaporation de la peur par les chairs confinées, qui alimentent en retour les cumulus d’infos et les clouds de données. Pluies numériques à nouveau, horizontales comme sous furvent.

    Ce couplage entre l’angoisse et ses conjurations imparfaites est un must du psychopouvoir. Une machine de guerre qui tourne toute seule à plein régime parce que son carburant est en vous, inépuisable : c’est la peur de mourir — et de faire mourir.

    Alors la délation nous brûle les lèvres. Chacun de nous est devenu menace, vecteur infectieux. Le voisin est une bombe biologique. La frontière qui excluait les migrants s’est rétrécie fulguramment : elle passe désormais par nos paliers, sépare nos couples, passe à l’intérieur de nos corps. L’obéissance s’introjecte, elle devient obéissance à nous-mêmes, au flic-surmoi qui pousse sur le terreau de nos trouilles et dont le flic-état n’est qu’un engrais presque inutile.

    Ceux qui ragent contre la restriction hallucinante de nos libertés en si peu de temps et de façon si abusive ont intégralement raison. Sauf qu’ils voient rarement que le contrôle est une demande sociale massive. Le gouvernement n’aura même pas besoin d’imposer le port du masque ni cette appli d’inter-délation censée tracer les porteurs du virus. Il n’y pas de complot. Il n’y a jamais que des stratégies à l’arrache de gouvernements aux abois qui se raccrochent aux branches d’un paternalisme qu’on leur demande de fleurir, nous les enfants peureux.

    Lire la seconde partie de ce texte ici  et la troisième partie ici

     

     

  • Un peu de cuisine authentiquement simple !

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    On commence à arriver en "fin de courses", alors on en rajoute pour les papilles et pour les yeux :

    Déco comestible : pétales de calendula et fleur de pensées sauvage (jardin)

    La salade : du chou cabu trempé à l'eau salée, puis émincé, du chou-rave rapé, des jeunes pousses de radis, le fond de pâtes (spaghetti d'épeautre complet) d'à midi, quatre petites cébettes, des feuilles de mélisse, sauce : purée de cacahuète, cumin en poudre, un peu de vinaigre de cidre, un filet de shoyu, huile d'olive,

    Sandwiches de chou rave : entre les tranches, du brebis très frais, avec du curry et quelques gouttes d'huile d'olive

    Pain complet frais du jour de "mon" paysan boulanger

    Choux et cébettes : producteur bio local

    Pousses de radis, mélisse : jardin

    Brebis frais : producteurs bio local

     

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    Les idées repas du jour. Midi : poêlée de vert de blettes revenues à l'huile de tournesol avec des graines de coriandre, puis flocons d'azukis, un filet de shoyu, puis quand le tout commence à coller, de bonnes grosses cuillerées de yaourt de brebis, de l'ail haché grossièrement, du cumin en poudre, bien remuer, mijotage à feux doux sans cesser de remuer, au dernier moment, une poignée de persil frais haché, c'est plutôt rapide à faire et c'est délicieux. Ce soir, un bocal de belles sardines à l'huile au piment d’Espelette écrasées avec de la brousse de brebis, des oignons frais, fenouil et persil frais hachés, sur des tartines de pain complet grillé, accompagné de feuilles de mizuna :

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    et en dessert : une compote au four de rhubarbe, pommes, fraises et confiture de figue (plus de sucre), saupoudrée après cuisson de poudre d'amandes.

     

    Blettes, pain, yaourt, brousse, ail, fruits : producteurs locaux. Persil, fenouil, mizuna : jardin suspendu. Oignons frais : jardin subspontané. Confiture de figue : faite maison par une voisine.

     

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    Ma fille a fait ses premiers (et réussis) cup-cakes, saveur choco, café, cannelle, alors à midi, un petit déj de rêve..... Pour le reste, seul le thé vert n'est pas de production locale, la menthe elle vient de nos jardins suspendus.

     

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    Repas autour du chou cabu : une soupe avec l'eau de cuisson de fenouil qui hier avait servi a un bouillon de miso et dont le reste sert de fond de soupe donc avec les feuilles extérieures du chou, pas de gaspi et une salade, chou cru, pomme, noix de cajou, persil frais dans une sauce avec du yaourt de brebis, un peu de purée de raifort, vinaigre de cidre, huile d'olive, le fond d'un fond de moutarde - je garde le pot qui sert pour faire les vinaigrettes tant qu'il reste encore de la moutarde - graines de cumin et coriandre et cumin en poudre, gomasio. Et il reste encore un demi-chou pour demain .

     

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    Crumble pommes-rhubarbe-cannelle...

     

     

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    Confinés ou pas, la cuisine est un art et notamment celui de faire durer les courses le plus longtemps possible... Comment faire un repas donc avec deux choux raves ? Une tartinade très goûteuse à la fois douce et relevée : pelés, coupés en morceaux et mixés avec des verts de cébettes, deux gousses d'ail, une cuillère à soupe de purée d'amandes, du persil frais, du gomasio, le fond des graines de tournesol et courge, de l'huile d'olive, un filet de vinaigre de cidre et une cuillerée de confiture maison de figues que m'avait offert une voisine

     

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    tarte aux fânes de chou raves et de betteraves (2).JPG

    Jour des fanes, de choux raves et betteraves cette fois, en tarte. Une pâte à la farine d’épeautre complet, huile d’olive, travaillée en feuilleté. Les tiges et les feuilles des fanes, séparées, lavées. À la poêle, j’ai fait revenir en petits tronçons toutes les tiges dans un peu d’huile de tournesol, quand elles sont devenus fondantes, j’ai rajouté les feuilles, et cuit tout ça comme des épinards, en rajoutant quelques clous de girofle, du cumin en poudre, des graines de coriandre, poivre 5 baies au moulin. Quand l’ensemble a bien réduit, j’ai versé un fond de vinaigre d’un bocal de câpres de pissenlits de la saison dernière qu’on a terminé il y a peu, déjà aromatisé donc, et remué encore et encore, jusqu’à évaporation. Le feu coupé, j’ai rajouté une petite poignée de belles tiges d’origan sauvage et quelques feuilles de plantain ramassées cet aprem, deux gousses d’ail hachées et du yaourt bien épais de brebis. La pâte étalée, au fond j’ai mis le reste de quinoa d’à midi, puis la préparation de fanes et hop, au four. Va être dégustée accompagnée de feuilles de batavia rouge à croquer.

     

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    salade de navets et pomme râpées,.JPG

     

    J'ai une botte de navets violets et je n'aime pas les navets....., donc le défi c'est de les cuisiner de façon à les apprécier quand même, alors déjà le cru s'impose, les fanes sont déjà parties en farçous, et voici une salade de navets et pomme râpées, avec un demi oignon et son vert (les oignons poussent en ce moment tout seuls dans leur panier en cuisine), un radis en lamelles, des graines de courge et tournesol, dans une sauce faite avec purée d'amandes, vinaigre de cidre, huile d'olive, curry, sel. Bon j'ai goûté et ben, c'est plutôt très bon, ça ira bien avec de la tomme de brebis fumée et du pain tout frais qui vient d'arriver du paysan boulanger. En dessert : des fraises bio locales, les premières On fait un vœu en général chez nous, quand on mange les premières fraises

     

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    Choucroute hilarante (3).JPG

     

    Choucroute végétarienne et hilarante....

    faut croire que le vin blanc a décidé de ne pas s'évaporer

     

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    croquettes de flocons d'avoine & d'azukis aux orties, fânes de radis, tomme fumée.JPG

     

    Impro du soir : des croquettes de flocons d'avoine, flocons d'azukis trempés dans un peu d'eau de source, un peu d'huile d'olive et un filet de shoyu, une grosse poignée de persil frais, orties et feuilles de radis (subspontanés qui sont montés en fleurs), graines de cumin et le fond d'une vinaigrette à la moutarde, le tout mixé, puis j'ai rajouté des dés de tomme de brebis bio locale fumée (une tuerie) et au four, on va déguster accompagnés des premières feuilles de mizuna semée l'autre jour et des pousses terminales et feuilles de roquette subspontanée.

     

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    Filets de merlan aux blettes à l'indienne.JPG

     

    Filets de merlan aux blettes "à l'indienne" - au four, avec les côtes de blettes, j'ai tenté un truc, dans un plat huilé, je les ai arrosées de vin blanc, rajoutés des filets de merlans congelés que j'ai arrosé aussi, puis des graines de cumin, de cardamome (5 ou 6 gousses vidées) et du curcuma frais, gros sel, généreusement poivré, un filet d'huile d'olive....

     

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    Blettes aux flocons d'azukis en sauce tomate.JPG

     

    Pour moi, la meilleure compagne des blettes, c'est la sauce tomate, je consomme toujours les verts en premier si je ne mange pas tout d'un coup. Ici, ils sont revenus à la poêle, avec des graines de coriandre et des flocons d'azukis, quand le tout devient fondant, je rajoute un bon filet de sauce shoyu, puis de la sauce tomate, et juste avant de servir, je rajoute du persil frais.

     

    Aumonière brebicous aux restes de blettes azukis tomate.JPG

    Avec les restes, j'ai fait pour le soir des aumônières avec une pâte maison d'un mix de farine de petit épeautre et épeautre complet, aux brebicous bio locaux, en rajoutant du curry et des tous petits piments congelés de cet été, un filet d'huile d'olive et hop, au four ! Quelques radis en entrée et voilà !

     

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    purée de lentilles corail, ail des ours, yaourt de brebis, curry, .JPG

    Une purée de lentilles corail, ail des ours, yaourt de brebis, curry, sel pour faire un dip avec des feuilles de batavia

     

    Biscuits aux amandes, zeste d'orange, vanille, cannelle, confiture d'abricot.JPG

    et une variante de recette de biscuits moelleux aux amandes dont on a adapté la recette en fonction de ce que nous avions : amandes, confiture d'abricot, zestes séchés d'orange, cannelle, vanille.... et réalisés par ma fille.

     

     

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    Farçous aux fanes et ail des ours.JPG

     

    Des farçous : fanes de radis, de navets, de choux raves, ail des ours, 4 œufs, farine de petite épeautre, levure de bière, cumin en poudre, une cuillère à café de bicarbonate, sel, poivre, le tout mixé et cuit par louchée à la poêle. Accompagné d'une sauce au yaourt de brebis bien épais, moutarde, curry, sel, filet d'huile d'olive et de l'ail des ours à brouter.

     

     

     

  • Werner Lambersy  

     

    J’écoute mourir

    et remourir

    la mer

     

    mais la mer est

    toujours là

     

    qui veut mourir

    en épousant

    l’horizon

     

    Je vois paraître

    et reparaître

    l’étoile

     

    mais le ciel est

    toujours là

    qui veut

     

    disparaître et se

    jeter dans le

    vide

     

    Je sens passer et

    repasser les

    jours

     

    et rien jamais ne

    me lasse

     

    de cette mort

    qui ne peut pas