Fée d’hiver d'André Bucher
Note parue sur : http://www.lacauselitteraire.fr/fee-d-hiver-andre-bucher....

Le Mot et le Reste décembre 2011, 160 pages, 16 €
Pour celles et ceux qui ne connaîtraient pas encore le talent d’André Bucher, voici une bien belle façon de le découvrir. Dans Fée d’hiver, on sent le souffle d’un Jim Harrison, dont André Bucher est grand lecteur, mais l’écriture de cet écrivain poète paysan est unique. Et justement, elle sent le vécu, le territoire arpenté, la solitude affrontée. Fée d’hiver est un roman à la fois âpre et magnifique, austère et puissamment physique, comme les lieux dans lesquels il prend place dans ce sud de la Drôme, à la limite des Hautes-Alpes. Des lieux sauvages, entourés de montagnes, désertés par les hommes partis rejoindre les villes, où la vie, croit-on, offre plus de facilités.
Le roman démarre sur un prologue, un article paru dans le journal le Dauphiné Libéré, daté du 31 août 1948. Un fait divers « Drame de jalousie dans le sud de la Drôme », qui fait écho au titre du livre, Fée d’hiver. Cette fée d’hiver qui vient comme pour rompre une malédiction, une sorte de réparation d’accrocs dans les mailles du destin.
La première partie du roman est un journal intime à deux voix, s’étalant entre 1965 et 1988. Une façon de présenter les lieux, le contexte, les personnages. Daniel et Richard sont deux frères, l’un géant et l’autre court sur pattes, l’un parle peu, l’autre ne parle plus du tout. Ce sont les deux enfants laissés orphelins par le drame familial évoqué dans l’article du journal. Placés en famille d’accueil par la DDASS, ils ont grandi et retournent maintenant vivre dans la ferme familiale aux Rabasses, pas très loin du village de Laborel. Une ferme délabrée, que Richard, l’aîné, va peu à peu transformer en casse. Daniel lui, muet depuis le drame, s’occupe d’un troupeau de brebis. Deux marginaux en quelque sorte, repliés sur eux-mêmes, que les gens alentour prennent pour des attardés.
Et puis, il y a les Monnier, qui ont une scierie. Le père était l’amant de la mère de Richard et Daniel, responsable en quelque sorte de leur malheur, mais il est mort lui aussi, emporté par un cancer peu de temps après. Restent les deux fils, dont l’aîné dirige maintenant la scierie, et le cousin Louis, le nabot que les frères Monnier aimaient tant tyranniser, étant enfant. Depuis toujours enclins à la morve et à la méchanceté, la vie n’avait pas aidé à les changer ces deux-là. Heureusement il y a Alice, la jeune sœur. Alice est différente et elle n’a pas peur de passer du temps avec Daniel, pendant qu’il fait pâturer ses brebis. Elle passe le voir, cherche à communiquer avec lui. Daniel l’aime beaucoup bien qu’elle soit bien plus jeune que lui, seulement les années passent vite. Alice travaille comme secrétaire à la scierie de ses frères, elle part à midi ravitailler les bûcherons. Un jour, elle a déjà plus de trente ans, elle finit par dire oui au cousin Louis. Daniel décide qu’il ne parlera vraiment plus jamais et arrête son journal. Nous sommes en 1988.
Le roman enchaîne alors sur l’histoire de Vladimir entre 1995 et 1998. Vladimir est serbo-croate et bûcheron. En 1995, avant le cessez-le-feu entre les Serbes et les Bosniaques, sa sœur et ses parents périssent dans la destruction de leur village. Vladimir, c’est son métier qui l’a sauvé, il était dans la montagne en train de bûcheronner quand c’est arrivé. Quand il est revenu, il n’y avait plus rien, juste larmes, cendres et décombres. Il a donc fui, son pays, ses souvenirs, sa douleur. De pays en pays, une vie rude et solitaire, d’exilé, de sans-papiers, avec pour seul bagage, seul lien avec son passé, une anthologie bilingue de poésie des Balkans. Il exerce son métier partout où il peut, et de pays en pays, finit ainsi par arriver en France. Dans le parc du Lubéron, il travaille comme surveillant d’incendies avec Alain, un étudiant qui prépare une thèse sur l’éclatement de la péninsule des Balkans, et parle donc un peu la langue de Vladimir. Ainsi, tout en guettant les feux, débroussaillant, éclaircissant les bois, il aide ce dernier à perfectionner son français. Le Lubéron hors saison touristique est totalement dépeuplé au grand étonnement de Vladimir.
« – Et encore, tu n’as rien vu. Ici ça va, on est dans le Lubéron. Passe seulement de l’autre côté du plateau d’Albion, en redescendant jusqu’à l’extrême pointe Sud de la Drôme, à la limite des Hautes-Alpes, tu verras… c’est bien pire. Là-bas même les corbeaux sont inscrits sur les listes électorales. Par contre en tant que bûcheron, tu devrais pouvoir trouver. Plus personne ne veut faire ce boulot ».
C’est comme ça, qu’en mars 1998, quelques mois après la fin de leur contrat, Vladimir se retrouve face à Alice devant la scierie des Monnier.
« – Bonjour Madame. Je m’appelle Vladimir, je suis bûcheron et je cherche du travail ».
Entre temps, Alice, avait donc vécu sa vie de femme mariée. Mariée moins par amour que par peur de rester seule, et aussi sous la pression de ses frères, histoire que la scierie reste en famille. Le petit Louis était devenu un homme, toujours aussi faible, mais plus sournois, et puis il s’était mis à boire, à boire et à frapper. Alice était loin, bien loin de ses rêves. Après huit années de mariage, la coupe était pleine, et elle avait quitté le domicile conjugal, pour aller vivre dans un gîte d’une amie d’enfance, pas très loin des frères Lacour, Richard et Daniel. Ça faisait longtemps qu’elle ne les voyait plus, elle s’en voulait. Les choses allaient changer.
Vladimir donc, est embauché par la scierie. Non déclaré, il loge dans une caravane vétuste sans aucune commodité, mais il a l’habitude, et se contente de ce qu’il a, jusqu’au jour où les frères Lacour viennent lui témoigner quelques signes d’amitié et finissent par lui proposer d’aménager sur leurs terres, dans une cabane à remettre en état, au fond du Val Triste, à quelques kilomètres de leur ferme.
« Une tanière toute en rondins de pins mal équarris, adossée à la forêt et donnant sur une clairière avec une vaste prairie où serpentait un ruisseau qui prenait sa source en haut du vallon. L’eau y était fraîche même en été et elle avait un léger goût de rouille ».
Vladimir ne se doute pas qu’il va préparer là un nid d’amour pour une fée d’hiver.
André Bucher a l’art de décrire la nature, les sentiments qu’elle provoque et ses propres sentiments à elle, en tant qu’entité vivante à part entière, d’une façon totalement originale, des images non attendues qui donnent beaucoup de fraîcheur à son écriture, outre que l’histoire elle-même est captivante, toute pleine de rebondissements, de profondeur, d’humanité, et de rage aussi. Vraiment, ce roman est un torrent de montagne à glisser à votre chevet, il serait dommage de s’en priver.
Cathy Garcia
André Bucher, col de Perty, janvier 2012 © B. P.
André Bucher, écrivain, paysan, bûcheron, André Bucher est né en 1946 à Mulhouse, Haut-Rhin. Après avoir exercé mille métiers (docker, berger, ouvrier agricole…), il s’installe à Montfroc en 1975, vallée du Jabron, dans la Drôme, où il vit toujours. Il est un des pionniers de l’agriculture bio en France. Écrivain des grands espaces, lecteur de Jim Harrison, Rick Bass, Richard Ford…, des écrivains amérindiens tels James Welch, Louise Erdich, Sherman Alexie, David Treuer…, son écriture puise sa scansion, sa rythmique dans le blues, la poésie, le jazz et le rock’n’roll. La nature n’est pas un décor mais un personnage de ses histoires. Fée d’hiver est son sixième roman.
Bibliographie :
Histoire de la neige assoupie, Une hirondelle qui pleure tout le temps, (nouvelles), Chiendents n°17, Cahier d’arts et de littératures, André Bucher, Une géographie intime.
Fée d’hiver, roman, éditions le mot et le reste, 2012
La Cascade aux miroirs, roman, Denoël, 2009
Le Pays de Haute Provence, carnet de voyage, vu de l’intérieur, récit, en collaboration avec un photographe, Pascal Valentin, pour l’office de tourisme du Pays de Haute Provence, 2007
Déneiger le ciel, roman, Sabine Wespieser, 2007
Le Matricule des Anges n°80, Clairé par une âpre beauté…
Pays à vendre, roman, Sabine Wespieser, 2005
Le Cabaret des oiseaux, roman, Sabine Wespieser, 2004, France-Loisirs, 2005, traduction en langue espagnole El Funambulista, 2007, traduction en chinois, 2008
Le Pays qui vient de loin, roman, Sabine Wespieser, 2003
Le Juste Retour des choses, Saint-Germain-des-Prés, Miroir oblique, 1974
Le Retour au disloqué, Publication par l’auteur, 1973
La Lueur du phare II, Éditions de la Grisière / Éditions Saint-Germain-des-Prés, Balises, 1971
La Fin de la nuit suivi de Voyages, J. Grassin, 1970



Julio Florencio Cortázar Descotte, né le 26 août 1914 à Ixelles (Belgique) est un écrivain argentin, auteur de romans et de nouvelles, établi en France en 1951 et naturalisé français en 1981. À sa naissance en 1914, son père travaille à la délégation commerciale de la mission diplomatique argentine à Bruxelles. La famille, issue d’un pays neutre dans le conflit qui commence, peut rejoindre l’Espagne en passant par la Suisse, et passe 18 mois à Barcelone. En 1918, la famille retourne en Argentine. Julio Cortázar passe le reste de son enfance à Buenos Aires, dans le quartier périphérique de Banfield, en compagnie de sa mère et de sa sœur unique, d’un an sa cadette. Le père abandonne la famille. L’enfant, fréquemment malade, lit des livres choisis par sa mère, dont les romans de Jules Verne. Après des études de lettres et philosophie, restées inachevées, à l’université de Buenos Aires, il enseigne dans différents établissements secondaires de province. En 1932, grâce à la lecture d’Opium de Jean Cocteau, il découvre le surréalisme. En 1938, il publie un recueil de poésies, renié plus tard, sous le pseudonyme de Julio Denis. En 1944, il devient professeur de littérature française à l’Université nationale de Cuyo, dans la province de Mendoza. En 1951, opposé au gouvernement de Perón, il émigre en France, où il vivra jusqu’à sa mort. Il travaille alors pour l’UNESCO en tant que traducteur. Il traduit en espagnol Defoe, Yourcenar, Poe. Alfred Jarry et Lautréamont sont d’autres influences décisives. Il s’intéresse ensuite aux droits de l’homme et à la gauche politique en Amérique latine, déclarant son soutien à la Révolution cubaine (tempéré par la suite : tout en maintenant son appui, il soutient le poète Heberto Padilla) et aux sandinistes du Nicaragua. Il participe aussi au tribunal Russell. La nature souvent contrainte de ses romans, comme Livre de Manuel, modelo para armar ou Marelle, conduit l’Oulipo à lui proposer de devenir membre du groupe. Écrivain engagé, il refuse, l’Oulipo étant un groupe sans démarche politique affirmée. Ses trois épouses successives sont Aurora Bernárdez, Ugné Karvelis (qui a traduit de l’espagnol quelques-uns de ses inédits) et l’écrivain Carol Dunlop. Naturalisé français par François Mitterrand en 1981 en même temps que Milan Kundera, il meurt le 12 février 1984 à Paris. Sa tombe au cimetière du Montparnasse est un lieu de culte pour des jeunes lecteurs, qui y déposent des dessins représentant un jeu de marelle, parfois un verre de vin. L’œuvre de Julio Cortázar se caractérise entre autres par l’expérimentation formelle, la grande proportion de nouvelles et la récurrence du fantastique et du surréalisme. Si son œuvre a souvent été comparée à celle de son compatriote Jorge Luis Borges, elle s’en distingue toutefois par une approche plus ludique et moins érudite de la littérature. Avec Rayuela (1963), Cortázar a par ailleurs écrit l’un des romans les plus commentés de la langue espagnole. Une grande partie de son œuvre a été traduite en français par Laure Guille-Bataillon, souvent en collaboration étroite avec l’auteur.



Louis Raoul est né en 1953 à Paris où il réside toujours. Il a publié une quinzaine de recueils et a obtenu en 2008 le Prix de la Librairie Olympique pour son livre Logistique du regard publié chez N&B/Pleine Page. Parmi ses autres publications : Par peur de l’équilibre (L’Harmattan), Préface aux confins (Opales/Pleine Page), Sources du manque (Ex Aequo), Démantèlement du jour (Éclats d’encre).












Jean-Michel Bongiraud, est né en 1955 à Saint-Mard (Aisne). Il est l'auteur de plusieurs recueils de poésie ainsi que d'un essai, L'Empreinte humaine, ouvrage publié par les Éditions Editinter. Il a également fait paraître la revue Parterre Verbal entre 1992 et fin 2001 et depuis 2008, il anime la revue Pages Insulaires : 
