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CATHY GARCIA-CANALES - Page 148

  • Warsan Shire

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    Personne ne quitte sa maison

    À moins d’habiter dans la gueule d’un requin.

    Tu ne t’enfuis vers la frontière

    Que lorsque toute la ville s’enfuit comme toi.

    Tes voisins courent plus vite que toi

    Le goût du sang dans la gorge.

    Celui qui t’a embrassé à perdre haleine

    Derrière la vieille ferronnerie

    Traine un fusil plus grand que lui.

    Tu ne quittes ta maison

    Que quand ta maison ne te permet plus de rester.

    Personne ne quitte sa maison

    À moins que sa maison ne le chasse

    Le feu sous les pieds

    Le sang qui bouillonne dans le ventre.

    Tu n’y avais jamais pensé

    Jusqu’à sentir les menaces brûlantes de la lame

    Contre ton cou.

    Et même alors tu conservais l’hymne national

    À portée de souffle

    Ce n’est que quand tu as déchiré ton passeport

    Dans les toilettes d’un aéroport

    En t’étranglant à chaque bouchée de papier

    Que tu as su que tu ne reviendrais plus.

    Il faut que tu comprennes,

    Que personne ne pousse ses enfants dans un bateau

    A moins que la mer te semble plus sûre que la terre.

    Personne ne brûle ses paumes

    Suspendu à un train

    Accroché sous un wagon

    Personne ne passe des jours et des nuits dans le ventre d’un camion

    Avec rien à bouffer que du papier journal

    À moins que chaque kilomètre parcouru

    Compte plus qu’un simple voyage.

    Personne ne rampe sous des barrières

    Personne ne veut être battu

    Ni recevoir de la pitié.

    Personne ne choisit les camps de réfugiés

    Ni les fouilles à nu

    Qui laissent ton corps brisé

    Ni la prison

    Mais la prison est plus sûre

    Qu’une ville en feu

    Et un seul garde

    Dans la nuit

    C’est mieux que tout un camion

    De types qui ressemblent à ton père.

    Personne ne peut le supporter

    Personne ne peut digérer ça

    Aucune peau n’est assez tannée pour ça.

    Alors tous les :

    « À la porte les réfugiés noirs

    Sales immigrants

    Demandeurs d’asile

    Qui sucent le sang de notre pays,

    Nègres mendiants

    Qui sentent le bizarre

    Et le sauvage,

    Ils ont foutu la merde dans leur propre pays

    Et maintenant ils veulent

    Foutre en l’air le nôtre »

    Tous ces mots-là

    Ces regards haineux

    Ils nous glissent dessus

    Parce que leurs coups

    Sont beaucoup plus doux

    Que de se faire arracher un membre.

    Ou les mots sont plus tendres

    Que quatorze types entre tes jambes.

    Et les insultes sont plus faciles

    À avaler

    Que les gravats

    Que les morceaux d’os

    Que ton corps d’enfant

    Mis en pièces.

    Je veux rentrer à la maison

    Mais ma maison est la gueule d’un requin

    Ma maison est le canon d’un fusil.

    Et personne ne voudrait quitter sa maison

    À moins d’en être chassé jusqu’au rivage

    À moins que ta propre maison te dise :

    Cours plus vite

    Laisse tes vêtements derrière toi

    Rampe dans le désert

    Patauge dans les océans

    Noie-toi

    Sauve-toi

    Meurs de faim

    Mendie

    Oublie ta fierté

    Ta survie importe plus que tout.

    Personne ne quitte sa maison

    A moins que ta maison ne chuchote grassement à ton oreille :

    Pars

    Fuis-moi.

    Je ne sais pas ce que je suis devenue

    Mais je sais que n’importe où

    Vaut mieux qu’ici

     

     Traduction  le Boojum

     

     

  • Ouanessa Younsi

    Tu n’as jamais pensé en faire un métier. Écrire était ta façon maladroite de rester en lien avec toi, de ne pas perdre, sous ta capacité au faux self, la part de toi qui demeurait un jardin. Grâce au poème, tu as conservé une joie, le sentiment d’exister, d’être créatrice. Sous la mort et le mot, tu répondais vivante.

     

    in Lettres aux jeunes poétesses

     

     

  • Celia Anahin

    Celia Anahin 49_n.jpg

     

    Chaque jour, comme si cela voulait m’abattre ou me forcer à développer une nouvelle façon de percevoir tout ce que je vis qui ne me fasse plus souffrir. Un détachement si total de tout ce qui peut arriver – et il en arrive sans cesse, ça frappe et frappe encore là où c’est déjà trop sensible - que je ne vois pas ce que je pourrais être sinon un minéral. Froid, détaché, imperturbable ou alors m’abandonner à une dissolution telle que plus rien n’aurait de sens. C’est la douleur, cette foutue douleur qui fausse mes perceptions, obstrue mon accès à cette joie inconditionnelle que j’ai su trouver parfois, la douleur que je refoule, mais sinon je vais disparaître oui, en larmes et retourner à la mer ! Neptune inonde ma vie, mes rêves, emporte tout espoir d’atteindre un jour une rive, ça fuit de plus en plus, je suis trouée de toute part, je m’enfonce chaque jour imperceptiblement un peu plus.

     

    in Le livre de sensation