Claudio Caiozzi (Caiozzama) - Bajo Coste - Chili
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Kiko entretenait avec Charles des conversations interminables – le trader lui expliquait pourquoi, selon lui, les luttes de classe venant d’en bas ne pourraient jamais plus aboutir à rien : « C’est terminé l’époque de l’abolition de l’esclavage ou du Front populaire. Plus personne ne veut en finir avec la misère. On avait besoin de main-d’œuvre, on était condamnés à négocier avec vous, les travailleurs. On n’avait pas le choix. Mais avec l’automatisation – on s’en fout des prolos. On va vous tuer. Je te parle pas de tirer dans la foule pendant les manifestations, ça on l’a toujours fait. Non, on va vous exterminer massivement. Vous ne servez à rien. C’est là-dessus que vous êtes en retard. Vous continuez à raisonner comme sous papa Marx – quand le prolétaire était nécessaire pour que des gens comme moi accumulions la plus-value. Peut-être qu’avec les progrès de la science, on fera encore un petit élevage de prolétaires robustes, pour vous prélever du sang, des organes et des morceaux de peau, porter nos enfants pour que nos femmes n’aient plus à s’abîmer… Mais même pour ça, franchement, avec les bio imprimantes et les couveuses de l’avenir, on va pouvoir se passer de vous. On va vous éliminer. C’est pragmatique. Vous créez beaucoup trop de problèmes par rapport à ce que vous rapportez. C’est pour ça, c’est inéluctable : les classes pauvres, on va vous rayer de la carte. » Ces raisonnements apparaissaient parfaitement logiques aux yeux du vieux Charles, qui répondait du tac au tac, enchanté d’être enfin tombé sur un interlocuteur lucide et sincère : « Tu préconises qu’on prenne les devants et qu’on exhume les guillotines ? » et Kiko secouait la tête, en signe de négation « si vous en étiez capable, vous l’auriez fait il y a longtemps. Mais vous respectez le dominant. Regarde comme les pauvres aiment Poutine. Je ne dis pas que c’est dans votre ADN, mais c’est un héritage de longue date. C’est comme un codage culturel, vous ne vous émanciperez pas assez vite. On vous a appris à aimer le chef. »
Ils pouvaient continuer comme ça sur des kilomètres.
in Vernon Subutex t.3
"Plus qu'une résurrection, c'est un ré-assemblage, à la façon du monstre de Frankenstein. Voici donc Datura 0 juillet 2018.
Je me suis réapproprié le credo des années 90 que j'avais laissé de côté trop vite: "J'attends d'un texte qu'il me traumatise, me martyrise ou me fasse rire, me dérange surtout. Rien n'est plus désolant qu'un texte stérile qui ne laissera en toi aucune trace, à part l'envie de lire autre chose." Torturez-moi autant que possible, condition sine qua non pour monter à bord.
Un ou plusieurs de vos textes ou créations sont publiés dans ce numéro car vous êtes mes émissaires, mes vaisseaux, les lumières (noires), les pierres angulaires, en d'autres termes les poètes, écrivains, artistes que les autres doivent lire et dont ils doivent s'inspirer pour être les bienvenus."
Walter Ruhlmann
EN (SA)VOIR + : https://daturaliteraryjournal.blogspot.com
Le 13/10/2018 à 10:59, Sarah Roubato a écrit :
"À CROIRE QUE LE RÊVE C'EST UN MUSCLE
Grenoble Camargue et Hérault
Chaque semaine de la tournée automnale,
je vous propose un extrait de mon premier roman
30 ans dans une heure
J’aime marcher le long des rails. Ça donne l’impression d’aller quelque part. Rien de tel pour vous déclencher une rêverie. Pourtant j’ai du mal. À croire que le rêve c’est un muscle, ça doit s’atrophier si on ne l’utilise pas. En fait je n’arrive pas à penser à autre chose qu’à ces trois lettres qui me pivotent dans la tête depuis hier matin : C.D.I. Et je n’arrive pas à me réjouir de la satisfaction que j’éprouve.
Je sais qu’il y en a qui essayent de faire autrement. Que chaque magazine a sa petite rubrique alternatif maintenant. Je ne crois pas avoir assez de courage pour m’installer dans le monde de demain ; il a les contours trop flous. Je ne vais pas passer ma vie à poser les rails d’un train que d’autres emprunteront. Je préfère encore m’emmitoufler dans le réel qu’on m’a appris. Et de temps en temps, regarder par la fenêtre et suivre les rails que d’autres réinventent.
Dans mon coin de miroir, je me cogne à mon reflet. Un candidat qui vient de déposer son CV numéro 36. Pas l’exemplaire 36. La version 36. Trente-six distorsions de moi-même pour me faire accepter, par n’importe quel bout, en grossissant un détail, en limant tout ce bordel qu’est l’expérience humaine pour faire croire à une logique. À force de passer mes journées à me tailler un profil, je crois que j’ai perdu l’original.
Combien on est, à cette heure, le dos voûté, le cou tendu vers l’écran, les yeux rivés sur une offre d’emploi ? Combien de lucioles qui font briller leurs fenêtres sans rideau jusque tard dans la nuit ? Je ne suis qu’un spécimen. C’est une autre solitude. Celle du milieu du troupeau.
Aucun regard ne m’assure que je suis bien là. Il n’y a que des mots préfabriqués qui fusent, qui nous désignent mais qui ne nous racontent pas. Resserrements d’effectifs, restructuration, plan social, candidats, stagiaires, fusion. Des mots en acier de la marque Schindler, en rouge à lèvres de fin de journée, en haleine de café, pour dire qu’on arrive au bout de ce qu’on nous avait appris. Il vaut peut-être mieux s’exténuer à essayer d’inventer autre chose, au lieu de chercher à s’abriter dans les ruines de ce qui nous rassure. Il vaut peut-être mieux travailler à se donner les moyens de dire merde."
et je lui réponds :
"tellement ça, tellement ça, et tellement épuisant aussi, frustrant souvent, il faut être vraiment très courageux ou fou pour continuer, je continue pourtant mais je ne sais pas si c'est du courage ou de la folie, simplement il m'est viscéralement impossible de faire autrement maintenant, je me suis rétrécit les possibles à force de lucidité, de désir d'éthique et de sens, mais le sentier qui reste, je l'ouvre de mes propres mains, avec ma propre tête et aujourd'hui je me dis que c'est le plus beau sentier du monde et je rêve juste qu'il puisse croiser des centaines, des milliers d'autres petits sentiers comme lui et que tout ça fasse un monde de vivants pour donner toujours et encore envie de vivre......vivants."
" Nezahualcoyotl (1402-1472) naît au Royaume de Texcoco, près de Mexico. Son nom signifie « coyote affamé », il est déjà en soi prémonitoire de la quête initiatique et de la recherche d’absolu jamais assouvie du poète. Marqué par le meurtre de son père, le jeune homme se cachera plus de dix ans dans les montagnes avant de réapparaître en 1427 pour reconquérir Texcoco. Il devient roi en 1431 et réorganise son royaume en s’entourant d’artistes, de philosophes et de poètes.
Alors que son royaume est frappé par diverses calamités naturelles qui éprouvent le souverain jusque dans ses croyances, ce dernier se tourne vers le « dieu inconnu ». Élevé au Collège des prêtres, Nezahualcoyotl s’est pénétré de la poésie de ses ancêtres toltèques et il s’adonnera toute sa vie à l’écriture. Il prophétise la ruine du monde aztèque et célèbre dans ses poèmes la beauté éphémère de toute chose, la grâce des fleurs, celle des femmes ou des oiseaux. « Revêts-toi des fleurs,/ des fleurs aux couleurs de l’ara des lacs / Brillantes comme le soleil », nous enjoint la voix vibrante de Nezahualcoyotl. Mais il a toujours soin d’ajouter « Pare-toi, ici sur la terre,/ seulement ici ».
Ce « ici » revient telle une plainte, un soupir déjà résigné ; « ici sur la terre » est repris par opposition à ce « là-bas » où sont « les Décharnés ». Tout le livre du poète balance entre ce ici et ce là-bas. La lumière éblouissante jaillit de la faille où la grâce et la beauté nous envahissent mais "pour un bref instant seulement".
Le chant de Nezahualcoyotl est d’une beauté tragique, désespérée qui confine à l’absolu, car dans l’instant où l’on danse, où l’on aspire au bonheur, l’on pressent inévitablement et paradoxalement notre fin car « Ici n’est pas notre maison ». Notre condition humaine tient tout entière à l’unité fondamentale de la vie et de la mort. Seule la poésie permet d’appréhender l’éternité et l’immortalité. « Et si la mort jamais ne vient,/ Et si j’étais sûr de ne jamais disparaître ? »
Si le royaume de Nezahualcoyotl a sombré, il en reste pour toute dernière demeure sa parole toujours bien vivante qui nous traverse. « Ô vous qui m’écoutez, de mes chants, on gardera souvenir ! » et le poète de s’écrier : « Je suis poète et mon chant vivra sur la terre ! »
Ce chant lumineux qui monte vers nous et nous élève vers les cimes est semblable à une source de vie jamais tarie et qui se régénère à chaque lecture. C’est « un arbre fleuri » qui jamais ne se fane car le poème de Nezahualcoyotl nous arrive dans un entre-deux où vie et mort ont partie liée.
« Mais faut-il vivre dans les pleurs ? » s’interroge le poète ...La réponse est dans ce recueil qui nous invite à pénétrer dans « La maison du printemps » où le poète va chantant ses « chants fleuris ».